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Cercle Bolivarien de Paris
De
l'intelligence des Ânes
Thierry Deronne
Hugo Chavez
Caracas, 20 novembre 2007 Au Venezuela,
le 2 décembre 2007, un référendum populaire permettra á 16
millions d´électeurs de rejeter ou d´approuver la réforme de
69 articles constitutionnels. 30 sont proposés par le président
Chavez dans la foulée du programme qui lui a valu d´être réélu
á 63 % en décembre 2006. 39 autres ont été ajoutés par l´assemblée
nationale au terme de discussions avec des collectifs citoyens
issus de la majorité comme de l´opposition. La réforme porte
essentiellement sur la généralisation de la démocratie
participative, devenant le pilier de l´État, et la protection
sociale pour tous les travailleurs. Après huit ans de révolution,
il s´agit d´adapter les institutions politiques aux besoins
sociaux.
Des confluents humains déboulent de villages proches. D´autres
ont voyagé des heures en bus, du fin fond des campagnes. Des
zones populaires de Barquisimeto aux rues mouillées de Monagas,
des multitudes invisibles dans les médias occidentaux font
campagne pour le “oui”. La première assemblée
constituante, en 1999, n´avait pas bénéficié d´une telle
mobilisation. On critiqua les députés qui préféraient
discuter á huis-clos plutôt que sur la place publique. Huit
ans plus tard, le ressort de la participation populaire ne fait
que bondir. Des millions de copies de la réforme circulent de
main en main. Ici, un joueur de saxophone ponctue la lecture
publique des articles, là un cercueil enterre la vieille
constitution pendant que des femmes indigènes appellent á
voter “oui” en wayuu ou en warao. L´article 100
rétablit le rôle central des communautés indigènes et
afro-américaines dans la culture nationale. Sur les kiosques á
journaux ou sur les vitres des autobus, les manifestants
peignent le numéro des articles les plus importants et le
visage de Simón Bolívar. “Nous devons chercher notre
constitution et nos lois non pas á Washington mais dans notre réalité”
disait en 1819 le libérateur de l´Amérique Latine, créateur
historique du concept de “sécurité sociale”.
Fiché dans un caddy rempli de pommes de
terres, un drapeau rouge salue une marche en faveur de la réforme
á Caracas. “Nous ne sommes pas des pierres qui
vivons de rien !” explique Margarita Garcia, qui pousse l´étal
roulant. La réforme, pour elle, c´est d´abord l´article 87
qui donne á 4,9 millions de travailleurs “informels” les mêmes
droits qu´á tous les autres. Sa mère qui vend des empanadas
cent mètres plus loin aura droit á une retraite. L´État étend
l´ensemble de la protection sociale - pensions, soins,
allocations, vacances - aux domestiques, chauffeurs de taxi,
artistes, coiffeurs, pêcheurs, artisans, prostituées,
chauffeurs de bus, femmes au foyer.
Ces femmes qui toute leur vie lavent et
repassent le linge de la classe moyenne et font briller les
lavabos du patron, ont réélu Chavez en décembre 2006 sur la
base d´un programme clair : accélérer le socialisme. “Tous
les articles sont en faveur du peuple, c´est la preuve que ce
gouvernement dépend de nous” explique la vendeuse de légumes.
Alors qu´ailleurs la gauche renonce á arracher le temps humain
au temps du travail, la révolution bolivarienne libère du
temps pour vivre. L´article 90 réduit la journée de
travail á 6 heures. Du temps pour se retrouver en famille, avec
les amis, pour se former, pour accéder á l´offre culturelle
croissante. En 2007, la moitié de la population étudie. 35
millions de livres sortent de la nouvelle imprimerie du Ministère
de la Culture. “Donne des années a ma maman” dit
Yermilin la fillette á qui manque une dent et qui se tord les
bras, “je veux partir en vacances des années”. Des
dizaines de milliers d´emplois nouveaux seront créés, s´ajoutant
á la baisse de 10,1 % du chômage grâce a quatorze mois
successifs de forte croissance. (1)
“Sans donner le pouvoir aux
pauvres, comment résoudre la pauvreté ?” a répété le
président Hugo Chavez. Le territoire de la république, formée
aux trois quarts de secteurs populaires, est refondu en fonction
des intérêts sociaux. Autour d´une figure-clef : la commune
(art. 184). Les articles 70 et 136 font du pouvoir
populaire le pilier du nouvel État. Sont validés comme mécanismes
de participation et de décision les conseils de travailleurs, d´étudiants,
de paysans, d´artisans, de pêcheurs, de femmes, etc.. Leurs décisions
auront un “caracter vinculante” - force de loi.
