MADANIYA
L’Islam face à la redoutable épreuve
de l’aggiornamento 1/3
René Naba
Dimanche 5 février 2017
«Dans un contexte
de soumission à l’ordre hégémonique
israélo-américain, le combat contre la
présence militaire atlantiste se doit
d’être prioritaire à l’instauration d’un
califat»
RN.
Prologue : Grabuge au sein de la planète
djihadiste
Rien ne
va plus dans la planète djihadiste : Une
guerre fratricide se déroule au sein de
la planète djihadiste à coups
d’anathèmes, de conflit de légitimité et
de procès en incompétence, à l’arrière
plan d’une offensive majeure de l’Empire
atlantiste visant à éradiquer leurs
anciens sous traitants dans la sphère
arabo-musulmane à l’époque de la guerre
froide américano-soviétique.
Ce
conflit meurtrier met en scène les
principaux protagonistes de l’Islam
sous-tendant un enjeu de taille : le
primat absolu sur la « Muslim Green Belt
», la ceinture verte musulmane,
autrement dit le leadership sur
l’ensemble Musulman, une communauté
humaine cimentée, malgré sa diversité,
par une langue commune de prière
(l’arabe), une continuité territoriale
rarissime, à l’articulation des grandes
voies de navigation transocéanique, à
proximité des grands gisements
énergétiques de ma planète. Une religion
de dimension planétaire avec près de 1,5
milliards de croyants, dont le
déploiement est de portée stratégique.
S’étendant sur cinq continents, groupant
55 pays membres de l’Organisation de la
Coopération Islamique (OCI), le Monde
musulman se situe à l’intersection du
Monde européen et du Monde indien.
Renfermant les 2/3 des ressources
énergétiques mondiales, il contrôle
quatre des principales voies de
navigation transocéaniques (Détroit de
Gibraltar, le Canal de Suez, le Détroit
d’Ormuz) avec en prime le Détroit des
Dardanelles).
Un
ensemble désigné par les stratèges
néo-conservateurs par le vocable de «
The Muslim Belt », la ceinture verte de
l’espace musulman, ayant vocation à
encercler le « Heartland » eurasiatique
(la Chine et la Russie) qui détient les
clés de la maîtrise du monde.
Tous les grands protagonistes de
l’Islam sont présents sur ce grand
échiquier :
- La Confrérie des Frères
Musulmans : Le plus ancien parti
transnational arabe à fondement
religieux et matrice de toutes les
déclinaisons dégénératives du
djihadisme takfiriste est traversé
de courants centrifuges.
Sa
branche tunisienne, sous la direction de
Rached Ghannouchi a annoncé avoir amorcé
une démarche visant à un aggiornamento
de l’Islam politique, à tout le moins
sur le théâtre tunisien, alors que sa
branche yéménite « Al Islah » cherche à
se démarquer de l’organisation mère pour
rompre son isolement dans la Péninsule
arabique en tentant un rapprochement
avec les Émirats Arabes Unis, contre
lesquels la centrale confrérique avait
fomenté un coup d’état.
- Al Qaida : Le premier groupement
djihadiste de dimension planétaire,
fer de lance du combat
anti-soviétique en Afghanistan
(1980-1990), greffon des Frères
Musulmans, dont l’ossature militaire
s’est d’ailleurs articulée autour de
la structure militaire clandestine
des FM de Syrie, At Taliha Al
Mouqatila (L’avant garde
combattante). Sous l’effet des raids
conjugués des Russes et des
Occidentaux, Al Qaida pourrait
redevenir la principale force
djihadiste en Syrie, au détriment de
Daech, désormais sur la défensive
sur le terrain.
- Daech (L’État Islamique):
Concurrent d’Al Qaida, dont il en
est issu est le premier groupement
djihadiste à avoir porté le combat
en Syrie et en Irak, dans les deux
pays, sièges des deux premiers
empires de la conquête arabe : Les
Ommeyyades (Damas) et les Abbassides
(Irak), et non à sa périphérie
(Afghanistan, Caucase, Kosovo).
