MADANIYA
Vade-mecum pour «Les Nuls» sur le
printemps arabe
à l’attention du nouveau président
français
René Naba
Vendredi 19 mai 2017
Manifeste pour en finir avec les lubies
et les lobbies.
Texte
d’une intervention au colloque de L’IIP
JHR et le GNRD (Global Network for
Rights and Development) -Palais des
Nations-Genève- Juin 2016 ayant pour
thème : «Le déficit d’image de la
démocratie dans la jeunesse arabe».
«Le
vieux monde se meurt. Le nouveau est
long à apparaître. C’est dans ce clair
obscur que surgissent les monstres».
-Antonio Gransci.
L’inculture, garant de la survie
dynastique
Six ans
après le déclenchement du «printemps
arabe», Saad Hariri, Chef du clan saoudo
américain au Liban et nouveau premier
ministre du Liban, en quasi faillite, a
dû céder ses actions dans l’Arab Bank,
la plus grande banque arabe, à un
consortium saoudo jordanien; la chaîne
trans frontière Al Jazeera, jadis
prescripteur de l’opinion au sein de
l’hémisphère sud, enregistrait une chute
vertigineuse de son audience ; le Prince
Walid Ben Talal, le plus médiatique des
princes wahhabites, était contraint à la
fermeture de sa chaîne satellitaire «Al
Arab» sur ordre de son cousin le Prince
Mohamad Ben Salman, soucieux que la
moindre ombre ne fasse ombrage à sa
majesté, que le consortium Ben Laden,
leader du marché de la construction et
des Travaux publics au Royaume saoudien
était mis en état de cessation de
paiement pour cause de chute d’une grue
dans l’enceinte du périmètre des lieux
saint de la Mecque et que les faiseurs
de guerre de Syrie et de Libye passait à
la trappe de l’histoire dans une
proportion de l’ampleur d’un hécatombe.
Pour
aller plus loin sur ce sujet :
La
promotion des anciens corsaires de la
piraterie maritime de la «Côte des
Pirates», les pétromonarchies du Golfe,
au rang de Maîtres du Monde arabe par le
camp atlantiste, passera à la postérité
comme le symptôme d’une grave aberration
mentale, contre productive, en même
temps qu’une souillure morale indélébile
à inscrire au passif du Monde
occidental.
Si le
Monde arabe en a lourdement pâti durant
la séquence dite du «Printemps arabe»,
le Monde Occidental en pâtira par ses
excroissances dégénératives par ses
effets à long terme.
Il n’est
pas facile d’être un jeune arabe, épris
de démocratie à l’orée du IIe
millénaire. Pas du tout évident.
Le Roi
Salmane d’Arabie saoudite, promu Docteur
Honoris Causa de l’Université du Caire,
en avril 206, résume à lui seul le
malaise arabe et le désabusement de sa
jeunesse. Qu’un monarque, exclusivement
formaté par le code tribal et l’école
coranique, sans le moindre diplôme
universitaire ou même scolaire, de
surcroît belliqueux, irascible,
autocratique, à la lucidité réduite, au
delà de l’aspect caricatural de cette
promotion, constitue une insulte à
l’intelligence humaine, un
contre-exemple à une jeunesse arabe
avide de savoir.
Un
chiffre résume le malaise de la jeunesse
arabe, son découragement et partant le
déficit d’image de la démocratie dans la
jeunesse arabe : En quatre ans (de 2006
à 2009), soit près de cinq ans avant le
soulèvement populaire arabe de l’hiver
2011, 2105 manifestations sociales ont
été dénombrées. D’abord sectorielles,
elles sont allées crescendo : 266 en
2006, 614 en 2007, puis 630 en 2008,
700 en 2009 pour englober les diverses
composantes de la population, dans ses
diverses déclinaisons politiques et
religieuses.
2.500
manifestations (marche de protestation,
grève de la faim, occupation d’usine)
avant que la confrérie des Frères
Musulmans, propulsés par les
pétromonarchies arabes rétrogrades, avec
le soutien de la grande démocratie
américaine, ne rafle la mise tant au
Caire, qu’à Tunis qu’à Tripoli, avant
d’être à son tour évincée du pouvoir.
