Amérique latine
50 vérités sur Gabriel García
Márquez
Salim Lamrani
© Salim
Lamrani
Vendredi 4 août 2017
Salim Lamrani
Université
de La Réunion
L’écrivain colombien, génie du réalisme
magique dont les écrits ont marqué à
jamais l’histoire littéraire
universelle, s’est éteint au Mexique le
17 avril 2014 à l’âge de 87 ans.
1.
Né le 6 mars 1927
à Aracataca, département de Magdalena,
en Colombie, au sein d’une famille
modeste de 16 enfants, Gabriel José de
la Concordia García Márquez, surnommé
Gabo par ses proches, est sans doute
l’un des plus grands écrivains
latino-américains.
2.
Peu après sa
naissance en 1929, ses parents Gabriel
Eligio García et Luisa Santiaga Márquez
Iguarán sont contraints de déménager à
Barranquilla pour des raisons
professionnelles. Le petit Gabriel est
alors confié à ses grands-parents
maternels.
3.
Son grand-père,
le colonel Nicolás Ricardo Márquez Mejía,
surnommé Papalelo, vétéran de la Guerre
des mille jours – conflit fratricide qui
a opposé le Parti Libéral au Parti
National entre 1899 et 1902 –, excellent
conteur, a une grande influence sur lui
et devient le « cordon ombilical avec
l’histoire et la réalité ».
Progressiste, il s’était insurgé contre
le massacre des bananeraies en décembre
1928, où plus de 1 000 ouvriers
agricoles grévistes de la United Fruit
Company avaient été massacrés par
l’armée colombienne, suite aux menaces
de Washington d’envoyer ses propres
troupes pour protéger les intérêts de la
multinationale. Le colonel raconte cette
tragédie à son petit-fils. Il lui fait
également découvrir les trésors du
dictionnaire. « Il est difficile
d’oublier un tel grand-père », confiera
García Márquez.
4.
Sa grand-mère
Tranquilina Iguarán Cotes,
affectueusement surnommée « mamie Mina »
par le jeune Gabriel, est une « femme
superstitieuse et dotée d’une grande
imagination ». Elle le passionne elle
aussi par ses histoires et ses récits
extraordinaires ainsi que par sa manière
de les conter. Elle devient ainsi sa
première source d’inspiration. « Depuis
que je suis né, je savais que j’allais
être écrivain. Je voulais être écrivain.
J’avais la volonté, la disposition, la
motivation et l’aptitude pour être
écrivain. Je n’ai jamais pensé que je
pouvais faire autre chose que cela. Je
n’ai jamais pensé que je pourrais en
vivre. Mais j’étais disposé à mourir de
faim pour être écrivain ».
5.
A la mort de son
grand-père en 1936, le jeune Gabriel,
alors âgé de 9 ans, rejoint ses parents
à Sucre. Il est envoyé en internat à
Barranquilla, situé sur la rive du
fleuve Magdalena, puis au collège des
jésuites San José en 1940. Il obtient
une bourse et poursuit ses études
secondaires au Lycée national de
Zipaquirá, situé à une heure de Bogotá.
6.
En 1947, il
entreprend des études de Droit à
l’Université nationale de Colombie, à
Bogotá et s’adonne à la lecture. Il
dévore Ernest Hemingway, James Joyce,
Virginia Woolf et surtout William
Faulkner, son « maître ». Il est
également marqué par Franz Kafka et son
livre La métamorphose, qui lui
inspirera son premier conte. Il se
passionne également pour les classiques
de la tragédie grecque tels qu’Oedipe
roi de Sophocle.
7.
Le jeune García
Márquez est profondément marqué par le
mouvement poétique Piedra y Cielo
qui a vu le jour en 1939. Il avouera
plus tard : « Sans Piedra y Cielo,
je ne suis pas sûr que je serais devenu
[un bon] écrivain. J’y ai appris non
seulement un système pour métaphoriser,
mais plus important encore, un
enthousiasme pour la poésie qui, chaque
jour qui passe, me manque davantage et
me rend profondément nostalgique ».
