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Le quotidien d'Oran
Égypte-Algérie : où sont passées les colombes?
Ahmed Bensaada
Samedi 19 décembre 2009
« Il est plus facile de faire la
guerre que la paix ». (Georges Clemenceau)
Il est très difficile de parler de beau temps lorsque la tempête
fait rage, que les éléments se déchaînent et que le tonnerre
gronde.
Il est aussi très ardu d'envisager sereinement des
réconciliations lorsque les bourrasques émotionnelles balayent
les âmes, que l'atmosphère affective est chargée d'électricité
et que les éclairs passionnels lézardent le ciel algéro-égyptien.
En ces moments, on a plus de succès en griffonnant un brûlot, en
composant une chanson satirique sur un rythme festif ou en
postant sur Youtube une vidéo d'insultes et de quolibets. Toute
tentative pour calmer les esprits et apaiser les tensions est
interprétée comme une trahison suprême, une déficience sévère en
algérianité ou même une ablation totale du «nif».
J'en sais quelque chose. Lorsque j'ai mis en ligne, avec mon
ami le Pr Aomar Hadjadj, une pétition intitulée «Assez de la
guerre médiatique entre l'Égypte et l'Algérie » [1], j'ai été
inondé par un flot de courriels incendiaires me reprochant une
génuflexion à «l'ennemi », me donnant un cours d'histoire sur le
grand roi berbère «Sheshonq », me parlant des dessous de la
compagnie Orascom ou m'apprenant que le fils de l'autre lorgnait
le pouvoir. Quelqu'un m'a même demandé si j'étais Égyptien
déguisé en Algérien. Pensez-y : un descendant de Ramses au pays
de Sheshonq!
Les blogs de différents sites qui ont publié la pétition ont
été pris d'assaut et les internautes se sont livrés à des joutes
prosaïques dans lesquelles, à qui mieux mieux, chacun exhibait
son patriotisme cursif.
Jamais l'histoire, l'économie, la géopolitique et la généalogie
n'a connu autant de progrès dans notre pays que pendant ces
quelques semaines. Les blogeurs sont tous devenus érudits, mais
pas pour le Savoir en soi. Non. C'est juste pour se convaincre
qu'ils pouvaient se bomber le torse ou qu'ils étaient détenteurs
de secrets qu'eux seuls connaissaient. Des secrets de
polichinelle qui avaient fait plusieurs fois le tour de la
blogosphère. Il est quand même effarant de voir ce que les
quatre lignes de la pétition peuvent produire comme
«dissertations »!
Néanmoins, ce qui est réconfortant réside dans le fait qu'un
nombre très élevé de personnes ont pris le temps de signer la
pétition. Citoyens d'Algérie et de 33 autres pays, des centaines
d'intellectuels, universitaires, professionnels et étudiants en
grande majorité algériens ont appuyé la démarche d'appel au
calme. Aucune autre pétition, ni regroupement professionnel en
Algérie ou en Égypte n'a réuni autant de personnes autour d'une
déclaration de paix. Cela ne peut que prouver à ceux qui ont
accusé les Algériens d'être un peuple belliqueux qu'ils
l'étaient beaucoup moins que ceux qui les ont montrés du doigt.
Bien au contraire, ils ont prouvé qu'ils savent séparer le bon
grain de l'ivraie, qu'ils ont en aversion les comportements
dégradants et qu'ils sont épris de paix.
Des citoyens égyptiens ont aussi signé la pétition. Je citerai
parmi eux le talentueux et jeune cinéaste Amir Ramses [2],
disciple de feu Youcef Chahine. Ce réalisateur n'a pas oublié,
comme certains amnésiques, ses séjours en Algérie. Lorsqu'il est
venu présenter son court-métrage «Pas comme les autres » à
Taghit (2007), où sont mis en scène un Égyptien et une
Algérienne, les critiques ont été dithyrambiques : «Voilà un
futur Youcef Chahine, que cet Amir qui porte déjà le titre de
noblesse dans son nom » [3].
Nous n'entendons parler que de ceux qui nous insultent et nous
traînent dans la boue, mais pas de ceux qui nous respectent et
veulent conserver des liens d'amitié avec nous. Évidemment, les
messages de paix et de raison ne font malheureusement ni vendre
des journaux, ni augmenter l'audimat. Tout cela pour vous dire
que M. Amir Ramses a, lui aussi, publié une pétition sur son
blog [4]. Dans le long texte publié, on peut lire «nous refusons
cette campagne médiatique et les insultes dirigées contre le
peuple algérien; nous refusons que l'Ambassadeur d'Algérie soit
prié de quitter l'Égypte et que l'Ambassadeur d'Égypte soit
retiré d'Algérie; nous refusons que les relations soient coupées
avec l'Algérie, qu'elles soient intellectuelles, culturelles ou
économiques ».
Cette pétition a été signée par environ 300 personnes parmi
lesquelles on peut nommer les réalisateurs Yousry Nasrallah et
Ahmed Rashwan et les acteurs Khaled Abou Naga et Amr Waked.
D'autre part, le réalisateur Ahmed Rashwan a dédié le prix
qu'il a récemment reçu au Festival du film arabe de Bruxelles
pour son long métrage «Basra » aux deux peuples : algérien et
égyptien [5]. Il a aussi mentionné que les artistes qui ont
offensé l'Algérie et son peuple n'ont pas évalué les
conséquences de leurs actes.
