Liban
La fin d’une tumultueuse cohabitation
libano-palestinienne
René Naba
Dimanche 18 juin 2017
Ce papier a été rédigé le 20 Août 1982 .
Sa réactualisation 35 ans après figure
en fin de texte.
Paris 20
Août 1982 (AFP) – Le départ des
combattants de l’OLP de leur sanctuaire
de Beyrouth-Ouest, qui a commencé samedi
20 Août 1982, constitue l’épilogue de
deux mois de guerre
israélo-palestinienne et marque, du même
coup, la fin de trente cinq ans d’une
tumultueuse cohabitation
libano-palestinienne.
Nul ne
prévoyait, pourtant, lorsque la première
fournée de réfugiés palestiniens
arrivait au Liban, en 1948, que cette
cohabitation, paisible au départ, allait
déboucher, un quart de siècle plus tard,
sur la plus longue et la plus meurtrière
des guerres fratricides interarabes : la
guerre civile libanaise, qui allait
opposer à partir de 1975 et pratiquement
sans interruption pendant sept ans, les
milices chrétiennes, d’une part, et
leurs adversaires libano-progressistes
soutenus par l’OLP, d’autre part.
Une
guerre qui prendra ensuite une dimension
régionale avec l’intervention de la
Syrie d’abord puis d’Israël, qui envahit
le Sud-Liban, en avril 1978, avant
d’atteindre Beyrouth en juin 1982.
Au nombre de 140.000 en 1948, ils sont
400.000 après l’élimination de la
Résistance Palestinienne en Jordanie, en
1970. Les phalangistes et leurs alliés
chrétiens les accusent d’avoir constitué
un «état dans l’état», en même temps que
d’avoir modifié l’équilibre
démographique du Liban, constitué par
une mosaïque de 17 communautés
confessionnelles.
Pendant
vingt ans (1948-1968) les Palestiniens
seront des hôtes embarrassants mais
zélés du Liban, qui concilie ainsi, sans
grand risque, les devoirs découlant de
la solidarité arabe sans pour autant
négliger ce qu’il juge être ses «
intérêts supérieurs».
Pris en charge à partir de 1950 par
l’UNRWA (office de secours des Nations
Unies pour les réfugiés palestiniens),
ils sont répartis dans quinze «camps de
transit» autour des agglomérations
urbaines libanaises: Beyrouth, Tripoli,
Saida et Tyr.
Pour un
pays qui prend son essor économique en
se substituant à la Palestine comme
centre de transit du Moyen-Orient, les
Palestiniens représentent un volant de
main d’œuvre bon marché, alors que le
port de Beyrouth ravissait au port de
Haïfa, le rôle de principal voie d’accès
à l’hinterland stratégique arabe.
L’année
1967 est la date charnière qui marque la
fin de la coexistence pacifique, avec la
défaite de l’ Égypte et de la Syrie
devant Israël, l’émergence de la
guérilla palestinienne et son
développement intensif du Liban.
Les camps de réfugiés font alors de plus
en plus figure d’îlots de misère autour
de la luxueuse métropole libanaise. Ils
se transforment progressivement en
centre de mobilisation politique, tant
pour les Palestiniens que pour les
progressistes libanais.
Après un
raid de l’aviation israélienne contre
l’aéroport de Beyrouth (28 décembre
1968), des incidents armés éclatent
entre les Fedayine qui tentent de
s’infiltrer dans le sud du Liban et les
forces gouvernementales.
Succédant à Ahmad Choukeiry, le nouveau
chef de l’OLP, Yasser Arafat, sort
victorieux de cette première épreuve qui
se termine, sept mois plus tard, par la
signature de l’Accord libano-palestinien
du Caire, le 3 novembre 1969, sous
l’égide du président Nasser.
L’Organisation de Libération de la
Palestine, fondée cinq ans auparavant,
se voit reconnaître le contrôle quasi
exclusif des camps de réfugiés, qui
deviennent vite des pépinières de
guérilleros.
