Le 28 octobre, Jean-Claude Lefort, en
tant que député honoraire, a écrit une nouvelle fois à Bernard
Kouchner. Il lui demande, "encore et encore, que la justice soit
appliquée et exigée pour ce citoyen Français comme pour tous les
autres."
M. Bernard Kouchner
Ministre des Affaires étrangères
37, quai d’Orsay
75007 Paris
Monsieur le Ministre,
Depuis votre passage à Jérusalem, au
printemps 2008, votre action a abouti à ce que Salah Hamouri
soit condamné à 7 ans de prison, au terme d’un chantage qui n’a
rien à voir avec un « plaider coupable ». Le « choix » étant 7
ans ou 14 ans mais en aucun cas la liberté. Un tribunal digne
d’un Etat de droit et conforme aux Conventions internationales
laisse ouverte la porte du « plaider non-coupable » et donc
celle de la liberté. Lui, il a été condamné d’avance, par
principe, et ceci par un tribunal militaire d’occupation. Sa
culpabilité n’étant pas à démontrer puisqu’elle était acquise
pour ce tribunal militaire, hors preuves, avant tout procès et
avant toute plaidoirie. Coupable par « définition », il ne
pouvait en aucun cas être déclaré « innocent ». C’est ainsi que
les choses se passent devant un tribunal militaire d’occupation.
Accepter 7 ans, dans ces conditions, ce n’est
pas reconnaître quoi que ce soit. C’est tout simplement éviter
le pire, c'est-à-dire 14 ans de prison. Vous auriez préféré
qu’il choisisse 14 ans en plaidant « non-coupable » made in un
tribunal militaire d’occupation israélien ? Cela vous aurait
conforté ou fait je ne sais quelque plaisir ? Je n’ose y croire.
Depuis le début vous avez accepté la thèse
selon laquelle Israël était un Etat de droit tandis que Salah
était aux mains d’une force occupante condamnée par l’ONU, et
donc aussi condamnée par la France. Théoriquement. Je ne dis
pas, ici, de sottise, Monsieur le Ministre ? Or jamais vous
n’avez demandé la libération de Salah Hamouri pas plus que le
Président de la République qui, de surcroît, n’a même pas daigné
recevoir la famille de Salah. Pourquoi cette
discrimination flagrante qui touche cette famille et uniquement
cette famille ? Je suis outré par cette attitude qui n’est pas
conforme aux engagements présidentiels mais plus encore à l’idée
que je me fais de la République. Je vous tiens pour
coresponsable et de ce mépris inhumain et du sort de Salah qui a
déjà effectué plus de 5 ans et demi de prison.
Depuis le début vous avez admis
incroyablement ce que l’ONU a condamné, : Jérusalem n’est pas la
capitale « éternelle » de l’Etat israélien mais la partie située
à l’Est n’est, ni plus ni moins, qu’illégalement occupée.
Occupée.
Salah est un prisonnier politique et
uniquement politique. Vous le savez parfaitement bien : son
dossier est totalement vide. Une « intention » supposée, voilà
son délit qui lui vaut cet emprisonnement qui n’en finit pas.
Dans ces conditions demander « la clémence », comme l’a fait le
Président de la République il y a quelque temps sans agir
effectivement et fermement, c’était pour lui une façon de faire
« bonne figure » pour tenter d’apaiser les esprits épris
de « liberté sans frontières ». Mais pis : c’était surtout
admettre purement et simplement les vues israéliennes et donc
s’exposer au sec refus de Netanyahu. Ce dernier n’a pas le droit
avec lui dans cette affaire non plus or vous le lui avez
reconnu, vous le lui avez même accordé et même offert. C’est
intolérable.
Salah est Français et uniquement Français de
jure puisqu’Israël lui refuse sa bi-nationalité du fait qu’il
habite Jérusalem-Est occupée. Occupée.
Actuellement, c’est le seul Français
au monde ayant fait plus de 5 ans de prison pour des raisons
uniquement politiques.
