MADANIYA
Le destin tragique des communistes arabes 1/2
René Naba
Mardi 8 septembre2020 L’auteur dédie ce
texte à la mémoire de Farjallah Hélou
(Liban), Abdel Kader Mahjoud et Hachem
Al Atta (Soudan), les plus illustres
suppliciés communistes du Monde arabe.
A Abdel Mohsen
Saadoune (1879-1929) qui a accédé au
sacrifice suprême par fidélité à ses
convictions. Ancien premier ministre
d’Irak sous la monarchie, durant la
période du mandat britannique, Abdel
Mohsen Saadoun se suicidera après avoir
ratifié, sur ordre du Roi, le traité
anglo-irakien, qu’il jugeait contraire
aux intérêts de son pays. «Saadoune
street», l’artère populeuse et
commerçante de Bagdad, a été baptisée de
son nom en hommage à son patriotisme.
L’auteur y joint un
hommage posthume à Tayed Kebab, un
militant communiste de base,
franco-algérien. Arrivé à
Septèmes-les-Vallons en 1971, à l’âge de
7 ans, Tayeb Kebab faisait partie de ces
familles des Aurès, chassées de leur
milieu rural par la guerre en 1958 en
Algérie. Il était très engagé dans la
coopération internationale, pour la paix
et pour l’amitié entre les peuples Il a
été un des promoteurs des jumelages de
Septème les Vallons (région Sud de la
France) avec les villes du Monde.
Abdel Khaleq
Mahjoub, Secrétaire général du Parti
Communiste Soudanais, répondant lors de
son procès, le 27 juillet 1971, à la
question posée par le général Ahmad
Mohamad Hassan, chef de la justice
militaire au sein du commandement
général des forces armées soudanaises:
« Qu’avez vous
apporté à votre peuple »?
Sur un ton d’une grande sérénité,
réponse de Mahjoub: «La lucidité, autant
que j’ai pu ».
Tweet d’Assad Abou
Khalil, politologue libanais, professeur
de Sciences Politiques à UCLA
(Université of South California Los
Angeles)
@asadabukhalil
منقولة:
أثناء محاكمة عبدالخالق محجوب في ٢٧ يوليو
١٩٧١، قام قاضي المحكمة العسكرية العقيد
احمد محمد حسن وكان يشغل وقتها منصب رئيس
القضاء العسكري في القيادة العامة للقوات
المسلحة بتوجيه سؤال الي المتهم :(ماذا
قدمت لشعبك؟!!) ..أجابه عبدالخالق في هدوء
شديد: (الوعي.. بقدر ما استطعت)
1- Les
communistes arabes, un rôle d’avant
garde dans la lutte contre le fascisme
et le nazisme.
Pour surprenant que
cela puisse paraître, les communistes
arabes ont pris une part active dans le
combat contre le fascisme et le nazisme
dès son apparition en Europe.
Contrairement aux
idées reçues, les communistes arabes ont
joué un rôle d’avant garde en soutien
aux nationalistes éthiopiens contre le
fascisme mussolinien. Lors de la guerre
d’Espagne, des communistes arabes se
sont engagés au sein des «Brigades
Internationales», dépêchant même des
communistes palestiniens pour exhorter
les Marocains enrôlés dans l’armée du
général Francisco Franco de ne pas
diriger leurs armes contre les
Républicains espagnols.
Ce fait est peu
connu, occulté pour les besoins de la
propagande israélienne focalisant sur le
rôle de Cheikh Hajj Mohamad Amine Al
Husseini, Grand Mufti de Jérusalem et sa
rencontre avec Hitler, en vue de
discréditer les Palestiniens et
disqualifier toute revendication
nationale palestinienne. Une thèse
reprise, amplifiée et dénaturée par
Michel Onfray, le théoricien du
populisme sommaire:
«Le petit docteur
en philo (donc moins gradé que BHL !)
nous explique que si les Palestiniens
sont aujourd’hui un peuple martyrisé sur
une terre qu’on leur vole, c’est qu’ils
furent jadis nazis. Et ils sont
justement punis de leur vieil engagement
de «collabos» entre 1933 et 1945… Et
pour nous démontrer ça, il nous explique
que «Husseini, le grand mufti de
Jérusalem, était un partisan d’Hitler et
a fait le voyage à Berlin». Exact, mais
dans ce grotesque lancé d’histoire en
pièces détachées, Onfray ne nous parle
pas du contenu de ces nombreux travaux
publiés sur la collaboration entre les
nazis et des chefs miliciens juifs,
l’idée étant de faire guerre commune
contre les Anglais qui occupaient la
Palestine. Lisez Hanna Arendt, elle a
noté ce détail. Les Palestiniens ne sont
pas plus les acteurs de leur malheur que
ces hommes et femmes de confession juive
ne le furent dans le cycle de la
barbarie qui les a détruits», lui
assénera, caustique, le journaliste
Jacques Marie Bourget, dans une réplique
visant à revitaliser la mémoire
amnésique de ce théoricien de
l’intelligence superficielle.
