Actualité
Ces Musulmans qui ne comptent pas
Serge Grossvak
Jeudi 21 juillet 2016
Tous, tôt ou tard, nous affrontons ces
terribles moments que la vie vous
réserve. Un proche, un aimé dont le
corps se déchire et crie douleur. Et
vous n'avez que vos impuissants pleurs à
offrir. Impuissants et souffrants.
L'abime.
Dépassé et impuissant, traversant la
nuit noire, vous avez été aux « urgences
», à l'Hôpital, avec votre proche et vos
larmes. Des visages dont vous ignoriez
tout vous accueillent, d'abord
mécaniquement puis toute leur humanité
déborde au-delà des gestes
professionnels. Les petits mots, les
gestes sur la main. Il y a l'infirmière
(ou aide-soignante, ou médecin ?) qui
vient dire un mot gentil dans
l'ambulance du SAMU du transfère,
l'équipe du SAMU qui parvient même à
arracher une plaisanterie apaisante, le
chauffeur qui s'excuse d'avoir « trop
secoué », l'infirmière aux mots doux
malgré l'attention aux gestes
professionnels, le chirurgien qui
sacrifie son dimanche puis sa nuit, les
aides-soignantes si proches, si
humaines, pour ne pas faire ressentir
l'avilissement de l'infirmité où le
malade est jeté... Et j'en oublie, et
j'en oublie !
Parmi toutes ces belles personnes
figurent quelques Karima, quelques
Mourad, au milieu des Elodie (salut
Elodie, la championne du suppositoire),
au milieu des Arthur. Des prénoms
Musulmans, des Musulmans qui ne comptent
pas. Pourquoi compter les Musulmans ou
supposés Musulmans lorsque c'est tout un
hôpital public qui vit pour la vie ?
Inutile décompte, surtout en laïcité.
Mais lorsqu’un assassin devient musulman
en une semaine et que les médias ne
diffusent que cet aspect artificiel,
alors il faut ouvrir les yeux. Lorsque
la peur est diffusée en tombereau et que
l'horreur est désignée musulmane, alors
il faut penser au réel de notre
existence. Dans ce réel, combien y
a-t-il eut de ces Musulmans qui, sans
vous connaître, vous ont apporté de
cette humanité face au désespoir ?
Combien ont été présents ? Impossible de
préciser le nombre parce que jamais nous
n'avons pensé à compter. Simplement nous
savons qu'ils étaient infiniment plus
nombreux que ces quelques redoutables
fous de mort.
« Nous voici dans une nouvelle époque »
nous serine notre ignoble premier
Ministre, au bonheur de notre droite et
extrême droite. Pas de recettes
proposées pour sortir de cette époque
sanglante. Si nous regardions un peu
moins en Musulmans ces jeunes paumés
horribles meurtriers et d'avantage en
symptômes d'un processus dont nous avons
allumé le feu. Si nous nous servions des
meilleurs pages de l'histoire Européenne
et abandonnions au passé les réflexes
les plus sordides, alors nous aurions
une chance d'échapper à cette époque
annoncée de grandes douleurs.
Pour ne pas me laisser empoisonner par
l'insidieux venin islamophobe qui se
déverse, j'ai regardé ces êtres qui ont
traversé ma vie en ces moments où
j’avais tant besoin de cette humanité.
Avec reproche, des soutiens Israéliens
me faisaient remarquer mon silence à
l'égard du drame Niçois. Oui, un
silence. Il est des moments où il est
dur d'écrire. Curieusement, voici que
c'est la seconde fois que ma vie est
happée par l'hôpital et c'est également
la seconde fois que cela est concomitant
d'un attentat. De là à soupçonner une
complicité.
Serge Grossvak
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