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Michel Collon
Chirac paralysé sur l'Iran
Diana Johnstone
Frappes préventives contre Chirac
La paralysie française face à la menace de guerre. Il y a quatre
ans, le président Chirac avait pressenti le désastre Irakien et
refusa de laisser entraîner la France dans l'aventure. C’était
de loin la meilleure chose qu’il ait jamais faite dans toute sa
carrière politique, et on ne va pas le laisser recommencer.
Aujourd’hui, c’est un désastre encore plus
grand qui se pointe à l'horizon. Israël et les USA se préparent
ouvertement à bombarder l’Iran au prétexte d'empêcher « un
nouvel Holocauste ». Mais cette fois-ci, on remarque une étrange
absence de l’opposition publique et des protestations de masse
qui avaient précédés l’invasion de l’Irak en 2003.
C’est comme si l'énormité des évènements mariés aux
conforts de la vie quotidienne avait conduit le monde occidental
à s’arrêter de réfléchir à des choses graves pour se réfugier
dans des platitudes officiellement inspectées et approuvées. Le
débat est remplacé par un système d’alarme qui hurle au
scandale à la moindre déviation du discours autorisé.
En France où les gens font beaucoup attention aux mots, la dénonciation
de l’hérésie verbale va jusqu’à faire des lois qui
punissent certains discours politiquement incorrects.
Mais le genre de censure le plus courant vient d’être illustré
par un incident essentiellement trivial. Pendant une conférence
de presse à l’Elysée consacrée au réchauffement climatique,
un journaliste du New York Times a changé le sujet pour demander
au président français ce qu’il pensait de la menace nucléaire
iranienne. Chirac commença avec la ligne officielle de la «
communauté internationale », selon laquelle le refus de l’Iran
d’abandonner son programme d’enrichissement de l’uranium était
« très dangereux ». Puis, Chirac (pensant comme il l’a dit
plus tard qu’il parlait « off ») a cédé à la tentation de
parler franchement. La possession éventuelle d'une bombe nucléaire
par l'Iran n'était pas si dangereuse que cela, a-t-il dit. Et
pour illustrer son propos, il a posé la question de savoir quel
avantage pourrait bien donner à l’Iran une bombe nucléaire, ou
même deux. « Vers qui l’Iran tirerait-il sa bombe? Vers Israël?
Elle n’aurait pas fait 200 mètres dans l’atmosphère que Téhéran
serait rasé”
Et Chirac d’ajouter que le vrai danger c’est la prolifération
nucléaire. Chirac est même allé jusqu’à suggérer que l’Iran
avait une bonne raison derrière sa recherche nucléaire, y
compris sa peur d’être « menacé par la communauté
internationale. Et qui est la communauté internationale? Les USA.
»
Et l’alarme de sonner. Le « scandale » des propos
politiquement incorrects de Chirac a fait la une des journaux français
et US. Par eux-mêmes, les propos de Chirac ne méritaient pas
vraiment qu’on en fasse toute une affaire, mais la réaction à
ces propos était significative.
D’abord, ces propos montrent que le président français, en fin
de mandat et pris dans la campagne électorale qui va élire son
successeur, est trop isolé pour pouvoir s’opposer à une guerre
contre l’Iran comme il l’avait fait pour l’Irak. Les médias
sont là pour l’abattre avant qu’il puisse dire quoi que se
soit, à commencer par les journaux qui continuent d’être
considérés « de gauche » - c’est à dire principalement Libération
et Le Monde – mais qui sont en réalité devenus les gardiens de
l’orthodoxie atlantiste (une orthodoxie dévouée à une « unité
européenne » étroitement liée aux USA). Le propre parti de
Chirac lui a été enlevé par son ambitieux ennemi Nicolas
Sarkozy, qui a publiquement critiqué Chirac pour avoir abandonné
les USA dans leur guerre contre l’Irak. Les marques de dévotion
envers Washington et Tel Aviv montrées par Sarkozy lui ont valu
le soutien enthousiaste de la communauté juive française, de
plus en plus inspirée par le lobby US pro israélien.
Les Socialistes n'ont rien trouvé de mieux que de s'effaroucher
de la “gaffe” de Chirac. En général, la gauche française
n’a jamais vraiment senti le besoin d'applaudir Chirac pour
avoir tenu la France en dehors du piège Irakien. Du point de vue
de la gauche sectaire (et la gauche française dans ses myriades
de courants est incurablement sectaire), ce qui compte n’est pas
de faire ce qui est juste, mais de faire ce qu'on fait pour les
motivations correctes – et les motivations d'un politicien de
droite comme Chirac ne peuvent pas, par définition, être les
bonnes.