«Le Printemps des peuples» s’est ainsi
mu en «hiver islamique»
L’exemple vient de très haut. Et
explique, non le déficit d’image, mais
le déficit de l’idée même de démocratie
dans la jeunesse arabe, tout bonnement
car le savoir parait ne pas devoir être
un besoin impératif dans le Monde arabe,
à tout le moins pour ses dirigeants, à
en juger par le niveau intellectuel du
leadership politique arabe depuis près
d’un siècle.
En
quatre-vingt-huit ans d’existence,
l’Arabie saoudite, chef de file du Monde
arabe et musulman, le pays de
passe-droit par excellence, a été
gouvernée par sept monarques (Abdel
Aziz, Saoud, Faysal, Khaled, Fahd,
Abdallah, Salmane) mais, à une période
charnière de l’histoire du monde arabe,
à l’ère de l’optronique, de la
balistique, du combat disséminé et de la
furtivité de basse tension, aucun de ces
monarques n’était détenteur d’un diplôme
universitaire, tous formatés dans le
même moule de la formation bédouine et
de l’école coranique, à l’instar des
autres pétromonarchies gérontocratie du
Golfe.
Soit le
tiers des membres de la Ligue Arabe et
les deux tiers de la richesse nationale
arabe, alors que la théocratie voisine
iranienne a, d’ores et déjà, accédé au
statut de puissance du seuil nucléaire.
À l’exception du Sultan Qabous d’Oman,
la constellation des pétromonarchies du
Golfe présente ainsi l’audacieuse
configuration d’avoir été gouvernée tout
au long du XXe siècle et les premières
décennies du XXIe siècle par une
brochette de dirigeants tous formatés
dans le même moule du code tribal.
Zone
stratégique majeure du système
énergétique mondial, objet de tant de
convoitises, face à un environnement
dont la dangerosité potentielle est
manifestée par le déploiement limitrophe
de six puissances nucléaires (Inde,
Pakistan, Israël, Ukraine, Russie et
Iran), cette formation intellectuelle
est sans doute valorisante pour l’amour
propre tribal, certainement pas pour la
sécurisation de son espace national.
Le
modernisme tapageur tient lieu de
substitut à un chauvinisme tribal et un
archaïsme rance. La conduite automobile
ne saurait être gage de modernité sous
les tropiques monarchiques. Elle ne sert
que d’alibi et de cache misère
intellectuel à une caste repue.
L’esbroufe a toutefois un prix : Une
servitude totale et absolue à l’égard
des États-Unis, chef de file du camp
occidental, premier producteur et
exportateur de biens culturels à travers
le Monde. La plus importante entreprise
de colonisation culturelle de l’époque
contemporaine.
Sur fond
de rigorisme infantilisant, de confusion
mentale, de mégalomanie, de sénilité,
d’analphabétisme, de corruption et de
veulerie, la pathologie du leadership
arabe apparaît ainsi comme un des
handicaps majeurs au décollage du Monde
arabe. Si l’instabilité républicaine a
été décriée pour ses coups d’états et
ses coups de folie (37 putschs en 60
ans, soit 2 par an en moyenne, la
cohorte monarchique n’en a pas été en
reste.
Épaulés
par des armées d’opérette, les pétro
monarques ont pratiqué depuis cinquante
ans le dérapage contrôlé sous l’œil
vigilant de leur tuteur américain. Le
putsch se réduit à un crime de sang
intrafamilial. Il se décide lorsque le
gouverneur en place déplaît à leur
souverain absolu, le cappo di tutti
cappi américain. Deux dirigeants arabes
sont ainsi des parricides politiques, le
Sultan Qabous d’Oman et l’Émir du Qatar,
Cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani, tous
deux situés dans le giron occidental et
cités en exemple de démocratie.