De surcroît, l’auto-proclamation
d’Abou Bakr Al Baghdadi de Calife de
l’Islam, sous le nom du Calife
Ibrahim, a provoqué un
bouleversement symbolique, dans la
hiérarchie sunnite. Sur le plan
rituel, cette posture a hissé le
Calife Ibrahim au rang de supérieur
hiérarchique du Roi d’Arabie, le
gardien des Lieux Saints de l’Islam,
-La Mecque et Médine-, d’Ayman Al
Zawahiri, son ancien mentor et
successeur d’Oussama Ben Laden à la
tête d’Al Qaida, et du président de
la confédération mondiale des
Oulémas sunnites, Youssef al
Qaradawi, le télé prédicateur de
l’Otan.
Si les
précédents califats ont eu pour siège
des métropoles d’Empire-Damas (Ommeyyades),
Bagdad (Abbassides), Le Caire
(chiite-Fatimide) et Constantinople
(Ottoman), le dernier venu a planté son
pouvoir dans une zone quasi désertique à
proximité toutefois des gisements
pétroliers, générateurs de royalties,
les nerfs de la guerre, au point de
jonction de la Syrie et de l’Irak, les
sièges des deux premiers empires dont il
projetait d’en faire un grand ensemble
sunnite sous le vocable de « Sourakia ».
De même
sur le chemin du Djihad, des Émirats
Islamiques ont été institués au Kandahar
(Afghanistan), à Falloujah (Irak) et au
Sahel, mais aucun n’a jamais songé à
planter sa capitale à Jérusalem. Quelle
est loin la Palestine des préoccupations
de ces joyeux guerriers.
- Le Hamas, unique mouvement de
libération nationale de sensibilité
sunnite dans le Monde arabe encore
opérationnel, se distinguera lors de
la séquence du « printemps arabe »
par un virage stratégiquement
désastreux pour son combat.
La
branche palestinienne des Frères
Musulmans sacrifiera ses frères d’armes
(l’Iran, la Syrie et le Hezbollah) au
profit d’une alliance avec les ennemis
les plus résolus aux aspirations
nationales du Monde arabe,
particulièrement des Palestiniens : la
Turquie, unique pays sunnite membre de
l’Otan et partenaire stratégique
d’Israël, fossoyeur de la question
palestinienne, ainsi que le Qatar,
marche pied des États-Unis et son
ravitailleur énergétique.
- L’Arabie saoudite : L’incubateur
et bailleur de fonds de tous les
groupements djihadistes à travers le
Monde, objet d’une vénération des «
grandes démocraties occidentales »
en crise économie systémique, mais
néanmoins ostracisé par un collège
d’Oulémas sunnites à Grozny en
septembre 2016.
Revue de
détails où rien ni personne n’est
épargné dans ce règlement de compte sur
fond d’une traque des grandes puissances
ayant abouti à l’élimination de plus de
dix figures de proue de la nébuleuse
islamiste :
- Zohrane Allouche,
chef de Jaych Al Islam, tué dans un
raid de l’aviation syrienne le 25
décembre 2015,
- Hassan Abboud,
(Abou Abdallah Al Hamaoui),
fondateur d’Ahrar Al Cham (les
Hommes Libres du Levant), dont le
mouvement a été décapité avec
l’élimination de 40 de ses
dirigeants lors d’un ténébreux
attentat à l’automne 2014.
- Omar Al Shishani,
le responsable militaire de Daech
sur le front d’Alep
- Abou Mohammed al-Adnani,
sans doute le haut responsable le
plus visible au sein de l’État
islamique.
Sur le
plan proprement syrien, une guerre
fratricide est engagée dans le périmètre
Idlib-Raqqa, à la frontière syro
irakienne, entre Jabhat An Nosra et
Ahrar Al Cham, dans le prolongement du
rapprochement de la Turquie avec la
Russie à la faveur de la conférence
inter syrienne d’Astana (janvier 2017).
Ahrar Al Cham, de tendance confrérique
et parrainé par Ankara, vise à réduire
la branche syrienne d’Al Qaida au profit
des partisans de la Turquie et de
conférer à Ahrar Al Cham l’exclusivité
de la représentation des forces
djihadistes « modérées » ses en Syrie.