Pour aller plus
loin sur les délires de Michel Onfray,
cf ce lien:
http://www.afrique-asie.fr/ce-dont-onfray-est-le-nom/
Mufti de Jérusalem
alors que la Palestine est sous mandat
britannique, Hajj Amine Al Huseini sera
en 1936, l’instigateur de la révolte
contre les autorités britanniques. Exilé
par les Britanniques en 1937, Hajj Amine
se rend en Europe et, par application du
principe selon lequel «l’ennemi de mon
ennemi est mon ami», le Mutfi rencontre,
tour à tour, Benito Mussolini (Italie)
et Adolphe Hitler (Allemagne) le 28
Novembre 1941, plaidant pour la
nécessité de freiner l’immigration juive
en Palestine.
L’antifascisme des
communistes arabes les plaçait à
contre-courant de l’opinion publique
arabe, qui voyait dans l’Italie et
l’Allemagne des alliés potentiels dans
leur lutte contre la Grande-Bretagne et
la France, puissances coloniales dans la
majorité des pays arabes.
L’attitude des
communistes arabes vis-à-vis du fascisme
et du nazisme était identique à celle
adoptée par l’ensemble des partis
communistes dans le monde, regroupés,
dès le début des années 1920, au sein de
l’Internationale communiste (IC) et
ratifiée par le septième Congrès de
l’IC, réuni à Moscou du 25 juillet au 20
août 1935.
La première
campagne organisée par les communistes
arabes se proposait comme objectif de
soutenir le combat des Éthiopiens contre
l’agression italienne.
La deuxième
campagne a été la campagne de solidarité
avec les républicains espagnols. Elle
s’est déroulée sur deux plans:
- Engagement de
communistes arabes dans les rangs
des Brigades Internationales
- Mission de
pédagogie politique des membres du
Parti communiste palestinien auprès
des troupes marocaines sous le
commandement du général Francisco
Franco pour les dissuader de diriger
leurs armes contre les Républicains
espagnols.
La délégation du PC
palestinien était composée d’ailleurs
d’Arabes et de Juifs, notamment d’Ali
Abdel Khaleq al-Jibawi, membre du Comité
Central du parti, tué en Espagne, et
Najati Sidqi, membre du secrétariat du
parti, chargé par la direction de
l’Internationale Communiste de
participer à l’organisation des
campagnes d’information à l’adresse des
Marocains qui combattaient dans les
rangs des troupes anti républicaines.
Pour aller plus
loin sur ce thème, cf :
https://aggiornamento.hypotheses.org/3497
2- La
contribution des Arabes et Musulmans à
la lutte contre l’Italie fasciste et
l’Allemagne nazie.
Fait sans pareil
dans l’histoire, Arabes et Africains,
chrétiens et musulmans ont volé à deux
reprises au secours de la France dans
des guerres qui leur étaient totalement
étrangères.
Les Asiatiques,
sherpas indiens, combattants pakistanais
et ghurkas népalais au secours du
Royaume Uni. Autrement dit, des
«basanés» au secours de leurs
colonisateurs dans une querelle de
blancs.
Pis, lors de la II
me Guerre mondiale (1939-1945), alors
qu’une large fraction des Français
collaboraient avec l’Allemagne nazie, la
première armée d’Afrique comptait dans
des rangs 173 000 arabes et africains,
dont cinquante cinq mille (55 000)
Algériens, Marocains, Tunisiens et
combattants d’Afrique noire furent tués.
25 000 d’entre eux servaient dans les
rangs de l’armée d’Afrique.
Durant la campagne
d’Italie, marquée par la célèbre
bataille de Monte Cassino, qui fit
sauter le verrou vers Rome, et, à ce
titre, célébrer comme la grande victoire
française de la II me guerre mondiale,
sur les 6.255 soldats de l’armée
française tués, 4.200, soit les deux
tiers étaient originaires du Maghreb et
parmi les 23.5000 blessés, 15.600, soit
le tiers étaient du Maghreb.
Au delà des
communistes arabes, la contribution
globale des colonies à l’effort de
guerre français a été substantielle.