La
sacralité des dictatures monarchiques
arabes
Même
Hussein de Jordanie et Hassan II du
Maroc, les deux piliers de la diplomatie
souterraine pro-israélienne
n’échapperont pas à l’opprobre, passant
à la postérité comme les voltigeurs de
pointe de la diplomatie occidentale et
les partenaires occultes de la
diplomatie souterraine israélo-arabe.
Hussein,
chef de la dynastie Hachémite, et Hassan
II, chef de la dynastie alaouite, auront
été les deux seuls souverains arabes de
la seconde moitié du XXe siècle diplômés
des universités occidentales, chacun
dans la filière coloniale de son pays.
Mais le
savoir acquis au cours de leur cursus
universitaire ne sera jamais affecté à
la modernisation de leur royaume
respectif mais à conforter leur
archaïsme dans leur méthode de
gouvernement et leur narcissisme dans
leur projection médiatique occidentale.
La
sauvegarde des pétromonarchies du Golfe,
dont il sera longtemps le meilleur
gendarme régional, ainsi que
l’intégration israélienne au
Moyen-Orient, ont valu au fondateur de
la branche jordanienne de la dynastie,
le Roi Abdallah 1er, d’être assassiné à
Jérusalem même, dans l’enceinte de la
Mosquée Al-Aqsa, signe indiscutable de
la fureur qu’une telle famille inspirait
à la population.
Quant
Hassan II, en monarque absolu, il
n’imposera aucune limite à son
extravagance. Son Royaume des bagnes et
de la terreur sera pourtant vanté comme
le paradis sur terre, avec la
complaisance de la cohorte des plumitifs
français.
Le Maroc
constituait, il est vrai, une pièce
maîtresse du dispositif occidental
contre le bloc communiste, tant en sa
qualité de membre actif du Safari Club»
en charge de la protection des
dictateurs africains pro-occidentaux,
que pour sa position, durant la guerre
froide américano-soviétique (1945-1990),
de base de repli au haut commandement
politique et militaire français en cas
d’invasion de Paris par les troupes
communistes dans le cadre de la
stratégie du «Stand Behind».
Quant
aux bureaucraties militaires, un
phénomène de captation s’est produit du
fait du conflit avec Israël.
L’État-nation s’est posé en incarnation
de l’identité collective, puis, par
réduction successive, par un phénomène
de diglossie, ce fut au tour du parti
unique puis du clan d’en être
l’incarnation, avant de finir par être
incarné par une personne.
L’épuisement du modèle de l’état rentier
a débouché sur la transformation de la
quasi-totalité des républiques arabes en
dynasties familiales. Ce qui a entraîné
un rétrécissement de l’offre politique,
créant ainsi une source de
mécontentement supplémentaire, sans la
moindre perspective de promotion sociale
ni de satisfaction internationale.
Le
système éducatif en question
Dans le
Monde arabe, particulièrement la zone du
Golfe, le système éducatif repose sur le
principe statique de la mémorisation, de
la déclamation ou de la scansion,
bannissant de l’enseignement la
docimologie (la science qui apprécie les
différents moyens de contrôle des
connaissances), le génie kinesthésique
(la capacité de se mouvoir d’une manière
autonome et de maîtriser l’espace), les
capacités intra psychiques (l’intuition
et l’intelligence émotionnelle),
l’agilité verbale et la logique
mathématique.
L’enseignement aménage un «contenant de
pensée, sans contenu de pensée», selon
l’expression du philosophe libanais
Roger Naba’a.
Dans ce
contexte, l’enseignement de la
philosophie plus particulièrement
relève, à ce titre, d’un acte
schizophrène se faisant sur fond d’une
fracture radicale entre «l’espace de la
classe» où l’élève s’exerce aux
finalités de cet enseignement et
«l’espace du social» (public ou privé)
qui lui refuse obstinément les
possibilités d’un tel exercice.
Pétromonarchies du Golfe et Wahhabisme,
les deux handicaps majeurs de la sphère
arabo musulmane
Le Monde
arabe est captif des pétromonarchies et
le Monde musulman, otage du wahhabisme ;
un double handicap qui accentue la
servitude de l’ensemble arabo musulman
et le marginalise dans la gestion des
affaires du Monde.
