Entretien
Christophe Oberlin : « Israël n’est pas
un État,
c’est un lobby »
Silvia Cattori

Dr Christophe Oberlin
Dimanche 24 avril 2016
Entretien avec Christophe Oberlin,
chirurgien français, un des meilleurs
connaisseurs de la politique
palestinienne. Il a consacré plusieurs
ouvrages à témoigner de ce qu’il a
observé lors de ses multiples missions
chirurgicales à Gaza.
Le 26 juin 2006, le caporal
franco-israélien Gilad Shalit est
capturé par un commando palestinien lors
d’une attaque menée, via un tunnel, au
sud de Gaza. Détenu dans un lieu gardé
secret, il ne sera finalement libéré
qu’après cinq ans de négociations
secrètes indirectes entre Israël et le
Hamas, le 18 octobre 2011, en échange de
la libération de 1027 prisonniers
palestiniens.
Dans l’intervalle deux opérations
meurtrières auront été menées par
l’armée israélienne contre la bande de
Gaza, en 2006 et en 2008-2009,
faisant plus de 1500 morts et près de
6000 blessés palestiniens.
Dans son dernier ouvrage intitulé
L’échange – Le soldat Shalit et les
Palestiniens(1), Christophe Oberlin
retrace toute cette période, marquée par
une résistance héroïque, noyée dans le
sang par Israël. Il dévoile le
douloureux sort des prisonniers
palestiniens dont la détention illégale
– contrairement à Shalit – n’a jamais
retenu l’attention de la presse
occidentale traditionnelle.
Il répond ici aux questions de la
journaliste Silvia Cattori.

Le soldat franco israélien
Gilad
Shalit sur le perron de l’Elysée avec
Nicolas Sarkozy,
le 8 février 2012
Photo
Lionel Bonaventure. AFP
Silvia Cattori: Vous
relevez qu’en juin 2006, au moment de la
capture du soldat Shalit, 9500
Palestiniens croupissaient dans les
geôles israéliennes, «dont près de
10% enfermés en détention
administrative, c’est- à-dire sans
charge ni jugement», en butte à des
abus et difficultés de tous ordres. Le
délit de «menace pour la sécurité
d’Israël s’appliquant à des actions
comme la participation à une
manifestation ou à la distribution d’un
tract», vous soulignez que, de 1967
à 2006, 650 000 Palestiniens ont été
incarcérés à ce titre dans des prisons
israéliennes et que, «à la date de
la capture de Shalit, c’est 40% de la
population masculine palestinienne
adulte qui a été déjà emprisonnée au
moins une fois en Israël». Ce sont
des chiffres qui font tourner la tête.
Il s’agit de Palestiniens vivant sous
occupation, abusés, kidnappés et
violentés par Israël en toute impunité.
Doit-on en conclure que l’occupant se
sert systématiquement de
l’emprisonnement arbitraire pour briser
l’esprit de résistance des
Palestiniens ? Cette politique a-t-elle
changé depuis 2006 ? Quel est
aujourd’hui son impact ?
Christophe Oberlin: La
stratégie israélienne a été jusqu’à
présent une stratégie de destruction
physique, économique, mentale de tout ce
qui est situé au-delà du Mur. On
peut dire sans risque de se tromper que
c’est un échec sur les trois plans.
Quatre cents Palestiniens naissent
chaque jour, et les Palestiniens sont
majoritaires sur le territoire de la
Palestine historique ; celle qui a été
reconnue comme État par la Société des
Nations et à exercer la souveraineté
d’éditer des passeports palestiniens
entre 1922 et 1947. Un État certes sous
mandat, mais un État au sens politique
wébérien du terme. Aujourd’hui sur
l’ensemble contrôlé par Israël, le
territoire de 1948, la Cisjordanie,
Gaza, le Golan, les Palestiniens sont
majoritaires.
Sur le plan économique les
Palestiniens survivent, difficilement
mais ils survivent. La situation à Gaza
est particulièrement difficile, mais on
peut penser que la dictature du
maréchal Sissi ne sera pas
éternelle : la situation économique des
Égyptiens est pire que celle des
Palestiniens de Gaza.
Enfin, mentalement, les Palestiniens
n’ont jamais été aussi forts : la
répression produit notamment des élites
ultra-éduquées encore plus
revendicatives que la génération
précédente.