L’Accord du Caire, qui légalise la
présence militaire palestinienne au
Liban, est avalisé par toutes les
composantes du gouvernement, y compris
les phalangistes, et dénoncé par un seul
dirigeant libanais, M. Raymond Eddé
(chrétien modéré).
En 1970,
l’élimination des Fedayine en Jordanie
au cours du «septembre noir»
s’accompagne du transfert vers Beyrouth
des permanences des principales
organisations palestiniennes et de
l’élection d’un homme à poigne, M.
Soleimane Frangié, à la présidence de la
République libanaise.
De 1970
à 1975, des heurts opposent Palestiniens
à l’armée libanaise. Les israéliens
multiplient leurs coups de boutoir au
Liban. Le pouvoir de l’état libanais
s’effrite. Les Musulmans dénoncent la
carence de l’armée face à Israël, les
Chrétiens accusent les Fedayine et leurs
alliés progressistes de chercher à
déstabiliser le pays. Les Palestiniens,
quant à eux, renforcent la défense de
leurs camps.
Le
mitraillage d’un car palestinien dans le
quartier chrétien de Ein el-Remmaneh, en
avril 1975, marque le déclenchement de
la guerre civile libanaise, qui
culminera sept ans plus tard avec
l’offensive israélienne sur Beyrouth, en
juin 1982.
Sur les
quinze camps d’hébergement des
Palestiniens qui existaient au Liban en
1950, onze ont été détruits, trois par
les phalangistes dont un, celui de Tall
el-Zaatar, en Août 1976, avec le soutien
des Syriens, et huit autres par les
Israéliens, notamment ceux de Ein el
Heloué, dans la région de Saïda, et de
Rachidyeh (Tyr), ainsi que les trois
grands camps de la région de Beyrouth,
Bourj el Barajneh, Sabra et Chatila.
Ne
subsistent notamment que deux camps dans
le nord du Liban –Beddawi et Nahr El-Bared,
et un troisième celui de Wavel, dans la
région de Baalbeck (centre du Liban).
Les camps
palestiniens du Liban 35 ans après.
La
destruction du sanctuaire libanais de
l’OLP, de même que l’évacuation des
Fedayine par la voie des mers créera un
vide qui sera vite comblé d’abord par
les milices chiites, puis par
phagocytose successive par le Hezbollah
Libanais qui prendra le commandement
politico militaire de la communauté
chiite, la plus importante communauté
numériquement parlant au Liban, de
surcroît déployée le long de la région
frontalière du sud Liban.
La
décennie 1980
Sur fond
de guerre entre l’Irak et l’Iran, la
décennie 1980 verra Beyrouth servir de
champ de confrontation dérivé entre les
États-Unis et la France, principaux
partenaires de l’Irak dans sa guerre
contre l’Iran, d’une part, l’Iran,
d’autre part, via des organisations
clandestines. Une guerre qui se
matérialisera par la destruction de
l’ambassade des États-Unis à Beyrouth,
et du Quartier Général des marines
américains, et pour la France, par
l’assassinat de l’ambassadeur de France
Louis Delamarre, le dynamitage du PC
français le Drakkar et une spirale
d’otages, dont la plus illustre victime
sera le sociologue Michel Seurat, le
plus brillant chercheur français
arabophone de sa génération.
La
décennie 2000
Le
Hezbollah libanais signe son premier
exploit militaire d’envergure en
obtenant le retrait israélien du sud
Liban, le 25 2000, sans négociation ni
traité de paix. Cette première
évacuation israélienne d’un territoire
arabe sans contact direct propulse le
Hezbollah au rang d’acteur majeur de la
scène libanaise et le Liban au rang de
curseur diplomatique régional, conférant
au standard libanais une valeur
d’exemple.