A- Les six pétromonarchies,
adossées chacune à une base militaire
occidentale, -en sus de la Jordanie et
du Maroc, les deux alliés souterrains
d’Israël, ainsi que des Comores, un
confetti de l’empire français et
Djibouti, qui abrite sur son sol une
base américaine et une base française-,
disposent d’une majorité de blocage
régentant de ce fait le Monde arabe.
Ni les
pétromonarchies du Golfe, ni la
Jordanie, ni Djibouti ou les Comores
n’ont mené une guerre de libération dont
l’indépendance a été octroyée par leurs
colonisateurs. Un déséquilibre
structurel calamiteux pour la définition
d’une stratégie du Monde arabe.
B- L’usage de l’arme du
pétrole, lors de la guerre d’octobre
1973, n’avait pas pour fonction première
de soutenir le combat des pays du champ
de bataille (Égypte, Syrie, OLP, Liban),
mais de financer indirectement l’effort
de guerre américain au Vietnam en
fragilisant les rivaux économiques des
États Unis, le Japon et l’Union
européenne, dépourvus tous les deux du
pétrole.
C- L’usage de l’arme du
pétrole, par le surenchérissement
soudain des principautés du golfe, a
entraîné un basculement géo stratégique
du centre de gravité du monde arabe, de
la rive républicaine de la Méditerranée
vers les monarchies du Golfe, de la zone
de pénurie populeuse et frondeuse vers
la zone d’abondance ; Des pays du champ
de bataille, qui ont tous mené des
guerres d’indépendance vers une zone
sous tutelle militaire occidentale.
D- Corrélativement, le mot
d’ordre «Unité Arabe» a cédé la place au
mot d’ordre de «Solidarité islamique»,
diluant ainsi la question palestinienne
dans un ensemble plus vaste, polymorphe
incluant les grands pays musulmans
alliés stratégiques d’Israël : L’Iran du
temps du chah d’Iran et la Turquie, le
«Muslim de service» de l’Otan.
E- L’Instrumentalisation de
l’Islam dans la guerre anti soviétique
d’Afghanistan, dans la décennie 1980, a
eu une double fonction :
-
Détourner le combat pour la
Palestine et de le dérouter à 5.000
km du champ de bataille vers
l’Afghanistan. Ni Al Qaida, ni plus
récemment Daech n’ont jamais tiré un
coup de feu en faveur de la
Palestine ou contre Israël.
-
Imploser l’Union soviétique, le
principal fournisseur en armes des
pays du champ de bataille et de leur
soutien, soit au total 8 pays
(Égypte, Syrie, Irak, OLP, Algérie,
Libye, Soudan, Somalie), plaçant
ainsi le Monde arabe sous la coupe
exclusive des États Unis, le
protecteur d’Israël.
F- Le surplus de pétrodollars
généré par l’usage de l’arme du pétrole
a été affecté au financement du
djihadisme planétaire (Afghanistan,
Bosnie, Tchétchénie puis séquence dite
du printemps arabe). Le recyclage des
pétrodollars en faveur de la stratégie
atlantiste apparaît rétrospectivement
comme un cadeau compensatoire aux États
Unis pour l’enrichissement soudain et
excessif des Émirats. Le financement du
djihad par les pétrodollars répondait au
besoin d’un financement qui soit à la
mesure d’une économie mondialisée, qui
prenne le relais du financement par la
drogue de l’effort de guerre américain
au Vietnam.
G- Le printemps arabe est
intervenu au terme d’une décennie
calamiteuse de «guerre contre le
terrorisme», matérialisée par les
interventions américaines en Afghanistan
(2001) et en Irak (2003), avec leur
coûteuse répercussion sur les finances
des États-Unis. La crise du système
bancaire américain (2008) qui en a
découlé a entraîné une perte de
capitalisation boursière de l’ordre de
25 mille milliards de dollars. Cumulée
avec la crise systémique de
l’endettement européen, le carnage
d’Oslo juillet 2011, carnage commis par
un européen, dans un pays européen
contre des européens, ont constitué un
désaveu absolu à la «guerre contre le
terrorisme».
