Amérique latine
Cuba et le retour migratoire
Salim Lamrani

© Salim
Lamrani
Mardi 1er août 2017
Salim Lamrani
Université de La Réunion
Connue pour être une terre
d’émigration, Cuba observe depuis
plusieurs années un nouveau phénomène :
celui du retour migratoire.
Depuis le triomphe de la Révolution
cubaine en 1959, les Etats-Unis ont fait
de la problématique migratoire un
instrument de déstabilisation de l’île,
au nom de la guerre menée contre le
premier pays socialiste du continent
latino-américain. Ainsi, dès les
premiers jours suivant la victoire de
Fidel Castro, Washington a ouvert ses
portes aux partisans de la dictature de
Fulgencio Batista et à l’oligarchie de
l’ancien régime. De 1960 à 1969, plus de
200 000 Cubains ont émigré vers les
Etats-Unis. A titre de comparaison, le
total de la décennie précédente, de 1950
à 1959, s’élevait à 73 000 départs vers
les Etats-Unis[1].
Trois raisons
expliquent cette émigration massive.
Tout d’abord, historiquement, Cuba a
toujours été un pays à forte émission
migratoire vers le Voisin du Nord. En
1959, Cuba occupait le deuxième rang du
continent américain juste derrière le
Mexique. Cuba émettait une émigration
plus forte que celle de tous les pays
des Caraïbes réunis et que celle de
toutes les nations d’Amérique centrale
prises dans leur ensemble. De la même
manière, aucun pays d’Amérique du Sud,
ni le Brésil, ni la Colombie, ni
l’Argentine n’avait une émission
migratoire supérieure à celle de Cuba.
Plus encore, la somme migratoire de ces
trois mastodontes démographiques restait
inférieure à celle de Cuba[2].
Le deuxième
facteur qui a favorisé l’émigration
cubaine vers les Etats-Unis à partir de
1960 a été l’application de sanctions
économiques sévères contre l’île dès
juillet 1960, lesquelles sont devenues
totales en février 1962. Elles ont
imposé des conditions de vie drastiques
aux Cubains et des pénuries de toutes
sortes, stimulant ainsi le départ vers
les Etats-Unis. Toujours en vigueur à ce
jour, elles affectent toutes les
catégories de la population cubaine,
surtout les segments les plus
vulnérables, ainsi que tous les secteurs
de la société. Rejetées par la
communauté internationale pour leur
caractère anachronique, cruel et
illégal, les sanctions constituent le
principal obstacle au développement du
pays. En 2016, pour la 25ème
année consécutive, l’Assemblée générale
des Nations unies a condamné l’état de
siège économique contre Cuba à une
majorité écrasante de 191 voix sur 193[3].
Le troisième
paramètre à prendre en compte est la loi
d’Ajustement cubain en vigueur depuis
1966. Cette législation spéciale, unique
au monde, stipule que tout Cubain qui
émigre légalement ou illégalement vers
les Etats-Unis, pacifiquement ou par des
moyens violents, le 1er
janvier 1959 ou après, est accueilli à
bras ouverts, reçoit diverses aides
sociales et obtient automatiquement au
bout d’un an et un jour le statut de
résident permanent. A l’évidence, il
s’agit là d’un formidable outil
d’incitation à l’émigration légale et
illégale[4].
En décembre
2014, le Président Barack Obama a décidé
d’établir un dialogue avec Cuba afin de
tenter de résoudre par des voies
pacifiques le différend qui oppose
Washington à La Havane depuis plus d’un
demi-siècle. Plusieurs mesures
constructives ont été adoptées telles
que, entre autres, l’ouverture
d’ambassades dans les capitales
respectives, la levée de certaines
restrictions concernant le commerce
(même si elle reste très limitée), la
reprise des liaisons aériennes et
maritimes directes entre les deux pays
et la signature d’un accord migratoire
entre Cuba et les Etats-Unis en janvier
2017 qui met fin à la politique de
« pieds secs/pieds mouillés » – selon
laquelle les Cubains qui arrivent à
traverser le Détroit de Floride et à
toucher le sol étasunien sont
automatiquement acceptés –, ainsi qu’au
Programme médical cubain, en vigueur
depuis 2006 et destiné à inciter le
personnel médical cubain en mission à
l’étranger à déserter pour s’installer
aux Etats-Unis, pillant ainsi un
précieux capital humain[5].
