Jean-François Copé.fr
Discours de Jean-François Copé
Colloque sur le port du voile intégral, le 17/12/09
© Jean-Francois Copé.fr
Jeudi 17 décembre 2009
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie pour cette première table-ronde très
intéressante qui reflète tout à fait l’esprit dans lequel nous
travaillons sur ce thème depuis le début : la volonté
d’articuler notre attachement à des principes forts et généreux,
ceux de la République, ET la prise en compte de ce qui se vit
concrètement sur le terrain !
- Faire des grands débats de philosophie politique, c’est sans
doute passionnant mais ce n’est pas ce qu’attendent les Français
de leurs responsables politiques.
- Inversement, s’en tenir uniquement à des expériences
particulières sans prendre le temps d’y réfléchir et de les
mettre en perspective, c’est une impasse.
L’atout du député, sa valeur ajoutée irremplaçable dans
le paysage institutionnel français, c’est de tenir les deux
bouts en permanence : le débat politique à Paris ET l’action
concrète auprès de nos concitoyens.
Dans le débat sur la burqa, cette double perspective est
une condition sine qua non pour aboutir à une prise de position
solide et cohérente. Voilà pourquoi nous avons pris le
temps de travailler posément sur ce sujet.
Depuis plusieurs années, des remontées du terrain nous
arrivaient sur une pratique nouvelle en France : des femmes,
volontairement ou sous pression, se masquent complètement le
visage en permanence. Ce phénomène, encore marginal, a tendance
à se développer. Les statistiques à ce sujet sont floues. Et
variables. Le ministère de l’Intérieur évoque le chiffre de 2
000 femmes. Quoi qu’il 2 en soit, il provoque une consternation
unanime auprès de nos concitoyens et dans le débat public.
Et là, ce n’est pas que le Président du groupe majoritaire à
l’Assemblée nationale qui vous parle, c’est le maire de Meaux,
une ville à l’image de la France du 21ème siècle, qui connaît
aujourd’hui ce phénomène.
Sans céder à l’emballement médiatique ou à la pression de
l’émotion, nous avons voulu réfléchir sur ce thème. Pour être
honnête, nous n’avons pas eu besoin de 6 mois de travail
pour comprendre que nous ne voulions pas que cette pratique se
développe en France. D’ailleurs, j’ai assez vite pensé
que nous devrions légiférer sur ce sujet. Mais je voulais aller
au-delà d’une intuition... Nous avons eu besoin de six
mois parce que, sur un sujet comme celui-là, il faut savoir
prendre du recul, dépasser les réactions à chaud.
Evacuer les amalgames, les clichés, les lieux communs.
Nous avons eu besoin de six mois pour auditionner le plus
largement possible, experts, juristes, philosophes, membres de
la communauté musulmane. Pour nous assurer que les solutions
éventuelles n’étaient pas pires que le mal à combattre.
Ces six mois de réflexion, d’écoute, de dialogue ont été
extrêmement précieux. Encore une fois, je remercie ceux qui ont
bien voulu participer à notre réflexion, en nous faisant part de
leurs convictions. En nous mettant en garde sur certains points.
Même si nous n’aboutissons pas toujours aux mêmes conclusions
sur tous les points, je peux vous garantir que tout ce qui nous
a été dit n’est pas tombé dans l’oreille de sourds !
C’est en s’appuyant sur les différentes auditions que
je peux aujourd’hui prendre position avec mesure.
I. D’abord, ne nous trompons pas de débat : face à cette
pratique, je refuse la stigmatisation comme la banalisation !
Je suis très au clair sur cette question ; je rejette
catégoriquement la stigmatisation de l’islam. Je suis
pour la liberté de conscience et pour la liberté religieuse et
je les défends farouchement.
J’ai été le premier à dire combien j’étais choqué par la dérive
du débat qui a accompagné le vote suisse lors du référendum sur
les minarets. Une mosquée est un lieu de culte qui doit
respecter les règles d’urbanisme locale. Point. Nos concitoyens
de confession musulmane ont le droit d’exercer leur culte, comme
n’importe quel autre !
C’est dans cette perspective dépassionnée qu’il faut traiter la
question des minarets. Pas dans des grands débats où les procès
d’intention se multiplient et où la religion musulmane est
serait prise pour cible.
Je veux préciser deux points essentiels pour écarter
tout risque de stigmatisation. Et je les rappellerai
systématiquement pour éviter des amalgames qui me font horreur !