Ce qu’il
est convenu d’appeler «le printemps
arabe» est en fait une guerre de
prédation des économies arabes, avec le
démembrement du Soudan, principal
ravitailleur énergétique de la Chine,
via le sud soudan, la désarticulation de
la Libye, principal ravitailleur
pétrolier de la Russie, et la
neutralisation de la Syrie, l’allié
permanent de la Russie et de la Chine
dans le Monde arabe.
Cadeau
compensatoire à la Turquie pour le refus
de son admission au sein de l’Union
européenne, la guerre de Syrie a
constitué une guerre de substitution à
l’Iran, en vue de briser les voies de
ravitaillement stratégique du Hezbollah,
dans le sud Liban, invincible à ce jour
face à Israël.
Mais par
sa proximité avec le théâtre européen,
contrairement à l’Afghanistan, la guerre
de Syrie menée par une coalition conte
nature des «grandes démocraties
occidentales» et les pétromonarchies les
plus rétrogrades et les plus répressifs
du monde, par ailleurs incubateur du
djihadisme planétaire, a entraîné un
effet boomerang sur le théâtre européen
avec les interventions meurtrières des
paumés de l’islam (Mohamed Merah, Mehdi
Nemmouche, les frères Kouachi et Amédy
Coulibaly ainsi que les zombies
criminogènes du massacre de
Paris-Bataclan du 13 novembre 2015.
La
guerre de Syrie, par les 4 veto opposés
par la Russie et la Chine au Conseil de
sécurité a mis terme à l’unilatéralisme
occidental dans la gestion des affaires
du Monde et favorisé l’émergence d’un
Monde multipolaire avec la montée en
puissance du BRICS (Brésil, Russie,
Inde, Chine et Afrique du sud).
Des
dangers d’une lecture exclusivement
occidentaliste de la réalité arabe
Au-delà
des vives critiques fondées sur les
tares du pouvoir syrien, la
déstabilisation de la Syrie vise à
compenser le basculement de Égypte dans
le camp de la contestation arabe et à
rompre la continuité stratégique entre
les diverses composantes de l’axe de la
résistance à l’hégémonie
israélo-américaine en coupant les voies
de ravitaillement du Hezbollah au sud
Liban.
Gardons-nous d’une lecture
occidentaliste des soulèvements dans le
monde arabe. Si la critique est
nécessaire pour le bon fonctionnement de
la démocratie. Une pédagogie politique
des peuples commande que la critique
porte sur tous les aspects du problème,
dont une lecture fractale pointera
immanquablement les «tortuosités» du
discours dominant occidental.
L’effet
secondaire est de détourner l’attention
sur la phagocytose de la Palestine par
Israël avec la complicité des états
occidentaux. Israël et la Syrie ne
partagent pas le même intérêt. L’État
hébreu cherche à constituer une ceinture
d’états vassaux sur son pourtour, alose
que la Syrie s’emploie à se dégager du
nœud coulant glissé autour de son cou
par la Turquie, Israël et la Jordanie en
vue de la forcer à la reddition.
Deuxio : La Syrie et l’Irak
constituaient les deux seuls états du
Monde arabe animés d’une idéologie
laïque. L’Irak a été démantelé par les
Américains avec pour conséquence la
constitution d’ une enclave autonome
pro-israélienne dans le Kurdistan
irakien, le schéma qui a préludé au
démembrement du Soudan avec la
constitution d’une enclave pro
israélienne au sud Soudan, sur le
parcours du NIL.
Tertio : La libre détermination
des peuples est un droit sacré
inaliénable. Cela doit s’appliquer en
Syrie, comme en Palestine. Cautionner,
en juillet 2011 à Paris, sous la
houlette de Bernard-Henri Lévy, le fer
de lance de la campagne médiatique
pro-israélienne en Europe, la conférence
de l’opposition syrienne, a discrédité
les participants et jete un voile de
suspicion sur leurs objectifs.
