Grèce
Face à la crise européenne
Gloire au courage lucide du peuple grec
Samir Amin
Photo:
D.R.
Mardi 7 juillet 2015
Le peuple grec donne
l’exemple à l’Europe et au monde.
Avec courage
et lucidité le peuple grec a rejeté
l’ignoble diktat de la finance
internationale et européenne. Il a
remporté une première victoire en
affirmant que la démocratie n’existe que
si elle sait se placer au service du
progrès social. Il a démasqué la farce
démocratique qui accepte de se soumettre
à la dégradation des conditions sociales
exigée par la dictature de la finance.
Le progrès social
est illégal en Europe
La
construction européenne a été conçue
systématiquement pour réduire à néant
« le danger démocratique ». Dès la fin
de la seconde guerre mondiale les Etats
Unis, Jean Monet et Robert Schuman (deux
vychistes) en ont initié la mise en
place destinée à restaurer la légitimité
des forces politiques qui s’étaient
compromises dans la collaboration avec
l’Europe des Nazis. La construction des
communautés européennes, puis l’adoption
forcée d’une Constitution, pourtant
rejetée, entre autre par le référendum
français (un déni de démocratie sans
pareil), ont permis la mise en route
d’une dictature du capital financier.
Trompés par le matraquage systématique
du clergé médiatique au service de
l’oligarchie financière, les peuples
européens se sont nourris d’illusions
qui restent encore suffisamment
puissantes pour annihiler leur capacité
de répondre au défi. Il faut « sauver
l’Europe et l’euro de la débâcle »,
croient-ils encore largement (désormais
un peu moins en Grèce et en Espagne).
L’Europe telle qu’elle est – et elle ne
peut être autre emprisonnée dans le
carcan de ses institutions – a déclaré
illégale toute tentative de remise en
cause de l’ordre odieux en place. Le
peuple grec, par son choix, s’est mis
hors la loi.
L’euro n’est pas
viable
Le
sous-système de l’euro viole les règles
élémentaires d’une gestion possible et
saine de la monnaie. Il impose des
règles communes de prétendue
« compétitivité » à des économies trop
inégales pour en supporter les
conséquences. L’euro a permis
d’annihiler les progrès antérieurs
accomplis dans le cadre de l’émergence
de systèmes productifs constitués
largement de petites et moyennes
entreprises pour ouvrir un marché
exclusif aux razzias des monopoles
financiers. L’Espagne en fournit
l’exemple tragique. D’autres, la
Finlande et même la France en sont à
leur tour les victimes. L’Euro n’est
plus que l’instrument d’une réédition de
l’Europe allemande.
La crise
n’est pas celle de la dette grecque,
mais bel et bien celle de l’Europe et de
l’Euro.
Honte aux
gouvernements européens.
Honte à tous
ceux qui ont accepté que la « troika »
représente les peuples européens. Honte
aux gouvernements qui ont placé à la
présidence de « leur Europe » un
fonctionnaire luxembourgeois au service
d’un paradis fiscal, placé à la
direction de leur « banque centrale » un
individu qui fait carrière chez Goldman
and Sachs, la banque associée à toutes
les crapuleries financières du siècle,
placé à la tête du FMI une bonne élève
incapable de comprendre autre chose que
ce qu’on lui a enseigné. Il ne s’agit
pas d’hommes et de femmes politiques, de
quelque bord qu’ils soient, mais
seulement d’individus méprisables.
L’Europe se présente
à la Grèce dans la figure des
nostalgiques du fascisme
La Grèce
héroïque s’était libérée par elle-même
des fascistes italiens et des nazis
allemands. L’ « Europe » est alors
intervenue en Grèce, dans les uniformes
d’officiers britanniques (suivis
d’étatsuniens) pour massacrer les
enfants de la Résistance et restaurer le
pouvoir des collaborateurs fascistes. La
reconquête de la démocratie par la
victoire électorale du Pasok en 1981 a
permis des réalisations sociales
incontestables ; mais elle a aussi
ouvert la voie aux illusions
« européistes » ; le peuple grec se
retrouve une fois de plus devant
l’Europe réelle dominée par les
oligarchies financières. Il retrouve
alors le souvenir de son passé et de la
dette que l’Allemagne héritière de celle
des Nazis lui doit toujours. Honte à
madame Merkel dont le gouvernement
ignore que le peuple grec a droit à des
réparations.
L’Etat grec doit
être réformé dans un esprit démocratique
Oui, l’Etat
grec souffre de malformations sérieuses,
qui se traduisent entre autre par la
fraude fiscale. Mais qui peut engager
les réformes nécessaires ? Certainement
pas « les amis de l’Europe ». Ceux là
même qui ont triché sur la dette grecque
lors de son adhésion à l’Euro, avec la
complicité active de Goldman and Sachs,
dont le serviteur n’est autre que le
Président de la Banque Centrale de
Francfort. Les armateurs grecs ? Des
tricheurs qui ont toujours bénéficié des
soins attentifs des Banques
internationales et du FMI. Syriza
est le seul gouvernement grec capable de
réformer l’
Etat dans un esprit démocratique et de
faire payer les riches. Horreur pour
l’Europe qui ne tolère pas ce choix :
seuls les pauvres doivent payer !
La lutte continue.
L’Europe des
milliardaires de la finance n’entend pas
renoncer à son objectif : massacrer le
peuple grec pour donner la leçon et
éviter la contagion démocratique.
N’oublions pas que si les classes
dirigeantes de l’Europe occidentale et
centrale n’ont pas (encore) besoin du
fascisme chez elles, celles-ci
n’hésitent pas à l’appeler à son secours
ailleurs, comme on le voit en Ukraine.
Les peuples
européens doivent prendre la mesure de
leurs responsabilités. Avec Podemos,
le peuple espagnol a donné un autre
signal du réveil. Aux Français, aux
Allemands, aux Britanniques et aux
autres peuples du continent européen de
comprendre que le combat du peuple grec
est le leur.
L’alternative
est désormais claire et visible, pour la
Grèce et pour tous ceux, en Europe et
dans le monde, qui nourrissent les mêmes
aspirations démocratiques et sociales.
Il faut désobéir à la prétendue
« constitution » européenne ; il faut
démanteler l’ Euro et lui substituer la
gestion négociée d’un serpent de devises
nationales ; renvoyer Draghi à ses
patrons new yorkais en attendant de
fermer la fausse Banque centrale de
Francfort ; il faut écarter le FMI du
chemin en donnant consistance à des
arrangements financiers hors de sa
portée, comme le Groupe de Shanghai et
l’Alba en ont amorcé l’initiative.
Avec qui
mener ces combats ? La palette des
forces politiques qui commencent à
comprendre que l’austérité (pour les
travailleurs, pas les oligarques) et la
stagnation régressive qui l’accompagne
forcément n’ont plus d’avenir, s’élargit
de jour en jour, pour inclure désormais
des hommes politiques de tous bords,
comme François Fillon en France. La
Grande Bretagne ne fait plus confiance à
cette Europe enfermée dans la
médiocrité, même si l’Angleterre demeure
néo libérale, plus atlantiste et moins
européenne que jamais. Certes le
ralliement d’apparence de certaines
formations d’extrême droite demeure,
pour moi, suspect. Les fascistes sont
des démagogues menteurs par excellence.
Dans cette
situation il appartient aux forces de la
gauche potentiellement radicale de
reprendre l’initiative, avec Syriza
et Podemos qui en ont amorcé
le mouvement. A défaut l’Europe
n’évitera pas l’implosion et
s’engouffrera dans le chaos.
Le 6 juillet 2015
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