Entretien
« A Cuba, l’économie est toujours
subordonnée
à la politique »
Salim Lamrani

© Salim Lamrani
Lundi 4 avril 2016
Entretien exclusif avec Salim Lamrani,
spécialiste de Cuba
Initiative communiste
http://www.initiative-communiste.fr/articles/...
Obama à Cuba :INITIATIVE
COMMUNISTE et son site
internet
www.initiative-communiste.fr
remercient chaleureusement M.
Salim Lamrani pour les
réponses avisées qu’il a bien voulu
apporter aux questions que se posent nos
lecteurs. Nous demandons à ces derniers
de faire connaître cet entretien autour
d’eux afin de rétablir la vérité contre
l’incessante propagande anti-cubaine des
grands médias.
I.C.: Les
mauvaises nouvelles s’accumulent en
Amérique latine où la droite, appuyée
par l’impérialisme US, est en pleine
contre-offensive (Venezuela, référendum
bolivien, offensive réactionnaire en
Argentine et au Brésil, etc.). Cuba
est-elle en danger d’isolement
diplomatique et peut-être, de rupture de
ses approvisionnements pétroliers ?
Comment peut-elle réagir ?
SL : Il est vrai qu’un contre-courant
conservateur est en train d’affecter
l’Amérique latine après plus d’une
décennie de vague progressiste.
Plusieurs facteurs expliquent cette
nouvelle réalité. La plupart des
gouvernements progressistes sont à la
tête d’économies qui dépendent fortement
des matières premières. C’est le cas,
par exemple, du Venezuela. Or, en
quelques années, le prix du pétrole est
passé de 100 dollars le baril à points
de 20 dollars. A l’évidence, cela a
impact désastreux sur les politiques
sociales qui ont permis à des millions
de Latino-américains de sortir de la
pauvreté et d’avoir accès à une
alimentation équilibrée, à l’éducation,
à la santé, à un logement décent et à la
culture. Par ailleurs, les forces
conservatrices, après plusieurs années
d’échecs sur le plan électoral, ont
adapté leur discours, se sont
réorganisées et ont tissé des alliances
afin de reprendre le pouvoir, profitant
à la fois des erreurs commises par les
gouvernements et du soutien des
transnationales de la communication qui
mènent une campagne systématique de
discrédit contre les dirigeants qui ont
choisi de procéder à une répartition
plus juste des richesses.
Il est vrai que le retour de la droite
au pouvoir dans certains pays n’est ni
une bonne nouvelle pour les peuples ni
pour Cuba. Néanmoins, aujourd’hui, Cuba
dispose de partenaires solides et divers
et a tissé des relations diplomatiques
avec tous les pays au monde. Seuls
Israël et le Maroc n’ont pas d’ambassade
à La Havane. A l’évidence, le Venezuela
est un partenaire stratégique pour Cuba
dans la mesure où il s’agit de son
premier allié commercial et politique.
L’arrivée d’un éventuel gouvernement
conservateur constituerait un sérieux
problème pour Cuba. Mais une nation qui
a résisté à l’état de siège économique
imposé par les Etats-Unis depuis plus
d’un demi-siècle, qui a affronté seule
la terrible crise des années 1990 et la
fameuse Période spéciale suite à
l’effondrement soviétique, saura faire
face à l’adversité dans un contexte
international qui ne lui est plus aussi
hostile qu’auparavant.
I.C. : Les
amis de Cuba comprennent que la main
tendue à Obama est nécessaire pour, à
terme, défaire le blocus US et libérer
Guantanamo. Mais certains admirateurs du
socialisme cubain ne s’en inquiètent pas
moins au sujet des dégâts collatéraux
que ce rapprochement peut comporter sur
les plans idéologique et politique. N’y
a-t-il pas danger pour les Cubains de
« baisser la garde » idéologiquement, de
laisser croire aux jeunes Cubains que
l’impérialisme a changé de nature, voire
– comme cela s’est passé en URSS et dans
les autres pays socialistes – de voir
certaines tendances conciliatrices et
« gorbatchéviennes » prendre appui sur
ce rapprochement pour favoriser un
glissement social-démocrate qui serait
fatal à la Révolution ?
SL : Les Cubains sont très lucides à
propos des objectifs de la nouvelle
politique des Etats-Unis. Ils savent que
le changement est d’ordre tactique et
non d’ordre stratégique. Le but des
Etats-Unis est de mettre un terme à
l’expérience socialiste cubaine et
d’asseoir de nouveau leur influence sur
l’île. Le Président Obama a été très
franc à ce sujet en reconnaissant que
Washington n’avait pas renoncé à ses
objectifs. La politique d’hostilité
ayant échoué à faire plier les Cubains,
le Voisin du Nord opte pour une
politique de la séduction et de la
pénétration économique. Le calcul est
simple : là où la force a échoué,
l’argent pourrait triompher.
