En chacun de nous, dit la tradition musulmane, il y a une étincelle, qui est naturellement un élan de l’individu vers l’Unique qui l’a créé. Un élan de cette lumière, l’un des noms de Dieu. Quelqu’un qui, au niveau de sa raison, ne répond pas – ou répond plutôt par la négative – à la notion de transparence, garde quand même, tout au fond de lui, quelque chose qui s’apparente à un souffle, à un élan.

Il n’est pas un être humain qui, au fond de son cœur, n’ait ce souffle, et on peut dire que cet élan participe de la conscience humaine : il y a quelque chose en l’homme. Dans ma perception personnelle, tout ce que je suis amené à vivre en tant que porteur de la foi, c’est pour retrouver l’élan de l’origine, pour construire ma vie en harmonie avec cette origine. Quelque chose en moi qui est présent et qui n’est pas forcément accessible à la raison, mais qui va le devenir.

Vous connaissez la formule de Pascal qui dit : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Un musulman dirait : Le cœur a ses raisons que la raison reconnaît. Forcément, à un moment donné, le chemin de la rationalité trouvera l’étincelle tout au fond du cœur de l’homme parce qu’il n’y a pas, par essence, intrinsèquement, d’opposition entre ces deux facultés : la raison qui travaille trouve la dimension de cet élan, de ce souffle originel.

Mon cheminement spirituel consiste à transformer l’attirance en rencontre. Je veux vivre la rencontre avec le sacré, avec l’Unique, mais encore une fois, aucune représentation ne m’est permise, si ce n’est qu’Il m’a donné à entendre qu’Il avait des qualités, des Attributs, qu’Il était présent entre moi et mon cœur, et en même temps, Créateur des cieux et de la terre, c’est-à-dire qu’Il est très proche, dans un rapport de proximité, et très éloigné, dans un rapport de majesté, qui me pousse à vivre ma relation avec le Transcendant avec le cœur, qui est la dimension d’une intelligence de l’intimité.

Il y a dans notre intimité une façon de vivre en intelligence avec Dieu et le monde. Cette rencontre-là se traduira par la notion d’un rapport de paix avec son cœur, la notion de confiance, de sécurité dans la confiance, pour parler comme les mystiques. La spiritualité, c’est cette rencontre qui donne la paix, et la paix n’est que dans l’équilibre, et l’équilibre n’est que dans la rencontre avec l’Unique. C’est le travail de la pratique quotidienne, qui paraît de loin extrêmement exigeante mais pour qui veut vivre dans la proximité, ces cinq prières ne représentent que le début du chemin. En d’autres termes, pas de spiritualité sans cheminement.

Ce cheminement est aussi une éducation, parce que s’éduquer c’est se réformer spirituellement. La notion fondamentale qui va donner corps à cette spiritualité, c’est l’acte de responsabilité, dans la même dimension de « donner à faire ». Un homme ou une femme porte la responsabilité : Dieu lui a donné à faire, et il répond à l’appel. Point de spiritualité sans cheminement. Point de cheminement sans acte de responsabilité. Je ne parle ni de possible culpabilité, ni de possible faute, mais de la nécessaire et impérative réponse à l’appel de cet élan, de ce souffle, de cette attirance qui naturellement veut la rencontre et chercher la paix. Ainsi, la spiritualité, telle que nous la concevons dans ce cheminement a trois qualités : c’est une spiritualité qui est forcément exigeante, c’est une spiritualité qui cherche la profondeur et c’est une spiritualité forcément active. La profondeur est un effort perpétuel parce que l’homme a tendance à vivre dans la périphérie de son être, et elle est active parce qu’elle veut répondre à la responsabilité. C’est un grand défi de vivre sa spiritualité aujourd’hui, et de ce point de vue-là, un défi individuel.

Aujourd’hui, je ne connais pas d’épreuve plus difficile que de protéger une spiritualité profonde, exigeante et active. Dans notre société, témoigner de sa spiritualité est un acte fondateur.