L´opposition proteste : “Le peuple n´est pas
suffisamment instruit, n´est pas prêt, il n´est pas capable d´exercer
le pouvoir”. “C´est le peuple qui connait les déficiences
de chaque communauté et avec ce pouvoir supplémentaire, nous
les pauvres nous pourrons résoudre directement nos problèmes”
répond Arsenio, chauffeur de taxi de l´État de Trujillo. “Avant
la femme restait a la maison avec les enfants, aujourd´hui elle
peut aussi représenter le conseil communal, être ministre,
gouverneur, maire, nous en avons la capacité ! Le principal c´est
de continuer a nous former politiquement, socialement” se
réjouit Florencia Pacheco, de l´État d´Aragua.
Lucides, les partisans du “oui” dénoncent
les obstacles posés par les maires ou les gouverneurs “chavistes
d´occasion” á cette démocratie participative qui
menace leurs intérêts. Ces opportunistes freinent l´information
sur ces nouveaux pouvoirs et voudraient limiter les conseils
communaux au rôle de l´Asociación de Vecinos, courroie de
transmission sur laquelle s´était édifié le clientélisme
des gouvernements antérieurs. Pour éviter l´enlisement, le président
Chavez annonce qu´en cas d´approbation de la réforme il accélérera
le transfert des ressources aux communautés organisées. En
2008 9 milliards de bolivars iront directement au 80.000
conseils communaux, qui atteignent déjà le nombre de 35000 en
2007. Le budget participatif de Porto Alegre (Brésil) fut un
brouillon timide de ce qui se réalise ici á l´échelle d´un
pays. Des centaines de milliers d´habitants de quartiers gèrent
déjà collectivement les fonds publics, rasant eux-mêmes les
bidonvilles pour y construire des logements humains, réparer
les rues, installer l´éclairage public ou les égouts,
construire des écoles ou des centres culturels, créer des coopératives
et des activités socio-productives de toute sorte.
La réforme s´attache aussi á démocratiser
la propriété privée, en étendant son accès aux secteurs
populaires (art. 229, 115). Ce qui inspire á la chaîne
Globovision des remakes dignes de la Guerre froide. Un
fonctionnaire entre dans une boucherie, demande á voir le
propriétaire. “C´est moi” dit le boucher.
“Á partir d´aujourd´hui ce commerce n´est plus á vous
mais au gouvernement” lui répond l´employé... La
campagne indigne le président Chavez : “C´est le
capitalisme qui a attaqué la propriété privée, qui l´a
limitée á une élite ! Combien de paysans ont dû vendre leur
terre ou se la sont fait voler ? Combien de pauvres expulsés de
leurs maisons, combien de millions de sans-toit aux États-Unis,
en Amérique Latine ? Combien de mères qui ne peuvent même pas
s´acheter un biberon, un cahier pour leurs enfants ? Avec l´État,
qui stimule la construction de bâtiments ou la production d´automobiles
bon marché, nous démocratisons l´accès a la propriété privée“.
Autre article appuyé par les milieux populaires, le 82.
“Avant en cas de problème de paiement on pouvait vous
prendre votre maison, la banque pouvait mettre la main dessus,
plus maintenant. Le droit au foyer sera inviolable”
explique Jair González. Pour Rowan Jimenez d´INVEPAL une usine
á papier sauvée de la faillite par les travailleurs, depuis
nationalisée et cogérée avec l´État, le plus important est
le contrôle de la banque centrale en faveur du développement,
la rupture des grands monopoles et la prohibition des
latifundios (articles 318, 236, 321, 113 , 307). Les
cinéastes, dont la liberté de créer était freinée par la
concentration de la distribution cinématographique au service
de l´industrie nord-américaine, se voient favorisés par l´article
98 qui établit les droits culturels et les droits d´auteur.
