Les 7 du Québec
La nouvelle économie-politique
américaine,
vers un monde tripolaire ?
Robert Bibeau

Mercredi 22 août 2018
Le capital mène
le monde
L’économie-politique mondiale n’est pas
la résultante d’un complot scénarisé
dans les officines des services secrets
occidentaux. L’économie-politique est le
fruit de manœuvres tactiques savamment
orchestrées et réorientées en fonction
des réactions imprévisibles des
puissances concurrentes ou alliées. Ces
ajustements interviennent suite aux
succès ou aux échecs enregistrés sur les
différents théâtres de guerre, sachant
que cette guerre permanente se
métamorphose constamment prenant d’abord
des aspects commerciaux, puis monétaires
et financiers, puis politiques, puis
diplomatiques et juridiques, et enfin
sociaux avant de se transformer en
affrontements militaires, phase ultime
et incontournable de cette concurrence
permanente entre puissances.
Ce qui distingue
l’époque contemporaine (XXIe
siècle) de l’époque moderne (XIXe
et XXe siècles) c’est que
l’organisation des alliances opposées
qui s’affrontent sur le grand échiquier
n’est plus simplement fondée sur
l’adhésion de l’État-nation (donc du
capital national) à une faction des
belligérants. Les camps se dessinent
également – et surtout – à partir de
l’enchevêtrement des marchés et des
actifs d’immenses conglomérats
corporatifs. Pour connaitre les alliés
des États-Unis dans le camp Atlantique
il ne suffit pas d’observer les
déclarations courroucées des politiciens
larbins européens répliquant à Donald le
« dompteur de lions », non plus que de
comptabiliser les pays membres de
l’ALENA, du CETA ou du Traité Atlantique
(OTAN). Il faut surtout faire le
décompte des membres des conseils
d’administration des immenses
corporations internationales. De plus,
il est judicieux d’analyser les échanges
commerciaux qu’entretiennent ces
différents partenaires corporatifs – à
la fois alliés et concurrents – sur les
marchés mondialisés. Enfin, le tableau
des actionnaires croisés sur les marchés
boursiers révèlera quelles corporations
sont abouchées. Ainsi, l’Américaine
Monsanto a été récemment
avalée par l’Allemande Bayer,
mais les deux immenses corporations sont
détenues par « The Vanguard group« ,
avec 7,27% du capital. La multinationale
Vanguard group, est un fonds
d’investissement tentaculaire, gérant
plus de 5000 milliards de dollars
d’actifs à travers la planète. Il est
par exemple le premier actionnaire de la
banque Goldman Sachs, de
la firme Apple et de
l’Allemande Bayer… comme
le monde est petit… nous voici revenus à
notre point de départ. (1) Ces liaisons
incestueuses en disent davantage sur les
liens qui attachent l’économie allemande
et l’économie américaine que les
offenses proférées par Donald
Trump à Angela Merkel.
De même, pour la « bromance » entre Emmanuel
Macron et Donald Trump.
Autre exemple, ce
n’est qu’une question de temps avant que
l’Ukraine, en faillite technique et
entretenant la plus grande partie de ses
échanges commerciaux avec la Russie,
dépendante du gaz russe pour sa survie
(tout comme l’Allemagne incidemment),
retombe dans l’escarcelle de la
puissance impérialiste russe.
Évidemment, pour celui qui se sacrifie
sur le front du Donbass au
service d’un camp impérialiste ou d’un
autre, la chose semble invraisemblable
et elle retentit comme une trahison de
la chair à canon.
La bascule
Tantôt en position
de puissance montante, puis en position
hégémonique, et ensuite en prostration
déclinante, comme la Grande-Bretagne au
XIXe siècle, les États-Unis
se préoccupent à la fois des régions
centrales de leur empire (Amérique du
Nord et Europe), de son flanc oriental
(Chine-Iran-Corée du Nord), de son flanc
méridional (Afrique et Amérique du Sud),
mais aussi de son flanc austral
(Russie). Simultanément, l’empire du
capital doit aussi manager son aile
gauche, dite
« progressiste-populiste » (les colombes
dans le jargon des chiens de garde
médiatiques) et gouverner son aile
droite « réactionnaire-populiste »
(les « faucons » néolibéraux dans le
jargon des courroies de transmission
médiatiques).