2006 –
La Guerre de Juillet 2006 : une 2e
contre-performance israélienne, un
revers symbolique
Trois
ans après l’invasion américaine de
l’Irak, une période marquée par les
déboires militaires de la politique néo
conservatrice américaine, l’assassinat
du premier ministre libanais, Rafic
Hariri, Israël prête main forte aux
Américains en vue de soulager la
pression pesant sur eux, en entreprenant
une guerre de destruction du Liban
principalement contre les zones à
majorité chiite, afin d’affaiblir le
potentiel du Hezbollah, gommer dans
l’opinion occidental l’image honteuse de
son retrait sans gloire du Liban et de
venger la mort du chef du clan
saoudo-américain au Liban.
En vain.
Cette deuxième contre-performance
israélienne contre le Hezbollah retentit
comme un revers symbolique altérant
gravement son image dans l’opinion
occidentale. L’ordonnateur de cette
expédition le premier ministre israélien
Ehoud Olmert croupit en prison et le
chef de son aviation le Général Dan
Haloutz, démissionné d’office de son
poste à la suite de ce revers.
Le
Hezbollah devient un point de fixation
des stratèges occidentaux : Lionel
Jospin, premier ministre socialiste
français, aura droit à un caillassage en
règle de la part des étudiants
palestiniens de l’Université Bir Zeit
pour avoir qualifié le Hezbollah de
«terroriste» et le président post
gaulliste Jacques Chirac pensionnaire
posthume de son partenaire Rafic Hariri,
réclamera des «mesures coercitives»
contre le Hezbollah en pleine guerre de
destruction du Liban
Nahr El
Bared (Mai-Juillet 2007)
Les Palestiniens soldats perdus de leur
cause : 166 soldats libanais tués par
les miliciens du camp, soit vingt fois
plus que la totalité des pertes subies
par l’armée libanaise contre Israël en
soixante ans
Sur fond
d’invasion américaine de l’Irak et de la
perte du pouvoir à Bagdad par les
sunnites et d’affaiblissement
considérable de l’Autorité Palestinienne
à Ramallah, les camps palestiniens du
Liban entreprennent une mobilisation des
réfugiés sur une base sectaire et un
financement pétromonarchique.
L’étincelle se produit à Nahr El Bared
(le fleuve froid), au Nord de Tripoli.
Sous l’impulsion d’un chef djihadiste
Chaker Absi, converti au salafisme, des
palestiniens, soldats perdus de leur
propre cause, troquant leur statut de
réfugiés à celui de mercenaires pour
cause d’autrui, prennent les armes pour
faire pression sur le mouvement Fouad
Siniora (pro Hariri) pour obtenir un
leur reliquat de solde. Bilan de trois
mois de combat: 163 soldats tués dan les
rangs de l’armée, contre 222 dans les
rangs des miliciens du camps de Nahr,
soit vingt fois plus que la totalité des
pertes subies par l’armée libanaise
contre Israël en soixante ans.
2008:
Neutralisation du réseau pro-israélien
des télécommunications du Liban, le plus
important revers subis par les
renseignements israéliens
L’assassinat d’Imad Moughniyeh à Damas,
en Février 2008, le responsable
militaire du Hezbollah déclenche une
vaste campagne de sécurité dans les
rangs de la milice chiite qui aboutit au
démantèlement d’un important réseau
d’espions à la solde d’Israël, au sein
du système des télécommunications
libanais.
25
libanais, notamment plusieurs officiers
supérieurs de l’armée libanaise sont
inculpés de trahison au terme de la
traque qui constitue à la fois le plus
important revers subi par les
renseignements israéliens et une
déconfiture des mercenaires du haut
commandement libanais.
En
réplique le camp pro-occidental dans une
tentative menée conjointement par
Marwane Hamadé, à l’époque ministre
libanais des télécommunications et
Bernard Kouchner, ministre français des
Affaires étrangères, va tenter de brider
l’autonomie du système de transmission
du Hezbollah, pour le rendre dépendant
de l’espionnage ocidental et israélien.