Quarto : La succession
dynastique doit être prohibée. Mais ce
principe doit s’appliquer sans exception
à Bachar Al-Assad, certes, mais aussi à
Saad Hariri, qui a succédé à son père
Rafic Hariri, sans la moindre
préparation, à la tête d’un pays situé à
l’épicentre du Moyen orient. À Ali Bongo
dont la France a truqué les élections
pour favoriser sa propulsion à la tête
de l’état gabonais. À Amine Gemayel, élu
à l’ombre des blindés israéliens en
remplacement de son frère assassiné
Bachir, lui même élu à l’ombre des
blindés israéliens. À Nicolas Sarkozy
qui a veillé à propulser son fils Jean à
la tête de l’EPAD (Hauts de Seine). À
Hosni Moubarak qui se préparait à passer
la main à son fils Jamal, avec la
bénédiction des occidentaux dont Sarkozy
saluera le courage de son départ, sans
le moindre mot pour la courageuse lutte
du peuple égyptien.
Cinquo : Faire le procès de la
perte du Golan au régime syrien est un
procès de mauvaise foi. La disproportion
des forces est patente entre Israël,
première puissance nucléaire du tiers
monde, de surcroît inconditionnellement
soutenue par les États-Unis, la première
puissance militaire de l’époque
contemporaine, face à un pays, la Syrie,
objet de tentatives répétitives de
déstabilisation particulièrement de la
part de ses frères arabes.
Le coup
d’état du colonel Salim Hatoum, en
Syrie, financé par l’Arabie saoudite,
est intervenue en 1966, en pleine phase
de détournement des eaux du Jourdain par
Israël et la révolte de Hamas en 1982
est intervenue en pleine préparation de
l’invasion israélienne du Liban visant à
installer le chef milicien phalangiste
Bachir Gémayel au Pouvoir.
Sexto : Se placer sous l’égide
la Turquie relève d’une tragique
méconnaissance des réalités régionales
lorsque l’on sait que la Turquie est le
principal allié stratégique d’Israël
pendant un demi-siècle, l’uni 6- La
Russie, à l’épicentre de la zone des
conflits du Moyen-orient
Une
décennie calamiteuse s’est achevée
marquée par la destruction des deux
anciennes capitales de la conquête
arabe, Bagdad, capitale de l’ancien
empire abbasside, en 2003, Damas,
ancienne capitale de l’empire Omeyyade,
en 2013. Du fait de l’alliance de la
dynastie wahhabite avec le bloc
atlantiste. Sans le moindre profit, ni
pour les Arabes, ni pour les Musulmans.
Il
appartient aux Arabes, et non à l’Otan,
de livrer leur propre bataille pour la
Liberté et l’égalité. Pour la dignité et
le pluralisme. Aux Arabes de s’opposer à
toute dictature, républicaine qu’elle
soit ou monarchique.
De
rompre avec la logique de vassalité. De
répudier la mentalité de supplétif. De
garder présent à l’esprit le piège de
Kaboul, le plus grand détournement de
combat de la Palestine vers
l’Afghanistan.
La Russie, que les commanditaires des
djihadistes et de leurs suppôts
djihadologues, rêvaient de bouter hors
du Monde musulman d’Afghanistan, -de la
Tchétchénie, à la Bosnie, à la Somalie,
au Soudan et à la Libye-, se retrouve,
35 ans après le déclenchement de la
guerre anti soviétique d’Afghanistan, à
l’épicentre de la zone des conflits du
Moyen-Orient, solidement implantée
militairement au cœur historique du
Monde arabe, la Syrie, à l’intercession
des deux manches de la tenaille formée
par la Turquie et Israël, qui enserre le
Monde arabe depuis la période des
guerres d’indépendance des pays arabes.
Par
l’intervention directe et massive de son
aviation dans le conflit syrien, la
Russie a brisé le monopole des airs
détenu depuis la fin de la IIe guerre
Mondiale (1939-1945) par le duo
israélo-américain. Une percée
stratégique confortée par le retour en
force de l’Iran, puissance du seuil
nucléaire, en tant qu’acteur majeur de
la scène régionale et rival idéologique
de la dynastie wahhabite.
