Silvia Cattori :
La flottille
n’est pas autorisée à appareiller.
La raison de cette situation
est-elle due au fait que la Grèce se
trouve aujourd’hui plongée dans une
terrible tourmente financière et
totalement dépendante ?
Dimitri Plionis [1] :
Nous savions que notre projet
devrait faire face à des obstacles,
mais de là à avoir tous les
principaux gouvernements contre
nous, de même que les Nations Unies
et le Quartet ? Non, nous ne nous
attendions pas à ce que notre projet
soit l’objet d’un tel honneur ; nous
devons vraiment avoir mis le pied
sur une mine. Bien sûr, nous nous
rendons compte que c’est par une
malheureuse coïncidence que nous
nous trouvons dans cette situation ;
mais nous continuons à croire que le
projet de la
Flottille de la Liberté exerce
une pression. Écoutez : nous ne
sommes pas forts ; nous ne
représentons pas des États ; nous ne
représentons pas des gouvernements.
Mais nous avons maintenant, avec la
Grèce, trois gouvernements contre
nous. Et, parmi eux, deux des plus
puissants gouvernements du monde :
les États-Unis et Israël. Et que
sommes-nous ? Nous sommes des
militants, des gens de la société
civile. Nous ne sommes même pas des
partis ; nous ne sommes même pas des
organisations politiques. Et nous
avons atteint un tel résultat. Nous
avons mis Gaza au premier plan. Nous
avons déjà atteint cet objectif.
Vous savez qu’Israël, il y a
quelques jours, a augmenté le
montant de l’aide humanitaire, et
aussi des matériaux, qu’ils
autorisent à entrer à Gaza. C’est
grâce à notre pression.
Silvia Cattori :
Assistons-nous
à une bataille des Israéliens pour
leur image ? Pensez-vous, à ce
stade, qu’ils soient gagnants dans
cette bataille ?
Dimitri Plionis :
Israël est fier d’avoir réussi à
arrêter la flottille, c’est-à-dire
300 ou 500 ou 600 militants, et dix
à douze bateaux de petite et moyenne
dimension affrétés par des militants
pacifiques de la société civile. Et
il se déclare très satisfait qu’un
État, fort d’une armée de 300,000
soldats qui opprime les Palestiniens
et dispose d’armes nucléaires, ait
stoppé la flottille. Il se montre
très heureux parce qu’il a réussi à
le faire au travers de l’AIPAC, le
lobby israélien aux États-Unis, dont
dépendent de nombreux sénateurs et
membres du Congrès. Et aussi au
travers du gouvernement grec qui est
totalement dépendant - et n’est pas
dans une situation où il peut
vraiment mener une politique
indépendante comme un pays normal –
de sorte que, en faisant pression
sur lui, Israël a réussi à arrêter
la flottille. Leur victoire, si
c’est une victoire – et je ne pense
pas que cela en soit une – est une
bien petite victoire.
Silvia Cattori :
N’êtes-vous pas
pessimiste ?
Dimitri Plionis :
Non, je ne suis pas si pessimiste
parce que nous sommes en train de
réaliser des choses. N’oubliez pas
que nous ne parlons pas d’une
nation, pas d’un pays, pas d’une
organisation politique ; nous
parlons de personnes de la société
civile, venant de nombreux pays, qui
ont en commun l’objectif de briser
le siège de Gaza. Nous savions que
ce ne serait pas facile, et ce n’est
que le début de la bataille. Ce
n’est pas la fin. C’est le début. Et
même si nous perdons la bataille,
nous ne perdrons pas la guerre. Le
travail se poursuit.
Silvia Cattori :
Il ya quelques
jours, M. Netanyahu a envoyé un
message à votre Premier ministre
pour le remercier de ne pas vous
laisser naviguer. Les Israéliens
n’humilient-ils pas, de cette façon,
non seulement les humanitaires qui
prennent part à cette flottille,
mais aussi toute la population
grecque ?
