L'Humanité
Ziad Medoukh : « À Gaza, on résiste pour
exister
et on existe pour résister »
Entretien réalisé par Anouk Guine
Photo:
Pierre Trovel
Mardi 21 avril 2015
Source:
L'Humanité
Neuf mois après la guerre de
l'été 2014, dans quelle situation se
trouve le peuple de Gaza aujourd'hui ?
Entretien avec Ziad Medoukh, directeur
du département de français de l’universite
al-Aqsa dans la bande de Gaza, par Anouk
Guine, maitre de conférences à la
faculté des affaires internationales de
l’université du Havre.
Parmi les attaques
armées d’Israël contre la
bande de Gaza, comment a été
vécue celle de l'été 2014 ?
Quel a été le bilan humain
et matériel ?
Ziad Medoukh
: Le bilan de 50
jours (juillet-août 2014)
d’offensive militaire
israélienne sur la bande de
Gaza a été le suivant: 2160
morts palestiniens, dont 570
enfants, 270 femmes et 110
personnes âgées suite à des
bombardements et des
attaques sanglantes; 11250
blessés, dont 2000 femmes,
450 personnes âgées et 3250
enfants; plus de 7900 raids
israéliens partout dans la
bande de Gaza; des quartiers
totalement détruits et
effacés de la carte, dont
6000 maisons détruites, 9000
d’entre elles endommagées;
plus de 30000 personnes
sans-abri; 73 mosquées
détruites et 197
endommagées; deux églises
bombardées; 5 pêcheurs, 18
journalistes, 20
ambulanciers et secouristes,
et 12 agents municipaux
tués; cinq universités, 150
écoles publiques et 10
écoles privées bombardées; 5
écoles de l’ONU visées; 32
écoles publiques et 27
crèches et jardins d’enfants
détruits; 5 hôpitaux et 29
centres médicaux bombardés;
25 ambulances et 120 usines
détruites; 3 banques visées;
2 hôtels bombardés; 60
bateaux de pêche détruits;
20 organisations et
associations détruites; 30
postes de polices touchés;
50 bâtiments publics et 12
chaînes de radio et de
télévision bombardées; la
centrale électrique
détruite; 40 puits d’eau, 13
cimetières et 9 stades
bombardés; 25 clubs
sportifs, 15 lieux et
monuments historiques,
routes et terrains
agricoles, infrastructures
civiles importantes
détruits; destruction
massive partout dans la
bande de Gaza; les pertes
économiques dépassent 5
milliards d’euros. Le bilan est très lourd,
notre population a vécu un
nouveau drame, elle a essayé
de supporter cette tragédie,
mais rien n’était évident
devant l'ampleur de cette
attaque meurtrière qui a
touché tout dans la bande de
Gaza, une région sous blocus
et en souffrance permanente.
Dans quelle
situation économique et
sociale se trouve la
population de Gaza après
cette attaque ?
Ziad Medoukh :
La situation
humanitaire est
catastrophique, il y a une
absence de perspectives même
si l’on peut se féliciter de
la solidarité familiale et
sociale existante. Je vous
renvois à
mon article.
Après cette attaque, la
population se trouve dans
une situation terrible sur
tous les niveaux. Les
Palestiniens de Gaza paient
les conséquences de cette
agression.
Quelles ont été
les conséquences politiques
sur le plan international ?
Ziad Medoukh :
La mobilisation
populaire de solidarité avec
la Palestine lors des
évènements de Gaza, n'a pas
été suivie par les instances
internationales. Les choses
bougent, mais lentement. La
reconnaissance de la
Palestine par quelques
parlements européens est
importante, mais les
Palestiniens ont besoin de
concret sur le terrain : un
changement, la fin de
l'occupation et la création
de leur Etat libre et
indépendant. Les
Palestiniens comptent
beaucoup sur l'Europe et sur
la communauté internationale
qui ne bouge pas assez pour
arrêter leur souffrance et
proposer une fin de la
colonisation.
Que font
aujourd'hui les Nations
Unies et les ONG pour Gaza ?
Ziad Medoukh :
Au niveau
économique, elles sont très
actives, mais au niveau
politique, elles sont
impuissantes. Il y a
beaucoup de convois
humanitaires qui entrent à
Gaza via ces ONG et
organisations
internationales, mais les
matériaux de construction
sont souvent bloqués, et ces
organisations n'arrivent pas
à faire pression sur les
Israéliens pour ouvrir les
passages ou faire entrer les
produits interdits. Malgré
leurs besoins énormes au
niveau humanitaire et
économique, les Palestiniens
cherchent une solution
politique.