Pour la 1ère Guerre
Mondiale (1914-1918), elle s’est élevée
à 555.491 soldats, dont 78.116 ont été
tués. L’Algérie, à elle seule, a fourni
173.000 combattants musulmans, dont
23.000 ont été tués. La contribution
totale des trois pays du Maghreb
(Algérie, Tunisie, Maroc) s’est élevée à
256.778 soldats, 26.543 tués
Pour la Deuxième
Guerre mondiale (1939-1945): La première
armée d’Afrique qui débarqua en Provence
(sud de la France), le 15 août 1944,
avait permis d’ouvrir un deuxième front
en France après le débarquement du 6
juin 1944 en Normandie. Cette armée de
400.000 hommes, comptait 173 000 arabes
et africains dans ses rangs. De juin
1940 à mai 1945, cinquante cinq (55 000)
Algériens, Marocains, Tunisiens et
combattants d’Afrique noire furent tués.
25.000 d’entre eux servaient dans les
rangs de l’armée d’Afrique.
3- L’abolition
du Traité anglo-irakien de Portsmouth et
la nationalisation de l’IPC.
Sous la monarchie,
l’Irak constituait un fief de l’IPC
(Iraq Petroleum Compagny), un trust qui
faisait et défaisait les gouvernements
au gré de ses humeurs, et la dynastie
hachémite, un bastion britannique, un
poste d’observation avancé en direction
de la zone pétrolifère du Golfe.
La nationalisation
de l’IPC par Saddam Hussein en 1970,
première nationalisation du pétrole en
terre arabe, va donner le coup d’envoi
aux nationalisations pétrolières dans
les autres pays arabes, notamment
l’Algérie et la Libye.
Saddam Hussein en
paiera le prix 30 ans plus tard, par
l’invasion américaine de l’Irak, en
partenariat avec…. le Royaume Uni….et
«le caniche» britannique de George Bush
Jr de l’époque Tony Blair.
Dans son exposé à
la jeunesse ouvrière de Zurich, en
Janvier 1917, Lénine assurait que l’Irak
était prêt pour une révolution car il
réunissait les trois conditions voulues:
«l’avilissement des classes pauvres,
l’incapacité de la classe dirigeante à
maintenir l’ancien système, l’existence
d’une classe ouvrière consciente, forte
et prête à l’action».
Prévision justifiée
par les exploits du peuple irakien:
Abrogation sous la pression populaire du
Traité de Porthsmouth entre le Royaume
Uni et l’Irak, en 1948; Abrogation du
Pacte de Bagdad, en 1958, coalisant les
pays musulmans non arabes (Pakistan,
Turquie) avec l’Irak; Enfin abolition de
la monarchie hachémite d’Irak et
proclamation de la République au son de
la Marseillaise, le 14 Juillet 1958.
En 1948, Bagdad
constituait un foyer du militantisme. Le
plan de partage de la Palestine
enflammait les esprits.
Sur fond de
désastre de la Palestine, le soulèvement
populaire contre le Traité de
Portshmouth, conclu entre la Monarchie
irakienne (Hachémite) et le Royaume Uni
va donner une nouvelle dimension à la
contestation politique. Excédés par le
rôle des Britanniques dans la création
de l’état hébreu, furieux contre les
Hachémites perçus comme les «laquais du
colonialisme britannnique», les Irakiens
réclament et obtiennent l’abolition du
traité.
Une victoire qui se
situe en droite ligne du comportement
des dirigeants nationalistes irakiens,
tels Abdel Mohsen Saadoune (1879-1929).
Ancien premier ministre d’Irak sous la
monarchie, durant la période du mandat
britannique, Abdel Mohsen Saadoun se
suicidera après avoir ratifié, sur ordre
du Roi, le traité anglo-irakien, qu’il
jugeait contraire aux intérêts de son
pays. «Saadoune street», l’artère
populeuse et commerçante de Bagdad, a
été baptisée de son nom en hommage à son
patriotisme.
Une victoire
comparable aussi à celle remportée,
trente trois ans plus tard, par les
nationalistes libanais en obtenant
l’abrogation du traité de paix
israélo-libanais, conclu en 1983, sous
le mandat du président phalangiste Amine
Gemayel.
4 – Le sacerdoce
et l’armée, voies d’accès à l’éducation,
ascenseurs sociaux pour les couches
défavorisées
Dans les couches
les plus démunies de la population, le
sacerdoce faisait office d’ascenseur
social, tant chez les chrétiens où le
séminaire donnait accès à un
enseignement gratuit, que chez les
musulmans, particulièrement les chiites,
la frange la plus défavorisée de la
population, pour les aspirants membres
du clergé.
Une fonction
exercée plus tard par l’armée, notamment
au sein des bureaucraties militaires
(Égypte, Syrie, Irak, Libye, Soudan,
Somalie).