8.
S’inspirant des
récits de sa grand-mère, il décide de se
lancer dans l’écriture et publie son
premier conte, La tercera resignación,
dans le journal El Espectador, le
13 septembre 1947.
9.
Le 9 avril 1948,
Gabriel García Márquez est pris dans le
tourbillon du Bogotazo, une
explosion sociale sanglante qui fait
suite à l’assassinat du leader politique
socialiste Jorge Eliécer Gaitán.
L’université est fermée et la pension où
il est logé est ravagée par les flammes.
Il décide donc de s’inscrire à
l’Université de Carthagène.
10.
Après deux années
d’études de Droit, il abandonne
l’Université pour se dédier à son autre
grande passion : le journalisme. « Quand
j’ai commencé la troisième année de
Droit, cela ne m’intéressait plus car
j’étais totalement passionné par la
littérature et le journalisme ». Entre
1948 et 1952, il travaille en tant que
reporter pour les journaux El
Universal puis El Heraldo à
Barranquilla. « Je suis arrivé au
journalisme car il permet de raconter
des choses […]. Il faut considérer le
journalisme comme un genre littéraire »,
souligne-t-il.
11.
En 1954, il
retourne à Bogotá où il est engagé comme
reporter et critique de cinéma par le
journal El Espectador. En 1955,
García Márquez révèle la vérité sur la
tragédie du navire de guerre A.R.C.
Caldas. Il publie une série de
quatorze chroniques à ce sujet, basées
sur des entretiens avec Luis Alejandro
Velasco, un marin ayant survécu au drame
qui a coûté la vie à sept personnes
tombées à la mer. García Márquez y
démontre non seulement tout son talent
d’écrivain et de conteur mais détruit
également la version officielle du
naufrage selon laquelle la tragédie
serait due aux mauvaises conditions
climatiques. En réalité, le pont du
navire était surchargé de marchandises
de contrebande (appareils
électroménagers ramenés des Etats-Unis)
et la rupture d’un câble avait fait
tomber huit hommes à la mer. La
révélation de ce scandale suscite l’ire
du régime militaire et García Marquez
est envoyé à Europe en tant que
correspondant pour fuir d’éventuelles
représailles. En 1970, ce récit sera
publié sous le titre Journal d’un
naufragé.
12.
Avant de
s’envoler pour l’Europe, Gabriel García
Márquez publie en 1955 son premier
roman, Des feuilles dans la
bourrasque, qui est salué par la
critique, mais qui est un échec
commercial. Pour ce roman, « le plus
sincère et le plus spontané », où il
évoque pour la première fois ce village
imaginaire appelé Macondo, le jeune
écrivain ne reçoit « même pas un centime
de droits d’auteur ».
13.
Garcia Márquez
visite plusieurs pays d’Europe
occidentale et du monde socialiste et
publie plusieurs reportages dans El
Espectador.
14.
L’écrivain
colombien s’installe ensuite à Paris en
1957. Son séjour dans la capitale
française revêt une importance
transcendante : « Ce qui a été important
pour moi à Paris a été la perspective
que la ville m’a donnée de l’Amérique
latine. Là-bas, je n’ai pas cessé d’être
un caribéen, mais un caribéen qui s’est
rendu compte de ce qu’était sa
culture ». C’est dans la capitale
française, berceau de la Révolution, que
débute son engagement politique : « J’ai
pu me passer de tous les engagements que
j’avais avec la littérature et je me
suis centré sur l’engagement
politique ». Grâce à son ami Nicolás
Guillén, poète cubain, il s’intéresse à
la Révolution de Fidel Castro qui secoue
le joug de la dictature militaire de
Fulgencio Batista.
15.