Le Tomahawk dévastateur sur le
wahhabisme de la conférence de Grozny
(3-5 septembre 2016)
À tout
seigneur tout honneur : L’Arabie
saoudite, l’un des grands financiers de
la planète, le pays qui abrite les Lieux
Saints de l’Islam (La Mecque et Médine),
dont il s’est érigé en gardien pour s’en
servir comme tremplin dynastique, est en
butte à de vives critiques dans son
propre camp, quasiment mis à l’index,
alors qu’il est engagé dans un
redoutable conflit de puissance avec son
rival chiite iranien.
Symbole
de l’exacerbation croissante que suscite
le bellicisme omnidirectionnel du
wahhabisme saoudien de même que sa
rigidité dogmatique, la secte wahhabite
salafiste a été purement et simplement
exclue de la famille sunnite lors du
congrès de Grozny (Tchétchénie) qui
s’est tenu du 3 au 5 septembre 2016. Une
décision qui donne la mesure du degré de
virulence du conflit pour le leadership
du Monde musulman.
Fait
sans précédent, cette décision aux
effets dévastateurs d’un tomahawk sur le
plan théologique et diplomatique sur le
primat saoudien dans la sphère musulmane
a été prise lors d’un congrès qui a
rassemblé près de 200 dignitaires
religieux, oulémas et penseurs
islamiques d’Égypte, de Syrie, de
Jordanie, d’Algérie, du Maroc, du Soudan
et d’Europe.
Bravant
les foudres saoudiennes, la conférence
de Grozny a non seulement exclu le
wahhabisme salafiste de la définition du
sunnisme, voire du cadre de la
communauté sunnite, mais elle a en outre
clairement condamné les institutions
religieuses saoudiennes, en particulier
l’Université islamique de Médine.
Face à
la montée en puissance d’un terrorisme
de nature takfiriste wahhabite qui
prétend représenter l’Islam, le congrès
se proposait de « définir l’identité des
gens du sunnisme et de la communauté
sunnite ». Inaugurée par le Cheikh
d’Al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, le congrès a
été marqué par une forte participation
égyptienne -le Grand Mufti d’Égypte,
Cheikh Chawki Allam, le conseiller du
président égyptien et l’ancien grand
Mufti d’Égypte, Cheikh Ali Jomaa, ainsi
que par la présence du grand Mufti de
Damas, Cheikh Abdel Fattah al-Bezm, du
prédicateur yéménite Ali al-Jiffri et du
penseur islamique Adnan Ibrahim.
Dans le
communiqué, les participants sont
convenus que « les gens du sunnisme et
ceux qui appartiennent à la communauté
sunnite sont les Asharites et les
Maturidites, au niveau de la doctrine ;
les quatre écoles de jurisprudence
sunnite (Chaféite, Hanbalite, Hannafite
et Malekite), au niveau de la pratique ;
et les soufis, au niveau de la gnose, de
la morale et de l’éthique ».
L’éviction surprise du Mufti du Royaume
Consciente des risques qui planent sur
son leadership spirituel et partant
diplomatique, l’Arabie saoudite a privé
de sermon le Mufti du Royaume Cheikh
Abdel Aziz, lors des cérémonies
précédant le pèlerinage annuel de la
Mecque, dans une démarche destinée à
calmer le jeu.
Cette
sanction, sans précédent contre un haut
dignitaire d’une telle importance dans
l’organigramme saoudien, est intervenue
dans la foulée de sa déclaration au
Journal « Mecca » frappant d’apostasie
l’Iran et l’ensemble des chiites dans le
Monde. Cheikh Abdel Aziz, un descendant
direct de la famille du prédicateur
Mohammad Abdel Wahab, fondateur du
wahhabisme, l’allié théologique de la
dynastie Al Saoud, le ciment idéologique
de la monarchie, présidait depuis 35 ans
les cérémonies. Le sermon rituellement
prononcé le jour de l’ascension du Mont
Arafat, la veille du pèlerinage, a été
confié au Mufti de La Mecque Abdel
Rahman al Sadissi.