Toutefois la perte
de la Palestine par le traumatisme
qu’elle infligea à la jeunesse, détourna
bon nombre de vocations au profit du
communisme. A titre d’illustration, le
cas de deux étudiants libanais chiites:
Hussein Mroueh et Mohamad Charara, venus
en Irak pour s’initier au rudiment de la
jurisprudence islamique à Najaf, haut
lieu saint chiite d’Irak, revêtu
d’ailleurs de la coiffe traditionnel des
aspirants au sacerdoce.
Ils finiront leur
parcours comme membres actifs du parti
communiste. Tout comme Karim Mroueh, un
des dirigeants historiques du Parti
Communiste Libanais, qui narrera ce
phénomène dans ses mémoires. Les
mémoires de Karim Mroueh, AR Rai Al Yom
en date du 21 juin 2019,
sur ce lien en version arabe pour le
locuteur arabophone
Si toutefois la
désastre de Palestine a constitué un
appel d’air pour les communistes arabes,
le vote de l’Union soviétique en faveur
de la création de l’état d’Israël va
briser net cet élan et transformer en
enfer leur vie.
5- La tragique
méprise de l’URSS lors du vote du plan
de partage.
Pour les survivants
du génocide hitlérien et les
innombrables et nouveaux sympathisants
de la cause juive tout heureux de
compenser par une arabophobie
lancinante, une judéophilie naissante,
comme soulagés de leur passivité
antérieure devant l’un des grands points
noirs de l’histoire occidentale avec la
traite négrière, la création d’Israël
constituait une juste réparation d’un
dommage à l’égard d’une communauté
continuellement persécutée en Europe
depuis plusieurs siècles dans leurs
propres pays par leurs propres
concitoyens.
Il n’en pas été de
même pour les Arabes qui estimaient que
le Plan de Partage de la Palestine
représentait la première opération de
délocalisation vers le Monde arabe de la
sous-traitance de l’antisémitisme
récurrent de la société occidentale; une
opération aboutissant à l’amputation
d’un patrimoine national au profit d’une
communauté exogène, en compensation de
massacres dont pas plus les Arabes que
les Palestiniens n’en étaient aucunement
responsables. Une compensation sur bien
d’autrui en somme. Une opération
triangulaire d’une grande perversité.
L’URSS, elle,
estimait que l’idéal sioniste symbolisé
par le Kibboutz était plus conforme au
schéma soviétique matérialisé par le
Kolkhoze, en tout cas infiniment plus
que les «féodaux arabes». Tel était du
moins l’argument avancé par la
propagande soviétique pour justifier son
vote en faveur de la création d’ Israël.
Mais cet aspect idéologique masquait
en fait un objectif stratégique: Le
dégagement des Britanniques du Moyen
orient. En appuyant la création d’Israël
Moscou entrevoyait une possibilité de
pénétrer au Proche-Orient par la
Palestine, à condition d’en chasser
d’abord les Anglais.
Durant la période
suivant la Seconde Guerre mondiale, les
Britanniques ont essayé, en effet,
d’organiser le monde de manière à le
tenir hors de portée des Soviétiques. En
septembre 1946, à Zurich, Winston
Churchill lance l’idée des États-Unis
d’Europe. Sur le même principe, il lance
la Ligue arabe.
Dans les deux cas,
il s’agissait de faire l’unité d’une
région sans la Russie. Dès le début de
la Guerre froide, les États-Unis
d’Amérique, de leur côté, créent des
associations chargées d’accompagner ce
mouvement à leur profit, l’«American
Committee on United Europe» et
l’«American Friends of the Middle East».
Dans le monde
arabe, la CIA organise des coups d’État,
notamment en faveur du général Hosni
Zaim à Damas (mars 1949), un prétendu
nationaliste que l’on supposait hostile
aux communistes.
Dans cette
perspective, Washington amène en Égypte
le général SS Otto Skorzeny et en Iran
le général nazi Fazlollah Zahédi,
accompagnés de centaines d’anciens
responsables de la Gestapo pour diriger
la lutte anticommuniste.
Skorzeny a
malheureusement modelé la police
égyptienne dans une tradition de
violence. En 1963, il choisira la CIA et
le Mossad contre Nasser. Zahédi quant à
lui créera la SAVAK, la plus cruelle
police politique de l’époque.
Face à l’hostilité du Monde
occidental, l’objectif de l’URSS était
donc double: affaiblir les Britanniques
dans la région, et essayer de faire
basculer Israël dans le camp soviétique,
en profitant de la domination de la
gauche sur le mouvement sioniste et de
son alliance avec le Mapam, second parti
du pays après les élections de 1949,
selon l’historien Ilan Pappé.
