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RIA Novosti
L'Iran
déclare la guerre au dollar
Igor Tomberg
Photo RIA Novosti
14 décembre 2007
L'Iran a décidé de renoncer à la monnaie américaine pour
l'exportation de son pétrole. Le ministre iranien du Pétrole
Gholam Hossein Nozari a déclaré: "Nous avons cessé de
vendre notre pétrole brut en devises américaines dans le cadre
de notre politique d'échange de pétrole contre des devises
autres que le dollar".
L'Iran se préparait depuis longtemps à renoncer à la monnaie
américaine, puisqu'il avait progressivement réduit ces deux
dernières années la part des pétrodollars dans ses recettes. En
tant que motif à ce renoncement, on invoque la dévalorisation du
billet vert: "La chute du cours du dollars US cause un grave
préjudice aux pays exportateurs de pétrole, il n'y a plus de
confiance dans le dollar". Mais il y a certainement un calcul
purement politique parmi ces motivations. Comme l'a expliqué fin
novembre le président du parlement iranien Gholam-Ali Haddad-Adel
au cours d'une conférence de presse à Bakou,
"l'introduction dans le monde de rapports commerciaux en
dollars assure aux Etats-Unis la possibilité de faire pression
sur certains pays".
Plusieurs représentants de l'OPEP ont émis des doutes quant
au bien-fondé de l'emploi du dollar en qualité d'unité de
compte dans le commerce des ressources énergétiques, cela
concerne avant tout les adversaires les plus farouches des
Etats-Unis: le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et le président
vénézuélien Hugo Chavez. M. Ahmadinejad a invité ses
partenaires au sein du cartel pétrolier à renoncer au dollar
dans le commerce du pétrole: "Dans les transactions économiques,
commerciales et pétrolières, il faut le remplacer (le dollar)
par une autre monnaie, plus fiable". Bien que l'Iran occupe
la deuxième place au sein de l'OPEP pour le volume de pétrole
fourni sur les marchés mondiaux, cette idée n'a pas encore rallié
le soutien de la majorité des membres de l'organisation. L'Arabie
Saoudite a bloqué en novembre la proposition de l'Iran et du
Venezuela d'examiner la question du refus des pays de l'OPEP de
vendre du pétrole en dollars, néanmoins, six pays du golfe
Persique étudieront de nouveau la possibilité de vendre leur
brut contre d'autres devises.
Le fait que le vice-président du conseil d'administration de
Gazprom Alexandre Medvedev ait déclaré le 30 novembre à New
York que le monopole russe du gaz envisageait de vendre du pétrole
et du gaz contre des roubles, plutôt que contre des dollars ou
des euros, est significatif. Les dirigeants du géant gazier sont
contraints de changer de politique monétaire en raison de la
situation sur les marchés financiers mondiaux. Le calendrier de
l'adoption de cette décision n'est pas précisé mais selon M.
Krouglov, directeur du département économie et finances de
Gazprom, le passage aura lieu plus tôt qu'on ne le pense.
Dans le contexte d'affaiblissement incessant de la monnaie américaine,
le rattachement des exportations au dollar est très désavantageux.
Dans le cas du gaz, le prix est fixé dans des contrats à long
terme et, au cours de leur réalisation, le dollar peut perdre 15
ou 20% de sa valeur compte tenu des taux actuels de sa chute.
Ainsi, depuis début 2007, le dollar a déjà perdu plus de 10%
par rapport au panier de devises. Par conséquent, les recettes
des exportateurs russes de pétrole et de gaz ont diminué.
La baisse de l'attrait pour le dollar dans le monde entier est
un fait indéniable. L'euro gagne en popularité. La
diversification considérable des opérations de change illustre
parfaitement ce processus. Par exemple, en 2005, la part des
autres monnaies constituait 8,1% de la somme globale des
transactions. Cette année, cet indice a déjà dépassé 18% et,
comme l'assurent les spécialistes, ce chiffre n'a pas atteint sa
limite, loin s'en faut.
Les monnaies de plusieurs pays commencent à rejoindre le pool
des principales monnaies de réserve. Le Conseil de coopération
du Golfe, dont font partie, entre autres, les grands exportateurs
proche-orientaux d'hydrocarbures, a annoncé son intention de
lancer le "dinar du Golfe", monnaie régionale commune
qui pourrait être mise en circulation d'ici trois ans et avoir la
même importance que le dollar et l'euro. Le conseil regroupe, en
plus des Emirats arabes unis, l'Arabie Saoudite, Bahreïn, le Koweït,
le Qatar et le Sultanat d'Oman.
