Les 7 du Québec
Menace de guerre impérialiste en
Amérique-Latine
Robert Bibeau

Mercredi 15 mai 2018
La crise vénézuélienne est tout à la
fois complexe et banale. Elle s’inscrit
comme une autre de ces multiples luttes
de soi-disant « libération
nationale » et de « résistance
antiimpérialiste » qui ont jalonné
l’histoire mondiale depuis 1945. Toutes
ces luttes se sont terminées par le
ralliement de la bourgeoisie nationale
combattante à l’une ou à l’autre des
alliances impérialistes (hier,
occidentale-OTAN, ou soviétique-Pacte de
Varsovie, ou encore pseudo
« non-alignée-tiers-mondiste », et
aujourd’hui Américaine, ou Chinoise, ou
encore allemande-Union européenne).
Quoiqu’il en soit du choix d’alliance
politique de cette bourgeoisie
nationaliste « libérée », toutes
faisaient le choix du mode de production
capitaliste (libéral ou totalitaire)
source de toutes les formes
d’oppression. Nous avons largement
documenté ce mythe des luttes de
« libération » nationalistes chauvines
dans notre opuscule «Question
nationale et révolution prolétarienne
sous l’impérialisme moderne »
publié en 2017 chez l’Harmattan. Nous
allons maintenant appliquer au cas
vénézuélien contemporain les principes
de fonctionnement de ces sempiternelles
luttes tiers-mondistes. (1)
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/question-nationale-et-revolution-proletarienne-2/ Alors que le mode
de production capitaliste n’en finit
plus d’agoniser, passant d’une crise à
l’autre sans discontinuer, et alors que
bien peu de prolétaires parviennent à
comprendre le nouveau mode de production
en gestation au sein du capital et qui
provoque ces spasmes à l’intérieur des
anciens rapports sociaux de production
en perturbation, il est tentant de
retourner dans les ornières du
nationalisme-patriotique promues par la
gauche déchue. Ce à quoi, cependant, de
fréquents soulèvements populaires
récents ont su résister (Piqueteros,
Printemps arabes, Carrés rouges, Gilets
jaunes, etc.)
La révolte
petite-bourgeoise vénézuélienne et la «Révolution
bolivarienne»
Depuis son
apparition sur les traces de la
révolution industrielle, la
petite-bourgeoisie rêve d’un monde de
droits, de justice et d’équité qu’elle
aimerait implanter au cœur du
capitaliste bonifié amélioré humanisé.
Pour ce faire la petite-bourgeoisie
aigrie s’attaque à son totem fétiche :
l’État des riches pour le réformer.
C’est la grande mystique de ce fragment
de classe qui dans sa révolte
intempestive contre le système et son
État-ingrat ira jusqu’à menacer de le
répudier et de se joindre aux ouvriers
révoltés afin de punir le grand capital
d’aussi mal le récompenser pour services
rendus. Tout cela n’est que menaces
puériles et comme on l’observe dans la
révolte des Gilets jaunes – la
petite-bourgeoisie est incapable d’aller
plus avant que de quémander des réformes
et obtenir quelques allègements fiscaux
(baisses d’impôts, remises de taxes,
hausse du SMIC).
Il en fut ainsi de
la « révolution » petite-bourgeoise
vénézuélienne. Qu’on se le dise, la « Révolution
bolivarienne » ne fut pas une
révolution sociale radicale, surtout pas
une révolution prolétarienne… l’unique
révolution sociale qui se posera comme
alternative à la société du capital en
déclin. La « Révolution bolivarienne »
fut essentiellement une suite de
réformes apportées à l’appareil d’État
capitaliste vénézuélien afin de lui
permettre de mieux remplir sa mission de
reproduction des conditions économiques
et sociales de la valorisation et de la
réalisation du capital.
Après deux coups
d’État militaires échoués, le très
catholique et très charismatique
« Commandante » militaire Hugo
Chavez, père de la nation et
disciple de ces prêtres-ouvriers qui
émaillèrent la plupart des « luttes
de libération nationalistes
antiimpérialistes » en Amérique
Latine, procéda à des ajustements
structurels indispensables sous une
économie industrielle totalement
intégrée à l’économie de marché
mondialisée.
Le très catholique
Hugo Chavez « Commandante » de l’armée
bourgeoise ne remit jamais en cause les
fondements capitalistes de l’économie
vénézuélienne, l’aurait-il voulu qu’il
n’aurait pas pu. Afin d’élargir la base
de soutien à ses réformes Chavez accorda
quelques miettes aux lumpen-prolétaires
urbains, mais surtout à la
petite-bourgeoisie sociale et aux
apparatchiks militaires (si importants
dans ces pays néocolonisés nationalisés)
afin de gagner l’appui de ces fractions
de classes à la cause du capitalisme
national d’État vénézuélien.