Ravi du soutien
inattendu de Moscou, David Ben Gourion
n’entendait pas pour autant rallié le
camp soviétique. Le premier ministre
israélien déclarait à l’ambassadeur
américain James Grover Mc Donald nommé
par Truman:
«Israël salue
le soutien russe aux Nations unies, mais
ne tolérera pas de domination russe. Non
seulement Israël est occidental dans son
orientation, mais notre peuple est
démocrate et réalise qu’il ne peut
devenir fort et rester libre qu’à
travers la coopération avec les
États-Unis. ..«Seul l’Occident lui-même,
en humiliant Israël et en l’abandonnant
aux Nations unies et ailleurs, pourrait
s’aliéner notre peuple».
De fait, dès l’automne 1950, les
Soviétiques prenant conscience des
conséquences désastreuses de leur
méprise sur leurs alliés communistes
arabes vont durcir leur position à
l’égard d’Israël. Une rupture des
relations diplomatiques entre Moscou et
Tel Aviv intervient en 1951. Elles ne
seront rétablies que très froidement,
après la mort de Staline (1953).
Mais l’URSS ne s’en
remettra jamais totalement de cette
méprise. Erreur de jugement fatale qui
vaudra aux communistes arabes d’être
pourchassés pour athéisme et
matérialisme. La caution soviétique au
plan de partage va en effet déclencher
une vague de désertion dans les rangs
communistes arabes désormais constamment
tenus en suspicion, parallèlement à une
vague de répression à leur encontre.
Sur l’origine du divorce entre les
communistes arabes et l’Union soviétique
6 – Le Parti
Communiste Algérien: La mort en
déportation de son secrétaire général,
Kaddour Boussahba, déporté par Vichy.
Le PCA émerge en
1920 comme une extension du Parti
Communiste Français dont les cellules
sont principalement composées d’ouvriers
expatriés, européens dont de nombreux
Français «indésirables» en Métropole.
Des parias de
l’Empire expédiés en Algérie alors
dépotoir de la France, rejetons de
parents envoyés dans les colonies à la
suite de la Commune de Paris et de
mouvements ultérieurs.
Bon nombre de
descendants d’immigrés européens
intégreront d’ailleurs la nation
algérienne dans son combat pour
l’indépendance, tels Raymonde Peschard,
Fernand Iveton, guillotiné le 11 février
1957, Henri Maillot, assassiné par
l’armée française le 5 juin 1956 et
naturellement Maurice Audin, mort sous
la torture le 21 juin 1957.
Le PCA devient
finalement une entité séparée en 1936, à
l’époque du Front Populaire et ouvre ses
rangs aux autochtones. Son premier
secrétaire d’origine algérienne et non
métropolitaine sera Ben Ali Boukort, un
intellectuel qui utilisait le pseudonyme
« El Djazairi » (l’algérien) dans ses
articles. Kaddour Belkaîm, (de son vrai
nom Kaddour Boussahba), lui succédera.
Il sera déporté en
septembre 1939 à Djeniene Bourezg (70 km
au sud de Aïn Sefra), suite à
l’interdiction du PCA par le
gouvernement de Vichy. Belkaïm mourra en
déportation en 1940.
Lors du déclenchement de la guerre
d’Algérie, les cadres et militants du
PCA votent, à l’unanimité la
participation à la lutte armée
anticolonialiste. Les militants du PCF
et du PCA créent un réseau de
maquisards, les «Combattants de la
Libération (CDL)», qui bénéficient du
détournement par l’aspirant Maillot d’un
camion chargé d’armes.
En mai 1955, le
dirigeant du FLN Abane Ramdane négocie
la particpation du PCA à la guerre pour
l’indépendance. Un accord PCA-FLN est
négocié par Bachir Hadji Ali et Sadek
Hadjerès, afin de maintenir l’autonomie
politique du PCA. Il n’admet l’adhésion
de communistes au FLN qu’à titre
individuel et non en tant que groupe.
Mais, le 12
septembre 1955, le parti est interdit
par les autorités françaises. Il se
rapproche alors de plus en plus du FLN.
En septembre 1956, le mathématicien
Maurice Audin organise l’extradition
clandestine, vers l’étranger, du premier
secrétaire du PCA, Larbi Bouhali, avant
d’être lui-même arrêté et assassiné lors
de la bataille d’Alger. En 1956, le PCA
est progressivement marginalisé par le
FLN, les militants de son groupe armé,
les Combattants de la libération (CDL),
ayant rejoint le FLN.
Pour aller plus
loin sur le PC algérien cf
7- Egypte: Henri
Curiel et l’orchestration de la lutte
des classes sous Nasser.