À ce triple échec s’ajoute le
soulèvement de la jeunesse en cours qui,
de l’aveu même du directeur d’état-major
de l’armée israélienne, impose pour la
première fois depuis 1948 une
réorientation stratégique vers une
stratégie de défense et d’alerte
précoce. C’est le territoire de 1948
lui-même qui est menacé, alors que des
vidéos circulent sur les médias sociaux
montrant des soldats israéliens fuyant à
l’annonce d’un Palestinien peut-être
armé d’un seul couteau.
Silvia Cattori: Les
médias de l’establishment ont souvent
parlé du cas Shalit. Comment
expliquez-vous que, quand il s’agit
des détentions arbitraires et de l’usage
de la torture dans les prisons
israéliennes qui frappent les
Palestiniens, ils n’en parlent jamais?
Pourquoi ces deux poids deux mesures?
Christophe Oberlin: La
période de détention de Shalit entre
2006 et 2011 correspond, j’ose
l’espérer, à la fin d’une époque qui est
celle d’un contrôle massif des médias
par le lobby sioniste. Ce lobby est un
navire qui fait eau de toutes parts. Ce
qui se passe dans les prisons
israéliennes n’est pas encore diffusé,
mais les crimes de guerre comme les
assassinats de civils désarmés sont
désormais filmés et médiatisés, à tel
point qu’Israël pour la première fois
est obligé d’en tenir compte. Les
dossiers s’accumulent sur le bureau de
la Cour pénale internationale, comme
autant de nuages dans le ciel israélien.
Quant au fait d’avoir utilisé à fond la
double nationalité de Shalit
[franco-israélien] pour prétendre le
faire libérer, ce fut en réalité une
chance pour les Palestiniens qui en ont
profité à fond lors des négociations.
Silvia Cattori: Vous
rappelez que Mahmoud Abbas (2) s’est
d’abord précipité pour condamner la
capture de Shalit. N’est-ce pas là une
pure trahison de la cause palestinienne?
L’Autorité palestinienne a-t-elle une
quelconque crédibilité ?
Christophe Oberlin: Des
livres entiers pourraient être écrits
sur les trahisons de l’Autorité
palestinienne, et on pourrait citer les
deux plaintes pour crime de guerre
déposées à la Cour pénale internationale
par les Palestiniens et bloquées,
transitoirement, par l’Autorité
palestinienne.
Mais voyons les choses plus
largement. Lorsqu’on n’arrive pas à se
mettre d’accord sur une question, c’est
souvent que celle-ci est mal posée.
Israël n’est pas un État, c’est un
lobby. Un lobby utilise tous les moyens,
mensonge, illégalité, violence. Cela ne
sert à rien de tenter de négocier avec
un lobby. L’Autorité palestinienne n’a
intrinsèquement aucune autorité,
légalement aujourd’hui aucune
légitimité. Elle est financée en tant
que supplétif d’un pouvoir colonial. Il
n’y a donc rien à attendre de deux
acteurs qui jouent une pièce de théâtre
qui n’a rien à voir avec la réalité.
Silvia Cattori : Pendant
que l’attention du public est tournée
vers les guerres atroces qui se
déroulent dans les pays voisins,
qu’Israël a du reste contribué à
fomenter, celui-ci semble n’avoir rien à
craindre. Le temps et le chaos
jouent-ils en sa faveur selon vous ?
Christophe Oberlin:
Je crois plutôt que c’est l’inverse.
Malgré les épreuves inqualifiables
imposées aux populations du
Proche-Orient, la balkanisation
souhaitée n’est pas en train de
s’accomplir. L’embargo puis les guerres
occidentales en Irak n’ont pas soustrait
ce pays à la sphère iranienne. L’État
syrien, au sens exact du terme, n’a pas
disparu pour toujours. La construction
d’un Liban tribal est un échec. Quant à
Israël il est frappant de constater un
basculement qui s’exprime aujourd’hui
bien au-delà des spécialistes
ou des militants. On parle de
moins en moins des frontières de 1967.
(3) Le constat est là : un État basé sur
la guerre permanente externe et interne
n’a pas d’avenir. Et l’égalité des
droits, revendication anticoloniale bien
classique, cela signifie la disparition
du sionisme et l’avènement d’un État
palestinien où tous auront les mêmes
droits et les mêmes devoirs.
Je vous remercie infiniment.
Propos recueillis par Silvia
Cattori le 23 avril 2016
(1) L’échange, le soldat Shalit
et les Palestiniens, par Christophe
Oberlin, Editons Erick Bonnier: 2016.
(2) L’Autorité palestinienne, basée à
Ramallah, est maintenue au pouvoir par
l’aide financière de l’UE
(3) La narration véhiculée par le
lobby occulte le fait que l’injustice
remonte à la création d’Israël en 1948
et non pas en 1967
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