Liban
Beyrouth-Ouest, le dernier carré
de la contestation arabe
René Naba
Lundi 12 juin 2017
Paris- 05/09/1982 (AFP)
– Beyrouth-Ouest, jadis symbole de la
douceur de vivre arabe aussi bien que
foyer de la contestation de tous bords,
est devenue aujourd’hui par la
résistance opiniâtre qu’elle oppose aux
Israéliens, une image de la mauvaise
conscience du Monde arabe.
Près
d’un demi million de personnes
-Chrétiens et Musulmans, Libanais et
palestiniens (dont près de quinze mille
combattants)- se refusent, au péril de
leur vie, à quitter ce camp retranché à
demi en ruines. Pour l’exemple, disent
certains de ses habitants, pour la
dignité arabe, exhortera Yasser Arafat,
chef de l’OLP, aux défenseurs de la
ville assiégée.
Soumis
depuis deux mois à un blocus, le dernier
carré des Fedayine et leurs alliés de la
gauche libanaise, livrent, face à un
immobilisme arabe quasi-général, un
combat solitaire pour que cette ville
qui fut au cours des vingt dernières
années le vivier du nationalisme
militant, échappe au déshonneur de la
capitulation.
Dans ce
périmètre de quelques kilomètres carrés,
naguère un des hauts lieux du
cosmopolitisme, sont concentrées les
succursales d’une centaine de banques
parmi les plus importantes du monde et
une prestigieuse Université américaine
dont le moindre des paradoxes n’est pas
d’avoir fourni à l’OLP l’un de ses
principaux dirigeants, M. Georges
Habache, Chef du FPLP et Docteur en
médecine.
C’est
ici que la Résistance palestinienne a
trouvé aide et refuge après le
«septembre noir» jordanien et que se
sont aguerris les premiers chefs des
pasdarans iraniens.
C’est
ici également que tous les opposants
arabes, -révolutionnaires ou non-,
pourchassés par les autorités de leur
pays y ont cohabité pêle-mêle aux côtés
des maquisards de la Méditerranée au
Golfe –Arméniens, Kurdes, Somaliens,
Érythréens etc– et des guérilleros
d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine.
C’est la
enfin que sunnites libanais en rupture
de bourgeoisie, chrétiens en délicatesse
avec l’idéologie phalangiste et
«dépossédés» chiites venus du sud-Liban
en quête d’instruction, donneront le ton
à toutes les manifestations de
protestation dans le Monde arabe, comme
ce fut le cas en septembre 1970 contre
le massacre des Palestiniens en
Jordanie, en 1972 contre le massacre des
communistes au Soudan ou encore contre
la «trahison» du président égyptien
Sadate en 1977.
Dans la
décennie 1960, en plein boom économique
et à proximité des boîtes de nuit les
plus luxueuses d’Orient, les Beatles et
la philosophie psychédélique de Timothy
Leary, sans rivaux partout ailleurs dans
le Monde, pâtiront à Beyrouth-Ouest de
l’attrait qu’exerçaient sur les jeunes
militants arabes les œuvres de Mao et
les écrits plus récents de l’économiste
Charles Bettelheim, du Philosophe Louis
Althusser ou du politologue Nicos
Poulantzas.
Beyrouth-Ouest a revêtu le deuil pour la
mort de Che Guevara, en 1967, et a fêté
la chute de Saigon comme une victoire
morale sur «l’Impérialisme». Alors
qu’une bonne partie de la planète
vibrait aux exploits de James Bond ou
partageait les souffrances d’Ali Mac
Graw dans «Love Story» Beyrouth-Ouest
réservait sa plus forte audience au film
de Costa Gavras «Z» sur les agissements
de la Cia dans un pays méditerranéen
proche du Liban.
Toutes
les chapelles du nationalisme, du
marxisme et du fondamentalisme religieux
y avaient pignon sur rue et disposaient
de journaux forts documentés sur la
situation dans leur pays d’origine, aux
côtés de nombreuses maison d’édition,
qui toutes tendances confondues, ont
édité, à elles seules, une littérature
politique supérieure à l’ensemble de la
production littéraire des pays arabes,
et se jouant de la censure, courante
dans ces états, en a assuré sa
diffusion.
Dans le
désordre, l’improvisation et parfois
l’arbitraire, cette cohabitation
militante a donné lieu à de fréquents et
sanglants règlements de compte et à des
débordements de type «terroriste». Mais
face au danger commun, l’antagonisme se
dissipera comme par enchantement.
Les
«Palestino-progressistes» seront les
premiers à s’opposer par les armes à
l’entrée des troupes syriennes au Liban,
en juin 1976. Ils seront les seuls à
combattre les Israéliens six ans plus
tard.
Si pour
Israël la destruction de Beyrouth
signifiait l’anéantissement de la
résistance palestinienne, elle
représenterait pour les Arabes la
disparition de ce qui fut pendant une
génération leur conscience critique
aussi bien que leur soupape de sûreté.
Illustration
Sous
l’égide de l’armée française, Yasser
Arafat et l’Organisation de libération
de la Palestine quittent Beyrouth pour
Tunis. PH. AFP AFP DOMINIQUE FAGET
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