Blog de Shyankar
Interview
de Gilles Munier
Secrétaire général des Amitiés
franco-irakiennes
Gilles Munier
(1ère partie – 15/11/07)
http://shyankar.blogs.courrierinternational.com/...
Q : Bonjour, vous êtes Gilles Munier, secrétaire
général des Amitiés franco-irakiennes, pouvez-vous nous
dire en quoi consistent vos activités ?
G.M : Je suis devenu secrétaire général
en 1986. Mes activités, depuis, ont consisté à mieux faire
connaître l’Irak aux Français. J’ai organisé dans ce pays
de nombreuses missions composées de parlementaires, de
journalistes, d’hommes d’affaires, d’universitaires. En
France, j’ai accueilli des groupes culturels irakiens, organisé
des expositions et des conférences. J’ai apporté mon soutien
à l’Irak pendant sa guerre avec l’Iran, pendant les deux
guerres du Golfe et l’embargo.
L’Association
des Amitiés franco-irakiennes a été créée en 1985 par des
personnalités connues pour le soutien qu’elles apportaient à
la politique arabe de la France, comme le grand orientaliste
Jacques Berque, le journaliste et écrivain Paul Balta, Pierre
Rossi fondateur du Centre Culturel français à Bagdad,
Jean-Pierre Chevènement alors député, Georges Gorse ancien
ministre du Général de Gaulle… etc…. Après Jacques Berque,
elle a été présidée par deux ambassadeurs : Paul Dépis, puis
Marc Bonnefous. Actuellement, ses co-présidents sont l’avocat
Maurice Buttin et l’écrivain Philippe de Saint Robert, ancien
Haut-commissaire à la langue française sous François
Mitterrand.
Depuis
l’agression américaine d’avril 2003 contre l’Irak, mes
activités se résument à informer l’opinion publique française
- principalement via Internet - sur ce qui se passe dans ce
pays, à organiser des réunions-débat, et à demander que la résistance
irakienne soit reconnue comme représentante légitime du peuple
irakien, à commencer par le gouvernement français.
Q : L'intitulé
de notre travail étant « Intervention américaine en Irak :
enjeux et opinions», pensez vous, aujourd'hui, avec le recul
nécessaire que le 11 septembre et l'attentat des WTC furent l'élément
déclencheur de la nouvelle politique extérieure du gouvernement
Bush?
G.M :
L’attentat du 11 septembre a permis aux membres du think tank
néo conservateur PNAC (Project for the New American Century),
qui constitue l’entourage de George W. Bush et dont
l’influence est déterminante dans le Parti républicain, de
mettre en œuvre leurs idées. C’est le « Pearl Harbour
» qui leur manquait pour justifier leur guerre contre l’Afghanistan
et l’Irak et la nécessité de redessiner la carte du
Proche-Orient. Mais, il ne faut pas se faire d’illusions : si
cet attentat n’avait pas eu lieu, Bush et son équipe auraient
trouvé un autre motif pour attaquer l’Irak.
Les fondateurs du
PNAC s’inspirent, concernant le Proche-Orient, des idées de
l’orientaliste britanico-israélien Bernard Lewis, de Francis
Fukuyama et d’un certain Oded Yinon, fonctionnaire au ministère
des Affaires étrangères israélien qui a publié en
1982 un article intitulé « Une Stratégie pour Israël dans
les années 80 ». Il préconisait le remodelage de la région
avec, notamment, la partition de l’Irak en trois Etats.
Après, l’Irak
: à qui le tour ? La Syrie, le Liban, le Soudan, ou l’Iran ?
Quel sera l’élément déclencheur et que fera la France, cette
fois ? Le fait - peu connu - que Bernard Kouchner est
membre du PNAC ne présage rien de bon. Sa nomination comme
ministre des Affaires étrangères explique en partie
l’alignement du Quai d’Orsay sur la politique étasunienne.
Q : On voit
souvent revenir aujourd'hui le fait que le gouvernement US a « menti»
à l'opinion publique, sur le fait des ADM et sur les liens entre
Al-Qaïda et Saddam Hussein. Comment cela fut-il possible; comment
peut-on déclarer une guerre à un pays sans réelle preuve mais
avec seulement des soupçons qui se trouvent aujourd'hui infondés
?
G.M :
Oui, on peut agresser un pays sans réelle preuve et, qui
plus est, sans risque. Pour cela, il faut fabriquer une excuse,
avoir une bonne machine de propagande, des médias aux ordres, être
une puissance économique capable de faire chanter ses alliés récalcitrants,
et posséder… des armes de destruction massive.
Dans
l’histoire, de nombreuses guerres ont été déclarées en
s’appuyant sur des mensonges. L’agresseur n’a de problèmes
que s’il est finalement vaincu. C’est ce qui est arrivé à
Adolphe Hitler.
Mais,
aujourd’hui, on ne déclare même plus les guerres. On manipule
l’opinion publique, on lance un ultimatum et on attaque. Il a
fallu attendre le 16 septembre 2004 pour que Kofi Annan, secrétaire
général de l’ONU, ose dire que les Etats-Unis avaient violé
la Charte des Nations unies ! L’Irak était alors occupé, ses
dirigeants arrêtés, des dizaines de milliers d’Irakiens
avaient été tués. Aucun pays n’a réclamé de sanctions
contre George Bush ni Tony Blair. La France qui ne s’était pas
associée à l’agression a quand même voté, en octobre 2003,
la résolution 1511 de l’Onu avalisant l’occupation…
Tous ceux qui,
comme moi, connaissaient l’Irak des années 1991- 2003 étaient
convaincus qu’il ne pouvait plus y avoir d’armes de
destruction massive. Scott Ritter, chef des inspecteurs de l’UNSCOM,
avait passé le pays au peigne fin et détruit tout ce qui pouvait
y ressembler. Il a démissionné de son poste quand
l’administration américaine lui a demandé de mentir.