A Paris, Gabriel
García Márquez vit dans des conditions
économiques précaires et il est
contraint de fouiller les poubelles pour
s’alimenter. En pleine guerre d’Algérie,
il fréquente les indépendantistes du
Front de Libération Nationale. Il est
même arrêté et malmené par la police
française qui l’avait pris pour un
« rebelle algérien ».
16.
En décembre 1957,
García Márquez obtient un poste au sein
du journal Momento, à Caracas. Un
mois plus tard, il est témoin direct du
soulèvement populaire contre le
dictateur vénézuélien Marcos Pérez
Jiménez, qui se réfugie en République
dominicaine. En mai 1958, il devient
rédacteur en chef de Venezuela
Gráfica.
17.
En 1958, il
épouse Mercedes Barcha, qu’il connait
depuis sa vie d’étudiant et à qui il
voue un amour passionné . Elle
l’accompagnera tout au long de sa vie.
Il explique le secret de sa réussite
matrimoniale : « Il y a trois vies : la
vie publique, la vie privée et la vie
secrète. Les femmes sont présentes dans
toutes les trois. Je m’entends mieux
avec les femmes qu’avec les hommes. Il y
a une clé matrimoniale importante : les
femmes disent que l’on résout les
problèmes avec le dialogue. C’est tout
le contraire : si l’on discute d’un
problème, on débouche obligatoirement
sur une dispute. Il faut faire
confiance, oublier et aller de avant ».
18.
En 1959, suite au
triomphe de la Révolution cubaine, il
participe à la fondation de l’agence de
presse Prensa Latina et en
devient le correspondant à Bogotá.
En 1961, il est nommé correspondant à
New York et s’y installe en famille.
Mais, suite aux intimidations des
autorités et aux menaces des exilés
cubains, il est contraint de quitter les
Etats-Unis.
19.
Gabriel García
Márquez se rend à Mexico avec sa
famille, « inconnu et sans un sou en
poche ». C’est dans la capitale
mexicaine qu’il passera une grande
partie de sa vie. En 1962, son roman
La mala hora remporte le prix de
l’Académie colombienne des Lettres.
20.
Gabriel García
Márquez est également un passionné de
cinéma : « J’ai tellement aimé le cinéma
que je m’y suis lancé pour les mêmes
raisons que j’ai écrit des romans et des
contes et que j’ai fait du journalisme :
c’était une autre façon de raconter la
vie ». Il a suivi des études de cinéma
au Centro Sperimentale di
Cinematografia de Rome, en compagnie
du Cubain Julio García Espinosa et de
l’Argentin Fernando Birri, les futurs
créateurs du Nuevo Cine
Latinoamericano. Il est marqué par
le néoréalisme italien et collabore avec
Cesare Zavattini. Il a été le scénariste
de plusieurs œuvres. Son premier
court-métrage, La langosta azul,
a été réalisé en 1954. A partir de 1963,
il se consacre au septième art et rédige
de nombreux scénarios tels que El
gallo de oro de Roberto Gavaldón en
1964, En este pueblo no hay ladrones
d’Alberto Isaac en 1965, Tiempo de
morir de Arturo Ripstein en 1966 qui
reçoit le premier prix au Festival
international du Film de Carthagène,
Pasty, mi amor de Manuel Michel en
1968, Presagio de Luis Alcoriza
en 1974, entre autres.
21.
Gabriel García
Márquez sera également à l’origine de la
création de la Fondation du Nouveau
Cinéma Latino-américain en 1986, dont le
siège se trouve à La Havane et en sera
le Président jusqu’à sa mort. La même
année, il fonde l’Ecole internationale
de cinéma et de télévision à San Antonio
de Los Baños à Cuba, qui deviendra une
référence mondiale. Grand admirateur de
Woody Allen, il collabore également à de
nombreuses reprises avec la télévision.
22.