Le
seuil critique
L’État-nation moderne a été une réponse
aux défis des temps modernes, avec
l’avènement de la révolution
industrielle, l’invention du chemin de
fer et les bateaux à vapeur et des armes
modernes de plus en plus meurtrières.
Une
nouvelle conception pris sa forme
optimale dans un État rassemblant des
dizaines de millions de gens, assez pour
soutenir une économie industrielle
moderne, pour défendre son territoire
avec des armées de masse, pour
développer une langue commune comme base
de communication entre tous les
citoyens.
L’Angleterre, l’Écosse, le pays de
Galles et l’Irlande furent réunies de
force pour former la Grande Bretagne,
une nation suffisamment grande et forte
pour conquérir une grande partie du
monde. Les Français, les Bretons, les
Provençaux, les Corses s’unirent pour
constituer la France, s’enorgueillissant
de leur langue commune.
L’Allemagne, entrée tardivement en
scène, rassembla des douzaines de
principautés et de royaumes souverains
(Prussiens, Bavarois, Hambourgeois) pour
former le nouveau Reich allemand en 1870
pratiquement sur le champ de bataille de
la guerre franco prussienne.
Toutes
ces nouvelles «nations» se lancèrent
dans des conquêtes, mais avant tout
elles «conquirent», pour l’annexer, leur
propre passé. Philosophes, historiens,
enseignants et hommes politiques se
mirent tous activement à réécrire leur
passé, transformant tout en histoire
«nationale».
L’État-nation devint obsolète du fait de
la mondialisation de l’économie, des
alliances militaires supranationales,
des communications planétaires et du
changement climatique.
Des
organisations supranationales tels
l’Union Européenne et l’OTAN se sont
ainsi substitués aux fonctions naguère
assurées par des États-nations.
Par
quatre fois en un siècle, le Monde arabe
a perdu la bataille de la modernité et
du décollage économique, perpétuant
durablement sa sujétion :
- Au
XIXe siècle, sous Mohammad Ali, à
l’époque de l’essor de l’industrie
manufacturière.
- Au
moment de l’indépendance des pays
arabes, à l’époque de la guerre
froide soviéto américaine et des
conflits inter-arabes subséquents à
l’instrumentalisation de l’Islam
comme arme de combat contre le
nationalisme arabe.
-
Pendant le dernier quart du XXe
siècle, à la faveur du boom
pétrolier qui transforma précocement
bon nombre de jeunes pétromonarchies
en «état rentier» dispendieux.
-
Pendant la deuxième décennie du XXIe
siècle lors du «printemps arabe»
précocement muté en une glaciation
absolue du fait de
l’instrumentalisation du terrorisme
djihadiste en arme pour la survie
des monarchies décriées et
déconsidérées
La caste
intellectuelle arabe de la diaspora
occidentale pâtit lourdement d’un
phénomène de désorientation, la marque
typique de l’acculturation, sur fond
d’une décompression psychologique et
d’une déperdition intellectuelle morale.
Un naufrage humain.
La quête
du savoir technologique et l’accession à
la modernisation économique ne sauraient
être compatibles avec un autoritarisme
bureaucratique, monarchique ou
républicain, qu’il soit.
De même
la personnalisation du pouvoir ne
saurait, à elle seule, servir de
panacées à tous les maux de la société
arabe, ni la déclamation tenir lieu de
substitut à l’impérieuse nécessité d’une
maîtrise de la complexité de la
modernité.
Ce qui
implique une nécessaire mais salutaire
remise en cause de la «culture de
gouvernement» dans les pays arabes.
Ce qui
présuppose pour le pouvoir une refonte
de ses pratiques, «une révolution dans
la sphère culturelle», au sens où
l’entend Jacques Berque, c’est à dire
«l’action d’une société quand elle se
cherche un sens et une expression».
Pour
l’intellectuel, un réinvestissement du
champ du débat par sa contribution à la
production des valeurs et au
développement de l’esprit critique. Pour
le citoyen, la conquête de nouveaux
espaces de liberté.