Je ne vous demande donc pas, à l’instar du
« Comité national de soutien » qui rassemble des femmes et des
hommes politiques de tous horizons, un passe-droit. Non. Je vous
demande seulement, encore et encore, que la justice soit
appliquée et exigée pour ce citoyen Français comme pour tous les
autres. Salah n’a rien à faire en prison. Pas plus que Clothilde
Reiss sortie des griffes du régime iranien au terme d’un procès
que vous avez qualifié vous-même de « truqué » en parlant
d’« aveux extorqués ». C’est exactement le cas de Salah, sauf
que Salah est toujours en prison bien qu’Israël ne soit pas
l’Iran. Salah n’a tué personne. Il n’a volé personne. Il n’a
menacé personne. Il n’a brandi aucune arme contre personne. Il
n‘a rien fait. Il est victime de l’occupation et on lui demande
en plus aujourd’hui de s’excuser d’être hostile à celle-ci !
Refuser une occupation étrangère est un honneur, Monsieur le
Ministre.
Je ne parviens pas – pour parler vite - à
imaginer que vous puissiez penser un seul instant que le fait de
passer en voiture devant le domicile du rabbin Yossef Ovadia, un
extrémiste notoire, constitue la preuve « d’intentions »
irréfutablement négatives que Salah aurait nourries contre ce
dernier.
Vous savez ce qu’une situation d’occupation
militaire veut dire, Monsieur le Ministre ?
Si vous aviez dépensé pour Salah un centième
des efforts que vous avez justement consentis pour Guilad Shalit
– dont la libération a encore été demandée hier par Stéphane
Hessel et Régis Debray à Gaza devant Ismail Hanihey – Salah
serait déjà libre. Vous ne l’avez pas fait.
Non seulement vous ne l’avez pas fait pour Salah mais vous avez
donné crédit aux israéliens et attenté à la dignité des membres
de sa famille en les mettant à l’index comme des pestiférés
infréquentables.
Vous l’avez rencontrée quelques minutes à
Jérusalem et vous allez partout répétant ou écrivant : « J’ai
reçu la famille » ! Bah voyons : 5 minutes ! Une rencontre pour
vous…
Par contre, alors que le temps vous manquait
paraît-il, vous êtes allé récemment à la rencontre de la famille
de Guilad Shalit, sur place, en Israël ? Très bien. Mais l’idée
de recevoir et de rencontrer aussi dignement sur place la
famille Hamouri ne vous a même pas traversée la tête ? Pas une
seconde ? C’est à vomir. Pour la France.
La question aujourd’hui est simple : une remise de peine déposée
légalement a été refusée à Salah. Il n’ya donc pas d’autre
solution maintenant que d’obtenir une libération sans condition.
Israël libère des prisonniers autrement plus « significatifs »
que Salah. C’est un choix politique, bien sûr.
La balle est donc toujours dans votre camp et
je ne saurais accepter que vous me disiez, encore et encore, que
vous faites tout ce que vous pouvez pour Salah. C’est faux.
Totalement faux. Les preuves abondent. Si jamais…
Salah devrait être dans sa maison depuis longtemps. Il n’y est
pas. Il est dans une prison à Guilboa, une prison que vous ne
connaissez pas alors qu’il vous est possible de vous y rendre.
Déjà plus de 5 ans de sa vie en prison, lui qui avait 20 ans
quand il y est entré. Vous imaginez ? En prison pour « rien » ?
Cela ne vous émeut pas ? Cela ne touche pas le « French Doctor »
partisan ardent de « l’ingérence humanitaire » ? Non ? Vous avez
dit qu’il fallait vous « provoquer » s’agissant
de cas qui touchent aux droits humains. Vous avez déclaré cela
en remettant un prix de la République française à une ONG
palestinienne (le PNGO).
Monsieur le Ministre : sachez que je
suis prêt à tout pour cela, sans me défaire de mon esprit
démocratique.
Car je viens quant à moi de rencontrer Salah
Hamouri dans sa prison de Guilboa le 5 octobre dernier. Et je
vous le dis tout net : on est plus qu’en train de
« casser » ce jeune homme. Mentalement. Humainement. On le
casse.
Il m’est impossible d’imaginer que sa
libération ne soit envisageable qu’en novembre 2011, selon les
volontés des juges militaires qui sont, évidemment, hors de tout
soupçon certainement selon vous. Pour vous : car votre silence
assourdissant vaut approbation.
A bon entendeur !
Je vous suggère de me croire et je vous prie
de croire, Monsieur le Ministre, en ma détermination et mes
républicaines salutations.
Jean-Claude Lefort
Député honoraire