En 1967, après
plus d’une année entièrement dédiée à
l’écriture, ce qui le plonge dans le
dénuement économique le plus total,
García Márquez publie le chef-d’œuvre
qui fera de lui l’un des plus grands
écrivains latino-américain. Cent ans
de solitude est publié en juin 1967
à Buenos Aires. Le succès est immédiat.
Le livre, qui révèle le réalisme magique
dans toute sa splendeur, est traduit en
près de 40 langues et vendu à plus de 30
millions d’exemplaires. Il remporte de
nombreux prix internationaux et
l’écrivain colombien acquiert alors une
renommée planétaire. Pablo Neruda fait
part de son admiration pour l’œuvre :
« C’est la plus grande révélation en
langue espagnole depuis le Don
Quichotte de Cervantès ». De son
côté, William Kennedy l’a qualifié de
« première œuvre depuis la Genèse dont
la lecture est indispensable à toute
l’Humanité ».
23.
La problématique
de la solitude marquera la plupart des
œuvres de Gabriel García Márquez.
L’auteur colombien s’est expliqué à ce
sujet : « Je crois qu’il s’agit d’un
problème que tout le monde rencontre.
Chaque personne dispose de sa façon et
de ses moyens pour l’exprimer. La
sensation imprègne le travail de tant
d’écrivain ». García Márquez en a fait
le thème de son discours lors de la
remise du Prix Nobel de littérature sous
le titre La soledad de América Latina :
« L’interprétation de notre réalité à
travers des patrons, qui ne sont pas les
nôtres, ne fait que nous rendre de plus
en plus inconnus, de moins en moins
libres et de plus en plus solitaires ».
24.
Gabriel García
Márquez voyage à travers le monde et se
lie d’amitié avec Fidel Castro, leader
de la Révolution cubaine, pour lequel il
ne cachera jamais son admiration. Cette
amitié durera des décennies : « Ce qui a
réellement consolidé cette amitié ont
été les livres. J’ai découvert qu’il
était si bon lecteur qu’avant de publier
un livre, je lui fais parvenir les
originaux. Il signale des
contradictions, des anachronismes, des
inconsistances que même les
professionnels de l’édition ne
remarquent pas. C’est un lecteur très
minutieux. Les livres reflètent très
bien l’amplitude de ses goûts. C’est un
lecteur vorace. Personne ne parvient à
expliquer comment il arrive à trouver le
temps ni quelle méthode il utilise pour
lire autant et aussi rapidement.
Souvent, il prend un livre le matin et
le commente dès le lendemain. Sa vision
de l’Amérique latine dans l’avenir est
la même que Bolívar et Martí, une
communauté intégrale et autonome,
capable de changer le destin du monde.
Voici le Fidel Castro que je crois
connaître : un homme aux coutumes
austères et aux illusions insatiables,
avec une éducation formelle à
l’ancienne, aux paroles prudentes et aux
manières fines et incapable de concevoir
une idée qui ne soit pas démesurée ».
Tout au long de sa vie, Gabriel García
Márquez séjournera régulièrement à Cuba.
25.
Cette amitié avec
Fidel Castro et ses idées progressistes
suscitent l’hostilité des Etats-Unis qui
le déclarent persona non grata et
lui interdisent l’entrée sur leur
territoire dès 1961. Il faudra attendre
l’élection de Bill Clinton, grand
admirateur de l’écrivain colombien, pour
que cette prohibition soit levée. García
Márquez tissera également une relation
amicale solide avec le Président des
Etats-Unis.
26.
Gabriel García
Márquez a toujours affirmé ses opinions
politiques progressistes. Il les a
publiquement assumées : « [Mes
détracteurs ont] réalisé des efforts
constants pour diviser ma personnalité :
d’un côté, l’écrivain qu’ils n’hésitent
pas à qualifier de génial, et de
l’autre, le communiste féroce […]. Ils
commettent une erreur de principe : je
suis un homme indivisible, et ma
position politique obéit à la même
idéologie avec laquelle j’écris mes
livres ». Il déclarera également : « Je
continue à croire que le socialisme est
une possibilité réelle, que c’est la
bonne solution pour l’Amérique latine ».
