MADANIYA
Le Sénégal, terre de mission pour les
Wahhabites
et les Frères Musulmans
René Naba
Lundi 17 octobre 2016
À l’aube
des indépendances africaines, le
Sénégal, pays qui compte 94 % de
musulmans, élisait à la magistrature
suprême un chrétien, Léopold Sedar
Senghor, indice d’une grande maturité
politique et d’esprit de tolérance.
60 ans
après, sous couvert de religion, le pays
est devenu terre de mission pour les
islamistes rigoristes venus d’Egypte et
de la Péninsule arabique. Les Frères
musulmans et les divers mouvements de
réislamisation wahhabite y étendent
désormais leur tentacule au grand dam de
l’islam confrérique tolérant.
Pour
faire face à cette vague venue de loin,
les confréries sont tentées par la
radicalisation de peur d’être balayées.
L’islam confrérique n’est plus désormais
à l’abri de certaines dérives. Ainsi,
les Mourides, la plus puissante des
confréries du Sénégal, ont constitué un
véritable État dans l’État à Touba, leur
ville sainte qui compte près d’un
million d’habitants.
Dans
cette «cité radieuse», les cinémas sont
interdits, ainsi que la musique non
religieuse. Les écoles de la République
de ce pays officiellement laïc sont
elles aussi interdites. Le football n’a
pas davantage droit de cité.
I – Genèse d’une
dérive
À
l’indépendance, le pouvoir post
colonial, sur l’incitation de son ancien
tuteur français, a favorisé un
rapprochement avec les pétromonarchies
du Golfe pour faire barrage au marxisme
à l’apogée de la guerre froide
soviéto-américaine. Une politique
amorcée dans la foulée de la 3ème guerre
israélo-arabe d’octobre 1973, dans le
prolongement du boom pétrolier et de la
rupture collective des relations entre
l’Afrique et Israël.
Sous
l’effet du mirage pétrolier et des
conseils de la firme pétrolière
française ELF, Bernard Albert Bongo est
ainsi devenu Omar Bongo et le Gabon
francophone s’est mué en grande oreille
de la France au sein de l’OPEP, le
cartel anglophone des pays producteurs
de pétrole, (Organisation des Pays
Exportateurs de Pétrole).
À son
tour, la Finance islamique fait son
apparition sur le marché africain pour
suppléer la France en phase de chômage
structurel et de «charter de la honte»,
avec son cortège de Madrassas, de
banques islamiques et de prosélytisme
religieux, selon le rite wahhabite.
Une
vingtaine de dirigeants de la Confrérie
des Frères Musulmans, dont Ayman al
Zawahiri, qui deviendra le successeur
d’Oussama Ben Laden à la tête d’Al Qaida,
bénéficiaient à cette époque d’un droit
de cité dans les principales villes
européennes.
La
ré-islamisation des communautés
immigrées d’Europe occidentale,
-politique connue sous le nom pudique de
«réappropriation de la culture
d’origine»-, a été menée directement par
l’Arabie saoudite, de concert avec le
pacte atlantiste, afin de faire barrage
à la propagation du communisme dans les
franges immigrées de la population
expatriée, de l’ordre de 12 millions de
personnes à l’époque, et de freiner leur
insertion dans les partis et mouvements
syndicaux contestataires de l’ordre
capitaliste et atlantiste (Parti
communiste, CGT).
La
décapitation des dirigeants
emblématiques du continent, la
neutralisation des représentants
authentiques de l’islam noir a privé
l’Afrique d’anti-corps en mesure de
doter le continent d’un système
immunitaire efficace face à la
subversion téléguidée à distance et
attisée par la gangrène locale.
II – Le laboratoire
sénégalais
Les
Frères Musulmans, le plus ancien parti
transnational du Monde arabe, ont
entrepris de s’implanter au Sénégal,
plaque tournante de l’Afrique
occidentale francophone, en vue de
s’aménager une base de repli face à une
Europe gagnée par l’islamophobie et de
compenser ainsi leurs déboires en
Egypte, en Arabie saoudite et en
Tunisie.
A dire
vrai, l’influence des Frères Musulmans
au Sénégal– alliés à cette époque du
royaume wahhabite ennemi déclaré du
nassérisme et des régimes nationalistes
dans le monde arabe – remonte à la
décennie 1970, où la confrérie a
bénéficié du boom pétrolier consécutif à
l’usage par les Arabes de l’arme du
pétrole contre les alliés occidentaux
d’Israël dans la guerre d’octobre 1973.
Deux
autres facteurs ont joué dans la
propagation de l’islamisme en Afrique
noire: le parrainage saoudien de la
confrérie ainsi que la rupture des
relations collectives entre l’Afrique et
Israël qui s’est ensuivie, de même que
l’instrumentalisation de l’Islam comme
arme de combat contre l’athéisme de
l’Union soviétique et de ses alliés
régionaux ou locaux.
