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Irak: Elections régionales
Elections régionales: l'envers du décor
Gilles Munier
Dimanche 1er mars 2009
Pour les médias internationaux, Nouri al-Maliki et la coalition
formée par son parti al-Dawa sont, avec 38% des suffrages à
Bagdad, les grands vainqueurs des élections régionales. Mais,
sur le terrain, ses candidats savent que leur pouvoir ne tient
qu’à un fil ténu, car 50% des électeurs inscrits se sont
abstenus ou n’ont pas pu voter. En outre, deux millions
d’Irakiens réfugiés en Syrie et en Jordanie, et la résistance
intérieure, les exècrent et leur dénient toute légitimité. De
plus, la Région autonome du Kurdistan n’a pas participé au
scrutin, Massoud Barzani ayant reporté les régionales à une
hypothétique solution de la question de Kirkouk. Les résultats
définitifs qui seront annoncés dans plusieurs semaines, après
d’ultimes marchandages, sont donc à relativiser et à
interpréter.
Un vote pour l’unité de l’Irak
Les électeurs irakiens n’avaient pas de véritable choix. Les
organisations de la résistance n’acceptant pas la tenue
d’élections sous l’occupation, et n’ayant pas la possibilité de
se constituer des partis, ont voté pour les candidats dont le
discours correspondait le plus à leurs attentes : contre les
Etats-Unis et la main mise iranienne, pour un Etat centralisé et
plus de sécurité. Nouri al-Maliki qui a donné l’impression
d’avoir défendu pied à pied l’indépendance de l’Irak face aux
Américains, lors des négociations de l’Accord de sécurité (SOFA)
prévoyant le départ des troupes d’occupation, l’a donc emporté.
Un plan média le présentait comme nationaliste, soucieux
d’améliorer le niveau de vie des fonctionnaires, de rétablir
l’ordre dans le pays et de limiter le pouvoir des mollahs
iraniens. Son succès, tout relatif, lui donne un ersatz de
légitimité avec laquelle ses rivaux devront compter lors des
élections législatives, prévues à la fin de cette année.
La tendance générale de l’électorat favorable l’unité de l’Irak
et contre le confessionnalisme introduit par les Américains,
s’est traduite à Mossoul et dans la province de Ninive par la
victoire du bloc al-Hadba, nationaliste proche des baasistes,
avec 48% des voix. Dans le sud du pays, le Conseil suprême
islamique en Irak (CSII) d’Abdul Aziz al-Hakim, réduit à la
portion congrue, n’a plus de suprême que le nom ! Il est partout
distancé. A Nadjaf, la liste Maliki (16,2%) le dépasse de deux
points. Pire, à Kerballa, Youcef al-Haboubi, un candidat
indépendant, gouverneur-adjoint de la ville sainte… sous Saddam
Hussein, est en tête avec 13 ,3% des voix, contre un humiliant
6,4% pour le CSII. Abdul Aziz al-Hakim qui avait négocié avec
Massoud Barzani la création d’un Emirat pétrolier chiite autour
de Bassora et Nadjaf, en échange de son soutien à l’annexion de
Kirkouk par les Kurdes, ne s’attendait pas à pareil discrédit.
Autre conséquence, mais paradoxale, du vote nationaliste en Irak
: les 13,9% obtenus par la liste d’Iyad Allaoui dans la province
de Salaheddine qui inclut Tikrit. Les partisans de Saddam
Hussein, qui y sont nombreux, ont préféré voter pour l’ancien
baasiste, même connu comme membre de la CIA, plutôt que pour
Maliki (3,5%) !
Dans la région d’al-Anbar, où Al-Qaïda en Mésopotamie faisait
jadis la loi, les listes tribalistes ont totalisé plus de 21%
des voix. Le cheikh Ahmed Abou-Risha, principal leader des
milices tribales Sahwa pro-américaines, avait menacé de
proclamer un Etat d’al-Anbar ou de transformer la province en un
« autre Darfour », si le Parti islamique irakien du vice
président sunnite Tariq al-Hashemi, qui dirigeait la province
depuis la mascarade électorale de 2005, faisait un meilleur
score que lui. Il réclamait, par ailleurs, le boycott de l’Iran
et la fermeture des frontières avec ce pays, et proposait au
Pentagone de mettre son expérience au service de l’OTAN en
Afghanistan, pour combattre les Talibans...
