LE CRI DES PEUPLES
Assassinat de Soleimani : le ‘Che
Guevara musulman’
est mort, mais son
combat continue
Ramin Mazaheri
Mercredi 8 janvier 2020 Par Ramin
Mazaheri, correspondant en France de la
chaîne iranienne Press TV
Source :
Press TV
Traduction :
lecridespeuples.fr
« Un peuple sans
haine ne peut pas triompher d’un ennemi
féroce. » Che Guevara
L’assassinat sur le
sol irakien de Qassem Soleimani, héros
national iranien, va produire beaucoup
de choses, et le ressentiment et la
haine pour Washington partout dans monde
en sont déjà une conséquence manifeste.
Partout dans le
monde, l’évaluation est la même :
Washington a commis un acte de guerre.
Dans sa soif sanguinaire de renverser la
Révolution populaire et démocratique de
l’Iran – afin de continuer à nourrir son
insatiable cupidité néo-impériale –,
Washington a soumis le monde à un
électrochoc pour lui rappeler son
immoralité féroce : on se souvient de la
douleur de l’aiguille du médecin avec
plus de clarté que de la douleur d’une
longue semaine de maladie, après tout.
Cet acte lâche,
illégal et inhumain – qui vise si
explicitement à ne profiter qu’à l’élite
américaine et non à l’Américain moyen –
aura tellement de ramifications que nous
devrions prendre le temps d’évaluer
historiquement le véritable héritage de
Soleimani : il est le Che Guevara
musulman.
Il n’est pas
simplement le « Che Guevara iranien »
car cela n’aurait aucun sens au regard
des idéaux du Che : tout comme
l’Argentin, Soleimani a passé de
nombreuses années de sa vie à combattre
l’impérialisme américain dans de
nombreux pays, et il est finalement
décédé dans une terre étrangère du fait
de sa croyance absolue en la réalité de
la fraternité internationale.
Limiter l’héritage
de Soleimani en le présentant comme le «
Che Guevara iranien » n’a également
aucun sens étant donné les idéaux de la
Révolution iranienne : la mort de
Soleimani rappelle au monde que l’Iran –
apparemment seul dans la lutte
anti-impérialiste en 2019 – dépense sans
compter son temps, son argent, son sang,
son amour et les vies de ses
ressortissants pour aider des
non-Iraniens (et des non-chiites), du
fait d’un sentiment progressiste
d’internationalisme politique.
Che Guevara a été
assassiné en octobre 1967 en Bolivie. Le
groupe avec lequel le Che a été capturé
était international, comprenant des
Péruviens, des Argentins, des Cubains,
des Boliviens et même deux Européens.
Sans la présence de Soleimani en Irak et
en Syrie – et celle de l’Etat iranien
derrière eux, de même que le Che était
pleinement soutenu par Cuba –, ces deux
pays seraient aujourd’hui sous
domination impérialiste totale, et ce
serait probablement aussi le cas du
Liban.
La Révolution
iranienne a une portée et une envergure
tout aussi internationales que la
Révolution cubaine que le Che a
contribué à créer et à défendre. Les
détracteurs de l’Iran prétendent qu’il
veut convertir chaque musulman au
chiisme et imposer les lois iraniennes
au monde entier… mais ce ne sont que des
balivernes. Ce dont on l’accuse est
plutôt le but orgueilleux de l’Occident
impérialiste, car le but progressiste de
l’Iran n’est pas le contrôle mais la
libération des masses et leur
émancipation.
Peu d’Occidentaux
semblent se rendre compte que la
principale motivation du Che – qui est
peut-être l’exemple même de
l’internationaliste – était, sans aucun
doute, le nationalisme latino-américain
: son rêve était le même que celui de
Bolivar (et de Marti à Cuba, et d’autres
au Chili, au Nicaragua, etc.). Pour ceux
qui voient la lutte anti-impérialiste
avec une précision historique, il y a
ici un parallèle évident avec le «
nationalisme musulman » de Soleimani et
de l’Iran.
Seuls les laïcards,
les iranophobes et les islamophobes
pédants resteront aveugles à ce fait.
