Palestine
Israël n'a aucun droit de se défendre
contre Gaza
Norman Finkelstein
Lior
Mizrahi / Getty Images
Jeudi 16 août 2018 Par Norman
Finkelstein & Jamie Stern-Weiner
Selon le droit international, tout
type de recours à la force à Gaza est
interdit à Israël, quelles que soient
les circonstances.
Source :
http://normanfinkelstein.com/2018/07/28/israel-has-no-right-to-self-defense-against-gaza/
Traduction :
http://sayed7asan.blogspot.com
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Depuis le 30 mars
2018, date à laquelle
les manifestations largement non
violentes à Gaza ont commencé, la
communauté internationale a fermement
condamné les attaques armées
israéliennes.
Une
résolution de l'Assemblée générale des
Nations Unies a « déploré tout
recours à la force excessif,
disproportionné et indiscriminé par les
forces israéliennes contre des civils
Palestiniens », tandis que le Conseil
des droits de l'homme des Nations Unies
dénonçait «
l'usage disproportionné et indiscriminé
de la force ». Après que des snipers
israéliens aient tué Razan al-Najjar,
une ambulancière palestinienne non armée
âgée de vingt-et-un ans, le coordinateur
spécial des Nations unies pour le
processus de paix au Moyen-Orient a
averti Israël qu'il « devait
calibrer son utilisation de la force ».
Dans un rapport accablant,
Human Rights Watch a conclu
que « le recours répété par les forces
israéliennes à la force létale dans la
bande de Gaza... contre des manifestants
qui ne représentaient aucune menace
imminente pour la vie peut constituer
des crimes de guerre ».
Bien que ces condamnations soient les
bienvenues, la question reste néanmoins
de savoir si elles vont assez loin. En
termes simples, est-ce qu'Israël a le
droit de recourir à la force, de quelque
manière que ce soit et quelles que
soient les circonstances, contre la
population de Gaza ?
Le débat juridique en cours porte sur
deux questions interdépendantes :
-
Les snipers israéliens ont-ils
recouru à une force « excessive » ou
« disproportionnée » contre les
manifestants (comme l’affirment les
critiques), ou la quantité de force
déployée était-elle nécessaire pour
empêcher les manifestants de
franchir la clôture (comme Israël le
prétend) ?
- La conduite d'Israël à l'égard des
manifestations à Gaza est-elle régie
par les lois relatives aux droits de
l'homme (comme le prétendent les
critiques) ou par le droit
international humanitaire (comme
Israël le prétend) ? Le droit
international humanitaire s’applique
dans les situations de conflit armé,
tandis que les lois relatives aux
droits de l’homme régissent
l’application des lois nationales.
La différence est importante, car
les lois relatives aux droits de
l’homme imposent des contraintes
plus strictes à l’emploi de la
force.
Dans ces deux
controverses, toutes les parties partent
d’une prémisse commune : Israël a le
droit de recourir à la force pour
empêcher les habitants de Gaza de
franchir la clôture. Le différend se
résume à cette question : quelle
quantité de force est légitime ? Les
critiques qui allèguent une force «
disproportionnée » ou « excessive »
légitiment tacitement le recours par
Israël à une force « proportionnée » ou
« modérée », tandis que ceux qui
insistent sur l'applicabilité des lois
relatives aux droits de l'homme
considèrent que le recours à la force
par Israël est légitime en cas de «
menace imminente » à la vie d'un sniper.
