RPL France
Michel
Aoun : «Les Etats-Unis travaillent à la déstabilisation du
Liban»
Alain Campiotti - Le Temps
Général Michel Aoun
9
août 2007
Les Libanais, pour leur malheur, vivent dans des bulles. Le
système institutionnel que leur a légué le mandat français les
y pousse. Bulles maronites très haut dans la montagne. Bulles
chiites aux portes de Beyrouth ou dans le sud. Bulles sunnites à
Tripoli ou Hamra... La bulle du général Michel Aoun est juste au
nord de la capitale : Rabieh, sur une pente boisée, un ensemble
de villas très cossues protégées par des couches technologiques
de haute sécurité. "Six attentats, dont trois avec des
morts autour de moi", fait-il remarquer.
Depuis son retour de quinze années d'exil il y a deux ans, ce
militaire très politique se bat contre les bulles. C'est ce qu'il
dit avec force. Ses adversaires du gouvernement, depuis qu'il a
passé alliance avec le Hezbollah, l'accusent au contraire de s'y
enfermer. Pour se justifier, Michel Aoun a reçu Le Temps dans son
nid d'aigle qui est aussi le quartier général du Courant
patriotique libre, son parti.
Le Temps : Depuis que vous avez vaincu l'ancien président
Amine Gemayel dans une élection dimanche, vos adversaires
maronites disent que vous avez perdu : vous ne contrôlez plus,
comme en 2005, cette communauté catholique...
Michel Aoun : Ils m'amusent! Ceux d'entre eux qui sont au
parlement ont été élus avec une majorité sunnite dans laquelle
le vote chrétien est dilué. Nos candidats sont en général élus
par un vote moitié chrétien, moitié non chrétien. Mais c'est
une vieille manière de penser. Je suis prêt à sacrifier 20% de
ma popularité si c'est le prix à payer pour éviter une
confrontation dans le pays. Or c'est précisément ce que nous
avons cherché en signant l'an passé une entente avec le
Hezbollah.
- Vous voulez la fin du système d'équilibre
confessionnel dans les institutions ?
- C'est un système condamné, en voie de disparition. Nous
voulons établir, pas à pas, la laïcité de l'Etat. Il faut que
les Libanais s'habituent à l'exercice du pouvoir sur la base de
choix politiques et non d'arrangements confessionnels.
- Votre entente avec le Hezbollah, n'est-ce pas une
manière d'arrangement ?
- C'est un programme politique! Sur la réforme de l'Etat, son
indépendance, les relations avec la Syrie, avec les Palestiniens.
Le Hezbollah est acquis à l'idée d'un code civil libanais. Et
son chef, Hassan Nasrallah, a déclaré il y a dix jours qu'il était
prêt à discuter du désarmement de son mouvement, et d'un
armistice entre Israël et le Liban, indépendamment de la
situation dans le reste du Proche-Orient. Je défie nos
adversaires, que l'Occident soutient, d'avoir un tel courage.
- Mais le Hezbollah est-il lui-même indépendant : le
principe du "Velayat al-faqih" ne le lie-t-il
pas directement au guide de la révolution iranienne ?
- Si vous pensez que l'homme est une pierre, et ne change
jamais, alors vous avez raison. Quand le Hezbollah faisait référence
au "Velayat al-faqih", Samir Geagea, le chef
des Forces libanaises, parlait de cantons chrétiens, et Walid
Joumblatt de frontières druzes. Les temps ont changé. Le
Hezbollah, aujourd'hui, revendique sa part de pouvoir, rien de
plus.
- La Syrie n'est-elle pas plus pesante que l'Iran sur
le Liban? Et n'avez-vous pas rencontré récemment en Allemagne un
émissaire syrien, comme le disent les Saoudiens ?
- C'est une diffamation colportée par des moulins à
mensonges. J'ai confondu Amine Gemayel qui reprenait cette
calomnie. La Syrie joue contre moi. Des mouvements pro-syriens ont
appelé dimanche à voter pour notre candidat, et ça lui a coûté
des voix, par répulsion.
- Tenez-vous les Occidentaux, les Etats-Unis, pour vos adversaires
?
- Les Américains refusent notre tentative de sortir le
Hezbollah de son isolement. Et ils soutiennent sans faille le
gouvernement de Fouad Siniora contre ce projet. George Bush a
annoncé il y a une semaine le gel des avoirs de ceux qui agissent
contre le "gouvernement légitime" du Liban,
dont nous contestons la légitimité depuis un an. Trois jours
avant l'élection de dimanche, cette menace a effrayé ceux qui
nous soutiennent de leurs dons.
- Vous appelez à un gouvernement d'union nationale.
Croyez-vous l'unité du Liban menacée ?
- L'entente et l'union que nous proposons sont la seule voie de
salut. Or l'Occident n'en veut pas. Je soupçonne les Etats-Unis
de travailler à la déstabilisation du Liban, après celle de
l'Afghanistan, de l'Irak, de la Somalie, etc. Je crois en fait que
les Américains souhaitent un nouvel affrontement dans ce pays.
Pour organiser, à la faveur de ce désordre, l'implantation au
Liban des Palestiniens qui y résident, parce qu'on ne leur
donnera pas d'autre pays.
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