Des milliards de
personnes se moquent bien de savoir que
ces gens-là resteront aveugles : tout
comme Soleimani, le Che a été désavoué
par les principaux gauchistes et
révolutionnaires de son époque – l’URSS
détestait le Che et sa résistance
audacieuse à Washington, ce dont peu se
souviennent. (Comme l’Iran aujourd’hui,
le Che appréciait le point de vue
chinois.) Moscou a insisté – à sa
manière tout à fait européenne – sur le
fait qu’eux seuls devaient diriger et
élaborer une stratégie de lutte contre
l’impérialisme occidental. En bref :
maintenant que l’URSS avait été libérée
de l’impérialisme étranger, plus
personne n’avait besoin de prendre les
armes. Bien sûr, au moment de la mort du
Che, l’URSS n’était plus dirigée par le
héros antifasciste que le Che appelait
affectueusement « Papa Staline » :
Khrouchtchev, Brejnev et enfin
Gorbatchev deviendraient décadents,
corrompus, voire renonceraient au
soutien soviétique à l’anti-impérialiste
international et à ses luttes, et
feraient finalement délibérément
imploser l’URSS par le haut et contre la
volonté démocratique écrasante du peuple
soviétique.
Je demande aux
gauchistes occidentaux – ou ailleurs
dans le monde – qui ne voient pas
clairement : pourquoi les Yankees
ont-ils également tué Soleimani ?
Pensent-ils toujours qu’il était, pour
utiliser un terme populaire aux
États-Unis vers 2003 (et toujours en
vogue en France aujourd’hui), un «
islamo-fasciste » ? Washington est
certainement fasciste, mais ils ne sont
pas islamophobes au point de tuer
Soleimani de cette manière simplement
parce qu’il serait musulman. J’espère
que ces gauchistes obtus continueront
d’essayer de comprendre le monde qui les
entoure – un jour, ils y parviendront.
Le Che a été
assassiné parce que son objectif
explicite était de créer « plusieurs
Vietnams ». De nombreuses rues seront
certainement baptisées du nom de
Soleimani en Syrie, en Irak et même en
Palestine (si l’Iran pouvait obtenir de
l’aide des nations arabes !…). Ismaïl
Haniyeh, le dirigeant du Hamas, l’a
appelé « le martyr d’Al-Quds »
(Jérusalem). Soleimani a sans aucun
doute mené ses actions avec un grand
succès.
Mais l’invasion,
les sanctions, la ré-invasion et
l’occupation de l’Irak n’ont jamais
motivé le public occidental à s’indigner
comme il l’avait fait pour le Vietnam.
Pourquoi ? L’islamophobie, peut-être.
L’injustice envers les Irakiens a
cependant motivé des Iraniens comme
Soleimani.
Le Che a-t-il
triomphé ? Il a échoué en Bolivie et au
Congo, mais Cuba reste le « premier pays
libre des Amériques », et beaucoup
diraient à juste titre le seul. Moins
appréciée est la façon dont Cuba a
combattu aux côtés de l’Angola non latin
– qui a eu le malheur d’être colonisé
par l’impérialiste occidental le plus
arriéré (le Portugal) – et cela a
directement conduit à la fin de
l’Apartheid en Afrique du Sud. L’action
du Che a sans aucun doute porté ses
fruits, post-mortem.
En Occident, le Che
n’est qu’un moyen efficace de gagner de
l’argent – son visage vend tous les
types de marchandises – mais l’idée
qu’on se souviendrait de ses idées,
qu’elles seraient comprises voire
enseignées (LOL) est risible. Car en
Occident, le Che symbolise simplement la
romance, et pas la révolution, la
politique ou la morale.
Et c’est là qu’il
faut replacer Soleimani dans son
contexte historique.
Si l’attachement
des Iraniens à préserver leur Révolution
n’était que romantisme et pose, en lieu
et place d’une disposition au sacrifice
de soi nécessaire, entrepris même sans
espoir de récompense terrestre (et en
fait plus susceptible de produire tout
le contraire), afin d’éviter que la
férocité et la haine yankee ruinent la
vie de dizaines de millions d’Iraniens,
alors Révolution iranienne ne durerait
pas. Les Révolutions tombent souvent :
demandez aux Français. Ils la célèbrent
toujours chaque année en commémorant la
prise de la Bastille, mais c’est
seulement de la romance et de la pose.
