The Guardian
L’Iran doit avoir la bombe
David Cox
19 mars 2007
Sous ce titre provocateur, David Cox, journaliste
TV anglais, affirme que l’Iran a de bonnes raisons pour vouloir
l’arme nucléaire, ne serait-ce que pour assurer sa sécurité.
Et comme Chirac l’avait laissé entendre lors de sa fameuse
« gaffe », il juge que l’équilibre des forces est
un facteur de stabilité.
Les efforts pour intimider Téhéran et lui faire
abandonner l’enrichissement d’uranium sont futiles et
dangereux.
Le nouveau paquet de sanctions des Nations Unies
contre l’Iran est loin de constituer l’avancée qui nous avait
été présentée. Le quatrième producteur de pétrole au monde a
peu à craindre de ces modestes sanctions économiques. Si l’Iran
veut l’arme nucléaire, il l’obtiendra. Des indications
laissent penser qu’il la veut, et ce avec de bonnes raisons.
Ce pays fait face à une hostilité continuelle
des USA qui sont engagés dans une "guerre contre le
terrorisme" et ont désigné l’Iran comme étant le
« l’état commanditaire du terrorisme le plus actif ».
Les USA ont déjà envahi le voisin Irakien, et l’exemple de la
Corée du Nord a montré que la bombe met à l’abri d’une
attaque américaine. L’adversaire de l’Iran le plus notable
dans la région, Israel, possède l’arme nucléaire, ainsi que
les pays proches, comme le Pakistan, l’Inde et la Russie.
Le gouvernement britannique vient d’annoncer
qu’il considère l’arme atomique comme essentielle à sa sécurité,
pour des raisons bien moins évidentes que celles qu’ont les
Iraniens.
De mémoire d’homme, les Iraniens ont vu les
puissances étrangères envahir leur pays, s’approprier leur
ressources pétrolières et leur imposer des pouvoirs fantoches.
Il y a moins de 20 ans ils ont mené une guerre de 8 ans à leur
frontière, qui leur a coûté plus d’un million de vies.
Il est donc tout à fait compréhensible qu’ils
veuillent maintenant maximiser leur sécurité. N’importe quel régime
à Téhéran qui négligerait de développer l’arme nucléaire
faillirait à son devoir.
Dans ces circonstances, les tentatives pour prévenir
les ambitions Iraniennes ne conduiront qu’à réduire la crédibilité
de l’ONU. Elles renforceront certainement la ferveur
nationaliste de l’Iran, et diminueront les chances des éléments
modérés de l’emporter. Mais elles auront aussi des effets
encore plus néfastes.
Aussi longtemps que la communauté internationale
maintiendra qu’un Iran nucléaire est une chose impensable,
Israel sera tenté de lancer une attaque pré-emptive contre les
installations Iraniennes, même si les USA manquent de détermination
pour le faire eux-mêmes. Cela conduira à une augmentation
persistante des tensions régionales à mesure que le programme
iranien se développera.
Les Iraniens ont averti qu’une action militaire
provoquerait une réponse militaire. Ils peuvent bloquer le détroit
d’Hormuz, à travers lequel transite 18% du pétrole mondial.
Ils peuvent annexer le sud Irakien, provoquant une réponse des
sunnites qui pourrait déclencher une confrontation régionale
impliquant la Syrie, l’Arabie Saoudite et la Turquie.
Aujourd’hui, il semble que nous nous acheminions
vers cette option. Pourtant, au lieu de cela, les membres du
Conseil du Sécurité pourraient abandonner leur projet voué à
l’échec de bloquer les aspirations de l’Iran au nucléaire.
Les USA pourraient utiliser leur ascendant sur Israel pour agir en
conséquence. L’Iran pourrait être laissé libre de développer
un programme nucléaire si il le juge utile, et de se retirer du
Traité de non Prolifération si il le choisit, au même titre que
la Corée du nord l’a fait en 2003. De tels développements
auraient leurs dangers. Mais seraient-ils pires que ceux auxquels
nous faisons face aujourd"hui ?
L’espoir de prévenir la prolifération nucléaire
subirait une déconvenue, mais le rêve d’une maitrise de la
diffusion du nucléaire s’est d’ores et déjà brisé. L’Egypte,
l’Arabie Soudite pourraient insister pour rejoindre le club nucléaire,
mais cela rendrait-il le Moyen Orient moins pacifique qu’il ne
l’est aujourd’hui ?
C’est le déséquilibre, non la parité des
forces qui crée l’instabilité. A l’heure actuelle, le statut
de puissance nucléaire d’Israel déstabilise ses voisins alors
qu’Israel lui-même doit être constamment prét à défendre
son avantage. Une parité nucléaire pourrait aider à stabiliser
cette partie du monde, comme elle a stabilisé l’Europe durant
la guerre froide. Elle pourrait même créer les conditions pour
des négociations plus réalistes sur le futur de la région. La
menace de crise nucléaire qu’ont connu l’Inde et le Pakistan
lors des tensions de 2002 a certainement contribué à calmer les
passions.
Mais qu’en est-il de la détestable menace du président
Ahmadinejad de rayer Israel de la carte ? Et bien, il n’y a
jamais eu une telle menace. Ce qu’Ahmadinejad a réclamé
c’est tout au plus un changement de régime à Jérusalem et, à
la différence du président Bush en Irak, il ne s’est pas
proposé de le conduire lui-même. Les démagogues exagérent, et
il ne faut pas toujours les prendre au pied de la lettre.
Il reste bien sur possible qu’un futur leader
d’un Iran nucléarisé abuse de sa position. Malheureusement
c’est un cas de figure contre lequel le monde est désarmé et
ne peut agir, quelles que soient les circonstances. Tenter de le
faire vainement n’aboutirait qu’à créer plus de dangers dans
l’immédiat. Accepter l’inévitable aujourd’hui, semble le
choix le moins mauvais face aux deux dangers qui nous menacent.
David Cox est auteur
et journaliste TV. Il a été publié entre autres par le New
Statesman, Prospect, The Guardian, The Times, The Independent, The
Daily Telegraph.
David Cox - The Guardian, le 19 mars 2007 : Iran
must have the Bomb
Traduction de l’anglais : Contre Info
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