Cette présomption existe même au pôle le
plus critique du débat sur Gaza. Le
groupe israélien de défense des droits
de l'homme
B'Tselem a condamné comme «
illégal » le recours à la force létale
par Israël contre des personnes non
armées qui « s'approchaient de la
clôture, l'endommageaient ou tentaient
de la franchir ». Mais il a concédé «
[qu'] évidemment, l'armée a le droit
d'empêcher de telles actions, et même de
détenir les individus qui tentent de les
mener à bien ». Un haut responsable de
Human Rights Watch a déclaré
que le recours par Israël aux balles
réelles à Gaza était « illégal ». Mais
il a suggéré que « le recours à des
moyens non létaux tels que le gaz
lacrymogène, le skunk [liquide
chimique pestilentiel] et les billes
d'acier revêtues de caoutchouc » serait
considéré légal. Le
Comité international de la Croix-Rouge
a averti Israël que « la force létale ne
devait être utilisée qu'en dernier
recours et lorsqu'elle est
impérieusement requise pour protéger la
vie [d'Israéliens] ». Même les
principales organisations palestiniennes
de défense des droits de l'homme ont
qualifié l'usage de la force par Israël
d' «
excessif », d' «
indiscriminé » et de «
disproportionné » plutôt que
d'intrinsèquement illégal.
Mais le fait est qu'Israël ne peut
légitimement revendiquer aucun droit de
recourir à la force de quelque manière
que ce soit à Gaza, que cet usage de la
force soit modéré ou excessif,
proportionné ou disproportionné, que les
manifestants soient armés ou désarmés,
qu'ils constituent une menace imminente
pour la vie ou pas. Si ce fait n'est pas
de notoriété publique, c'est parce que
le débat actuel ne tient pas compte de
réserves décisives du droit
international et des abrégés de la
situation spécifique à Gaza.
Ce que dit le droit international
Pour justifier son usage de la force à
Gaza, Israël revendique le droit
d'empêcher toute intrusion étrangère sur
son territoire souverain. Un
commentateur juridique israélien
observe que cette préoccupation
déclarée pour le caractère sacré de la «
frontière » de Gaza est sélective et
opportuniste. Israël envahit Gaza à
volonté ; ce n'est que lorsque les
Palestiniens cherchent à traverser la
clôture dans l'autre sens que celle-ci
devient sacro-sainte. Cette hypocrisie
mise à part, le prétendu droit à la
légitime défense d’Israël n’a toujours
aucun fondement juridique. Au contraire,
le recours à la force par Israël est
contraire au droit international.
Les Palestiniens de Cisjordanie —y
compris Jérusalem-Est— et de Gaza
luttent pour obtenir leur «
droit à l'autodétermination », qui a
été reconnu et validé sur le plan
international (Cour internationale de
justice). Comme le souligne James
Crawford, éminent juriste, le droit
international interdit le recours à la
force militaire « par une puissance
administrante pour réprimer
l’insurrection populaire généralisée
dans une unité d’autodétermination »,
tandis que « le recours à la force par
une entité non-étatique dans l'exercice
d'un droit à l'autodétermination est
juridiquement neutre, c'est-à-dire qu'il
n'est aucunement réglementé par le droit
international. »
Les manifestants à Gaza ont choisi de
recourir à la non-violence pour obtenir
leurs droits internationalement reconnus
—une tactique que, bien sûr, le droit
international n’interdit pas non plus.
Mais cette décision prudente n'est pas
une exigence légale. Même si les
habitants de Gaza décidaient d’utiliser
des armes contre les snipers israéliens
qui entravent leur droit à
l’autodétermination, le recours à la
force militaire par Israël serait
toujours légalement interdit.
La répartition des droits et des devoirs
dans le discours occidental
conventionnel —qui accorde de fait à
Israël le droit d’utiliser la force
violente pour se défendre contre les
habitants de Gaza, alors qu’elle les
oblige à mener leur lutte pour
l'autodétermination de manière
non-violente— bouleverse le droit
international.
On pourrait objecter que dans la mesure
où Israël est un occupant belligérant à
Gaza, il a le droit, en vertu de la
quatrième Convention de Genève de 1949,
d’utiliser la force pour maintenir
l’ordre public. Mais cette objection
n'est pas recevable pour trois raisons.