L’épée de Damoclès de la loi JASTA
Hasard
ou préméditation, l’éviction du gardien
du dogme wahhabite, est intervenue le
jour même où le congrès américain
autorisait les poursuites contre le
Royaume saoudien de la part des familles
des victimes des attentats du 11
septembre 2001. Elle pourrait signifier
dans l’ordre subliminal des relations
hermétiques saoudo américaines, la fin
de l’immunité pour les tenants du dogme
rigoriste qui régit la planète
djihadiste gravitant dans la sphère
saoudienne.
Tuile
supplémentaire : La Loi JASTA [Justice
Against Sponsors of Terrorism Act] a été
adoptée le 9 septembre 2016 Alors que le
Royaume est enlisé dans un conflit sans
fin au Yémen. En autorisant les
Américains à poursuivre le Royaume
saoudien en dédommagement des dégâts
subis par les pirates de l’air, les
États-Unis ont placé l’épée de Damoclès
en suspension au dessus de la dynastie
wahhabite.
Quinze des 19 auteurs des attentats du
11 septembre à New York et Washington
étaient Saoudiens.
L’attaque a été commanditée par Al-Qaïda
et aucune enquête américaine n’a jusqu’à
présent conclu à un soutien des
autorités saoudiennes. Les raids contre
les symboles de l’hyperpuissance
américaine avaient fait 3.000 morts.
La
Mairie de New York, réclame à elle seule
un dédommagement de 95 milliards de
dollars en compensation de la
destruction des tours du World Trade
Center, des destructions annexes et les
pertes humaines des services publics
(pompiers, policiers). Au total, le
préjudice américain est estimé à près de
trois trillions de dollars (trois mille
milliards de dollars).
Pour
s’épargner les foudres américaines et
écarter les soupçons sur son possible
rôle de parrain financier du terrorisme
islamiste, l’Arabie saoudite et son
allié du Qatar avaient obtenu du Jabhat
An Nosra de Syrie, la filiale syrienne
d’Al Qaida, de renoncer à sa franchise
et de se doter d’un nouveau nom dans une
opération classique de blanchissement
sur le modèle opéré en France tant par
Elf Aquitaine désormais Total, ou encore
le parti gaulliste, passé du RPR, à
l’UMP aux « Les Républicains » (LR), au
gré des scandales politico financiers
qui ont émaillé la vie politique
française.
Ce
ravalement cosmétique n’a pas convaincu
les chefs d’orchestre de la guerre de
Syrie : Ainsi Abou Omar Saraqeb, chef
militaire du Front du fatah Al Sham», la
nouvelle mouture de Jabhat An Nosra et
son adjoint Abou Mouslam Al Chami, le 9
septembre 2016, tués dans leur PC le 9
septembre, jour de l’adoption de la loi
JASTA par le congrès américain, alors
qu’ils préparaient un plan de reconquête
d’Alep.
Alors à
la tête de Jabhat An Nosra, Abou Omar
Saraqeb avait conquis au début de la
guerre, les deux villes d’ Idlib et de
Jisr Al Choughour. Mais ce jeu de
bonneteau n’a apparemment pas suffi à
leur attirer la clémence ni des
États-Unis ni de la Russie.
Abandon
du calendrier de l’Hégire
Dans une
sorte de révolution copernicienne,
l’Arabie saoudite a renoncé le 1er
octobre 2016 au calendrier de l’Hégire,
qui rythmait la vie du Royaume depuis sa
fondation il y a 85 ans, pour opter pour
le calendrier de l’ère chrétienne, dans
la vie publique (administration et
secteurs publics, ports, aéroports,
armée, etc..); une décision douloureuse
pour le chef de file du wahhabisme qui
témoigne néanmoins de son souci
d’atténuer la virulence anti-saoudienne
dans l’opinion arabe et occidentale.
L’Arabie
saoudite abandonne le calendrier de
l’hégire dans le domaine public
Grozny
fait perdre la tête aux Saoudiens
L’alliance Sissi Poutine, une menace
pour le leadership saoudien sur le Monde
arabe
Reçu de René Naba pour publication
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