[A moins que ce ne soit dû au fait que
cette Révolution était essentiellement
bourgeoise, et non populaire, en dehors
de l’intermède Robespierre.]
Que tous les
non-Iraniens qui pensent que la
Révolution iranienne n’est pas
nécessaire à l’échelle mondiale, et
surtout régionale, aillent de toute
urgence demander à un Irakien, un
Syrien, un Libanais, un Palestinien ou
un Yéménite s’ils sont d’accord avec
eux. D’autres pays seront inclus un
jour, et je pense d’abord aux zones qui
sont si vitales pour la culture
islamique, comme l’Égypte, l’Algérie et
l’Arabie. Un jour, les fils et les
filles du Che et de Soleimani s’uniront
dans des pays qui ne sont ni musulmans,
ni latins, avec la grâce de Dieu.
Pour ceux qui
pensent que Soleimani sera le dernier à
être atrocement assassiné, il est
nécessaire de rappeler que la mort du
Che n’était que la première – Sukarno,
Nkrumah, Ben Bella, Martin Luther King
et Robert Kennedy ont rapidement suivi.
Cependant, nous ne
devons pas oublier qu’ils ont été
précédés au niveau national par Malcolm
X et John Kennedy ; l’assassinat n’est
pas du tout une nouvelle politique pour
les États-Unis, et nous ne devons pas
imaginer que ce serait soudainement
devenu le cas. Le but de tels
assassinats est clair : décourager les
futurs révolutionnaires, mais aussi
porter un coup d’arrêt aux mouvements
anti-impérialistes en cours.
Cependant, je ne
crains pas une seconde la chute de la
Révolution iranienne du fait de la
disparition de Soleimani, et je le dis
avec révérence pour son sacrifice et ses
réalisations : l’idée qu’une Révolution
populaire puisse (ou doivet) reposer sur
un seul homme… ce ne serait pas une
Révolution, ni un mouvement populaire,
mais l’idolâtrie du
capitalisme-impérialisme occidental. Ce
serait Macron, Cecil Rhodes, Louis XIV,
Churchill et, bien sûr, Trump, et en
aucun cas une véritable Révolution. Une
culture révolutionnaire réussie produit
un système qui est capable de produire
des dirigeants moraux et capables encore
et encore jusqu’à ce que la Révolution
soit vraiment indéracinable – les
Iraniens ont plus de 40 ans de
Révolution réussie sur lesquelles ils
peuvent fonder leur foi en l’avenir de
manière justifiée, même en ces tristes
jours.
Trump a commis un
acte de guerre, mais une vengeance trop
hâtive serait presque certainement
préjudiciable aux nombreuses causes
justes pour lesquelles Soleimani et
d’autres ont tant sacrifiées. Soleimani
n’est pas devenu le Che Guevara
musulman, triomphant à plusieurs
reprises d’un ennemi féroce, en plaçant
le bien d’une personne sur le bien de la
nation et le bien de la lutte. [L’Iran
saura répondre comme il se doit, et
choisira judicieusement le lieu, le
moment et la manière, sans se soucier
des rodomontades de Trump.]
L’Angola est le
meilleur exemple de la façon dont la
mort de Che aurait dû être traitée : ils
ont lancé une offensive
anti-impérialiste appelée « Che n’est
pas mort », qui s’est avérée être le
début de la fin du contrôle portugais
sur la Guinée-Bissau, puis de tout
l’empire portugais en 1974.
Grâce en grande
partie aux efforts de Soleimani, après
tant de décennies de corruption, de
haine et de brutalité dirigées par
l’Occident, l’Irak semble maintenant
suffisamment fort pour pouvoir expulser
les États-Unis immédiatement voire
pacifiquement. [Et inévitablement, ils
se retireront de tout le Moyen-Orient,
en position verticale ou horizontale.]
Je ne pense pas que Soleimani
demanderait un héritage plus grand que
cela –c’est pour cela qu’il s’est
sacrifié.
Voir notre
dossier sur Soleimani, et les
autres articles de Ramin Mazaheri.
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