De son côté, l'actrice Magda qui a joué le rôle de Djamila
Bouhired dans le célèbre film sur la moudjahida a déclaré que
«l'Algérie a toujours été dans le cœur de l'Égypte et des
Égyptiens et cela est notre message à nos frères algériens » et
que les deux pays avaient des destins et des intérêts communs.
Au-delà de tout ce qu'elle a soulevé comme poussière, cette
guerre médiatique a clairement révélé que les peuples arabes ne
connaissent rien les uns des autres, si ce n'est des stéréotypes
surannés. Les médias et les artistes hostiles ont tous utilisé
les mêmes clichés pour décrire les Algériens. «Ils ne savent pas
parler l'arabe » : savent-ils au moins que l'enseignement en
Algérie a été arabisé depuis plus de 30 ans? «Ils ne parlent que
le français» : sont-ils au courant que c'est l'Égypte qui est
membre de la Francophonie et non l'Algérie? «Ce ne sont pas des
Arabes » : est-ce que ces médias et ces artistes se rendent
compte qu'en parlant de 7000 ans d'histoire, ils ne se réfèrent
exclusivement qu'à leur passé «pharaonique » et non à leur passé
arabe?
En plus, agresser des joueurs et les accuser d'avoir tout
comploté relève d'une méconnaissance totale de la psychologie de
l'Algérien et de sa réactivité. Ce n'est que cette semaine que
des officiels égyptiens ont admis qu'ils s'étaient trompés [6].
Mais après quoi?
Le paroxysme de l'indécence et de l'intolérable a été atteint
lorsque la mémoire des martyrs de la révolution a été souillée.
Toucher à un symbole aussi sacré pour les Algériens est un
sacrilège innommable qu'il sera difficile d'oublier.
Néanmoins, la généralisation des insultes à tout un peuple et
l'atteinte à ses valeurs pour des actes ou des propos tenus par
des individus ou un groupe d'individus n'est en aucun cas
justifiable. Il faudrait plutôt s'en prendre à celles et ceux
qui ont fauté et ne pas s'attaquer à une nation dans sa
globalité.
Prenons exemple sur le dernier match France-Irlande. Une
flagrante tricherie de Thierry Henry a privé l'Irlande d'une
participation à la coupe du Monde de football. Que se serait-il
passé entre l'Algérie et l'Égypte si cela avait été le cas? Je
n'ose pas l'imaginer. Les Irlandais ont-ils insulté tous les
Français, leurs martyrs, leur langue et leur culture? La réponse
est non. Les journaux ont traité Thierry Henry de tricheur et
une pancarte a été affichée à l'aéroport de Dublin: «L'Irlande
vous souhaite la bienvenue…sauf si vous êtes Thierry » [7].
Aucun amalgame, aucune insulte désobligeante et aucune
généralisation dans ces pays développés. Pourtant, sur le
papier, l'Algérie et l'Égypte ont plus de choses en commun que
la France et l'Irlande.
Grande absente de la confrontation Algérie-Égypte, la fameuse
Ligue Arabe a brillé par son mutisme et sa neutralité. À quoi
sert-elle déjà cette «respectable » institution?
La situation politique et sociale s'est grandement dégradée
depuis les deux derniers matchs entre l'Égypte et l'Algérie. Il
est impératif de conjuguer les bons offices, la médiation et
l'action citoyenne pour annihiler ce climat de haine entre deux
pays qui ont tout pour s'entendre : culture, langue, religion et
destin commun.
Souhaitons que plus de colombes survolent nos cieux afin de
faire pression sur les gouvernements de nos pays pour qu'ils
exigent aux médias de changer de ton, de respecter l'éthique
professionnelle et d'être plus compétents. Espérons aussi qu'ils
arriveront à se parler entre eux pour mettre fin à cet imbroglio
diplomatique.
Après la pluie, le beau temps ?
Ahmed Bensaada, Docteur en physique - Montréal
(Canada) Références :
1. La Pétition.be. (Page consultée le 8
décembre 2009). « Assez de la guerre médiatique entre l'Égypte
et l'Algérie », [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.lapetition.be/en-ligne/assez-de-la-guerre-mdiatique-entre-lgypte-et-lalgrie-5686.html
2.Amir Ramses (Page consultée le 8 décembre 2009). « Biography
», [En Ligne]. Adresse URL: http://www.amirramses.com/
3. O. Hind. (Page consultée le 8 décembre 2009). « La relève en
voie d'être assurée », [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.lexpressiondz.com/article/3/2007-11-18/47246.html
4. Egypt-petition.blogspot. (Page consultée le 7 décembre 2009).
[En Ligne]. Adresse URL:
http://egypt-petition.blogspot.com/2009/11/blog-post.html
5. AlifBa. (Page consultée le 9 décembre 2009). [En Ligne].
Adresse URL:
http://elraya.info/index.php?option=com_content&view=article&id=989:2009-11-29-05-58-46&catid=29:2009-11-21-06-06-52&Itemid=42
6. Abdelbarri Atwan, «Algérie-Égypte: des aveux tardifs».
Journal Al-Quds Al-Arabi, 7 décembre 2009, p. 1.
7. France 24. (Page consultée le 9 décembre 2009). « L'Irlande
vous souhaite la bienvenue… sauf si vous êtes Thierry Henry »,
[En Ligne]. Adresse URL:
http://observers.france24.com/fr/20091126-fifa-veut-pas-irlandais-coupe-monde-main-thierry-henri-france-afrique-du-sud.
Le Quotidien
d'Oran, 13 décembre 2009, p.8.
Consultation en ligne:
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5130848
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