Le peuple cubain dispose de la culture
politique et de la maturité nécessaires
pour savoir ce qui est en jeu, à savoir
la souveraineté de la nation. Il n’est
pas prêt à renoncer à son indépendance,
ni à son système politique, ni à son
modèle social. Les Cubains aspirent
seulement à disposer d’un meilleur
niveau de vie matériel, qui sera
possible dès que les sanctions
économiques seront levées, et à vivre en
paix. Ils sont prêts à relever le
nouveau défi proposé par Obama et à
livrer cette bataille d’idées. Le
capitalisme est-il supérieur au
socialisme ? L’individualisme doit-il
primer sur la solidarité ? Le bien-être
privé doit-il prévaloir sur l’intérêt
général ? L’accumulation est-elle
prioritaire à la répartition des
richesses ? Les Cubains ont déjà leurs
réponses.
I.C. :
Quelles sont les grandes tendances qui
se dégagent de la discussion dans le PC
de Cuba qui tiendra prochainement son
congrès ?
SL : A l’évidence, la question
économique sera centrale. On évaluera
les progrès réalisés et les résultats
obtenus depuis l’actualisation du modèle
économique en 2011 lors du VI Congrès.
L’accent sera mis sur l’efficacité
économique, l’amélioration de la
productivité et la hausse des salaires.
Le VII Congrès abordera également
l’intégration des nouvelles générations
de Cubains dans la vie politique et dans
le monde du travail.
On abordera
également les thèmes de la corruption,
de la bureaucratie et des actes
délictueux qui constituent des obstacles
à l’élaboration d’une société émancipée
qui intègre tous les citoyens.
I.C. : le
chef de file de l’association
anticastriste « Cuba libre » prétend que
l’opposition anticommuniste est
désormais représentée jusque dans le
moindre village. Qu’en est-il à ta
connaissance ?
SL : Je crois que ce monsieur confond
ses désirs et la réalité.
I.C. : en
2005, une coordination nationale d’amis
de Cuba socialiste avait mis en place,
sur proposition du PRCF, un grand
meeting de solidarité à St-Denis.
Depuis, l’info sur Cuba reste toujours
aussi unilatérale de la part de nos
médias « pluralistes » qui invitent
systématiquement des « dissidents »
plutôt que l’ambassadeur en poste à
Paris. Que faire selon toi pour briser
le blocus médiatique ?
SL : Les médias sont la propriété de
grands conglomérats économiques et
financiers, dont l’objectif est de
préserver l’ordre établi. Comme je
l’indique dans mon ouvrage Cuba : les
médias face au défi de l’impartialité,
« Comment la presse peut-elle faire
preuve d’impartialité face à la réalité
factuelle sans s’opposer aux intérêts
des conglomérats de la finance qui en
sont propriétaires, et dont le seul
objectif est de maintenir les privilèges
établis ? ». Tant que les médias seront
sous la coupe des puissances d’argent,
il leur sera impossible d’être
indépendants.
Il est vrai que l’image de Cuba est
plutôt négative dans les médias, même
s’il faut reconnaître que cela a quelque
peu changé depuis quelques années. Je
crois qu’il est important de multiplier
les initiatives visant à présenter un
point de vue alternatif sur Cuba, que ce
soit à travers la rédaction d’articles,
l’organisation de conférences ou la
distribution des ouvrages présentant une
autre Cuba. Robespierre parlait de
passer la vérité en contrebande. C’est
une bien belle mission pour les amis de
Cuba et pour tous ceux qui sont attachés
à la pluralité.
I.C. :
Alors que des centaines de milliers de
jeunes et de salariés se mobilisent
contre la prétendue « loi Travail »,
qu’il faudrait rebaptiser « Feu vert aux
licenciements », de quelles protections
les salariés cubains disposent-ils face
à d’éventuels licenciements abusifs ?
SL : Selon l’Organisation internationale
du travail, le système de sécurité
sociale cubain est un « miracle » au vu
de la protection qu’il apporte aux
travailleurs. « C’est presque un miracle
par rapport à d’autres pays », souligne
l’entité.
A Cuba, les
licenciements sont interdits. Lorsque,
dans les années 1990, il y a eu une
réforme de l’économie sucrière, qui
était le principal secteur productif du
pays, suite à la chute des cours sur le
marché mondial, des dizaines de milliers
de travailleurs se sont retrouvés sans
emploi. Néanmoins, ils ont tous conservé
l’intégralité de leur salaire et ont
bénéficié d’une formation afin
d’intégrer d’autres filières de
l’économie.
A Cuba,
l’économie est toujours subordonnée à la
politique, et non l’inverse. On prendra
toujours en compte d’abord l’intérêt des
citoyens avant les considérations
d’ordre comptable car l’être humain – et
non la rentabilité – est au centre du
projet de société.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Cuba, parole à la
défense !, Paris, Editions Estrella,
2015 (Préface d’André Chassaigne).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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