27.
De 1967 à 1975,
Gabriel García Márquez réside à
Barcelone la plupart du temps et
s’inspire de la figure du dictateur
vénézuélien Juan Vicente Gómez pour
rédiger L’automne du patriarche.
En Espagne, l’écrivain colombien
fréquente de nombreux intellectuels
progressistes opposés à la dictature du
général Franco.
28.
En 1974, avec
plusieurs intellectuels et journalistes,
Gabriel García Márquez fonde la revue
Alternativa en Colombie qui durera
jusqu’en 1980. L’écrivain y publie des
articles politiques sur la Révolution
des Œillets au Portugal, s’intéresse à
la Révolution Sandiniste, dénonce la
dictature de Pinochet et exprime son
soutien pour la Révolution cubaine.
29.
En 1981, il
profite d’une visite officielle de Fidel
Castro en Colombie pour retourner dans
son pays. Néanmoins, l’Armée et le
Président Julio César Turbay Ayala
l’accusent de financer la guérilla M-19.
Alerté par des amis de son imminente
arrestation, il parvient à obtenir
l’asile politique au Mexique.
Reconnaissant, il dira à ce sujet : « Il
n’y a pas de meilleur service de
renseignements que l’amitié ».
30.
En 1982, Gabriel
García Márquez devient le premier
Colombien à obtenir le Prix Nobel de
littérature « pour ses romans et
histoires courtes, où le fantastique et
le réel sont combinés dans un monde
tranquille de riche imagination,
reflétant la vie et les conflits d’un
continent ».
31.
Dans son discours
d’acceptation, Gabriel García Márquez
dénonce la tragique réalité politique et
sociale latino-américaine : « Il y a
onze ans, un des poètes illustres de
notre temps, le Chilien Pablo Neruda, a
illuminé cette atmosphère avec son
verbe. Dans les bonnes consciences de
l’Europe, et parfois dans les mauvaises
également, les nouvelles fantasmatiques
de l’Amérique latine, cette immense
patrie d’hommes hallucinés et de femmes
historiques, dont l’entêtement sans fin
se confond avec la légende, ont surgi
depuis avec plus d’énergie que jamais.
Nous n’avons pas eu un instant de répit.
Un Président prométhéen retranché dans
son palais en flammes est mort en
combattant seul contre toute une armée,
et deux désastres aériens suspects et
jamais éclaircis ont ôté la vie d’un
autre au cœur généreux, et celle d’un
militaire démocrate qui avait restauré
la dignité de son peuple. Durant ce laps
de temps, il y a eu 5 guerres et 17
coups d’Etat, et a surgi un dictateur
luciférien qui, à notre époque, s’est
rendu coupable, au nom de Dieu, du
premier ethnocide d’Amérique latine.
Pendant ce temps, 20 millions d’enfants
latino-américains mourraient avant
d’atteindre l’âge de deux ans, un total
supérieur à ceux qui sont nés en Europe
occidentale depuis 1970. Les disparus
pour des motifs de répression sont
presque 120.000, et c’est comme si
aujourd’hui, on ne savait pas où se
trouvent tous les habitants de la ville
d’Upsala. De nombreuses femmes enceintes
ont accouché dans des prisons
argentines, mais on ignore toujours
l’identité de leurs enfants ni l’endroit
où ils se trouvent, car ils ont été
clandestinement adoptés ou internés dans
des orphelinats par les autorités
militaires. Près de 200 000 femmes et
hommes dans tout le continent sont
morts, et près de 100 000 ont péri dans
trois petits pays d’Amérique centrale
pleins de bonne volonté, le Nicaragua,
le Salvador et le Guatemala, car ils
souhaitent le changement. Si cela avait
eu lieu aux Etats-Unis, le chiffre
proportionnel serait de 1,6 millions de
morts violentes en quatre ans. Un
million de personnes, soit 10% de sa
population, ont fui le Chili, pays aux
traditions hospitalières. L’Uruguay, une
minuscule nation de 2,5 millions
d’habitants que l’on considérait comme
le pays le plus civilisé du continent, a
perdu en exil 20% de ses citoyens. La
guerre civile au Salvador a fait depuis
1979 un réfugié toutes les 20 minutes.