L’Irak n’était
une menace pour personne : son économie était à genoux, asphyxiée
par douze ans d’embargo. Dans la perspective d’une nouvelle
guerre, les Américains avaient bombardé systématiquement les
infrastructures civiles et militaires susceptibles de les gêner.
L’armement des troupes irakiennes était obsolète et en très
mauvais état.
Personne, non
plus, ne croyait à la fable des liens entre Al-Qaïda et Saddam
Hussein. Le baasisme – c'est-à-dire le nationalisme arabe
– ne fait pas bon ménage avec le panislamisme du genre
salafiste ou wahhabite qu’il considère comme une forme
d’obscurantisme. Oussama Ben Laden, lui, tenait Saddam Hussein
pour un mécréant qu’il fallait renverser.
Les Etats-Unis
ont fait la preuve, avec la guerre contre l’Irak, qu’on peut
violer les conventions internationales et commettre des crimes de
guerre sans encourir les foudres de la justice internationale. Il
a suffi pour cela de faire voter par le Congrès, en août 2002,
une loi décidant que les GI’s ne peuvent pas être poursuivis
par la Cour Pénale Internationale lorsqu'ils sont " stationnés
dans le monde entier pour protéger les intérêts vitaux des USA
" pour que la « communauté internationale »
l’accepte. Des millions de personnes dans le monde ont dénoncé
les médias-mensonges américains, manifesté contre la guerre
annoncée, sans résultat sinon témoigner pour l’histoire.
Q : On ne peut
parler d'Irak sans hélas parler d'Abou Ghraib et de Guantanamo.
Quel est votre point de vue sur ces prisons, et pensez vous que
nous sommes réellement au courant de ce qui s’y passe ou alors
que beaucoup de choses nous sont cachées, ou encore que les médias
enjolivent grandement les choses ?
G.M : Ce
qui s’est passé ou se passe encore à Abou Ghraib et à
Guantanamo est en partie connu. Dernièrement, un Jordanien libéré
de Guantanamo, après six ans de détention illégale, a raconté
sur Al-Jazeera que plusieurs détenus ont été suicidés
par leurs geôliers. L’information a été quasiment passée
sous silence. Leurs gardiens ou interrogateurs n’ont pas été
inquiétés.
En Irak, selon la
Croix-Rouge Internationale, il y aurait actuellement environ 60
000 prisonniers détenus par les Américains et le gouvernement
fantoche irakien. C’est énorme, mais en dessous de la réalité
car la Croix-Rouge n’a pas accès aux prisons secrètes en Irak
et à l’étranger. Quant à ce qui se passe à l’intérieur,
on sait peu de chose, car la Croix-Rouge a une obligation de réserve.
Il a fallu le
scandale d’Abou Ghraib pour que les médias parlent enfin de la
situation dans cette prison. Tant mieux, mais ce n’est
malheureusement pas la pire. En juin 2005, à Damas, j’ai
rencontré une ancienne prisonnière d’Abou Ghraïb. Elle avait
été libérée car son état de santé était alarmant. La
direction de la prison craignait qu’elle meure dans sa cellule.
C’était mauvais pour les statistiques au moment où les médias
braquaient leurs caméras sur la moindre information liée au
scandale. Elle m’a dit, paradoxalement, qu’en arrivant à Abou
Ghraïb, elle s’était estimée sauvée. Elle était enfin
enregistrée comme prisonnière. Pour elle, et pour la plupart des
détenus, le pire c’est ce qui se passe avant l’incarcération
officielle. Vous n’imaginez pas les tortures qui sont pratiquées.
Les cadavres de ceux – ou de celles - qui ne
tiennent pas le coup sont jetés dans des terrains vagues.
Cette femme, à
qui on avait arraché une partie du cuir chevelu pour lui faire
avouer des liens avec la résistance, cherchait en vain à se
faire soigner dans un pays occidental. Aucune ambassade ne voulait
lui délivrer de visa. Aucune ONG ne voulait la prendre en charge,
car son témoignage était trop explosif.
En Irak, la marge
de manœuvre des journalistes est restreinte. 250 journalistes
irakiens ont été assassinés sans que cela émeuve outre mesure
l’organisation « Journalistes sans frontières ». Les
journalistes étrangers sont pour la plupart « embedded »,
c'est-à-dire intégrés à des unités de l’armée américaine.
Ils ne parlent que de ce qu’on veut bien leur montrer. Quant aux
journalistes indépendants, ils risquent leur vie et leur carrière.
Comment voulez-vous informer honnêtement l’opinion publique
quand les principaux médias font partie de groupes de presse
appartenant à des marchands d’armes ?
Gilles
Munier, secrétaire général des Amitiés
franco-irakiennes depuis 1986, s’est rendu environ 150 fois
en Irak entre 1975 et mars 2003.
Il a publié un « Guide de l’Irak » en 2000 (Jean
Picollec Ed.), ouvrage traduit aux Etats-Unis (Interlink
Publishing) et en Grande-Bretagne (Arris Books) sous le
titre : « Iraq, an illustrated history ». Il a également
dirigé la traduction de « Zabiba et le Roi », un conte
écrit par le Président Saddam Hussein (Ed. du Rocher).
Il dirige actuellement « AFI – Flash », une lettre
d’information spécialisée sur l’Irak.
Interview de
Gilles Munier (2ème partie)
Publié le 28 novembre 2007 avec l'aimable autorisation de Gilles Munier
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