50% de votants… mais
Le vote nationaliste et sécuritaire aurait été encore plus
significatif si tous les électeurs avaient pu voter. A al-Adhamiya,
quartier de Bagdad à majorité sunnite, la plupart des Irakiens
s’appelant Omar ou Othman – prénoms des califes haïs des chiites
militants – avaient été rayés des listes électorales ! Un peu
partout en Irak, les personnes soupçonnées d’être des opposants
ou d’appartenir à un parti concurrent, ont été inscrites dans
des bureaux de vote éloignés de leur domicile. L’interdiction de
circuler en voiture, pour des raisons de sécurité, les a
empêchés pour la plupart de mettre leur bulletin dans une urne.
Dans le sud, les partisans de Moqtada Sadr se sont plaints que
des urnes aient été exclues du décompte des voix dans des
quartiers leur étant acquis, tandis qu’à al-Anbar les chefs de
tribu se disaient prêts à prendre les armes si on prenait en
compte le vote des faux électeurs du Parti islamique irakien.
Dans la plaine de Ninive et le Djebel Sindjar, la victoire
d’al-Hadba a été rognée par l’impossibilité faite à de nombreux
Assyro-chaldéens, Turcomans, Shabaks et Yézidis de voter
normalement ou de se rendre dans leur bureau de vote.
Responsables : l’Asayish – terrifiant service secret kurde – et
les Peshmergas de Barzani qui menaçaient la population pour
qu’elle vote pour la liste Ishtar, favorable à l’annexion du
nord de Mossoul dans la Région autonome du Kurdistan. Résultat :
25% des suffrages, c'est-à-dire pratiquement les seuls électeurs
kurdes. Quand elles l’ont pu, les minorités ont préféré
s’abstenir. A Hamdaniya, 20 000 électeurs assyro-chaldéens, soit
70% de l’électorat local – n’ont pas voté. En pays turcoman, le
Front turkmène avec 2,5% des voix dépasse néanmoins le CSII
d’al-Hakim, réduit à 1,9%. A Tuz Khurmatou, ville turcomane
située près de Kirkouk, des éléments d’un bataillon kurde
avaient été placés à 200 mètres des bureaux de vote pour
intimider la population.
Prochain round : renverser Nouri al-Maliki ?
En Irak, les conseils régionaux ont en charge les forces de
sécurité, nomment les gouverneurs et un certain nombre de
fonctionnaires. Leur pouvoir est limité par l’Assemblée
nationale qui vote leur budget et peut les révoquer. Nouri al-Maliki
est assuré du soutien des sadristes et des petites listes pour
gouverner Bagdad et les provinces chiites, malgré les
affrontements sanglants qui l’ont opposé à l’Armée du Mahdi à
Bassora et à Sadr-City à Bagdad. Mais, non sans difficulté : un
second round se profile. Massoud Barzani qui accusait - en
janvier dernier, dans le Los Angeles Times - le Premier ministre
d’exclure les Kurdes des forces de sécurité et de vouloir
modifier la constitution pour interdire au Kurdistan d’accéder à
l’indépendance, vient d’essuyer un semi échec dans la région de
Ninive. Ses appétits expansionnistes vers les zones dites
contestées – en gros soixante à cent kilomètres le long de la
frontière de la région kurde - sont remis en question. Avec
Abdul Aziz al-Hakim et Iyad Allaoui, il pourrait tenter de
mettre al-Maliki en minorité à l’Assemblée nationale, et le
renverser.
La partition, toujours d’actualité ?
A moins que le Sénat ne repousse sa nomination, Christopher Hill
sera le prochain locataire de l’ambassade des Etats-Unis à
Bagdad, forteresse de 40 hectares entourée de murs blindés, de
miradors et de barbelés, située dans la Zone verte, ultra
protégée…
Hill est un diplomate de carrière expérimenté, chargé du dossier
nord-coréen par l’administration Bush. Mais, il est surtout
connu pour son rôle dans l’éclatement de la Yougoslavie, comme
envoyé spécial au Kosovo et négociateur des accords de Dayton
sur la Bosnie. Cela ne présage rien de bon sur les intentions
véritables des Etats-Unis en Irak, surtout quand on sait que le
vice-président Joseph Biden avait proposé, en 2006, la partition
de l’Irak en trois régions.