Premièrement, la quatrième Convention de
Genève oblige un occupant belligérant à
subvenir aux besoins et à assurer le
bien-être de la population occupée. En
effet, la « Protection des civils en
temps de guerre » est la raison d'être
de cette Convention. Israël, cependant,
a soumis la population civile de Gaza à
un siège prolongé qui constitue une «
punition collective » illégale selon
le Comité international de la
Croix-Rouge, et qui a rendu Gaza
physiquement «
invivable » selon l'ONU. La
quatrième Convention de Genève ne
garantit pas le droit d’Israël à
préserver l’ordre à Gaza alors même
qu’il viole de manière flagrante son
obligation complémentaire de protéger le
bien-être de la population civile de
Gaza. De fait, les troubles qu'Israël
prétend avoir le droit de réprimer
découle directement du blocus criminel
qu'il a imposé.
Deuxièmement, même si Israël est
qualifié d'occupant belligérant à Gaza,
le droit d'un peuple à
l'autodétermination est une norme
impérative (jus cogens) du droit
international, à laquelle aucune
dérogation n'est possible. Si, comme
c'est ici le cas, le droit de
l'occupation belligérante empiète sur le
droit à l'autodétermination, le droit de
Gaza à l'autodétermination l'emporte sur
le droit d'Israël de maintenir l'ordre ;
et si, comme c'est ici le cas, la lutte
pour l'autodétermination est menée de
manière non-violente, alors le prétendu
droit d'Israël d'utiliser la force armée
pour maintenir l'ordre est manifestement
infondé.
Troisièmement, de fait, l'occupation de
Gaza par Israël est désormais illégale,
et Israël a par conséquent renoncé à ses
droits d'occupant belligérant. La Cour
internationale de Justice a
statué en 1971 que puisque l’Afrique
du Sud avait refusé de mener des
négociations de bonne foi pour mettre
fin à son occupation de la Namibie,
cette occupation était devenue illégale.
Le refus d’Israël, depuis plus d’un
demi-siècle, de mener des négociations
de bonne foi sur la base du droit
international pour se retirer de la
Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et
de Gaza, a également eu pour effet de
délégitimer son occupation.
Il y a également une autre dimension
juridique primordiale qui a été ignorée.
C’est un principe fondamental du droit
international qu’aucun État ne peut
recourir à des mesures violentes avant
d'avoir épuisé tous les « moyens
pacifiques » (Charte
des Nations Unies, article 2). Ce
principe est aussi sacré pour la
primauté du droit que le serment
d'Hippocrate analogue, primum non
nocere (avant tout, ne pas nuire),
l'est pour la médecine. L’élan derrière
les manifestations à la clôture de Gaza
est le siège illégal d’Israël, et leur
objectif est d’y mettre fin. Même le
Premier ministre israélien, Benjamin
Netanyahou, a
concédé : « Ils étouffent
économiquement, et par conséquent, ils
ont décidé de foncer sur la clôture ».
Si Israël veut protéger ses frontières,
il n’a pas besoin de recourir à la
coercition létale ou non-létale. Il lui
suffit simplement de lever le siège.
L'équipe de choc du Président Donald
Trump pour le Moyen-Orient —son
beau-fils Jared Kushner, l'ancien avocat
en droit de la faillite David Friedman,
l'ancien conseiller juridique de
l'Organisation Trump Jason Greenblatt,
et l'ancien gouverneur de Caroline du
Sud Nikki Haley—
allèguent, au contraire, que c'est
le Hamas qui « maintient les
Palestiniens de Gaza en captivité » et
est « le premier responsable… de la
perpétuation des souffrances du peuple
de Gaza ». Mais s'ils sont tombés dans
le terrier d'Alice (au pays des
merveilles, dans un monde complètement
absurde), nous ne sommes pas tenus de
les y suivre. « Israël, en tant que
puissance occupante », a
statué le Bureau des Nations Unies
pour la coordination des affaires
humanitaires (l'autorité en la matière),
« doit lever le blocus qui viole... la
quatrième Convention de Genève
interdisant les sanctions collectives et
empêche la réalisation d'un large
éventail de droits de l'homme. »
De plus, le Hamas a constamment offert à
Israël
une trêve de longue durée (hudna)
en échange de la fin du siège, et il a
réitéré cette proposition tout au long
des manifestations actuelles. Le 7 mai,
une semaine avant qu'Israël
tue plus de soixante manifestants à
Gaza, Haaretz a
rapporté que « les dirigeants du
Hamas » avaient « transmis à Israël des
messages indiquant leur volonté de
négocier un cessez-le-feu de longue
durée » en échange de, entre autres
choses, « l'assouplissement du siège ».