Le perpétuel
pronunciamiento latino-américain
Historiquement,
s’appuyant sur sa riche base économique,
primaire (pétrole, mines, élevage) et
tertiaire (tourisme), le Venezuela a
connu plusieurs révoltes des casernes
(pronunciamiento) contre la faction
compradore et latifundiaire à la
gouvernance de l’État séculier. À chaque
fois les curés de la gauche œcuménique
ont proclamé que le Venezuela s’était « libéré »
du joug de tel dictateur corrompu par
l’impérialisme américain – attestant
ainsi que ces analystes gauchistes ne
comprenaient rien au concept
d’impérialisme. (2) La plupart du temps,
l’ambassade américaine à Caracas était
informée à l’avance du nom du dictateur
qui succèdera au précédent. Puis, tout
reprenait comme avant, et la nouvelle
clique au pouvoir se remplissait les
poches de bolivars et jamais le
prolétariat vénézuélien ne connaissait
l’ombre d’une émancipation de classe.
La présente manche
de la lutte de classes qui se mènent au
Venezuela oppose une frange de la
bourgeoisie nationale « Vénézuélienne
autonomiste » (qui désire une plus large
part de la plus-value extraite de
l’exploitation des ouvriers
vénézuéliens) à une autre faction qui se
satisfait de la répartition de la
plus-value établit avec l’impérialisme
yankee et auquel l’économie du pays est
intimement intégrée.
Si en 1998 une
faction du grand capital vénézuélien a
profité des difficultés de l’économie
pour attribuer le pouvoir bourgeois au
parti socialiste du Commandante Chavez,
aujourd’hui, – la vieille faction des
propriétaires fonciers réactionnaires,
qui se contenterait des prébendes
laissées par les Américains – profitent
de la crise économique qui secoue le
monde, y compris l’enclave bolivarienne
« révolutionnaire-libérée » (sic) pour
se lancer à l’assaut et pour reprendre
la gouvernance de l’État bourgeois,
quitte à provoquer une guerre civile
sanglante. La faction militaire
bolivarienne n’est pas plus avenante et
semble prête à mettre le pays à feu et à
sang pour conserver le contrôle sur
l’auge gouvernemental.
Le Président élu
Nicolas Maduro et son clan nationaliste
bourgeois bolivarien s’accrochent
désespérément à leur pouvoir étatique
bancal, que seule l’armée a la capacité
de leur conserver ou de leur retirer. Ce
que nous saurons sous peu. Pour ce qui
est du soutien des masses populaires,
dont s’enorgueillissait tant le pouvoir
populiste « socialiste catholique »
bolivarien, il s’est évaporé sous les
assauts répétés de la crise économique
politique et sociale (trois-millions de
migrants de la faim), ou il est allé
grossir les rangs de l’opposition après
la déception des promesses non tenues
par le gouvernement socialiste. (3)
Allégeance à la
nouvelle alliance
Comme au temps de
la guerre froide, la fraction de la
bourgeoisie bolivarienne fait
aujourd’hui appel à l’autre clique
impérialiste, cette fois dirigée par la
Chine et la Russie des Routes de la
soie. (3) Ainsi, juste avant la
première tentative de « coup d’État »
menée par le gigolo Guaïdo, le bouffon
trumpiste, le gouvernement Maduro a
attribué l’exclusivité de l’exploitation
des riches gisements d’or du Venezuela à
un consortium minier russe. Depuis la
mise en vigueur des Accords Bâle III,
début mai 2019, l’or redevient le
numéraire de réserve internationale, ce
qui devrait décupler sa valeur surtout
après que le dollar US aura culbuté des
stalles spéculatives boursières. Heureux
ceux qui comme les bolivariens se seront
investis dans l’or et les trusts miniers
russes et chinois, malheur à eux
cependant devant la Réserve fédérale
américaine vindicative.
Et voilà le monde
rediviser en deux camps impériaux et
chaque petit État est intimé de :
a) rester dans le camp Atlantique
en déclin militariste et financier;
b) tenter de se dire « non-aligné »,
mais se soumettant à tous les dictats
des potentats financiers, espérant ainsi
que leur entité « non-alignée » saura se
préserver; c) rallier le nouveau
camp des « capitalismes émergents » qui,
au Proche-Orient, vient de donner une
raclée au vieux tribun de Washington –
que les analystes bourgeois aiment
caricaturer sous les traits de l’État
profond yankee (sic).
La guerre
imminente
Des millions de
vénézuéliens ont fuis cet enfer de
confrontation militaire, de guerre et de
morts qui se trame en Amérique du Sud,
car il n’y aura pas que le Venezuela qui
se fera mettre au pas par l’empire
yankee qui a toujours considéré ce
sous-continent comme sa chasse gardée,
aujourd’hui contesté par la nouvelle
alliance de Shanghai.
Cependant, nous
invitons nos lecteurs à considérer que
le prolétariat de ce coin d’Amérique a
toujours refusé de s’engager dans les
précédentes guerres impérialistes
(sauf le prolétariat cubain contraint)
et il serait possible qu’encore une fois
il refuse de le faire.