Il y a quatre ans, on a vu d’énormes manifestations contre la
guerre à venir contre l’Irak, mais aujourd’hui, alors que les
USA et Israël se préparent à attaquer l’Iran, il ne se passe
rien !?
Il y a quatre ans, le chancelier allemand était le social-démocrate
Gerhard Schroeder qui avait bien agi, quelles que soient ses
motivations, pour que le cœur de la « vieille Europe »
(Allemagne, France et Belgique) puisse s’unir face aux plans de
guerre des USA. Aujourd’hui, le chancelier allemand s’appelle
Angela Merkel, et elle est tout aussi dévouée à Washington
qu’elle l’était à Moscou quand elle a commencé sa carrière
politique en Allemagne de l’Est avant la chute du mur.
Aucun débat sur l’Iran
Il n’y a non seulement aucun mouvement d’opposition audible ou
visible à une guerre contre l’Iran, il n’y a aucune
discussion ni débat véritable qui ne repose pas dés le départ
sur la présupposition officiellement approuvée que le programme
nucléaire iranien est une « menace ». S’il y avait une telle
discussion, elle pourrait prendre en compte les éléments
suivants :
1) Motivations possibles des Iraniens pour un développement nucléaire
autres que celui de déclencher un Holocauste atomique. Celles-ci
pourraient être les mêmes que celles du Shah, allié d’Israël,
qui voulait poursuivre le développement de l’énergie nucléaire.
L’Iran pourrait très bien vouloir utiliser ses revenus pétroliers
pour préparer le pays à utiliser d’autres sources d’énergie
à la fin du ‘boom’ pétrolier. Ce qui est devenu très
plausible après plusieurs rapports récents sur le déclin de la
production de l’industrie pétrolière iranienne. Et maintenant,
faisant face au réchauffement de la planète, l’énergie nucléaire
peut être décrite comme « écologique », que cela plaise ou
non.
2) Le rôle de la dissuasion nucléaire. Les remarques de Chirac
n’étaient rien d’autre qu’un rappel de la doctrine française
de défense nucléaire : la dissuasion. Malgré son aspect rébarbatif,
la vieille doctrine de la guerre froide de « destruction mutuelle
assurée » a plutôt fonctionné. Israël possédant un vaste
arsenal nucléaire, si l’Iran obtenait également des armes
atomiques, Israël perdrait son avantage mais le résultat serait
tout simplement l’apparition d’un autre cas de dissuasion
mutuelle. C’est ce que Chirac essayait de dire. Mais ces choses
là ne peuvent pas être dites !
3) L’importance des “menaces envers Israël » du président
Mahmoud Ahmadinejad. Il y a deux cotés à cette affaire : (a) ce
qu’a vraiment dit Ahmadinejad, et (b) l’utilisation faite de
ces paroles par Israël et ses alliés.
(a) La première partie a été analysée en profondeur par
l’artiste iranien Arash Norouzi, un opposant politique d’Ahmadinejad,
sur son site “Le Projet Mossadegh” (The Mossadegh Project)
http://www.mohammadmossadegh.com/news/rumor-of-the-century/. (Note
du traducteur: Juan Cole a également écrit toute une analyse sur
le sujet sur son blog « Informed Comment »: http://www.juancole.com/2006/05/hitchens-hacker-and-hitchens.html).
La phrase d’Ahmadinejad et sa traduction mot pour mot donne ceci
:
"Imam (Khomeiny) ghoft (a dit) een (ce) rezhim-e (régime)
ishghalgar-e (qui occupe) qods (Jérusalem) bayad (doit) az
safheh-ye ruzgar (de la page du temps) mahv shavad (disparaître)."
Ainsi donc, Ahmadinejad citait son mentor l’Imam Khomeiny, mort
en 1989 sans avoir jamais levé le petit doigt pour détruire Israël.
Il devrait être évident que la phrase en question est une
opinion, pas une menace, et ne s’adresse pas aux gens qui vivent
en Israël mais au « régime » sioniste qui occupe Jérusalem.
Venant d’un dirigeant religieux musulman, cette opinion est sans
aucun doute basée sur son objection au monopole juif sur une
ville considérée comme sacrée par les trois monothéismes issus
d’Abraham. Ahmadinejad semble beaucoup aimer la provocation
verbale, mais les mots, tout offensants qu’ils puissent être,
ne sont que des mots. Et puis, on le cite de façon bien sélective.
