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Religion

Les musulmans « culturels »,
les réformistes, les littéralistes, etc.

Tariq Ramadan


© Tariq Ramadan

Jeudi 12 mai 2016

La plupart des Européens musulmans ne sont pas des pratiquants réguliers et n’éprouvent pas de problèmes « religieux » particuliers dans leur vie quotidienne. Beaucoup se disent croyants, ne boivent pas d’alcool, ne mangent pas de porc, font le Ramadan, par foi ou comme une tradition familiale (et/ou culturelle), mais ils n’ont pas de pratiques régulières et ne fréquentent que rarement les mosquées. D’autres se disent également croyants mais ne respectent pas les obligations et les interdits de la religion, ils peuvent boire de l’alcool et vivre sans sensibilité religieuse particulière (si ce n’est, encore une fois, pendant le Ramadan ou même en réaction ponctuelle à ce qu’ils peuvent ressentir comme des attaques et des agressions dans les medias ou par certains partis politiques). D’autres enfin, une petite minorité, se définissent comme des musulmans athées, agnostiques ou seulement « culturels » (voire se présentent même comme des « ex-musulmans ») et n’ont ni ne revendiquent aucune sensibilité religieuse à proprement parler. Ces trois catégories, il faut se le rappeler (et notamment les deux premières) représentent la majorité (de 75 à 80 % selon les origines et les lieux) de ce que l’on définit et dénombre comme « musulmans » dans les sociétés occidentales. Ces femmes et ces hommes n’ont aucun problème « religieux » avec l’Europe : hormis leur teint de peau, leur origine et leur nom, ils n’ont aucune « visibilité religieuse » (ni aucune revendication) hormis celle que la société alentour leur fait porter, à leur insu, par assimilation ou par projection. S’ils s’engagent dans la société ou en politique, qu’ils le veuillent ou non, ils restent perçus comme « musulmans », même s’ils ne l’affichent pas et n’ont aucune envie d’être définis comme tels.

Dans les 20-25 % de musulmans restants (couvrant celles et ceux qui sont plus régulièrement pratiquants, vont à la mosquée, prient quotidiennement ou une fois par semaine, jeûnent et peuvent parfois s’engager dans des organisations islamiques), le courant réformiste est nettement majoritaire dès les secondes générations. Certains peuvent bien encore tenir des propos traditionalistes, il n’en demeure pas moins que, dans la pratique, la plupart des ‘ulamâ, des leaders et des musulmans ordinaires admettent explicitement, ou en silence, qu’il faut prendre en compte le nouveau contexte européen et réfléchir à des solutions adéquates pour faire face aux nouveaux défis. Il s’agit, pour ces croyants et ces pratiquants, de trouver le moyen d’être fidèles aux principes islamiques tout en faisant face aux réalités mouvantes et nouvelles des sociétés occidentales. Il s’agit ici de revenir aux sources scripturaires, de faire la critique des lectures littéralistes qui agissent par réduction, ou des lectures « culturelles » qui opèrent par projection, et de s’engager dans de nouvelles interprétations à la lumière du contexte nouveau. Certes les principes fondamentaux (‘aqîda) et les pratiques rituelles (‘ibadât) ne changent pas mais il importe de s’engager dans des lectures et des raisonnements critiques (ijtihâd) pour trouver les voies d’une fidélité qui ne soit pas aveugle aux évolutions du temps ni à la diversité des sociétés. Pour les réformistes, la fidélité à la pratique, aux prescriptions et aux interdits est fondamentale, mais il n’existe pas de fidélité sans évolution[1].

Depuis près de vingt-cinq ans, je participe à ce courant qui constitue le courant dominant parmi les musulmans qui revendiquent une appartenance et une sensibilité religieuses associées à une pratique régulière. L’interprétation des Textes, la compréhension du contexte occidental, les discours, les positionnements par rapport aux débats religieux, culturels et de société ont évolué de façon phénoménale sur le temps d’une génération. Les ‘ulamâ et leurs conseils, les intellectuels, les leaders associatifs et jusqu’aux musulmans ordinaires ont opéré une véritable révolution intellectuelle : on ne s’en rend pas toujours compte en Europe, car le temps long du changement de mentalités est invisible au temps immédiat de la couverture médiatique (ou au temps court des enjeux politiques), et pourtant les avancées sont réelles et très positives. Les acquis, comme nous le verrons, sont très importants et porteurs de grandes espérances, même si le processus doit se poursuivre encore pour aller au-delà d’une pensée réformiste se contentant de s’adapter à l’air du temps (mais qui reste incapable de devenir une force de transformation et de contribution à la réflexion intellectuelle, scientifique et éthique dont notre monde a besoin). C’est d’ailleurs en ce sens que j’appelle à une « réforme radicale », plus profonde encore, car elle nous impose de reconsidérer les sources mêmes des fondements du droit et de la jurisprudence islamique (usûl al-fiqh) et non plus seulement les adaptations circonstanciées du droit et de la jurisprudence (fiqh). Il s’agit de se donner les moyens de passer d’une « réforme de l’adaptation » à « une réforme de la transformation » et de la contribution[2].