Ces temps-ci, les
experts ont pour mission de couvrir
l’aile gauche de l’armada américaine en
détresse. Observons cet article de
James Georges Jatras sur
Mondialisation.ca : « (en Iran)
au lieu d’un Singapour 2018, nous
pourrions assister à
une répétition de la préparation de
l’Irak 2003. Tant de gens qui battaient
les tambours de guerre contre l’Irak
sous la direction du président George
W. Bush jouent le
même rythme pour l’Iran.
Il est significatif (…) qu’Israël et
l’Arabie saoudite, les deux États
étrangers qui exercent un contrôle quasi
total sur la classe politique à
Washington, souhaitent vivement que les
États-Unis s’occupent de leur problème
iranien à leur place. Même l’idée
farfelue d’une « OTAN
arabe » a été relancée. » (2)
Lors du Sommet de
Singapour (juin 2018),
nous avions expliqué les visées de la
contre-offensive chinoise en Corée où
les États-Unis enlisés sont tombés dans
le piège tendu par Pékin. (3) La
manigance chinoise dans l’affaire
coréenne est de celles qu’aucun
complotiste ne pouvait anticiper tant la
réalité dépasse la fiction. Vous aurez
noté au passage la fadaise de James
Jatras assignant le contrôle de
la politique américaine aux larbins
israéliens, ces mercenaires encerclés
dans leur base militaire américaine au
Levant. Rappelez-vous que ce sont une
centaine de corporations, ayant un
chiffre d’affaires équivalent à Israël,
qui contrôlent l’économie et donc la
politique américaine.
Le projet de
ressusciter l’OTAN-arabe
sous la botte israélienne est de la même
eau frelatée. Elle constitue un aveu
d’impuissance de l’ex-superpuissance
dans cette région que les États-Unis se
sont résignés à partager avec la
nouvelle force montante au Levant, le
vainqueur du martyr syrien. Par la
constitution de l’OTAN-arabe,
sous commandement israélien, les
Américains espèrent conforter, encadrer
et resserrer les liens du dernier carré
de ses affidés dans cette contrée, avant
de se partager la région avec
Vladimir le nouveau champion
d’Armagédon. (4)
Si le Kremlin, trop
gourmand, refusait ce nouveau partage du
monde l’analyste menace l’Iran des
foudres de Mad-dog-Matis
le prototype du « faucon » hystérique –
un épouvantail que le clan Trumpiste a
imposé pour intimider les États
récalcitrants dont l’Iran. Nous
verrons bientôt que l’Iran –
malencontreusement poussé dans le camp
russo-chinois – n’entend pas s’en
laisser imposer ni par Mad-dog-Matis
ni par Bimbo-Pompeo. Ainsi
encadré Donald a hérité du rôle de
modérateur. Le chroniqueur Jatras
propose ensuite : « Écoutez les
discours de Trump et vous découvrirez
que cette proposition – (un ordre
tripolaire – dans lequel Russie, Chine
et États-Unis assumeraient la
responsabilité de maintenir la stabilité
dans leurs zones d’influence respectives)
– se cache derrière la politique
étrangère (…). » Trump a déclaré :
« Vous savez… il y aura un moment où
nous ne pourrons plus le faire
(maintenir notre hégémonie) »,
a-t-il dit à Haberman et Sanger
en 2016, en parlant des engagements de
l’Amérique envers ses alliés. « Vous
savez, quand nous avons conclu ces
accords, nous étions un pays riche… avec
une très forte capacité militaire, à
bien des égards. Nous ne le sommes plus.