Quelles sont les
activités de soutien
psychologique menées au
Centre de la Paix que vous
avez créé à l'université Al-Aqsa
de Gaza?
Ziad Medoukh :
Après la fin de
l'agression israélienne en
août 2014, le centre de la
paix a commencé un programme
de soutien psychologique, au
début pour les jeunes, puis
il a formé une équipe de 7
étudiants qui organisent
eux-mêmes des séances de
soutien psychologique pour
les enfants traumatisés
partout dans la bande de
Gaza, afin de redonner le
sourire à ces enfants qui
ont beaucoup souffert
pendant les bombardements.
En 5 mois, le centre a
organisé 20 séances dans
plusieurs structures, écoles
et jardins d'enfants dans
toutes les villes de la
bande de Gaza, des actions
soutenues par des
associations et des
personnes de bonne volonté
dans le monde francophone,
et appréciées par les
enfants et leurs familles.
Sur ce lien, vous trouvez
toutes les activités du
Centre de la paix:
http://www.palestine-solidarite.org/centredepaix.sommaire.htm
Vous avez été
invité à plusieurs reprises
en France, notamment à
l'université du Havre. Vous
n’avez pas de problème pour
vous déplacer ?
Ziad Medoukh :
Pour la deuxième
fois en trois mois je n’ai
pas été autorisé à quitter
la bande de Gaza via le
passage d'Erez pour me
rendre en France via la
Jordanie. Je ne vous cache
pas que je reçois presque
tous les mois des
invitations pour me rendre à
l'étranger, notamment dans
les pays francophones afin
de participer à des
colloques, conférences
universitaires et des
rencontres scientifiques et
littéraires. Mais le blocus
et la fermeture des
frontières m'empêchent de
sortir de Gaza, et cela
malgré les efforts du
Consulat de France. Mais
tout dépend de la « bonne
volonté » des autorités
israéliennes. En France,
j'ai toujours un programme
très chargé: rencontres,
conférences, entretiens avec
les médias, réception par
des élus, mais surtout des
rencontre avec les gens, les
solidaires et le mouvement
de solidarité avec la
Palestine. Le plus important
c'est l'échange avec les
gens, et passer le message
sur la situation actuelle
dans la bande de Gaza.
Comment
expliquez-vous la capacité
de résilience et de
résistance des Gazaouis ?
Ziad Medoukh : Les Palestiniens de
Gaza ont tout perdu:
maisons, proches, travail,
mais il reste l’espoir.
C'est avec l'espoir qu'ils
vivent et qu'ils résistent
et existent. Ils vivent avec
une volonté remarquable et
une patience extraordinaire,
ils ont une capacité de
s'adapter à leur situation
et contexte: ils vivent, ils
attendent et ils espèrent!
L'espoir est une maladie en
Palestine et dans la bande
de Gaza. On résiste pour
exister et on existe pour
résister.
Comment est-ce
que le peuple de Gaza a
réagi à l'attentat contre
Charlie Hebdo le 7
janvier ? Comment est-ce que
la couverture de ce journal
publiée après l'attentat a
retenti à Gaza ?
Ziad Medoukh :
A Gaza, presque
toute la classe politique et
sociale a dénoncé l'attentat
meurtrier contre Charlie
Hebdo, y compris le
Hamas. Il y a eu plusieurs
rassemblements de solidarité
avec la France devant
l'Institut Français de Gaza,
organisés par des ONG, des
universités et des
personnalités. La France est
considérée comme un pays ami
de la Palestine, et les
Français sont de plus en
plus solidaires de notre
cause. Après, il y a eu des
manifestations contre les
caricatures, et pas contre
la France, organisées à Gaza
par quelques petits groupes.
Le problème est que les
médias étrangers se sont
beaucoup intéressés à ces
manifestations, mais pour
les rassemblements de
solidarité, il n'y a pas eu
une vraie couverture
médiatique.
Que pensez-vous
de la dernière victoire
électorale de Benjamin
Netanyahou ?
Ziad Medoukh :
La réélection de
Netanyahou est un
renouvellement du racisme et
de l’apartheid dans une
société israélienne qui
bascule de plus en plus vers
la droite et l'extrême
droite. Les Israéliens ont
choisi le camp de la guerre
et de la violence, cette
élection montre que le
chemin pour la paix est
encore long, et que le monde
entier doit bouger et
assumer ses responsabilités
en imposant une solution
pacifique.
Les analyses et poèmes de Ziad Medoukh
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