- Pour moi, c’est très clair : ce débat ne porte pas
sur la place de l’immigration en France. 75% des femmes
qui portent la burqa ont la nationalité française, beaucoup sont
des femmes nées en France et l’immense majorité des immigrés en
France ne sont pas plus concernés par la burqa que les Français
de naissance.
- Ce n’est pas davantage une question religieuse.
Tous les spécialistes de l’islam nous l’ont confirmé, à
commencer par Mohammed Moussaoui. La burqa n’a jamais été une
prescription religieuse : elle est d’ailleurs rejetée dans la
plupart des pays musulmans. Et jusqu’à la Mecque, où le
port de la burqa est interdit pendant le pèlerinage, pour des
raisons de sécurité !
Même Monsieur Tariq Ramadan, pourtant très flou sur d’autres
sujets essentiels, a été clair sur ce point. 4
C’est dire combien il serait absurde de rattacher cette
question à un débat sur la laïcité ou la place de l’islam.
Je refuse catégoriquement l’instrumentalisation politique de la
religion ! Je rejette toute caricature de l’islam fondée sur les
pratiques d’une minorité d’extrémistes.
A travers les différentes auditions, j’ai bien compris
que nos compatriotes de confession musulmane sont les premières
victimes d’amalgames qui peuvent se développer au sujet de leur
religion. Notamment à cause du port de la burqa.
Je salue d’ailleurs le travail discret mais efficace de certains
d’entre eux qui vont aujourd’hui à la rencontre des femmes
portant la burqa afin de leur expliquer qu’elle n’est pas
compatible avec la vie en société et qu’elle n’a rien à voir
avec la religion qu’ils pratiquent.
Ceci étant dit, je refuse autant la banalisation que la
stigmatisation ! On ne peut pas traiter ces questions
par un arrêté discret ou une simple circulaire !
Il me faut donc évacuer une première objection, entendue
parfois au sujet de la burqa : « C’est un
sujet tellement marginal que les politiques ne
devraient pas s’en occuper. Ils ont d’autres chats à fouetter. »
Une telle objection mérite plusieurs réponses.
- D’abord, nous avons affaire à un phénomène
dynamique. Il était inexistant il y a 10 ans, il touche
plusieurs centaines de femmes aujourd’hui. Et surtout dans des
endroits précis.
Ce qui compte, c’est moins le chiffre en valeur absolu
que l’augmentation et la concentration dans quelques zones
urbaines. Je sais d’avance que si un jour cette
pratique se généralisait dans certains quartiers de nos villes,
les mêmes qui nous reprochent aujourd’hui de travailler sur ce
sujet nous reprocheraient demain d’avoir trop tardé à agir...
- Enfin et surtout, je veux rappeler que la question n’est pas
de savoir combien de femmes portent la burqa. Ce n’est
pas une question de nombre. C’est une question de principe !
Quand bien même, il n’y aurait qu’une femme concernée, la
réflexion que nous avons lancée aurait un sens !
Il ne faut pas regarder ce phénomène avec naïveté, comme s’il
était purement spontané et qu’un matin, une femme choisissait de
porter la burqa comme on choisit de porter une 5 veste. Cette
pratique, liées à des traditions locales dans quelques zones,
notamment en Afghanistan, se développe à présent dans plusieurs
endroits du monde, sans correspondre à aucun fondement religieux
ou traditionnel. En réalité, ce sont des extrémistes qui testent
la République en encourageant une pratique qu’ils savent
contraire aux principes essentiels de notre pays.
II. La réalité, c’est que personne en France ne souhaite
raisonnablement que cette pratique s’installe sur notre
territoire.
Les représentants des musulmans de France ont une
position très claire qui rejoint celle de la très grande
majorité de nos concitoyens pour qui le port de la burqa n’est
pas compatible avec la vie en société, avec les valeurs de la
République.
Face à ce constat unanime, que devons-nous faire ? Je
crois qu’il faut sérier les difficultés.
Il y a d’abord des lieux où l’interdiction de la
burqa fait consensus : il est évident
que la burqa n’a pas sa place dans les services publics et les
bâtiments publics ou dans les lieux privés ouverts au public,
comme les commerces.
C’est une question de sécurité évidente. On n’entre pas dans une
mairie, une école ou une banque avec un casque de moto, une
cagoule ou un masque blanc... Il faut avoir le visage découvert
et être reconnaissable.
Des interdictions sont déjà possibles, mais de portée
limitée et de nature différente. Je veux donc
clarifier et consolider le droit existant. Même
l’exécutif reconnaît aujourd’hui que cela est nécessaire, comme
j’ai pu le constater hier lors des auditions des ministres par
la mission d’information parlementaire.