Le Parti communiste
égyptien, parti cosmopolite au départ
était composé notamment d’intellectuels
(musulmans, chrétiens, juifs, immigrants
récents), reflet de la société
égyptienne de l’époque. L’un de ses plus
illustres membres aura été Henri Curiel,
fils d’un banquier et surtout le propre
père du journaliste français Alain
Gresh.
Un des grands
animateurs du Mouvement de Libération
National dans le Tiers Monde, Henri
Curiel fera parti du réseau des
«porteurs de valises», le fameux «réseau
Francis Jeanson» de la guerre d’Algérie,
auquel il succédera à la suite de sa
nomination à la tête du «Mouvement
Anticolonialiste français».
En 1976, le
journaliste Georges Suffert, via le
magazine Le Point, lance une campagne de
presse lancée contre lui. L’article
l’accuse d’être le chef d’un réseau de
soutien au terrorisme international
piloté par le KGB. Le ministre de
l’Intérieur Christian Bonnet assigne
alors Henri Curiel à résidence à Digne
le 25 octobre 1977, mais cette mesure,
ainsi que l’arrêté d’expulsion qui le
visait, est levée le 12 janvier 1978.
Quatre mois
plus tard, le 4 mai 1978, un commando de
deux hommes s’introduit dans la cour de
l’immeuble dans lequel résidait Henri
Curiel à Paris et abat le militant
communiste au pied de son ascenseur de
quatre balles.
Les Commandos Delta
de l’OAS d’un côté, le Groupe
Charles-Martel, de l’autre, revendiquent
l’attentat. Mais leur responsabilité
réelle est fortement remise en question
par les enquêtes ultérieures.
En Égypte, sous la
monarchie, le choix était limité entre
le Parti Wafd, qui pratiquait la
collaboration avec le colonialisme
britannique et la Confrérie des Frères
Musulmans, formation ultra religieuse.
Le PC égyptien s’imposait de lui même
pour des intellectuels contestataires.
Ce fut le choix
d’une grande figure du courant
intellectuel communiste égyptien, le duo
Mahmoud Hussein, pseudonyme utilisé par
Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, auteur du
mémorable ouvrage «La Lutte des Classes
en Égypte» (Editions La Découverte
Maspero) et d’un portrait iconoclaste du
prophète de l’Islam «Al Sira», ainsi que
«Les Musulmans au défi de Daech».
Adel Rifaat, né
Eddy Lévy, converti à l’Islam, l’année
de l’agression tripartie anglo franco
israélienne contre l’Égypte nassérienne,
était en fait le frère aîné de
l’historien Benny Lévy, ancien
secrétaire du Philosophe Jean Paul
Sartre, ancien maoïste revenu au
judaïsme.
Le PCF a été fondé
en 1921 sous le nom de Parti socialiste
égyptien. Il devient Parti communiste en
1923, et s’attachera à développer les
luttes sociales en organisant la classe
ouvrière et les paysans.
Victimes de la
répression, les militants communistes
vont scinder leur parti en plusieurs
groupes distincts et tenter de se réunir
à plusieurs reprises, jusqu’à recréer un
Parti communiste en 1958, puis décider
de dissoudre celui-ci en 1965.
Le PCE a pâti de
déséquilibre structurel de la société
égyptienne qui a entravé son expansion:
96 % de la population était à l’époque
paysanne. 3 pour cent seulement des
Égyptiens travaillent dans des usines,
notamment de textile à la faveur de la
culture du coton. Le pays était très
pauvre, les troubles sociaux courants,
les épidémies étaient fréquentent; la
malaria, la bilharziose et le trachome
faisaient des ravages dans les
campagnes.
A l’époque du
lancement du PCE, l’espérance de vie
était de 27 ans en Égypte. Les enfants
contraints à travailler très jeune entre
6 et 13 ans, en vue de subvenir aux
besoins des leurs familles.
Un autre handicap à
son développement a été la figure
charismatique de Gamal Abdel Nasser,
propulsé au rang de chef mythique du
Combat National Arabe, à la suite de la
nationalisation du Canal de Suez,
première nationalisation réussie du
tiers monde et l’agression tripartite
corrélative colonialiste
anglo-franco-israélienne de Suez, en
1956. Nasser, selon sa propre formule, a
«orchestré la lutte des classes plutôt
que d’attiser la lutte des classes», en
raison de son partenariat stratégique
avec l’Union soviétique.
8 – Les
«démocrates révolutionnaires» arabes et
la réalpolitik soviétique.
Contre toute
logique, l’Union soviétique apportera
même un soutien systématique aux
gouvernements dits «anti impérialistes»,
au détriment des partis communistes
arabes. La doxa officielle soviétique
créditait en effet les «démocrates
révolutionnaires» du titre de compagnon
de lutte dans le combat
anti-impérialiste.
