Vu du Droit
Justice : saison 2018/2019, la politique
toujours…
Régis de Castelnau
Mercredi 24 juillet 2019 Le journal
Atlantico m’a demandé une petite
rétrospective des décisions qui ont
marqué l’année judiciaire. J’en ai
sélectionné quatre qui me semblent
significatives de la volonté du
dévoiement politique voulu d’abord par
François Hollande est poursuivi ensuite
par Emmanuel Macron. Qui n’ont bien sûr
l’un comme l’autre que le mot
indépendance à la bouche. Sachant que la
vraie question est celle de
l’impartialité de la justice dont
l’indépendance ne serait que le moyen.
On peut aussi retrouver l’article
directement sur le site d’Atlantico.
Retour sur les
procès les plus intéressants de
l’année 2018-2019
Pas forcément
les plus médiatiques, certains procès
ont eu une importance majeure au cours
de l’année, car ils révèlent l’état de
la justice.
C’est une
banalité de dire que l’année scolaire a
depuis longtemps supplanté l’année
civile dans le vécu des Français. Pour
tout le monde, après les congés d’été la
vraie rentrée ce n’est pas celle
qui se déroule au début du mois de
janvier mais bien au mois de septembre.
Pendant fort longtemps la Justice a été
organisée à ce rythme et les rentrées
solennelles des juridictions avaient
lieu en automne. Cela a changé, mais pas
dans les têtes et concernant le bilan de
l’année judiciaire, on partira comme
d’habitude de septembre 2018.
Nous avons retenu
quatre décisions pour leur valeur
symptomatique en ce qu’elles révèlent
les contradictions qui traversent le
corps des magistrats reflet de celles
qui agitent la société. Ce qui fait que
la dimension politique de chacune
d’entre elles est évidente, et démontre
que le chemin à parcourir pour que
l’institution judiciaire soit
irréprochable dans son impartialité sera
encore long et tortueux.
Mort de Clément
Méric : quand la justice combat la bête
immonde
Le septembre 2018,
après une semaine de débats, la Cour
d’assises de Paris a rendu son verdict
dans le dossier concernant la mort de
Clément Méric. De façon surprenante ont
été prononcées des peines très lourdes,
sans commune mesure avec celles que l’on
rencontre habituellement dans les
affaires de violences similaires. Force
a été de constater qu’après une conduite
d’audience empreinte de partialité, les
onze ans de prison infligés à Esteban
Morillo et les sept à Samuel Dufour,
l’ont plus été au regard de leur passé
de skinhead qu’à celui des faits qui
leur étaient reprochés. Ce qui en fait
malheureusement une décision
incontestablement politique.
Rappelons
brièvement les faits tels qu’ils ont pu
être exposés à l’occasion des débats
largement répercutés par la presse. Deux
groupuscules violents et antagonistes se
sont confrontés à l’occasion d’une vente
privée de vêtements dans un appartement
du quartier Caumartin de Paris. Une
bagarre de rue s’est déclenchée à
l’occasion de laquelle le skinhead
Esteban Morillo, a porté deux coups
violents au visage de Clément Méric,
jeune étudiant appartenant à la mouvance
« anti-fas ». Dont la tête lors de sa
chute, a heurté un élément de mobilier
urbain, ce qui a entraîné son décès. Les
rôles respectifs dans l’affrontement ont
été à peu près cernés, la volonté
initiale d’en découdre étant plutôt du
côté des « anti-fas », et Clément Méric
ayant participé directement à la
bagarre. Le bon sens aurait dû
considérer qu’on était en présence d’une
bagarre de rue opposant des abrutis
déclassés à des antifascistes de
pacotille. C’est pour cela que la mort
de Clément Méric est à ce point
désolante, stupide et si inutile. Mais
c’est un fait divers tragique, et la
justice aurait dû le traiter comme tel.
La violence d’Esteban Morillo méritait
le passage en Cour d’assises, mais aussi
le même traitement que celui relevé dans
des affaires similaires. Le quantum de
la peine excède très largement celui que
l’on rencontre lorsque l’on étudie la
jurisprudence. Et c’est dans cet écart
de plusieurs années au détriment
d’Esteban Morillo que se loge la
dimension politique de la décision
rendue par la Cour d’assises de Paris.
