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La
formation des Imams en France : sortir de l'impasse
Nabil Ennasri
La Mosquée de Paris
Mercredi 10
octobre 2007
La question de la formation des Imams en France
représente l’un des enjeux majeurs de l’organisation du culte
musulman. Pourtant, et en dépit des déclarations de bonne volonté
maintes fois répétées, les différents ministères qui se sont
succédés place Beauvau n’ont jamais réussi à apporter des
solutions crédibles à ce problème.
La communauté musulmane, quant à elle, devrait
s’investir davantage sur ce chantier d’une grande importance
pour aboutir à une saine gestion du culte. Trop longtemps délaissé,
ce dossier complexe a souvent fait l’économie d’une réflexion
profonde. Et pourtant, des solutions existent.
Dans son article récemment publié (voir Le
Figaro du 29 Août), Azzedine Gaci, président du Conseil Régional
du Culte Musulman de la région Rhône Alpes relevait, à juste
titre, que « la question de la formation des imams [devait
être mise] au cœur de l’organisation de l’islam en France ».
Cependant, et après avoir dressé un tableau
accablant sur la réalité des Imams officiant aujourd’hui en
France, M. Gaci propose, en guise de remède à ce triste
constat, « de créer un institut de
formation des imams de France » ajoutant que « l’Etat
français devait se résigner à créer cet institut de formation
des imams en Alsace-Moselle, à Strasbourg plus précisément ».
En effet, si l’Etat ne prend pas véritablement
en charge cet épineux dossier, on risquerait de s’acheminer,
toujours selon M. Gaci, vers un «
chaos que pourrait provoquer à court et moyen terme en France les
« Cyber-fatwas » et autres « télé-Muftis »
vers lesquels « beaucoup de jeunes, qui refusent catégoriquement
de s’identifier à une école juridique se tournent ».
Sans nier la réalité des problèmes et de la
confusion qui règnent autour de cette lancinante question de la
formation des Imams en France, le discours affiché par M. Gaci
est davantage l’expression d’une vision caricaturale et erronée
de la réalité que la formulation d’un constat véritablement
objectif.
En effet, pour permettre à la deuxième religion
de France d’avoir des Imams formés de manière à adapter
l’intelligence du Texte au contexte, il vaudrait mieux partir
des acquis accumulés dans ce domaine pour pouvoir répondre à
une demande sans cesse croissante.
Aujourd’hui, il est vrai que les centres
existants ne couvrent pas les besoins en termes de formation des
officiers du culte musulman. L’offre de formation est
actuellement limitée à l’Institut théologique de la Mosquée
de Paris et aux deux centres de formation de l’Union des
organisations islamiques de France : l’Institut européen
des sciences humaines (I.E.S.H.) installé dans la Nièvre, près
de la commune de Château-Chinon, qui a ouvert ses portes en 1992
(et qui vient tout juste de célébrer son quinzième
anniversaire) et sa filiale, du même nom, située à Saint-Denis.
D’autres centres de formations, moins
performants, sont nés ces dernières années, notamment en région
parisienne ainsi que quelques-uns en province (Lyon et Lille
notamment). Cette réalité d’un certain nombre de centres de
formations, installés pour certains depuis de nombreuses années,
semble malheureusement avoir été occultée par M. Gaci.
Or, ce dernier n’est pas sans connaître cette réalité,
lui qui a assisté, il y a quelques jours à peine, aux festivités
accompagnant la remise des diplômes aux étudiants de la quinzième
promotion de l’I.E.S.H de Château-Chinon. Et qui plus est,
cette commémoration avait été précédée, la veille, d’un
colloque portant précisément sur l’enseignement islamique en
Europe et la formation des Imams…
Loin d’appeler l’Etat à la formation d’un
nouvel institut – au risque de contredire de manière flagrante
la neutralité de l’Etat dans la gestion des cultes et de violer
ainsi le principe de laïcité - il serait judicieux et bien plus
efficace de reconnaître pleinement ces centres qui ont permis,
depuis quelques années déjà, l’émergence d’une nouvelle génération
d’Imams.
En effet, ce n’est pas aux pouvoirs publics de
s’occuper de la formation des professionnels du culte mais bien
plutôt aux autorités religieuses compétentes en la matière.
Qui accepterait aujourd’hui qu’on s’immisce dans la
formation des rabbins en France ou dans celle des évêques ?
Il est, en effet, étrange que la laïcité, qui
impose une stricte neutralité des pouvoirs publics dans la
gestion des cultes, soit reléguée aux oubliettes lorsqu’il
s’agit de traiter du culte musulman.
Les apparents déboires du CFCM ne doivent pas empêcher
la communauté musulmane de réfléchir sérieusement en vue
d’apporter des solutions durables et efficaces à ce dossier
central pour l’avenir de l’Islam de France.
Car il revient d’abord aux musulmans de France
de relever ce défi de la formation des Imams pour permettre aux
quelques 1500 mosquées de l’Hexagone de bénéficier d’Imams
à la fois compétents en matière religieuse et en phase avec la
société qui les entoure. Pour ce faire, trois éléments clés
doivent être pris en compte.
Premièrement, les pouvoirs publics devraient
pleinement reconnaître les instituts de formations existants, au
premier rang desquels l’I.E.S.H., et les considérer comme des
partenaires à part entière quant à la formation des Imams de
France. N’en déplaise à certains, ces centres ne dispensent
nullement un « enseignement fondamentaliste »
mais permettent bien plutôt à leurs étudiants, dont désormais
la grande majorité sont nés et ont été scolarisés en France
et en Europe, de concilier la formation théologique avec une
saine compréhension de leur environnement européen.
La suspicion qui règne aujourd’hui devrait
laisser place à la confiance mutuelle. Deuxièmement, la mise en
place d’un véritable statut qui conférerait à l’Imamat une
fonction pleine et entière avec une rémunération à la mesure
des efforts fournis qui permettra à l’Imam de se consacrer sérieusement
à sa fonction.
Cette mesure devrait rapidement être mise à
l’ordre du jour du CFCM pour pallier ces insuffisances.
Aujourd’hui, la situation est souvent déplorable car elle fait
de l’Imamat une fonction peu attrayante et souvent dévolue à
des bénévoles.
Enfin, mettre en place, par le biais des
associations et des institutions musulmanes, un système d’aides
et de bourses pour permettre aux étudiants qui le souhaitent d’étudier
sereinement dans les instituts de formation existants. La durée
des études étant souvent longue (minimum cinq ans), ce système
permettra d’augmenter le nombre d’étudiants désirant
s’orienter vers l’Imamat.
Toutes ces mesures, si elles sont mises en œuvre,
auront, entre autres, l’avantage de réduire quelque peu
l’importation d’Imams des pays musulmans et de voir l’éclosion
d’une nouvelle génération d’Imams français.
La question de la formation des Imams de France
est un sujet crucial qu’il faut maintenant trancher. Loin de se
perdre dans des projets aussi improbables qu’inefficaces, les
quelques pistes évoquées ici peuvent contribuer à sortir de
l’impasse dans laquelle ce dossier se trouve. Et il y a urgence.
Nabil Ennasri, diplômé de l’Institut d’Etudes
Politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en
deuxième année de théologie musulmane à l’Institut européen
des sciences humaines de Château-Chinon.
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