« Le Hamas continue de transmettre des
messages aux autorités (civiles et
militaires israéliennes) chargées de la
défense selon lesquels il est toujours
intéressé par une « hudna », a
révélé un correspondant militaire
israélien chevronné quelques jours plus
tard. « Le Hamas lui-même a transmis
l’année dernière à Israël différentes
versions d’une hudna restreinte
ou élargie, qui comprend non seulement
Gaza mais aussi la Cisjordanie ».
L’armée israélienne a
pris au sérieux ces offres de
cessez-le-feu : « Le Hamas, selon les
services de renseignement, est prêt à
parvenir à un accord ». En effet, un
officier supérieur a
vivement insisté sur le fait que
c'était « le moment de parvenir à un
accord avec le Hamas », exhortant le
gouvernement israélien à saisir cette
occasion afin de prévenir « d'autres
escalades armées ». Mais les autorités
israéliennes n'étaient
pas intéressées : « Les exigences et
les conditions du Hamas n'ont jamais été
discutées, car Israël refuse de parler
au Hamas ». Le rejet par Israël de cette
étape préliminaire pacifique constitue
une double violation du droit
international : l'imposition d'un blocus
illégal et le recours illicite à la
force armée lorsque les moyens
pacifiques n'ont pas été épuisés.
Un droit d'empoisonner les enfants ?
Un des principes du droit est qu’aucun
droit ne peut découler d’actes illégaux
(ex injuria non oritur jus), et
il est évident que le droit à la
légitime défense n’existe pas dans
toutes les situations. Un violeur ne
peut prétendre à la légitime défense si
la victime le martèle de coups de poing.
Un propriétaire de théâtre n'a pas le
droit de se défendre si les spectateurs
s'en prennent à lui après qu'il ait mis
le feu à l'édifice et les empêche de
fuir. Le comportement d’Israël vis-à-vis
de Gaza entre dans cette catégorie
d’actes qui rendent nul et non avenu le
droit à la légitime défense. S'il en
était autrement, cela équivaudrait à
valider le droit d'utiliser la force
militaire pour maintenir une occupation
illégale aggravée par un siège illégal.
S'il est malgré tout largement admis
qu'Israël a le droit de recourir à la
force pour empêcher les Gazaouis de
violer sa « clôture frontalière », c'est
parce que de savantes arguties sur les
considérations d'ordre technique du
droit ont occulté les enjeux
humanitaires de la situation.
Qu'est-ce qu'est Gaza ?
L'étroite bande côtière compte parmi les
zones les plus densément peuplées de la
planète. Plus de 70% de ses deux
millions d'habitants sont des réfugiés,
tandis que plus de la moitié —un
million— sont des enfants de moins de
dix-huit ans. Pendant plus de dix ans,
Israël a imposé à ce morceau de
territoire un siège dévastateur.
Cinquante pour cent de la main-d'œuvre
de Gaza est maintenant au chômage, 80%
dépend de l'aide alimentaire
internationale et 96% de l'eau du
robinet est contaminée.
Au début du mois de juillet, Israël a
resserré davantage ses restrictions
sur les marchandises autorisées à entrer
à Gaza et a complètement interdit les
exportations ; et par la suite, il a
bloqué l'entrée de carburant, provoquant
une urgence médicale, car des hôpitaux
déjà débordés ont dû fermer. Selon
l’organisation israélienne de défense
des droits de l’homme
Gisha, cette « mesure
radicale de punition collective »
constituait un retour aux « périodes les
plus difficiles du siège » et équivalait
à « une guerre économique ouverte contre
la population civile de Gaza ». Cela a
été suivi mi-juillet par des attaques
aériennes sur des dizaines de cibles à
Gaza.