Hill a été préféré à Anthony Zinni, général des Marines à la
retraite et ancien commandant de l’United States Central
Command, connu pour son franc-parler. Le général - pour qui
Barak Obama aurait un « énorme respect » - n’avait pas hésité à
s’opposer, en 2002, au projet d’attaque de Bagdad et un an plus
tard à l’occupation de l’Irak. En mars 2006, il avait publié une
tribune retentissante dans le New York Times appelant Donald
Rumsfeld à démissionner et ainsi contribuer à son éviction.
La nomination à Bagdad de Zinni, annulée sans explication, avait
été confirmée en janvier par Hillary Clinton. Au Département
d’Etat américain, on se justifie en disant qu’il était difficile
de désigner un général comme ambassadeur à Bagdad alors qu’on
venait d’en nommer un autre - Karl Eikenberry – en Afghanistan.
Ne craignait-on pas, plutôt, qu’un sénateur l’interroge sur son
rôle comme ancien vice-président de Dyncorp, une des principales
sociétés privées de mercenaires ?
Izzat Ibrahim, la résistance, et l’effet Obama
A part l’écho disproportionné donné à un communiqué d’Ansar
al-islam affirmant que voter aux élections régionales du 31
janvier, est contraire à l’islam, la presse internationale s’est
bien gardée de rapporter les prises de position de la résistance
irakienne. La plupart appelaient au boycott du scrutin, sans
toutefois décider d’en gêner la tenue. Le discours prononcé le 5
janvier dernier par Izzat Ibrahim al-Douri, chef du
Haut-commandement du Djihad et de la Libération - à l’occasion
de la fête de l’armée irakienne - a été passé sous silence.
Président du parti Baas clandestin, il avait pourtant tendu la
main à Barak Obama, allant jusqu’à proposer une « alliance
stratégique, large et profonde » entre l’Irak et les Etats-Unis.
Bien qu’assortie de conditions intransigeantes concernant le
départ des troupes d’occupation et la souveraineté du pays,
cette offre provoque, depuis, un certain émoi dans les milieux
nationalistes arabes qui s’inquiètent de son impact
démobilisateur. L’ordre qu’il donne ensuite aux Irakiens
réfugiés à l’étranger dans « des hôtels cinq étoiles, à la
terrasse des cafés et dans des boudoirs » de rejoindre le
combat, a peu de chance d’être entendu. En Irak, personne ne
compte une infime minorité de nantis pour libérer le pays.
Bruits de bottes au Kurdistan
irakien
Les Américains en Irak assistent à la détérioration des
relations entre leurs alliés kurdes et arabes, et se demandent
s’ils ne vont pas être entraînés dans une guerre kurdo-arabe.
L’enjeu des combats ne serait pas seulement Kirkouk et les
territoires revendiqués par Massoud Barzani, président de la
Région autonome, mais la proclamation d’un Etat indépendant.
Dans cette perspective, Nouri al-Maliki, fort de son succès aux
élections régionales, a commandé pour 5 milliards de dollars
d'armes à l’armée US. Un conflit lui permettrait d’élargir son
audience, au nom de la patrie en danger. Il bat déjà le rappel
des officiers de l’armée irakienne dissoute en 2003. Vingt trois
mille d’entre eux, réfugiés à l’étranger, se verront offrir la
réintégration avec versement des salaires non perçus, ou le
paiement d’une retraite.
En septembre, la Bulgarie a livré à Barzani, clandestinement,
trois avions cargo C-130, bourrés d’armes et de munitions. Selon
le quotidien kurde Hawlati, Jalal Talabani aurait ordonné à 3
800 peshmergas basés à Bagdad de retourner dans son fief de
Soulimaniya pour prévenir d’éventuels troubles. La fuite des
capitaux kurdes s’intensifie avec des investissements massifs
dans l’immobilier à Paris. Masrour Barzani - fils aîné de
Massoud - chef du Parastin, le service de renseignement du Parti
démocratique kurde (PDK), assure ses arrières. Titulaire de la
Green card, il a fait accoucher sa femme aux Etats-Unis pour que
l’enfant ait automatiquement la nationalité américaine, et a
demandé au Département d’Etat d’être naturalisé.
Publié le 19 mars 2009 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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