Fin novembre 2007, Omar bin Sulaiman, gouverneur du Dubai
International Financial Center (DIFC), a déclaré dans une
interview au journal Al Bayane qu'au moins trois des pays
producteurs de pétrole de la péninsule arabique avaient
l'intention de renoncer au rattachement de leurs monnaies
nationales au dollar US. Il n'a pas cité ces pays ni précisé à
quel moment cette décision serait prise, se bornant à indiquer
que cette question était actuellement examinée par la Banque
centrale des Emirats arabes unis. Selon son gouverneur, Sultan Ben
Nasser al-Suwaidi, la BC "étudie sérieusement le
renoncement au rattachement du dirham au dollar US et le
changement de politique monétaire". Le 15 novembre, il a précisé
que les Emirats renonceraient probablement au rattachement du
dirham au dollar en raison de l'instabilité de celui-ci et
passeraient au panier de devises. De l'avis général, la chute du
dollar se poursuivra, ce qui continuera à favoriser un changement
d'attitude à son égard.
Début 2007, la Chine a décidé catégoriquement de se débarrasser
d'une bonne partie des dollars de ses réserves d'Etat. A ce jour,
les réserves de devises de la Chine comportent 800 milliards de
dollars. Pour l'essentiel, ce sont des obligations émises par le
département américain du Trésor. D'après les prévisions, la
Chine comptera cette année mille milliards de dollars de créances
du gouvernement américain. La nouvelle politique de Pékin, même
si elle ne sape pas les positions globales du dollar, entraînera
une présence plus importante des monnaies et des titres de
l'Union européenne et des Etats voisins de la Chine dans les réserves
chinoises de change. Les analystes prévoient une diminution
d'environ 15% de la part des dollars dans les réserves de devises
de la Chine. Notons que 1% des réserves chinoises de change représente
environ 14,5 milliards de dollars.
Début novembre, le vice-président de la Banque centrale de
Chine Xu Jian a indiqué: "le statut du dollar en tant que
monnaie mondiale n'est pas solide, la fiabilité des actifs en
dollars se réduit. J'estime que le dollar continuera à
s'affaiblir en 2008 à cause de l'accroissement du déficit
commercial des Etats-Unis". En même temps, Pékin déploie
de grands efforts en vue de rehausser le rôle de sa monnaie en
Asie et dans le monde entier. Le gouvernement chinois utilise
progressivement sa monnaie nationale aussi bien pour effectuer des
règlements avec les pays voisins que pour ses investissements à
l'étranger. Le rôle de la livre sterling s'est considérablement
accru ces dernières années. La monnaie britannique occupe
actuellement la troisième place parmi les monnaies de réserve
les plus répandues. Entre 2000 et 2007, la part de l'épargne en
livres sterling dans le monde entier est passée de 2,8 à 4,2%.
Certes, le renoncement total au dollar en qualité de monnaie
de réserve mondiale est irréaliste, car cela pourrait provoquer
un effondrement des finances globales. Mais des signes de plus en
plus nombreux témoignent de l'aspiration des nations à réformer
le système fondé sur le dollar. Naturellement, les premiers à réclamer
cela sont les pays que les Etats-Unis ont froissés: l'Iran et le
Venezuela. Mais ils sont également suivis par des Etats dont le
bien-être dépend directement du cours du billet vert. Il s'agit
des pays qui possèdent d'immenses réserves de devises (Chine) et
des exportateurs d'hydrocarbures (Etats arabes, Russie, Iran et
Venezuela).
Dans le cas du pétrole et du gaz, le renoncement aux cotations
en dollars pourrait entraîner la réforme de tout le système
commercial fondé sur le billet vert et les bourses occidentales:
celles de New York et de Londres. Cela étant, les pays
producteurs de pétrole (et, compte tenu de la formation des prix,
les pays producteurs de gaz) n'ont aucune possibilité d'influer
sur les prix de leur principal produit. La Russie se trouve
traditionnellement dans cette situation. Ces derniers temps,
l'influence de l'OPEP sur les prix du pétrole s'est considérablement
affaiblie. Une situation dans laquelle les prix du combustible
sont fixés par le camp des pays acheteurs est anormale. Par conséquent,
profitant de l'affaiblissement évident du dollar (et de l'atmosphère
psychologique qui l'entoure), les pays producteurs commencent à
lutter pour renverser ce système. La hausse du prix des
hydrocarbures et la crainte que leurs réserves ne s'épuisent
prochainement jouent en faveur de ces Etats. Le moment est bien
choisi. A présent, on peut s'attendre à un rapprochement entre
les pays producteurs qui s'effectue déjà, par exemple, dans le
secteur du gaz (les premiers pas vers la création d'une
"OPEP du gaz" ont été faits en mars 2007 à Doha).
Evidemment, le passage à l'euro (ou aux rouble, dinar,
yuan...) pour le paiement des livraisons de pétrole ne peut se
faire du jour au lendemain. Cependant, la démarche de l'Iran,
surtout si ce dernier est suivi dans cette voie par d'autres pays
producteurs de pétrole, est potentiellement capable d'ébranler
fortement la toute-puissance du dollar dans le commerce mondial.
Igor Tomberg est chercheur au Centre d'études énergétiques
de l'Institut d'économie mondiale et de relations internationales
de l'Académie russe des sciences.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2007 RIA
Novosti
Publié le 15 décembre 2007
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