Depuis
cette date, l’influence des FM s’est
propagée de manière diffuse, par
l’entremise d’associations de
bienfaisance ou via des mouvements
étudiants qui leur sont proches
idéologiquement, tels l’association des
Élèves et Étudiants Musulmans du Sénégal
(AEEMS) créée en 1993 ou l’Association
des Étudiants de l’Université de Dakar
(AEMUD), formée entre 1984 et 1986.
Point de
passage vers l’Amérique latine, le
Sénégal est un territoire stratégique en
Afrique de l’ouest. Indépendant depuis
1960, il occupe une place importante
dans l’Organisation Internationale de la
Francophonie (OIF) ; du fait de ses
relations étroites avec la France et une
place majeure au sein de l’Organisation
de la Coopération Islamique (OCI) ; aux
côtés de l’Arabie Saoudite et du Qatar.
L’islam est arrivé au Sénégal au XIème
siècle.
Rompant
avec cette tradition de discrétion, une
délégation de la confrérie a effectué,
en février 2014, une visite officielle
au Sénégal. Cette première visite
officielle des FM a paru répondre à une
logique de légitimation de
l’organisation, alors que la confrérie
venait d’être frappée d’ostracisme par
son ancien parrain, l’Arabie saoudite.
L’islamisation de la société sénégalaise
à l’époque contemporaine a été favorisée
en outre par le déploiement des banques
islamiques dans une société en voie de
paupérisation croissante tant du fait de
la sécheresse que des gros scandales de
corruption.
Le
Qatar, parrain de substitution aux
Frères Musulmans, a constitué un
puissant vecteur au déploiement de la
confrérie, notamment via les finances
islamiques et leur chaîne vedette Al-Jazeera,
un de ses instruments de pénétration
économique et idéologique. Le Qatar a
souhaité implanter une antenne
francophone de la chaîne de télévision à
Dakar, mais le président sénégalais y
aurait opposé son veto à ce projet,
privilégiant la chaîne française
France24.
En dépit
de ce camouflet, le Qatar a continué de
témoigner d’un intérêt persistant pour
le Sénégal, qui s’est récemment traduit
d’ailleurs par sa contribution à la
libération le 24 juin 2016, à la veille
de la fin du Ramadan de Karim Wade, le
fils de l’ancien président Karim Wade,
incarcéré dans son pays pour fait de
corruption. Karim Wade est arrivé à
Doha, à bord de l’avion privé du
procureur général du Qatar, en une
caution indirecte de la principauté à
l’affairisme de son protégé.
La
stratégie rampante des FM n’a pas l’heur
de plaire à tout le monde. L’un des plus
virulents censeurs de la confrérie est
un enseignant-chercheur de l’Université
à Saint-Louis, Bakary Sambe, qui n’a
cessé de mettre en garde contre
l’islamisation de la société
sénégalaise. Dans une polémique restée
célèbre, qui l’a opposée l’été 2013, à
Tariq Ramadan, Bakary Sambe a accusé
notamment le petit fils du fondateur de
la confrérie «de vouloir faire de
l’Afrique francophone sa nouvelle zone
d’influence pour régler ses comptes avec
l’Occident».
Au delà
de la polémique et sans se prononcer sur
le bien fondé des arguments de l’un
comme de l’autre, l’universitaire
sénégalais gagnerait en objectivité s’il
portait les mêmes accusations à l’égard
de l’entrisme feutré israélien au
Sénégal et au delà en Afrique, dont
l’objectif sous jacent est de cogérer le
pré carré africain de la France en
tandem franco israélien. Selon le bout
de la lorgnette, la vue varie.
III – Liaisons
dangereuses
La
soumission des pouvoirs sénégalais
successifs à la stratégie globale
saoudienne était présentée comme un
investissement à même de contribuer au
développement économique du pays.
Le
«socialiste» Abdou Diouf avait envoyé en
1990 l’armée sénégalaise participer à la
Tempête du désert pour, disait-il,
«défendre les lieux saints de l’islam».
93 soldats sénégalais périront dans le
crash d’un avion militaire. En
récompense de cet engagement militaire
mercenaire, l’Arabie saoudite confiera
au Sénégal l’organisation deux sommets
islamiques en 1992 et 2008 grassement
financés par la Banque islamique du
développement dont Riyad est le
principal bailleur. Une sorte de
bakchich dont une bonne partie servira à
renflouer les comptes bancaires de
certains membres de la nomenklatura
sénégalaise.
Rebelote
quinze plus tard. En avril 2015, le
Sénégal de Macky Sall accède à la
demande du nouveau roi Salmane et
décide, «dans l’intérêt bien compris des
deux pays», de jeter 2100 militaires
dans la fournaise yéménite (sic)! Soit
trois fois plus qu’il n’a envoyé
combattre les terroristes au Mali tout
proche.
Le
risque n’est pas seulement d’essuyer de
grosses pertes parmi ses soldats, mais
surtout de les voir revenir au pays
contaminés par l’idéologie wahhabite à
l’origine de la création d’Al-Qaïda et
de Daech.
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