Israël a
justifié le siège renforcé et les
attaques aériennes en réaction aux
cerfs-volants enflammés envoyés
au-dessus du périmètre de la clôture par
des manifestants de Gaza. Mais ces
soi-disant «
cerfs-volants terroristes » ont
causé des destructions
estimées au total à 2 millions de
dollars et,
selon des sources militaires
israéliennes, « ne constituent pas
une menace immédiate ou sérieuse ».
Comme l'a sobrement
rapporté un correspondant militaire
israélien, « les dégâts psychologiques
causés par les incendies le long de la
frontière sont pires que les dégâts
réels ». « Toutes ces jérémiades à
propos des cerfs-volants me rendent fou
»,
râla un officier israélien de haut
rang pour éluder la question des
cerfs-volants. « C'est aussi tout le
contraire de ce que vous entendez de la
plupart des gens qui vivent ici... Les
gens disent ouvertement : nous aimons
cet endroit, nous voulons vivre ici
malgré les incendies. »
« Nous ne sommes pas des terroristes »,
a
plaidé un lanceur de cerfs-volants
de l’autre côté de la clôture. « Nous
sommes une génération sans espoir et
sans horizon qui vit sous un siège
suffocant, et c'est ce message que nous
essayons d'envoyer au monde. En Israël,
ils pleurent sur les champs et les
forêts qui ont brûlé. Mais qu'en est-il
de nous, qui mourons tous les jours ? »
« Les activistes du cerf-volant,
principalement des adolescents, ont juré
de «
continuer... jusqu'à... ce que les
exigences du peuple palestinien de lever
le blocus » soient satisfaites.
À la fin du mois de juillet, un
retour partiel au statu quo ante a
été rétabli, Israël permettant à un
filet de marchandises d'entrer dans Gaza
tandis que le Hamas serrait la bride des
cerfs-volants. Mais il y a de fortes
chances que les événements récents se
reproduisent —manifestations non
violentes à Gaza, provocations
israéliennes violentes, riposte du
Hamas, siège renforcé—, culminant dans
un autre assaut militaire israélien qui
sera, d'après les menaces du ministre
israélien de la Défense Avigdor
Lieberman, «
plus douloureux que l'opération Bordure
protectrice. »
Si et au moment où la nouvelle
conflagration arrive(ra), et qu'Israël
proclame qu'il ne fait que défendre sa
frontière, la riposte rhétoriquement
correcte sera que la barrière séparant
Gaza d'Israël n'est pas plus une «
frontière » que Gaza n'est un État. Le
professeur distingué de l’université
hébraïque, Baruch Kimmerling, a qualifié
Gaza de « camp de concentration »,
tandis que l’ancien Premier ministre
britannique, David Cameron, l’a désignée
comme une «
prison à ciel ouvert ». L'équipe
éditoriale d'Haaretz l'a appelé
un «
ghetto », le journal The
Economist une «
déchetterie humaine » et le Comité
international de la Croix-Rouge un «
navire en perdition ». Gaza est ce
que le responsable en chef des droits de
l’homme de l’ONU a appelé un «
bidonville toxique » dans lequel
toute une population civile est «
enfermée de leur naissance jusqu'à leur
mort ».
Est-ce qu'Israël a le droit d'utiliser
la force pour incarcérer le million
d'enfants de Gaza dans un « ghetto » ou
un « bidonville toxique » ? Les
habitants de Gaza n'ont-ils pas le droit
de s'évader d'un « camp de concentration
» ?
Aujourd'hui, trouve-t-on des gens qui
débattent pour savoir si l’Allemagne
nazie a utilisé ou non une force «
excessive » et « disproportionnée » pour
réprimer le soulèvement du Ghetto de
Varsovie ? Qui se demande maintenant si
l'Allemagne nazie avait un « droit à la
légitime défense » contre l'Organisation
juive de combat —qui a résisté les armes
à la main ? De telles questions
sont-elles seulement concevables ?