Il existe néanmoins des courants littéralistes, que l’on appelle « salafî » (et faussement « wahhabites »), et qui ont une approche totalement différente vis-à-vis du contexte occidental. Ils considèrent qu’il faut revenir à la lettre des sources scripturaires (le Coran et la Sunna) et qu’il faut s’éloigner de la société occidentale qui se présente comme « sans religion » et « sans morale ». Les savants et les leaders de ces courants minoritaires ne sont, de loin, pas des esprits superficiels et peu éduqués : le penser serait une erreur profonde de jugement. C’est leur tournure d’esprit, une certaine vision des réalités, qui déterminent chez eux une façon d’interpréter les Textes et le monde : ce qui ressort est toujours – quelque sophistiqué que soit leur esprit – le mode binaire du bien et du mal, de « nous » et d’« eux », des « savants » et des « ignorants », de l’islam et des autres, etc. Cela produit un rapport au réel autant dogmatique que formaliste et détermine une certaine façon d’être musulman aujourd’hui : lecture littéraliste et stricte des Textes, insistance sur le savoir « islamique » qui édifie, par opposition aux autres savoirs « inutiles », isolement vis-à-vis du monde qui se perd et notamment de l’Occident et, très souvent, respect « littéral » et aveugle des autorités islamiques en place, etc. Ces courants existent en Occident et ils sont marginaux, même s’ils sont capables d’attirer (le plus souvent momentanément) des jeunes traversant des crises et pour lesquels leur approche est sécurisante. L’image négative dans les medias, le sentiment de rejet ou la marginalisation sociale ont aussi, parfois, poussé certains jeunes vers ces courants à la fois protecteurs et permettant de construire une image ô combien plus assurée de soi et de son appartenance.

Pour ces courants littéralistes comme d’ailleurs pour les traditionalistes (qui suivent strictement une école de droit ou un mouvement ritualiste, à l’instar des tablîghî), les réformistes vont trop loin et sont parfois « sortis de l’islam ». Les débats et les rejets internes sont continus et souvent passionnés et violents. En Europe comme à l’île Maurice, dans certains pays majoritairement musulmans ou sur le net, j’ai par exemple maintes fois été traité de « kâfir » (négateur, infidèle), de « murtad » (apostat) ou d’imposteur voulant dénaturer et détruire l’islam de l’intérieur. C’est le lot d’un grand nombre de réformistes (ironiquement considérés comme « fondamentalistes » par certains milieux occidentaux et par les « opposants » dont je parlais plus haut). On trouve également d’autres tendances plus sectaires et/ou plus politisées mais elles sont tout à fait marginales, même si certaines de leurs déclarations publiques les mettent en avant sur la scène médiatique. L’illusion d’optique médiatique ne doit pas nous tromper : les groupes ou groupuscules islamiques qui font le plus parler d’eux, qui tiennent les propos les plus incendiaires et les plus violents, représentent la marge de la marge de la communauté musulmane qui, elle, ne se reconnaît pas en eux.

Il faut indiquer la présence importante, discrète et souvent multiforme des cercles sûfî. Certains sont sûfî tout en étant engagés dans des associations islamiques, d’autres suivent strictement les prescriptions islamiques et les exigences de la mystique mais sans s’afficher, d’autres enfin ont un rapport très libre avec l’islam et même avec la tradition sûfî elle-même puisque les pratiques et les règles sont très flexibles, voire simplement inexistantes. Cette dimension de l’islam est importante et les cercles sûfî peuvent jouer des rôles actifs et très contradictoires dans les sociétés européennes (comme d’ailleurs ce fut le cas sous les colonisations ou encore aujourd’hui dans certaines sociétés majoritairement musulmanes) : soit ils se présentent, sur le plan interne, en gardiens rigoureux de la substance spirituelle du message islamique, soit ils se contentent de revendiquer leur autonomie vis-à-vis des autorités, soit, au contraire, ils sont instrumentalisés (volontairement ou non) par les pouvoirs afin de présenter une certaine image de l’« autre » islam « modéré », « libre » ou même « sécularisé ». Ce qui, en soi, ne veut strictement rien dire.

[1]. Sur le plan de la terminologie plus savante et plus spécialisée, ce réformisme se définit comme « salafî » au sens où ses promoteurs veulent revenir à la fidélité des premières générations de musulmans (les salaf) en retrouvant l’énergie, la créativité et l’audace des premiers savants qui n’hésitaient pas à proposer de nouvelles approches vis-à-vis des nouveaux contextes. Cela n’a rien à voir avec les courants « salafî » littéralistes qui utilisent la même référence aux « salaf » mais pour revenir à des interprétations littérales et figées du passé. Les premiers conçoivent la fidélité dans le mouvement (puisque les temps et les sociétés changent) alors que les seconds la conçoivent en figeant le Texte au-delà des époques et des environnements.

[2]. C’est l’objet de mon prochain ouvrage : La Réforme radicale, Éthique islamique et libération qui traite de cette évolution impérative de l’intelligence musulmane contemporaine.



Source: Tariq Ramadan
http://tariqramadan.com/...

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