Syrie
Une semaine à Damas.
Rencontre avec la députée syrienne
Maria Saadeh
Arthur Herlin
© Arthur
Herlin pour Aleteia
Lundi 28 septembre 2015
« Vous avez
commis une grande erreur, en détruisant
notre état, notre histoire et notre
patrimoine ».
Aleteia :
Pourquoi avoir choisi soudain de devenir
députée du parlement Syrien alors que
rien ne vous y destinait ?
Maria Saadeh : En
tant que citoyenne et femme syrienne
j’estime que vos gouvernements n’ont pas
le droit de sélectionner qui peut
représenter ou non la Syrie. Pour cette
raison j’ai estimé qu’il fallait que je
rentre au parlement pour avoir une
tribune légale afin de parler au nom du
peuple syrien et refléter au mieux la
réalité et pour transmettre un message à
l’occident : « vous avez commis une
grande erreur, en détruisant notre état,
notre histoire et notre patrimoine ».
Que répondez-vous à ceux qui
vous accusent d’être élue au service
d’un régime dictatorial ?
Ce sont les occidentaux qui se
permettent de juger que notre société
est sous une dictature. Les Syriens
quant à eux, les premiers concernés,
sont loin de penser cela. Ce n’est pas
du droit des occidentaux de proclamer
que c’est un régime dictatorial. Seuls
nous, Syriens, vivons au quotidien dans
la société syrienne, il n’y a que nous
qui sommes en mesure de juger le
gouvernement syrien. Il n’y a que nous
qui avons connu la situation avant la
guerre et maintenant et qui pouvons
donner notre avis sur la situation
politique du pays. La Syrie est le
berceau des civilisations, de l’Histoire
et des religions, c’est une terre qui
appartient à l’humanité toute entière et
aujourd’hui nous devons faire face à la
monstruosité. Sous le prétexte de
s’attaquer au régime, vos gouvernements
détruisent le patrimoine de l’humanité.
Etiez-vous engagée
politiquement avant la crise que
traverse aujourd’hui la Syrie ?
Non pas du tout, je n’exerçais
absolument aucune responsabilité
politique avant la guerre. Je suis
architecte, j’ai travaillé en France, et
dans toute l’Europe. C’était une grande
surprise pour moi de voir cet occident
qui respecte sur son territoire la
civilisation et le patrimoine,
s’attaquer à notre intégrité. J’ai donc
été élue il y a quatre ans lors des
dernières élections parlementaires qui
ont eu lieu un an après le début de la
guerre. Les prochaines seront organisées
dans quelques mois.
Quand vous faisiez partie de
la société civile, aviez-vous des choses
à reprocher au gouvernement syrien ?
Bien sûr, j’avais de nombreux points
de désaccords avec le gouvernement. Mais
nous n’en sommes plus là, la question
qui se pose aujourd’hui n’est plus
d’être d’accord ou non avec le
gouvernement. Le problème actuellement
c’est que nous sommes confrontés à une
guerre internationale contre l’Etat
syrien. Nous voulons protéger notre
intégrité, nos maisons, notre
souveraineté et nous mettrons tout en
œuvre pour servir cet objectif. Le
gouvernement a commis beaucoup de fautes
par le passé et lorsque je prends la
parole au parlement lors des débats, je
m’adresse à lui en toute franchise. Je
critique aussi les médias syriens qui ne
donnent pas assez la parole à la société
civile, en particulier celle qui
s’oppose au gouvernement. Nous sommes
maintenant en guerre, il est vrai, mais
c’est une occasion de créer une nouvelle
Syrie, une Syrie qui porte toutes les
voix syriennes qui peuvent profondément
reconstruire une société plus stable et
plus égalitaire.
© Arthur
Herlin pour Aleteia
Au début de la crise
Syrienne, qui manifestait pour réclamer
une société plus « démocratique » ?
Laissez-moi vous donner un exemple,
et vous jugerez. Comme architecte
j’avais un chantier et des ouvriers sous
ma responsabilité. Au début de la crise
et des manifestations, mes ouvriers
avaient abandonnés leur poste. J’ai
finalement compris que les islamistes
déjà présents, les payaient pour
manifester : pour une heure ils
touchaient 500 livres syriennes tandis
que les organisateurs eux, recevaient
1000 ou 2000 livres syriennes. Cela
représente plus d’une journée de
travail ! Vous imaginez donc quel succès
cela a rencontré.
Certains d’entre eux
manifestaient tout de même sincèrement…
Oui bien sûr, beaucoup de jeunes en
particulier réclamaient un avenir
différent. Ils croyaient participer une
révolution populaire, mais ils se sont
très vite rendu compte qu’ils étaient
manipulés.
Quels résultats ont découlé
de votre rencontre avec le Pape en 2013
?
Le Pape est le personnage qui
représente au mieux la paix dans le
monde, on sait très bien qu’une action
de sa part peut avoir d’immenses
répercussions sur ce qu’il se passe en
Syrie. N’avait-il pas refusé
catégoriquement que l’OTAN bombarde la
Syrie il y a deux ans ? Il sait que
l’enjeu ne concerne pas seulement les
Syriens mais l’humanité toute entière.
Quelques temps après l’avoir rencontré,
le Vatican a organisé une veillée pour
le peuple Syrien, j’ose imaginer que
c’est une conséquence de mon entretien
avec lui.
Vous êtes chrétienne, quel
est la position des chrétiens de Syrie
face au gouvernement plus largement face
à la guerre ?
Avant toute chose, je ne représente
pas les chrétiens en Syrie. Nous sommes
un Etat laïc, je représente donc tous
les syriens, bien au-delà de leurs
confessions. Tout le peuple syrien est
confronté à la même guerre.
Quelle est votre position
face à l’engagement de la Russie dans
votre pays ?
Nous avons une grande relation
historique avec l’occident, mais
aujourd’hui le peuple syrien ne se fait
plus d’illusion quant à l’attitude
extrêmement agressive de l’occident.
Dans le même temps, la Syrie ne peut pas
affronter seule cet ennemi redoutable
qu’est l’Etat islamique, elle doit
trouver de nouveaux partenaires, la
Russie en est un. Tous les états qui
sont volontaires pour participer à
l’effort de guerre sont les bienvenus.
Un gouvernement de transition
peut-il aider à la réconciliation ou
bien faut-il que Bashar Al-Assad reste
coûte que coûte à la tête de l’Etat
syrien ?
Bashar Al-Assad ne doit quitter ses
responsabilités qu’après une décision
populaire du peuple syrien et de lui
seul. Son départ, si départ il y a, ne
doit en aucun cas être le résultat de
pressions issues de l’extérieur de la
Syrie.
Les Syriens ont-ils vraiment
les leviers institutionnels pour changer
de dirigeant s’ils le décident ?
Pendant les élections
présidentielles, le peuple syrien a fait
son choix. Il y avait des concurrents à
Bashar Al-Assad, des opposants reconnus.
Si de nouveaux opposants veulent se
déclarer, qu’ils le fassent ! Nous
vivons aujourd’hui une occasion de
changement, il faut la saisir. Tout le
monde peut participer à la
reconstruction de la Syrie, de ses
maisons comme de son Etat.
Propos recueillis par
Arthur Herlin.
Architecte de profession,
Maria Saadeh est députée de la
circonscription de Damas et Sednaya.
Elle a été élue après un an de conflit.
Elle est plus déterminée que jamais à
sensibiliser l’opinion française au
calvaire qu’endure son peuple.
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Publié le 1er octobre avec l'aimable
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