L’impossible
révolution prolétarienne mondiale dans
un État bourgeois esseulé
Que l’on nous
comprenne bien, nous ne faisons pas
grief aux leaders bolivariens, pas
davantage qu’aux autres « libérateurs »
tiers-mondistes sud-américains de
n’avoir pu construire un pouvoir
politique prolétarien mondial sur les
cendres nationales du capitalisme
moderne déclinant. Contrairement à
toutes les « révolutions socialistes,
chrétiennes, communistes, gauchistes,
bolivariennes », la révolution sociale
prolétarienne ne sera pas l’œuvre d’un
chef charismatique (Lénine, Mao, Castro
ou Chavez), ni d’une faction, d’une
secte, d’un groupuscule, ou d’un parti,
elle sera l’œuvre du prolétariat mondial
global et elle se réalisera à l’échelle
internationale.
L’expérience de la
« Révolution socialiste bolivarienne »
prouve une fois de plus qu’il est
impossible de construire une entité
prolétarienne communiste sur une
parcelle de terre et que tôt ou Trad le
prolétariat vivant dans une enclave
« libérée » (comme au Chili – 1972, ou
au Chiapas-1994) sera appelé à donner sa
vie pour défendre une faction du grand
capital et qu’il sera floué par l’une ou
l’autre faction du grand capital.
Aujourd’hui, la faction Maduro du grand
capital vénézuélien ne peut tenir ses
promesses –, quels qu’en soient
les motifs allégués – et le sage
prolétariat vénézuélien refuse de
donner sa vie pour l’un ou l’autre
de ces bouffons du capital.
L’armée du
capital au pouvoir
L’armée du capital,
qui n’a jamais changé de nature sous la
révolution socialiste bolivarienne,
tranchera le dilemme de ce qui est tout
sauf une révolution des masses
prolétariennes vénézuéliennes, et il
semble que l’armée bourgeoise accordera
l’exclusivité de l’exploitation des
riches gisements d’or de l’Orénoque à la
Russie, qui deviendra ainsi la nouvelle
puissance impériale exploiteuse de cette
néocolonie que fut toujours le
Venezuela. Quel en sera le bénéfice pour
le prolétariat vénézuélien… des emplois
payés aux tarifs réguliers ni plus ni
moins…et encore en nombre limité (5)?
Dans la grande
tradition sud-américaine, le prolétariat
vénézuélien ne devrait sacrifier aucun
de ses fils pour défendre les intérêts
de l’une ou de l’autre de ces cliques
qui se battent comme des chiffonniers
pour leurs avantages pécuniaires. Votre
guerre de conquête des marchés et des
ressources on ne la fera pas et si vous
nous poussez à bout nous déclencherons
la guerre civile insurrectionnelle. (6)
Notes
- Robert Bibeau.
(2017) Question nationale et
révolution prolétarienne sous
l’impérialisme moderne Paris.
L’Harmattan.
http://www.les7duquebec.com/7-au-front/question-nationale-et-revolution-proletarienne-2/
- Rosa
Luxembourg. « Nous ne nous soucions
pas de savoir qui a attaqué en
premier, qui est « l’agresseur » ou
les « raisons » de chaque capitale
nationale impliquée. Parce que la
question sous-jacente est que
l’impérialisme n’est pas la
politique d’un État ou d’un groupe
d’États déterminés, c’est une phase
du développement capitaliste
mondial, un degré de développement
du capitalisme dans son ensemble. Et
l’ensemble détermine les partis: il
n’y a pas d’État ou de bourgeoisie
qui ne soit impérialiste, car aucun
d’entre eux ne peut ignorer les
conditions générales. Aucune
capitale nationale ne peut se
développer librement à l’intérieur
des frontières de ses États. Elle
doit « sortir » – et par conséquent
jouer et entrer en collision dans le
jeu impérialiste mondial – pour
assurer les conditions de sa propre
reproduction et de son
accumulation. »
-
https://www.lopinion.fr/edition/international/venezuela-general-appelle-l-armee-soulevement-contre-maduro-186647
- Accords Bâle
III
https://www.andlil.com/definition-de-bale-iii-126361.html
-
https://www.courrierinternational.com/article/venezuela-dans-les-eaux-troubles-des-mines-dor
- Venezuela, une
nation assiégée 02.2019 –
Caracas, Venezuela – Javier
Tolcachier, “La
guerre politique, une guerre
socioculturelle »
« Au cours des 20
années qui se sont écoulées depuis
l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en
1999, le pays a connu 25 élections, dont
des élections présidentielles,
législatives, constitutives, régionales
et municipales et une initiative de
révocation du mandat. Parmi ces 25
élections, le Chavisme a gagné 23 fois,
ayant été vaincu lors de la proposition
de l’initiative d’une nouvelle réforme
constitutionnelle en 2007 et lors des
élections parlementaires où l’opposition
a obtenu un large triomphe en 2015. »
et « A cela s’ajoute l’intention
de fermer la voie à la progression des
relations commerciales et
d’investissement entre la Chine, la
Russie et l’Amérique latine, qui
diminuent l’hégémonie économique des
Etats-Unis et de l’Europe sur la
région. »
Reçu de Robert Bibeau pour
publication
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