Le fait qu'il répète que l'Islam interdit les armes nucléaires,
et que la disparition d'un régime peut se produire sans guerre,
comme celle de l'Union Soviétique entre autres, est délibérément
ignoré. La réalité reste que l’Iran n’a jamais attaqué un
autre pays depuis plus de deux siècles et demi, et ne montre
aucun intérêt à le faire aujourd’hui.
Les USA et Israël, par contre….
(b) Et puis il y a l'interprétation faite de ces « menaces ».
Ahmadinejad est décrit comme le nouvel « Hitler », déterminé
à effacer de la carte le pauvre petit Israël de manière à
pouvoir tuer tous les juifs, et à partir de là, qui sait, conquérir
le monde. Encore un petit peu d’uranium à enrichir, et on est
tous mort….
Il est difficile de croire qu'on puisse prendre tout cela au sérieux,
mais pratiquement toute la classe politique occidentale se sent
obligée de faire comme si c’était vrai.
Pourquoi ?
Une réponse cynique serait de dire que les USA et Israël
cherchent un nouveau prétexte pour commencer une nouvelle guerre
dans le but de rénover le Moyen Orient de façon à s’assurer
un contrôle éternel sur les ressources pétrolières et de
garantir la suprématie régional d’Israël, le seul pays de la
région qui resterait encore intact.
Un dangereux complexe de la persécution
C’est peut-être une raison, mais il y en a une autre, moins matérielle
et plus psychologique, et qui envahit de plus en plus la vie
politique en Europe et aux USA: une sorte de pathologie de la persécution
qui se répand dans ce qu’on appelle la « communauté juive »,
c’est à dire une partie de la population juive, et en
particulier les organisations qui disent la représenter (souvent
à tort). La population juive de France, qui a joué un rôle
important depuis des siècles dans la vie intellectuelle, économique
et politique du pays, est en train de se glisser politiquement de
la gauche vers la droite, en bonne partie à cause de son
attachement à Israël. Etant donné la vitalité et l’influence
de cette communauté, son impact sur la vie politique du pays dans
son ensemble n'est pas négligeable.
Cette mutation est visible à tous les niveaux de la société.
C’est une cause d’inquiétude pour beaucoup de gens qui
n’aiment pas en parler de peur d’être stigmatisé comme «
anti-sémites ». Mais est-ce de l’ « antisémitisme » que
d’essayer de dire aux juifs de France que, malgré quelques
incidents déplorables mais tout à fait marginaux, on ne les hait
pas, on ne les menace pas; au contraire, ils sont appréciés et même
aimés, et que l’idée que les non juifs n’attendent qu’une
prochaine occasion pour les exterminer est non seulement injuste
envers les autres mais dangereux pour eux-mêmes?
Cette hystérie concernant l’Iran, qui peut nous amener à une
guerre désastreuse qui sera perdue par tous, à l'instar de la
guerre de 1914-18, est alimentée clairement par l’importance,
dans la communauté juive et même bien au delà dans l’Occident
dans son ensemble, du « devoir de mémoire », c’est à dire
pour être précis du souvenir collectif et constant de
l'Holocauste comme le moment qui donne son sens au vingtième siècle,
et peut-être même à toute l’histoire de l’humanité. Cette
fixation sur le génocide des années 1940 semble générer une
peur de plus en plus obsessive.
J'ai pu observer cet état d'esprit récemment à une réunion-débat
entre Ivan Levaï et Jean-François Kahn, devant un public de
juifs parisiens de classe moyenne, éduqués et progressistes, de
ceux qui, il n’y a pas si longtemps, étaient à l’avant garde
des considérations sociales universelles, mais qui aujourd'hui
font leurs choix politiques à l'aune des attitudes envers Israël.
Ainsi s'est exprimé de la part du public une préférence pour
Condoleezza Rice contre Ségolène Royal (parmi les Socialistes,
ils lui préféraient le très pro-Israél Dominique
Strauss-Kahn). L'ironie veut que plus la politique israélienne
devient brutale, provoquant ainsi une hostilité croissante envers
Israël, plus certains considèrent non seulement qu’ils doivent
défendre Israël bec et ongles, mais que toute critique d’Israël
est une menace directe contre eux.
Voila qui divise la société française elle même. La grande
majorité de la population française non issue de
l’immigration, surtout à gauche, se sent proche de ses amis
juifs, admire les juifs qui ont brillés dans toutes sortes de
discipline, et considèrent les juifs de France comme une part
indivisible et irréductible du pays, de telle sorte qu’ils ne
savent généralement pas qui est juif ou pas, et ne veulent pas
le savoir. Et si certains auraient pu garder une trace atavique
d’un antisémitisme ancestral, celui-ci s'est éteint suite à
la culpabilité ressentie pour l'Holocauste.