Ce label était
attribué aux autocrates qui avaient
engagé leur pays dans une «voie non
capitaliste de développement
économique». Ce terme englobait les
régimes militaires en Egypte, en Syrie,
en Irak, plus tard, en Algérie, en
Libye, en Somalie et au Soudan.
Ainsi, au plus fort
de la fusion syro égyptienne, Farjallah
Hélou, premier secrétaire général des
partis communistes libanais et syriens,
venu clandestinement à Damas, sera
capturé par les services secrets
syriens.
Il périra sous la
torture le 25 juin 1959, son cadavre
dilué dans l’acide sera immergé dans le
fleuve longeant Damas, afin d’éliminer
toute trace de son existence, sans la
moindre réaction de Moscou. Sans doute
au nom de la «realpolitik» et son souci
de ménager son nouveau grand allié,
Gamal Abdel Nasser, avec lequel il
venait de sceller un partenariat
stratégique symbolisé par la
construction du barrage d’Assouan.
Pis, dans une forme
d’aberration mentale rare dans les
annales internationales, les régimes pro
soviétiques participeront eux mêmes à la
chasse anti communiste s’alliant même
avec leurs ennemis, comme ce fut le cas
avec Mouammar Kadhafi, en 1971.
L’animateur du
groupe des «Officiers libres» libyens,
ainsi dénommé sur le modèle de leurs
aînés égyptiens, fera cause commune avec
les Britanniques, au mépris de son
aversion déclarée pour ses anciens
colonisateurs, en ordonnant le
déroutement d’un avion de ligne de la
BOAC (British Overseas Airways
Corporation), en juillet 1971, pour
livrer à son voisin soudanais, le
général Gaafar Al-Nimeiry, les auteurs
communistes d’un coup de force,
notamment le colonel Hachem Al Attah, un
des plus brillants représentants de la
nouvelle génération des jeunes officiers
arabes.
Pis, au mépris des
règles de l’asile politique, Kadhafi
livrera le chef communiste Mahjoub,
malencontreusement réfugié en Libye,
poings et pieds liés au président
Nimeiry.
Les remords
marmonnés en 1976 devant cet acte de
forfaiture ne l’empêcheront pas de
récidiver deux ans plus tard contre
l’Imam Moussa Sadr, le chef spirituel de
la chiite libanaise, mystérieusement
disparu au terme d’un séjour à Tripoli,
en 1978, au paroxysme de la guerre du
Liban.
Le tortionnaire
soudanais se déconsidérera par la suite,
et son complice libyen avec, en
supervisant le premier pont aérien
d’Éthiopiens de confession juive vers
Israël.
Kadhafi aura ainsi
éliminé certaines des figures les plus
emblématiques du mouvement contestataire
arabe, affaiblissant considérablement
son prpre camp. Lors de la curée anti
occidentale contre le «guide de la
révolution libyenne», en 2011, si la
gauche arabe a dénoncé l’ingérence de
l’Otan dans les affaires intérieures
d’un pays arabe, aucun n’a volé à son
secours. Pas même les bénéficiaires de
ses largesses passées.
Pour aller plus
loin, sur ce thème, cf :
https://www.renenaba.com/kadhafi-le-fossoyeur-de-la-cause-nationale-arabe/
Certains verront
dans le vote russe en faveur de la
résolution de l’ONU sur la Libye, en
2011, comme un «acte manqué»; un signe
de dépit de Moscou à l’encontre du
Colonel Kadhafi, lassé de toutes ses
mauvaises manières, particulièrement sa
nouvelle reddition aux Anglais, en 2003,
sous l’effet d’un blocus, en leur
dévoilant tout un pan de la coopération
nucléaire souterraine des pays
musulmans.
La résolution 1973
de l’ONU, adoptée à dix voix sur quinze
le 18 Mars 2011, autorisait le recours à
la force contre la Libye. Votée sous la
présidence de Dimitri Medvedev, elle a
fait l’objet d’un détournement de sens
de la part les Occidentaux pour
justifier leur intervention militaire
contre la Jamahiryah.
9 – La stratégie
suicidaire des dirigeants musulmans à
l’égard des communistes.
Les dirigeants
musulmans pro occidentaux, sans le
moindre recul, feront preuve de la même
furie anti-communiste, réduisant
considérablement leur marge de manœuvre,
fragilisant leur pouvoir en conséquence.
Tous les tortionnaires des communistes
seront évincés du pouvoir parfois de
façon violente.