Reste la question d’une interdiction générale sur la
voie publique.
Pour certains, elle serait disproportionnée. D’autres pensent
qu’elle risquerait d’être mal comprise. Enfin des juristes
mettent en avant des obstacles d’ordre juridique. 6 J’entends
ces remarques. Les juristes sont dans leur rôle et ils ont
raison de nous alerter sur les risques divers, notamment ceux
d’un recours devant le Conseil Constitutionnel ou la Cour
européenne des droits de l’homme.
Mais, notre rôle, en tant que législateurs, n’est pas de
commenter le droit, il est de l’écrire. Et parfois de faire
bouger les lignes. Surtout dans des matières où la jurisprudence
n’est pas établie. Nous ne pouvons pas nous déterminer
uniquement sur la base d’anticipations fragiles au sujet
d’éventuelles décisions de justice.
Je pense que le temps de la décision politique est venu. Nous
devons assumer nos responsabilités pour garantir les principes
républicains. On ne peut pas laisser les maires seuls en
première ligne. Sans outil juridique adapté.
Tous les Etats de droit sont menacés par la même fragilité : les
ennemis de la démocratie peuvent instrumentaliser les libertés
qu’elle garantit pour les retourner contre la démocratie
elle-même ! C’est ce que nous voyons aujourd’hui avec la burqa.
Allons-nous sombrer dans l’impuissance ?
Il serait quand même incroyable que l’inaction nous gagne alors
même que pas une personne en France ne défend raisonnablement
cette pratique !
III. Des fondements juridiques solides : la dignité
humaine et l’ordre public
En tant que législateur, je considère qu’il y a des
fondements juridiques solides pour justifier une interdiction.
Je m’appuie d’ailleurs sur la réflexion de plusieurs juristes
éminents. Je pense par exemple à Guy Carcassonne, qui s’est
excusé de ne pouvoir venir aujourd’hui.
Pour moi, le respect de la dignité humaine, principe à
valeur constitutionnelle, apparaît comme un fondement
essentiel ! La burqa s’attaque à la dignité des femmes,
elle porte 7 atteinte à leur identité, les soumet à une
discrimination absurde, les coupant de toute vie sociale.
Certains nous objectent que l’on ne peut pas opposer la liberté
à la dignité. Et que chacun est libre de s’habiller comme il
l’entend.
Les professionnels du lancer de nains avaient une argumentation
du même type pour justifier leur activité : tant que des
personnes de petite taille sont volontaires pour se faire
propulser en hauteur contre une rémunération, au nom de quoi
pouvait-on les en empêcher ? Le Conseil d’Etat a tranché, dans
un arrêt resté célèbre pour tous les étudiants en droit
administratif. La France considère que le respect de la
dignité humaine est un principe fondamental qui mérite d’être
défendu par notre droit.
D’autant plus qu’aujourd’hui, ce n’est pas la liberté de
s’habiller qui est en cause : c’est la dissimulation permanente
du visage ! Nous ne parlons pas de la burqa en tant que vêtement
mais en tant que masque sur le visage et réclusion pour celle
qui la porte !
Se dissimuler derrière un masque en permanence dans la
rue, est-il vraiment un droit de l’homme ?
Outre la question de la dignité, l’interdiction doit
aussi se fonder sur l’impératif d’ordre public.
Excusez-moi de rappeler une banalité mais je vous invite à
imaginer un instant des quartiers où la moitié de la population
serait masquée en permanence et vêtue de la même façon. Ce n’est
pas acceptable, notamment alors que nous développons la
videoprotection dans de nombreuses villes pour répondre aux
attentes de nos concitoyens.
Je le répète : se masquer le visage en permanence dans
l’espace public, ce n’est pas l’expression d’une liberté
individuelle. C’est une négation de soi, une négation de
l’autre, une négation de la vie en société.
Voilà pourquoi je suis favorable à une loi, précédée d’une phase
de dialogue et d’explication.
Je veux préciser que la loi ne parlera même pas de burqa
ou de voile intégral. Elle rappellera juste ce qui était jusqu’à
présent si évident qu’il n’y avait pas besoin de l’inscrire dans
notre droit : la visibilité du visage dans l’espace public est
une condition indispensable au « vivre ensemble » et un gage de
sécurité.
On ne doit donc pas se promener le visage masqué dans l’espace
public, hors circonstances particulières, liées à une situation
climatique, un état de santé, une manifestation culturelle
ponctuelle...
Cela aura d’ailleurs le mérite de régler clairement le problème
des cagoules qu’utilisent les casseurs dans les manifestations.