Ces mesures,
ajoutées à la stabilité politique, à
l’amélioration de la situation
économique à Cuba et à la réforme
migratoire cubaine du décret-loi 302 de
2013 qui a éliminé les obstacles
bureaucratiques concernant les voyages,
ont incité de nombreux Cubains installés
à l’étranger à rentrer définitivement
dans leur pays natal et ont
considérablement réduit le nombre de
sorties définitives. Ainsi, en 2016,
près de 14 000 Cubains installés à
l’étranger ont décidé de rentrer
définitivement dans leur pays d’origine,
soit un chiffre supérieur au total des
années 2013 à 2015, ce qui représente
une hausse de 300% en quatre ans[6].
Par ailleurs, pour les années 2013-2016,
le solde migratoire total, entre les
entrées composées de Cubains et
d’étrangers qui ont décidé de vivre à
Cuba et les sorties, est de 36 000, soit
un total de 9 000 départs secs par an.
S’il reste négatif, ce solde a été
divisé par quatre par rapport à 2012 où
ce chiffre était d’environ de 35 000
sorties par an. De 2013 à 2016, plus de
670 000 Cubains ont réalisé au moins un
voyage à l’étranger. Pour 78% d’entre
eux, il s’agissait de leur premier
voyage. Seuls 9% ont choisi de
s’installer à l’étranger[7].
Ces chiffres
illustrent la réalité de la
problématique migratoire cubaine. En
effet, l’immense majorité de
l’émigration cubaine est d’ordre
économique et non politique. Celle-ci
aspire à entretenir des relations
normales et apaisées avec sa patrie
d’origine. De la même manière, ils
illustrent que malgré les difficultés et
vicissitudes quotidiennes inhérentes à
un pays sous-développé et victime de
sanctions économiques, les Cubains, en
majorité, restent attachés à leur pays
et à leur modèle de société qui offre à
la population, et surtout aux plus
vulnérables, les conditions d’une vie
digne et épanouie grâce à un accès
universel aux biens de première
nécessité, à l’éducation, aux soins et à
la culture ainsi que la sécurité et le
bien-être.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel
Castro, héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

[1]
Department
of Homeland Security,
« 2008 Yearbook of Immigration
Statistics », Office of
Immigration Statistics, août
2009.
https://www.dhs.gov/xlibrary/assets/statistics/yearbook/2008/ois_yb_2008.pdf
(site consulté le 31 juillet
2017)
[2]
Ibid.
[3]
Salim Lamrani,
Etat de
siège : les sanctions
économiques des Etats-Unis
contre Cuba, Paris, Editions
Estrella, 2011.
[4]
Salim Lamrani,
Cuba : les
médias face au défi de
l’impartialité, Paris,
Editions Estrella, 2013. Voir
chapitre « l’émigration cubaine
vers les Etats-Unis ».
[5]
Cuba/Etats-Unis,
« Declaración conjunta Cuba-EEUU
sobre temas migratorios », 12
janvier 2017.
http://www.cubadebate.cu/noticias/2017/01/12/declaracion-conjunta-cuba-eeuu-sobre-temas-migratorios/#.WX7kUmdds_Z
(site consulté le 31 juillet
2017).
[6]
Oscar Figueredo Reinaldo, Aynel
Martínez Hernández & Cinthya
García Casañas, « De ida y de
regreso : Miradas a la migración
en Cuba »,
Cubadebate, 15
juin 2017.
http://www.cubadebate.cu/especiales/2017/06/15/de-ida-y-de-regreso-miradas-a-la-migracion-en-cuba-video/#.WUPSp3pds_Y
(site consulté le 15 juin 2017).
[7]
Ibid.
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