(…) La seule réponse acceptable, a-t-il
dit, est de se débarrasser de ces
engagements envers l’étranger et de se
concentrer plutôt sur la
« restauration » des capacités
d’autodéfense du pays par le biais d’un
renforcement massif de ses forces de
combat. » (5) Quelle lucidité
pour un politicien « imprévisible »
(sic) ! À la lumière de ces aveux
non sollicités, on comprend mieux les
allusions de Vladimir Poutine
qui suggérait récemment qu’Israël
pourrait bientôt être largué par le
soi-disant « État profond » yankee. (6)
Un nouvel
« équilibre » tripolaire temporaire
Quels indices nous
fournissent les évènements récents au
Moyen-Orient pour en conclure à ce
réalignement des alliances
interimpérialistes ? Le premier indice
est évident, le pétrodollar a du plomb
dans l’aile, les taux d’intérêt sont en
hausse ce qui aura pour effet de
ralentir la dépréciation du dollar, mais
aussi de réduire la demande sur les
marchés, de paupériser les salariés
surendettés et de provoquer une
dépression économique et entrainer un
grave krach boursier.
Déjà les alliés
européens de l’Amérique prennent leurs
distances face à cette catastrophe
annoncée et se préparent à larguer les
amarres qui les rattachent à ce navire
en perdition, ce que le Royaume-Uni a
compris, qui aimerait effacer le
Brexit. Mais il semble qu’il
soit trop tard pour ses vis-à-vis
allemand et français.
Au Moyen-Orient le
bilan des administrations américaines
successives est catastrophique – loin de
ce qui avait été réussi dans
l’ex-Yougoslavie. L’Afghanistan
n’est pas soumis et ne pourra nullement
servir de base de guerre pour mener des
raids contre les oléoducs russes en
construction vers la Chine. À moins que
les talibans acceptent des
contrats de mercenariat après
entrainement comme « djihadistes »
(sic). Les négociations en cours avec
les talibans ne sont pas encourageantes.
L’Irak est maintenant parti de la
sphère d’influence de l’Iran, ce
qui n’a jamais été souhaité par le
Pentagone complètement dérouté et
résigné. Les alliés saoudiens ont été
mis en échec au Yémen et
dorénavant le Détroit de Bab
el-Mandeb est menacé tout autant
que le Détroit d’Ormuz. La
Turquie est poussée dans
les bras de la Russie et s’éloigne de
l’OTAN, le Liban est sous
influence du Hezbollah et
donc de l’Iran, la Jordanie
rechigne de plus en plus à jouer les
bases arrières des mercenaires pseudo
djihadistes sponsorisés par l’Occident.
Les troufions israéliens commencent à
comprendre qu’on leur demandera
incessamment de proclamer l’État
palestinien-bantoustan-emmuré, adoubé
par la « communauté internationale »
(sic), et dont devront se contenter les
pioupious de l’OLP. Et ils subodorent
qu’on les abandonnera à leur sort au
fond de la Méditerranée arabe.
Quoiqu’elle ait engouffré des dizaines
de milliards de dollars, la guerre de
Syrie est un échec retentissant dont la
Russie sort grandie. Le projet d’un
OTAN-arabe, ne vise
assurément pas à attaquer l’Iran; comment
ces minables Saoudiens mis en échec par
des partisans sous-équipés,
pourraient-ils songer à affronter
l’irascible Iran des Gardiens de la
Révolution ? Faut pas rêver ! Et
du côté de l’Iran, après des velléités
guerrières, comme à l’accoutumée, Trump
s’est dégonflé et il invite maintenant
Hassan Rohani à des
pourparlers empressés. (7)
Effectivement la
carte de l’économie-politique mondiale
se redessine sous nos yeux. Il se
prépare un affrontement gigantesque qui
cette fois mettra aux prises ces
oligarques de tout bord face au
prolétariat international de toute race
et de toute ethnie, au-delà des
divisions nationalistes chauvines
entretenues par les bobos de la gauche
et ceux de la droite cooptées.

Notes
Reçu de Robert Bibeau pour
publication
Le sommaire de Robert Bibeau
Les dernières mises à jour

|