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La Croix.com
Cardinal
Tauran : « La religion fait peur, car elle est pervertie par le
terrorisme »
Isabelle de Gaulmyn
Cardinal Jean-Louis Tauran - Photo Catholique-bordeaux.cef.fr
L'ancien
responsable de la diplomatie du Saint-Siège explique la teneur du
dialogue avec l'islam avant la rencontre de Naples.
La Croix : Au moment où Benoît XVI va rencontrer des
responsables de toutes religions, dimanche 21 octobre à Naples,
138 musulmans viennent de lui écrire pour proposer des domaines
de discussions théologiques communs. Que pensez-vous de cette
initiative ?
Cardinal
Jean-Louis Tauran : C’est une initiative positive, dans la
mesure où le texte propose une coopération à partir de valeurs
communes : reconnaissance du Dieu unique, amour de Dieu pour
chaque homme et nécessité d’aimer son prochain. Un aspect qui
m’a particulièrement frappé est que, peut-être pour la première
fois, un texte signé par des musulmans présente le Jésus de
l’Évangile avec des citations du Nouveau Testament, et non pas
à partir de citations du Coran.
En outre, ce texte est signé à la fois par des musulmans
sunnites et des musulmans chiites (Pour
lire le texte, cliquez ici). Au fond, il pose une question aux
croyants des deux religions : Dieu est-il l’Unique dans ma vie ?
En tout cas, cette initiative montre bien qu’avec de la bonne
volonté et un dialogue respectueux on parvient à surmonter bien
des préjugés. Nous avons là un exemple éloquent du « dialogue
des spiritualités ».
À Naples, vous-même allez participer à toute la rencontre
interreligieuse organisée par la communauté Sant’Egidio.
Vous étiez-vous déjà rendu à d’autres rencontres de ce
type ?
Je suis allé à la
rencontre pour la paix d’Assise, en 2002, à laquelle Jean-Paul
II avait invité les responsables religieux. Je me souviens avoir
senti alors tout le potentiel de paix que recèlent les religions.
Si les croyants étaient cohérents avec leur foi, peut-être le
monde serait-il différent. Car ce ne sont pas les religions qui
se font la guerre, mais les hommes. Finalement, le religieux est
accusé à cause de ceux qui se servent de la religion pour des
actions terroristes. La religion fait peur, car elle est pervertie
par le terrorisme.
Face à cette « perversion », quelle est « l’utilité »
d’un rassemblement comme celui-ci ?
C’est de
permettre à « l’esprit d’Assise » de survivre. De rappeler,
justement, ce potentiel de paix. Les religions devraient être un
facteur de paix. Pour Naples, le pape sera présent au début, et
il dira quelque chose, incontestablement.
Dans sa lettre adressée en 2006 à l’évêque d’Assise,
le même Benoît XVI posait cependant des limites à ces
rassemblements interreligieux.
Je crois que cela a
toujours été très clair, et dès le début : chacun prie de
manière séparée. Ce n’est pas du syncrétisme ! Le dialogue
en lui-même suppose une altérité, une différence.
D’ailleurs, si nous étions d’accord, il n’y aurait pas de
dialogue… Dès lors, chaque partie doit avoir le souci de son
identité spirituelle. Nous-même avons, comme chrétiens, à
manifester que Jésus-Christ nous révèle Dieu de manière complète
et définitive.
Dire que le Christ révèle Dieu de manière complète,
n’est-ce pas barrer toute perspective au dialogue ?
Non, car dans le même
temps, nous reconnaissons les valeurs qui sont dans les autres
religions, comme une préparation à l’accueil de la Bonne
Nouvelle du Christ. Par exemple, cet été, Benoît XVI a expliqué
que nous partageons avec les musulmans et les juifs un trésor
commun, qui sont les Dix Commandements. Plus généralement, le
pape expliquait la démarche qui doit être la nôtre dans le
dialogue : être prêts à « rendre compte de l’espérance qui
est en nous » ; considérer tout croyant comme notre prochain, et
non un adversaire ou un concurrent ; partir de nos valeurs
communes.
Le pape est très attentif à ce que nous ne tombions pas dans le
relativisme. Mais cela n’interdit pas d’apprécier tout ce
qu’il y a de vrai et de saint dans les autres religions. La
religion mène au pire, comme au meilleur : elle peut être projet
de sainteté, ou un projet de domination.
Peut-on avoir des discussions théologiques dans un tel cadre
?
Avec certaines
religions, oui. Mais avec l’islam, non, pas pour le moment. Les
musulmans n’acceptent pas que l’on puisse discuter sur le
Coran, car il est écrit, disent-ils, sous la dictée de Dieu.
Avec une interprétation aussi absolue, il est difficile de
discuter du contenu de la foi…
Votre nomination, comme grand diplomate, a-t-elle une
signification quant aux futures orientations du Saint-Siège en
matière de dialogue interreligieux ?
Je ne suis pas ici
pour faire de la diplomatie ! Le Conseil pontifical pour le
dialogue interreligieux ne doit pas devenir une annexe de la Secrétairerie
d’État. En revanche, mon expérience internationale m’a amené
à pratiquer le dialogue, dans la vérité. Le fait que j’ai
aussi une certaine connaissance du monde arabe y a aussi contribué.
Quelle est la « feuille de route » que vous a fixée Benoît
XVI ?
Les discours du
pape sont très clairs. Il a dit, à Cologne : « Le dialogue avec
l’islam n’est pas un choix passager, mais est une nécessité
vitale dont dépend notre avenir. » Par ailleurs, un texte comme Dominus
Iesus (NDLR : document de la Congrégation pour la doctrine de
la foi rappelant, en 2000, que le Christ est l’unique Sauveur de
toute l’humanité) pose les paramètres pour éviter le syncrétisme
religieux.
Nous ne devons pas mettre notre drapeau dans la poche, et
manifester clairement celui en qui l’on croit. Enfin, lorsque
l’on regarde l’enseignement du pape, se dessinent quelques
domaines de réflexions avec les religions non chrétiennes : le
caractère sacré de la vie ; cultiver des valeurs fondamentales,
comme par exemple, la famille, la place de la religion dans l’éducation…
L’exigence de réciprocité doit-elle être mise en avant
par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux ?
C’est un élément
de la diplomatie pontificale, à la base du droit international.
Comme tel, il vaut aussi dans le dialogue avec les responsables
religieux. Il est fondamental, lorsque l’on dialogue entre
croyants, de dire que ce qui est bien pour les uns l’est aussi
pour les autres. Il faut par exemple expliquer aux musulmans que,
si eux-mêmes ont la possibilité d’avoir des mosquées en
Europe, il est normal que des églises puissent être édifiées
chez eux.
Allez-vous modifier l’organisation de votre dicastère au
sein de la Curie ?
Il faut améliorer
les relations avec des organismes comme l’Institut pontifical
d’études arabes et d’islamologie (Pisai), la Secrétairerie
d’État, la Congrégation pour les Églises orientales et la
Congrégation pour l’évangélisation des peuples. La situation
des chrétiens vivant dans des pays à majorité islamique est en
effet très différente selon la physionomie du pays : le chrétien
qui vit en Indonésie n’est pas dans la même situation que
celui qui vit au Maroc ou au Liban. Il y a différentes manières
d’incarner l’islam, et nous devons mieux tenir compte de cette
diversité dans notre dialogue.Recueilli
par Isabelle DE GAULMYN, à Rome
Crédit photo :
Catholique.bordeaux.cef.fr
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