Dimitri Plionis :
Oui. Nous sommes humiliés, comme
Grecs, parce que notre gouvernement
nous a mis en tant que peuple dans
cette situation. Mais je pense que
la pire humiliation est pour le
gouvernement et personnellement pour
le Premier ministre, pour avoir fait
de telles choses. Vous comprenez ce
que je veux dire. Nous, le peuple
grec, sommes à une majorité de 90%
pro-Palestiniens. Nous sommes un
pays pro-Palestiniens depuis de
nombreuses années. Ce n’est pas
comme en France, pas comme en
Allemagne, pas comme en Suisse ;
nous sommes beaucoup plus
pro-Palestiniens. Le pays qui est
plus pro-Palestiniens que nous,
c’est la Turquie. Peut-être que la
Turquie est en tête, je ne sais pas,
peut-être. Mais nous sommes
pro-Palestiniens, les gens le sont.
Et s’ils n’avaient pas subi cette
grande crise économique, ils
auraient été plus libres de
s’exprimer.
Silvia Cattori :
Les Israéliens
mènent une guerre contre les
Palestiniens, et maintenant contre
vous, simplement parce que vous
soutenez les Palestiniens. Alors
vous êtes bien conscient que c’est
une tâche très difficile ?
Dimitri Plionis :
Écoutez, nous savons bien ce à quoi
nous faisons face. Nous sommes,
comme je l’ai dit, des gens de la
société civile, nous sommes de
simples citoyens. Nous savons, nous
comprenons, leur politique. Nous ne
sommes pas stupides. Nous savons
quel jeu se joue. Nous savions
lorsque nous avons commencé à
organiser ces flottilles – cela a
commencé en 2008 – que cela n’allait
pas être une chose facile. Nous
mettons des États en alerte, et
particulièrement les Israéliens.
Comme je l’ai déjà dit, pour une
flottille pacifique de quelques
centaines de militants, Israël
mobilise toute son armée, sa force
aérienne, sa diplomatie. Son
gouvernement convoque une réunion
spéciale du Cabinet pour cette
flottille. Je pense que c’est
ridicule, complètement ridicule. Je
pense que c’est bien Israël qui se
comporte de façon hystérique.
Ils ont une raison d’être
hystériques ; ils ne veulent pas que
la rupture du siège se produise ;
ils ne veulent pas que nous disions
que le siège de Gaza est un acte de
harcèlement international. S’ils
pensent que le résultat leur permet
de faire tout ce qu’ils veulent,
cela va continuer de peser sur le
gouvernement israélien. Et cela va
créer une situation où Israël ne
pourra plus appliquer sa politique.
Le problème réside dans la politique
du gouvernement israélien. Dans le
fait que sa politique est inhumaine,
oppressive, colonialiste. Israël
opprime le peuple palestinien. Et
cela n’est plus acceptable au vingt
et unième siècle. C’est l’apartheid,
nous ne pouvons pas accepter
l’apartheid. La société civile ne
peut pas fermer les yeux. Et c’est
ce que nous essayons de montrer.
Nous ne disons jamais que nous
allons battre le gouvernement
israélien, l’État israélien. Ce
n’est pas notre but. Ce que nous
voulons, c’est lever le siège de
Gaza. Nous voulons que la Palestine
soit libre.
Silvia Cattori :
Si je comprends
bien, Israël montre sa faiblesse ?
Dimitri Plionis :
Je crois qu’une telle mobilisation
n’a jamais été engagée pour ce type
d’action. Je veux dire que ce type
d’action ne menace pas l’existence
d’Israël. Nous n’allons pas envoyer
des bombes ou quoi que ce soit
d’autre. Nous voulons juste passer.
Je crois que tout cela est dû au
fait qu’Israël est devenu un État
militaire colonialiste. Ils sont
comme le régime d’apartheid en
Afrique du Sud. Israël devrait
essayer de devenir une nation
normale. Il appartient au peuple
israélien de décider s’il veut le
faire, ou devenir pire encore. Nous
avons dit la vérité sur ce que nous
voulons : nous sommes ouverts et
tout le monde devrait connaître nos
objectifs.