Une opération de neutralisation des
centres de pouvoir du clan Hariri à
Beyrouth, menée promptement par la
milice chiite, tuera dans l’oeuf cette
tentative.
2013
Ahmad Al Assir (Saida)
En 2013,
c’est au tour du camp de Ain el Heloué
(la source à l’eau douce) dans la
banlieue de Saida (Sud-Liban) de prendre
les armes contre l’armée, dans une
stratégie visant à prendre le contrôle
de la route du ravitaillement
stratégique du Hezbollah vers le Sud
Liban. Le chef de meute, Ahmad Al Assir,
un salafiste tendance Qatar, laissera
sur le tapis de sa démagogie meurtrière
18 soldats de l’armée. Son forfait
accompli, il tentera de fuir vers le
Nigeria, la barbe du croyant salafiste
rasé, comme un vulgaire fugitif et non
comme chef de guerre.
2015 –
L’engagement du Hezbollah Libanais dans
la guerre de Syrie et les revers qu’il a
infligés aux djihadistes, notamment à
Qalmoun, Quossayr, suscitent une
réplique vindicative des organisations
islamistes: Le centre culturel iranien
est dynamité à Beyrouth et plusieurs
attentats meurtriers ciblent les
quartiers chiites de l’agglomération de
la capitale libanaise.
Sous
pression des djihadistes pro wahhabites
au Liban et des pays occidentaux, par la
biais du Tribunal Spécial sur le Liban
(Tribunal Hariri), le Hezbollah
maintiendra son engagement en Syrie et
réussira dans la foulée à démanteler un
nouveau réseau d’espions israéliens,
dont le chef de file sera cette fois,
comble de sophistication, un opposant
syrien de la tendance pétromonarchique
de surcroît fonctionnaire de la FINUL
«les casques bleus», stationnés à la
frontière libano-israélienne.
35 ans
après l’invasion israélienne de
Beyrouth, les camps palestiniens que le
ministre israélien de la défense de
l’époque, se proposait de raser, sont
devenus de pépinière d’aspirants
djihadistes pour le malheur des pays
occidentaux et pour le malheur de la
cause palestinienne
Îlot de
grande misère, le camp de Sabra-Chatila,
immortalisé par les massacres conjoints
de la soldatesque israélienne et des
milices chrétiennes libanaises, abritent
aux côtés des Palestiniens, plusieurs
dizaines de milliers de réfugiés
syriens. Se greffant aux 400.000
Palestiniens, les réfugiés syriens au
Liban au nombre de près d’un million
font désormais peser un risque sur
l’identité libanaise.
Avec 2
millions de réfugiés syriens et
palestiniens, le Liban est en passe de
réaliser une sorte d’unité arabe par la
misère, ou plutôt l’unité du lumpen
prolétariat arabe.
Jadis
point d’ancrage de la politique
française au Moyen-orient, le Liban est
len passe de devenir la victime
expiatoire de la politique de puissance
des pays occidentaux. Il parait devoir
se détacher de plus en plus
progressivement de l’orbite française,
parallèlement à la vacance du pouvoir
présidentiel, à la paralysie des
institutions, et à la décomposition de
l’état Libanais.
Merci
Qui ??. Nicolas Sarkozy et Alain Juppé,
du côté post-gaulliste, fer de lance
atlantiste de la guerre contre la Syrie
; A François Hollande et Laurent Fabius
le tandem socialiste philosioniste,
artisan de la relation stratégique entre
la «Patrie des Droits de l’homme» et les
pétromonarchies les plus obscurantistes
et les plus répressives de la planète.
Illustration
Dia al-Azzawi Sabra and Shatila
Massacre 1982–3
http://www.tate.org.uk/art/artworks/al-azzawi-sabra-and-shatila-massacre-t14116
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