Le pays que l’on pourrait constituer
avec tous les exilés et émigrés forcés
d’Amérique latine aurait une population
plus importante que la Norvège. J’ose
penser que c’est cette réalité
démesurée, et pas seulement son
expression littéraire, qui a mérité
cette année l’attention de l’Académie
suédoise des Lettres. […] Pourquoi
l’originalité qui nous est admise sans
réserves dans la littérature nous
est-elle niée avec toutes sortes de
soupçons pour nos tentatives si
difficiles de changement social ?
Pourquoi penser que la justice sociale
que les Européens éclairés essayent
d’imposer dans leurs pays ne peut pas
être également un objectif
latino-américain avec des méthodes
distinctes dans des conditions
différentes ? »
32.
En 1985, García
Márquez publie L’amour aux temps du
choléra, inspiré de l’histoire de
ses parents : « La seule différence est
que mes parents se sont mariés. Et dès
qu’ils se sont mariés, ils n’étaient
plus intéressants comme figures
littéraires ».
33.
Quatre ans plus
tard, en 1989, l’écrivain colombien
publie Le Général dans son labyrinthe,
une œuvre magistrale sur la figure la
plus emblématique d’Amérique latine, le
Libertador Simón Bolívar.
34.
En 1994, García
Márquez crée la Fondation Nouveau
Journalisme Ibéro-américain à Cartagena
de Indias, dans le but de former les
jeunes étudiants et de créer un nouveau
type de journalisme plus proche des
réalités sociales des peuples.
35.
En 1996, le Prix
Nobel publie Noticia de un secuestro
où il raconte la tragique réalité
colombienne marquée par la violence et
les kidnappings. La violence est
également un des thèmes récurrents de
l’œuvre de García Márquez.
36.
Profondément
affecté par le conflit civil sanglant
qui frappe la Colombie depuis plus d’un
demi-siècle, Gabriel García Márquez a
joué le rôle de médiateur à plusieurs
reprises lors de pourparlers de paix
entre les mouvements de guérilla et le
pouvoir central, notamment sous les
gouvernements de Belisario Betancourt et
d’Andrés Pastrana. « Je conspire pour la
paix en Colombie presque depuis ma
naissance », aimait-il à rappeler.
37.
En 1997, alors
que Cuba est frappée par une vague
d’attentats terroristes orchestrés par
l’exil cubain basé en Floride, Fidel
Castro charge Gabriel García Márquez de
remettre un message secret à Bill
Clinton sur les agissements des
groupuscules violents. Cuba avait en
effet réussi à recueillir les
informations nécessaires grâce à des
agents infiltrés à Miami. L’écrivain
colombien relate cet épisode : « Lors de
mes conversations avec Fidel Castro, je
lui ai mentionné la possibilité de
m’entretenir avec le président Clinton.
De là est née l’idée que Fidel lui
ferait parvenir un message confidentiel
sur un sinistre plan terroriste que Cuba
venant de découvrir ».
38.
En 1999, Gabriel
García Márquez est frappé d’un cancer
lymphatique. Craignant de ne pas avoir
le temps de terminer ses mémoires et
deux livres de contes, l’auteur s’isole
et se consacre uniquement à l’écriture :
« J’ai réduit au minimum les rapports
avec mes amis, j’ai débranché le
téléphone, j’ai annulé les voyages et
tout type d’engagements prévus, et je me
suis enfermé pour écrire tous les jours
sans interruption de huit heures du
matin à deux heures de l’après-midi ».