Pour le
Monde arabe, la prise en compte de ses
diverses composantes, notamment ses
minorités culturelles et religieuses,
et, surtout, dernière et non la moindre
des conditions, le dépassement de ses
divisions.
En un
mot, une rupture avec la fatalité du
déclin.
Sauf à
se résoudre à un déclin irrémédiable,
les pays arabes ne sauraient faire
l’économie dune réflexion approfondie de
leur approche stratégique des défis du
monde contemporain, car le plus grand
danger qui guette le Monde arabe au XXIe
siècle sera, non la modernité, mais
l’artifice de la modernité, l’amalgame
entre modernité et archaïsme, et, sous
couvert de synthèse, de mettre la
modernité au service de l’archaïsme,
mettre une technologie du XXIe siècle au
service d’une idéologie passéiste pour
le plus grand bénéfice des équipes
dirigeantes, avec en prime le risque
probable d’une plus grande régression
arabe.
Sauf à
entraîner le Monde arabe dans un déclin
irrémédiable, une claire rupture avec la
logique de la vassalité s’impose, alors
que la scène internationale s’achemine
vers un choc entre le leader en devenir
(la Chine) et la puissance déclinante
(États-Unis), impliquant une vaste
redistribution des cartes géopolitiques
à l’échelle planétaire.
La
fonction d’un binational
La
fonction d’un bi national n’est pas
d’être le porte-voix de son pays
d’accueil, ni son porte-serviette, mais
d’assumer avec vigueur la fonction
d’interface exigeant et critique. Un
garde-fou à des débordements
préjudiciables du pays d’origine et du
pays d’accueil.
Dans
l’intérêt bien compris des deux camps,
le partenariat binational se doit de se
faire, sur un pied d’égalité et non sur
un rapport de subordination de l’ancien
colonisé, le faisant apparaître comme le
supplétif de son ancien colonisateur.
De la
même manière, le devoir d’un
intellectuel progressiste est de faire
conjuguer Islam et progressisme et non
de provoquer l’abdication intellectuelle
des progressistes devant un islamisme
basique, invariablement placé sous les
fourches caudines israélo-américaines.
La plus
grande erreur de l’Occident est d’avoir
toujours voulu coexister avec des
«Arabes domestiqués» dans la plus grande
tradition coloniale.
L’histoire du Monde arabe abonde de ces
exemples de «fusibles» magnifiés dans le
«martyr», victimes sacrificielles d’une
politique de puissance dont ils auront
été, les partenaires jamais, les
exécutants fidèles, toujours. Dans les
périodes de bouleversement
géostratégique, les dépassements de
seuil ne sauraient se franchir dans le
monde arabe sans déclencher des
répliques punitives.
Il est des blessures qui s’ulcèrent avec
le temps au lieu de se cicatriser.
L’histoire est comptable des
comportements désinvoltes lourds
toutefois de servitudes futures.
Une
civilisation qui s’avère incapable de
résoudre les problèmes que suscite son
fonctionnement est une civilisation
décadente. Une civilisation qui ruse
avec ces principes est une civilisation
moribonde (Aimé Césaire).
Il ne
saurait y avoir de printemps arabe sans
«printemps en Palestine», tout comme
l’avènement d’une «Syrie nouvelle, sans
Assad» présuppose l’avènement d’une
«Arabie saoudite nouvelle, sans une
dynastie obscurantiste et takfiriste».
Et s’il n’y a «pas de printemps en
Syrie», c’est tout bonnement parce qu’il
n’y a «pas eu de printemps à Bahreïn».
Au vu
des résultats catastrophiques du
«printemps arabe», force est de déduire
que trop d’interdit tue l’interdit. Cela
concerne particulièrement les Frères
Musulmans et autres salafistes
affairistes.
L’enfouissement du corps et de l’esprit
ne constituent pas la voie le meilleure
pour le redressement du Monde arabe et
la restauration de sa dignité. Toutes
ces raisons -et biens d’autres-
expliquent «le déficit d’image de la
démocratie dans la jeunesse arabe».
Reçu de René Naba pour publication
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