On pourrait objecter que Gaza n'est pas
le Ghetto de Varsovie. Mais comme l'a
remarqué un journaliste israélien
qui a servi à Gaza lors de la première
Intifada, « le problème ne réside pas
dans la similitude... mais dans le fait
qu'il n'y ait pas assez de manque de
similitude ». L'Organisation mondiale de
la santé a
déclaré que « plus d'un million de
personnes dans la bande de Gaza risquent
de contracter des maladies hydriques »,
tandis qu'un expert israélien prédit que
Gaza sera bientôt envahie par des
épidémies de typhus et de choléra
comme celles qui ont décimé les Juifs
dans le Ghetto de Varsovie.
L’objectif principal du droit
international humanitaire est de
protéger les civils des ravages de la
guerre. L’objectif principal du droit
international relatif aux droits de
l’homme est de protéger la dignité des
personnes. Comment l'un ou l'autre de
ces corps de lois pourrait-il donc être
utilisé pour justifier un recours à la
force —quel qu'elle soit— conçu pour
piéger des civils dans un enfer dans
lequel ils sont avilis, tourmentés et
tués ?
Si, à titre spéculatif, on reconnaissait
à Israël le droit légal d'utiliser la
force pour empêcher les habitants de
Gaza d'échapper à leur « prison », cela
exposerait simplement la profonde
inadéquation de la loi.
Dans son opinion dissidente sur l’avis
consultatif de la Cour internationale de
Justice (CIJ) de 1996 sur la légalité de
la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, le juge Weeramantry a relevé
l’ironie suivante : la CIJ condamne le
recours aux balles « dum-dum » (éclatant
à l'impact pour maximiser les dégâts
sans tuer), mais rechigne à condamner
l'utilisation d'armes nucléaires. « Il
semblerait étrange, écrit-il, que
l'expansion dans le corps d'un seul
soldat d'une seule balle soit une
cruauté excessive que le droit
international ne peut tolérer depuis
1899, mais que l'incinération en une
seconde de cent mille civils ne le soit
pas ». Le juge Weeramantry a ensuite
fait remarquer :
« Chaque branche
de la connaissance tire bénéfice d'un
processus consistant à prendre de temps
en temps du recul vis-a-vis d'elle-même
et à se scruter objectivement pour
détecter les anomalies et les
absurdités. Si une anomalie ou une
absurdité flagrante devient apparente
mais n'est pas remise en question, cette
discipline risque d’être perçue comme
*se noyant* dans ses propres
considérations techniques. »
L’idée qu’Israël
aurait le droit d’enfermer de force un
million d’enfants dans un espace
invivable est une absurdité, et les
avocats qui se demandent si Israël a
utilisé ou non une force « excessive »
pour empêcher les Gazaouis de fuir leur
ghetto *se noient* dans leurs
considérations techniques.
« Des êtres humains innocents, pour la
plupart des jeunes », a observé Sara
Roy, du Centre d'études sur le
Moyen-Orient de l'Université de Harvard,
« sont en train d'être lentement
empoisonnés par l'eau qu'ils boivent et
probablement par le sol dans lequel ils
plantent ».
La seule question moralement saine posée
par la situation à Gaza est la suivante
: Israël a-t-il le droit, au nom de
la « légitime défense », d'empoisonner
un million d'enfants ?
Il est consternant que cette simple
question n’ait pas seulement été
contournée, mais ne soit même pas
visible dans le débat actuel.
Norman G. Finkelstein est l'auteur de
nombreux ouvrages sur le conflit
israélo-palestinien. Son dernier livre
s'intitule Gaza : enquête sur son
martyre.
Jamie Stern-Weiner est le rédacteur en
chef de Moment de vérité : Les
questions les plus difficiles sur Israël
et la Palestine.
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