39.
En 2002, García
Márquez publie Vivre pour la raconter,
le premier des trois tomes de ses
mémoires : « Il débute avec la vie de
mes grands-parents maternels et les
amours de mon père et de ma mère et
s’achève en 1955 quand j’ai publié mon
premier livre, Des feuilles dans la
bourrasque, jusqu’à mon voyage en
Europe en tant que correspondant pour
El Espectador ».
40.
En 1994, Gabriel
García Márquez joue un rôle-clé dans le
rétablissement des relations
diplomatiques entre la Colombie et Cuba,
rompues en 1981.
41.
En 2004,
l’écrivain colombien publie son dernier
roman Memorias de mis puntas tristes.
42.
En 2006, Gabriel
García Márquez signe, en compagnie de
nombreux intellectuels
latino-américains, la « Proclamation de
Panama » réclamant l’indépendance de
Porto Rico.
43.
Gabriel García
Márquez a toujours rejeté l’utilisation
d’un style bien précis dans son
écriture. Selon lui, c’est le thème du
livre qui détermine le style : « Dans
chaque livre, j’essaye de prendre un
chemin différent. On ne choisit pas le
style. Les critiques construisent des
théories à ce sujet et voient des choses
que je n’avais pas vues. Je réponds
seulement à notre style de vie, la vie
de la Caraïbe ».
44.
L’écrivain
a également fait part de ses réserves au
sujet de l’interprétation de ses œuvres
par les spécialistes : « [Les
critiques], en général,
avec leur droit
préétabli à pontifier, sans se
rendre compte
qu'un roman comme Cent ans de
solitude est dénué de sérieux et
qu’il est plein de clins d'œil à mes
amis les plus intimes, clins d’œil
qu’ils sont les seuls à pouvoir
découvrir, prennent la responsabilité de
décoder le livre et de se couvrir
magistralement de ridicule ».
45.
Avec le
guatémaltèque Miguel Angel Asturias, il
est considéré comme étant le génie du
genre littéraire dénommé « réalisme
magique » qui associe éléments
fantastiques et réalité quotidienne.
Mais García Márquez se revendique
d’abord et avant tout comme un écrivain
réaliste : « Il n’y a pas une seule
ligne qui ne soit pas basée sur la
réalité. La première condition du
réalisme magique, comme son nom
l’indique, est que ce soit un fait
rigoureusement vrai qui, cependant,
paraît fantastique. En Amérique latine,
la réalité dépasse la littérature, la
fiction, le roman ».
46.
Gabriel García
Márquez a remporté une multitude de prix
et de distinctions dans le monde entier.
En plus du Prix Nobel de littérature, il
a reçu le Prix Rómulo Gallegos, la
Légion d’Honneur française, l’Aguila
Azteca du Mexique, et a été nommé
Docteur Honoris Causa de
plusieurs universités dont la
prestigieuse Université de Columbia aux
Etats-Unis.
47.
Gabriel García
Márquez est la principale figure du
« boom latino-américain » qui inclut des
écrivains tels que Jorge Luis Borges,
Julio Cortázar, Carlos Fuentes ou Mario
Vargas Llosa.
48.
Ses livres sont
traduits en plusieurs dizaines de
langues à travers le monde. Au total, il
aura vendu plus de 50 millions
d’exemplaires.
49.
García Márquez
est également passionné de musique, son
« vice favori ». Il avoue même qu’il
« aime la musique davantage que la
littérature ».
50.
Gabriel García
Márquez restera probablement dans
l’histoire comme étant l’écrivain le
plus universel du XXe siècle. Ce fut un
intellectuel attaché au sort des plus
humbles qui a toujours revendiqué ses
racines populaires : « Toute ma
formation est à base de culture
populaire. Ce qui m’a maintenu, ce qui
m’émeut et me motive est la culture
populaire ».
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Fidel Castro,
héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
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