Et cette culpabilité est bien entretenue. Dans les écoles, la
commémoration de la journée annuelle de la Shoah devient de plus
en plus élaborée. Quels sont les effets sur les enfants? Les
enfants juifs se trouvent ainsi mis à part d’une manière qui
risque de susciter un sentiment d'insécurité et de méfiance
envers les autres. Pour les enfants issus de l’immigration arabe
ou africaine, cela stimule une concurrence malsaine d'identité
victimaire. La réflexion devient presque inévitable : en effet
les juifs ont souffert il y a plus de soixante ans, mais
aujourd’hui ce sont les arabes qui souffrent en Palestine et en
Irak, et tout le monde s’en moque. Pourquoi certains peuples
sont-ils d’éternelles victimes alors que d’autres peuples ne
comptent pas ?
Pendant que la communauté juive officielle vire à droite, la
droite se rapproche de la communauté. A l’extrême droite, le
candidat de la « vieille » France Philippe de Villiers essaie de
déborder Jean Marie Le Pen en s’attaquant à l’ «islamisation
de la France», et en faisant une cour ardente à la communauté
juive dont l’aile droite bénéficie des attentions flatteuses
de la fille de Le Pen, et son possible successeur, Marine. De tels
positionnements stimulent le ressentiment anti-juif chez les
jeunes de banlieue issus de l’immigration. Une forme de paranoïa
en emmène une autre.
Quel est le danger?
Pour en revenir à la menace iranienne, on peut examiner ce
commentaire du vice-ministre de la défense israélien Ephraim
Sneh cité par Seymour Hersh dans le New Yorker du 21/11/2006 à
propos d’une éventuelle attaque américaine contre l’Iran.
Sceptique quant à la possibilité d’influencer l’Iran par la
voie diplomatique, Sneh dit :
“Le danger n’est pas tant qu’Ahmadinejad lance une attaque,
mais qu’Israël doive vivre dans la peur d’un dirigeant décidé
à sa destruction… La plupart des Israéliens ne voudraient plus
vivre ici ; la plupart des juifs ne voudraient plus venir ici avec
leur famille, et les Israéliens qui ont la possibilité de vivre
à l’étranger le feraient… J’ai peur qu’Ahmadinejad ne
soit capable de tuer le rêve sioniste sans avoir à appuyer sur
un bouton. »
Voici une déclaration qui mérite une attention particulière. Ce
que suggère l’officiel israélien c’est qu’une guerre
devrait être lancé contre un pays, non pas à cause de ce
qu’il pourrait faire, mais parce que la peur de ce qu’il
pourrait faire risque de « tuer le rêve sioniste ». Ainsi la
peur d’un nouvel Holocauste, l’argument phare du sionisme
depuis plus d’un demi siècle, se retourne contre le sionisme même.
Devons-nous plonger le monde dans la guerre pour sauver « le rêve
sioniste » ? N’y a-t-il pas d'autres moyens pour les juifs de
vivre sur cette terre sans craindre le génocide ? En effet, l’Israël
sioniste n’est-il pas devenu la plus grande menace pour les
juifs en les attachant au destin d’un état brutal qui éveille
l’indignation grandissante du monde par son traitement des
Palestiniens?
En effet, l'endroit au monde le moins sûr pour les juifs, c'est
Israël. La politique agressive d'Israël n'assure pas la sécurité
des juifs d'Israël, et peut menacer même la sécurité des juifs
-- et de tout le monde -- dans d'autres pays. La recherche de la sécurité
absolue mène à son contraire.
Depuis longtemps, une loi non écrite a voulu que seul les juifs
(au risque de se faire accuser de "se haïr") puissent
critiquer le sionisme. Mais les choses sont allées trop loin.
Cette paranoïa agressive d’Israël n’est plus seulement une
« question juive ». Elle tire avec elle le monde entier vers le
désastre. Ceux d’entre nous qui ne sont pas juifs doivent
parler et dire à nos amis juifs : “Nous ne voulons pas que vous
soyez tués, nous vous protégerons contre tout danger réel, mais
nous ne voulons pas non plus mourir pour préserver le "rêve"
de votre Etat juif, et nous refusons de plonger le monde dans la
guerre sans fin pour préserver une distinction identitaire qui
signifie beaucoup pour vous, mais ne signifie pas grand-chose pour
nous. »
Traduit par Michel Polizzi avec Diana Johnstone
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