A l’exception de
l’égyptien Gamal Abdel Nasser, qui a
orchestré une sorte de lutte de classes
au sein de son parti unique, l’Union
Socialiste Arabe, et fait cohabiter le
communiste Khaled Mohieddine et Anouar
El Sadate, l’agent de liaison des Frères
Musulmans auprès du «Groupe des
Officiers libres», tombeur de la
monarchie égyptienne. Il jouera même de
leurs rivalités pour assurer sa
prééminence, contrairement aux autres
dirigeants du Moyen Orient qui
engageront une féroce répression contre
les communistes.
Il en a été de même
en Syrie, où le président Hafez Al Assad
associera le parti communiste syrien,
sous l’égide de son secrétaire général
Khaled Bagdache, à toutes les formations
gouvernementales. Présence minoritaire
mais symbolique d’une alliance entre la
Syrie et l’Union soviétique.
En roue dentée de
la stratégie atlantiste, le Chah d’Iran
s’appliquera méthodiquement à démanteler
le Parti Toudeh, sous le parrainage de
la CIA qui disposait à Téhéran d’un fort
contingent d’instructeurs pour encadrer
la SAVAK, la police secrète iranienne.
Le général Gaafar
Al Nimeiry, reniant ses convictions
nassériennes pour un rôle de supplétif
des équipées israélo-américaines dans la
zone, s’acharnera contre le PC
soudanais, le plus grand parti
communiste du Monde arabe; enfin Anouar
el Sadate, qui a lui aussi basculé dans
le camp pro occidental, agira de même
contre le parti communiste égyptien,
alors que le groupe marxiste léniniste
marocain «Ila Al Amam» (En Avant)
subissait une dure répression dans les
«années de plomb» (la double décennie
1970-1980) sous le règne de Hassan II,
payant un lourd tribut à ses
convictions, déplorant la mort de trois
de ses militants, morts sous la torture:
Saida Menebhi, morte en prison à la
suite d’une grève de la faim en décembre
1977, Abdellatif Zeroual, mort sous la
torture en novembre 1974, et Amine
Tahani mort sous la torture le 6
novembre 1985.
10- Le carnage
du parti communiste indonésien
Mais la répression
la plus sanglante frappera le Parti
Communiste d’Indonésie.
Troisième parti
communiste dans le monde par le nombre
de ses adhérents, après ceux de Chine et
de l’Union soviétique, -le plus
important au monde en dehors de ceux des
régimes communistes, le parti communiste
indonésien est dissous en 1965 par Ahmad
Soekarno sous la pression de l’armée,
peu de temps avant l’éviction du pouvoir
de l’hôte de la conférence de Bandoeng,
la conférence fondatrice du Mouvement
des Non Alignés. La chasse aux
communistes indonésiens durera des mois
et fera entre 500.000 et un million de
morts, selon les estimations.
Épilogue: L’anti
communisme primaire, une stratégie
contre-productive
Les dirigeants
musulmans pro occidentaux, sans le
moindre recul, feront preuve d’une furie
anti-communiste incompressible,
réduisant considérablement leur marge de
manœuvre, fragilisant leur pouvoir en
conséquence. Tous les tortionnaires des
communistes seront évincés du pouvoir
parfois de façon violente.
Amputés de contre
poids, les trois tortionnaires des
communistes du Moyen Orient seront
évincés du pouvoir par des islamistes:
le Chah d’Iran destitué par la
révolution non communiste, mais
khomeiniste; Sadate qui se définissait
comme «un président musulman d’un pays
musulman» sera assassiné …….par un
militaire néo-islamiste. Enfin le Roi
Faysal, le financier absolu de la lutte
anti communiste, assassiné par son
propre neveu, dans son propre palais.
Et Gaafar Al
Nimeiry, renversé par un coup d’état,
opéré par les militaires qui remettront
le pouvoir, au terme d’une période
transitoire d’un an, à une coalition
constituée par les pires ennemis de
Nimeiry: le parti communiste et le parti
islamiste Al Oumma, tandis que son
compère libyen était assassiné et son
régime détruit par une coalition
occidentale dont les chefs de file
n’étaient autre que son ancien ami
anglais et l’ancien pourvoyeur français
de son armée.
Depuis l’éviction
du Général Omar Al Bachir, en 2019, le
Soudan , frontalier de sept pays, est
devenue la plus importante base de la
CIA en Afrique et son armée qui a été
engagée dans la guerre du Yémen,
participe également aux opérations de
l’AFRICOM, sous le commandement
militaire américain
Au vu de ce bilan,
l’anti-communisme primaire ne constitue
pas la voie la meilleure pour la survie
de dirigeants rudimentaires, à la vision
sommaire.
Illustration
Farjallah Hélou
(Liban), Abdel Kader Mahjoud et Hachem
Al Atta (Soudan)
Le sommaire de René Naba
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