“Pouvoir créer librement, c´est nous ouvrir au monde”
approuve Carlos Azpúrua.
La réforme intensifie la démocratie dans de
nombreux domaines. L´article 64 donne le droit
de vote aux citoyen(ne)s dès 16 ans, une révolution en soi. L´article
21 rejette toute forme de discrimination ethnique, de
genre, d´âge, de santé, sexuelle, sociale, politique ou
religieuse. L´article 109 consacre l´autonomie de l´université
et l´élection des autorités par l´ensemble de la communauté
universitaire, employés, étudiants, ouvriers. “C´est la
récompense de nombreuses années de luttes” pour
Alejandra Torres, étudiante de l´UCV : “beaucoup d´étudiants
sont morts pour cet idéal sous les gouvernements antérieurs.
Avec des autorités légitimes, on aura enfin un vrai débat d´idées
sur la politique universitaire”.
Le “non” á la réforme, perdant dans les
sondages, est martelé par les télés privées comme
Globovision, ou RCTV dont on croit encore, hors du Venezuela, qu´elle
a été “fermée par Chavez” (2). Au Venezuela l´opposition
possède la majorité des médias - radio, presse écrite, télévisions.
La liberté d’expression est totale. La haine de classe et le
racisme sont intacts à Globovision, Venevision, Televen ou RCTV
et leurs filiales qui occupent 80 % du spectre radioélectrique.
Plus la démocratie s´approfondit au
Venezuela, plus les transnationales médiatiques, actrices á
part entière de la globalisation néo-libérale, attaquent
“la dictature de Chavez”. Avec le même mépris social pour
le peuple vénézuélien que pour ceux qui, en Europe, font grève
contre les privatisations ou disent non aux traités néo-libéraux.
Pour convaincre l´opinion mondiale que le Venezuela est au bord
de l´insurrection contre un “futur Castro”,
la technique consiste á cadrer serré des groupuscules d´opposition
(par exemple des étudiants d´universités privées qui
refusent l´intégration des secteurs populaires dans l´enseignement
supérieur) lorsqu´ils provoquent les forces de l´ordre. A
Paris ou á Tokyo, la télé montre la "violence"
comme si elle était le fait de la population en général. Le
spectateur ne verra jamais le hors-champ réel : une foule
indifférente ou agacée par ces mises en scènes sur commande.
Le Monde, Libération, l´AFP, El País, France-Inter ou le
Washington Post résument la réforme au “ pouvoir á vie
pour Chávez”. L´article 230 donne á la
population le droit de réélire qui elle veut autant de fois qu´elle
le voudra, un droit démocratique dont jouissent déjà les
populations du Royaume-Uni, de France, d´Espagne, d´Allemagne,
d´Autriche, d´Irlande, d´Italie ou du Portugal. En supposant
que la population l´approuve lors du référendum de décembre,
celle-ci restera libre de trancher ultérieurement entre les
candidats des différents partis, comme dans n´importe quelle démocratie.
Tous les scrutins organisés au Venezuela sous les mandats
successifs de Hugo Chavez, une dizaine déjà, ont été jugés
transparents par les observateurs internationaux, Union Européenne
et Organisation des États Américains y compris.
Toute ces campagnes médiatiques n´entament pas le
moral d´Héctor Láres, ouvrier du bâtiment, qui croit dans
la victoire éclatante du “oui” : “Ils
veulent nous faire marcher á coups de carottes mais ils
oublient que l´âne est un animal extrêmement intelligent”.
(1) voir “l´économie venezuelienne sous Chávez”, Mark
Weisbrodt et Luis Sandoval, www.cepr.net
juillet 2007.
(2) RCTV continue á diffuser sa programmation habituelle et
transmet aussi sur internet : www.rctv.net.
Thierry Deronne, vice-président de la chaîne
publique et participative Vive TV, Venezuela.
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