Pour ce qui concerne les sanctions, les cas de figure sont
différents selon les lieux.
Pour les
services et les bâtiments publics ou les lieux privés recevant
du public, pas besoin d’autre sanction que le refus de l’accès
aux bâtiments.
Sur la
voie publique, le plus simple est de procéder à des
contraventions qui seront évidemment suffisamment dissuasives,
tout en restant mesurées.
IV. Une résolution et une phase de dialogue pour
expliquer la loi
Une loi est le meilleur moyen de rappeler l’évidence à ceux qui
la rejettent mais elle ne suffira pas.
J’ai entendu les remarques ceux qui s’inquiètent des
incompréhensions possibles, des malaises éventuels... Nous
devons donc accompagner la loi d’une résolution parlementaire,
instrument nouveau dont nous disposons depuis la réforme
constitutionnelle de 2008.
Cette résolution portera un message fort sur notre attachement
aux valeurs républicaines et à l’égalité hommes-femmes.
Une résolution seule ne suffit pas non plus. Nous ne
pouvons pas nous contenter d’une simple déclaration d’intention.
Mais ce texte sera utile pour préciser qu’une phase de dialogue
est nécessaire, au plus proche du terrain, pour que cette mesure
soit comprise et acceptée pour ce qu’elle est : une loi de
libération et pas d’interdiction.
Comme d’habitude, les élus locaux joueront un rôle
essentiel, en première ligne, pour expliquer la loi.
Pour aller à la rencontre de ceux qui auraient besoin
d’explication. En tant que maire, je sais que je pourrais
m’appuyer sur les acteurs associatifs qui oeuvrent au quotidien
dans nos villes, dans nos cités.
Là encore, je sais pouvoir compter sur les représentants
musulmans pour redire sur le terrain ce qu’ils expriment
aujourd’hui sereinement : l’islam n’est pas en cause, la liberté
religieuse non plus.
Je voudrais enfin insister sur un autre acteur majeur :
notre réseau diplomatique.
Patrie des Droits de l’Homme, la France porte une responsabilité
particulière dans ce débat que connaissent d’autres pays. Notre
position est attendue, bien au-delà de nos frontières. Et en
particulier par toutes les femmes qui se battent dans le monde
pour faire respecter leurs droits et leur dignité. Nous allons
beaucoup parler de ce sujet pendant la deuxième table ronde de
l’après-midi, animée par Nicole Ameline.
Il va falloir expliquer aux autres pays la voie que nous
suivons : la voie de l’équilibre et de la mesure. Gare aux
raccourcis ravageurs ! Certains pays à majorité musulmane
suivent attentivement nos débats. A nous de bien faire
comprendre que cette loi n’enfreint aucune liberté religieuse et
qu’elle ne vise aucune religion.
En déplacement au Liban à la fin de la semaine, je m’efforcerai
de commencer à faire passer ce message à mes interlocuteurs et
aux médias locaux.
Conclusion
Pour être pleinement comprise et acceptée, cette loi sur la
burqa doit s’inscrire dans une politique globale en faveur de
l’égalité hommes-femmes. C’est un défi majeur pour notre pays.
C’est une de mes préoccupations centrales. Nous ne pouvons pas
sans cesse nous féliciter des progrès accomplis pour nous
exonérer du travail qu’il reste à faire !
A la veille du Pékin + 15, sommet international très important
pour le droit des femmes, alors que l’année 2010 sera consacrée
à la lutte contre les violences faites aux femmes dans 10 notre
pays, il est plus que jamais nécessaire de relancer les mesures
d’égalité entre les hommes et les femmes.
Il n’y a pas d’égalité, quand les hommes font peser des
contraintes sur les femmes ! Il n’y a pas de fraternité quand
chacun manifeste ouvertement dans l’espace public son refus du
moindre contact avec son semblable.
Le « vivre ensemble » des hommes et des femmes dans l’espace
public n’est pas une anecdote. C’est un héritage de l’histoire,
une marque de notre civilisation et un combat permanent !
Ma conviction est inébranlable : la France doit être un
pays où les femmes et les hommes sont égaux et peuvent vivre
ensemble dans l’espace public.
Sans murs de tissus ou de briques.
Sans frontières dans les rues ou dans les têtes !
Mais aussi avec des salaires égaux à poste égal.
Avec des responsabilités partagées dans la sphère économique,
sociale et politique.
Avec un respect inconditionnel de la dignité de chacun.
C’est le sens de mon combat aujourd’hui. Sur la burqa comme sur
le sujet de l’égalité professionnelle.
Merci de votre attention !
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