Le principe de « la
personnalisation des délits et des
peines » aurait dû permettre la prise en
compte du fait que l’accusé avait rompu
avec ce passé et essayé de reconstruire
une vie. Ce n’est pas un militant nazi
ou même pétainiste que la cour devait
juger mais un fils d’immigrés, aux
études réduites à celles d’apprenti
boulanger et dont tous les espoirs de
vie étaient bornés par la pauvreté. Au
lieu de cela, par la conduite des
débats, les réquisitions du parquet, et
l’importance des peines infligées la
justice donne l’impression d’avoir voulu
apporter sa pierre à la lutte contre la
bête immonde. Ce n’était pas sa
mission.
L’affaire
Georges Tron ou la Justice sous le feu
du lobby néo-féministe
Par un arrêt rendu
le 25 novembre 2018 la cour d’assises de
Bobigny a prononcé l’acquittement
prévisible de Georges Tron après quatre
semaines d’audience. Acquittement qui a
provoqué l’habituel concert de
hurlements de la cohorte des néo
féministes en rage.
On rappellera que
cet acquittement est intervenu ce après
une procédure d’instruction minutieuse
aboutissant à une ordonnance de non-lieu
prononcé par le juge d’instruction ayant
accompli tous les actes et en
particulier auditionné toutes les
parties. Cette ordonnance a été rendue
sur réquisitions conformes d’un parquet
également partie à la procédure au fur
et à mesure qu’elle se déroulait. Sur
appel de la seule partie civile,
l’ordonnance fut soumise à la chambre
d’instruction. Malgré de nouvelles
réquisitions de non-lieu du parquet, par
un arrêt qui a surpris le monde
judiciaire, la chambre d’instruction a
réformé l’ordonnance de non-lieu.
Après l’affaire
Weinstein et la campagne #metoo, et
malgré les faiblesses relevées par le
juge d’instruction et le parquet ce
dossier est devenu emblématique du
combat des néo féministes victimaires.
Une première audience avait commencé à
se tenir au mois de décembre 2017 dans
des conditions de pression médiatique et
politique incompatibles avec l’exercice
d’une justice sereine. Le procès fut
donc renvoyé. Chose surprenante, le
parquet utilisant l’adage «la plume est
serve mais la parole est libre » avait
décidé de ne pas suivre à l’audience les
réquisitions écrites tout au long de la
procédure, et a demandé la condamnation
des accusés.
Toute l’instruction
fut refaite à la barre pendant quatre
semaines et un débat contradictoire
beaucoup plus serein s’est déroulé, à la
suite duquel le jury populaire et les
trois magistrats qui composaient la Cour
ont considéré qu’une vérité judiciaire
de culpabilité.
Et ce fut
immédiatement le tollé. On a retrouvé
les mêmes agités et les mêmes démagogues
que d’habitude occupés à exciter la
meute et à insulter la justice comme
cela avait été le cas dans l’affaire
Jacqueline Sauvage où il fallait faire
passer, contre l’évidence, une
meurtrière pour une victime. Cette
fois-ci, pour transformer un homme
politique acquitté après une procédure
régulière en un abominable Barbe-Bleue.
Lorsque l’on voit ceux qui mènent ces
campagnes, on mesure parfaitement quel
est leur objectif. Tout à leur ignorance
en matière de libertés publiques quand
ce n’est pas de la haine pour celles-ci,
ils réclament à grands cris l’abandon
des principes qui gouvernent le procès
pénal dans notre pays. Lamentable
spectacle où sur les plateaux et les
réseaux, des leaders d’opinion et des
responsables politiques ont rivalisé de
démagogie n’hésitant pas à prôner le
retour à des formes de barbarie pénale
et l’abandon des principes de liberté
qui organisent la vie dans une société
démocratique. La palme revenant à
Juliette Méadel, ancienne avocate et
ministre socialiste de François
Hollande, installée depuis sur la niche
marketing qu’elle pense porteuse du néo
féminisme. Elle s’était fendue d’un
tweet grandiose : «accusations de
viol: Georges Tron acquitté. Verdict
désespérant pour le droit des victimes.
Le doute ne doit pas bénéficier aux
accusés ! C’est le retour du droit de
cuissage ! »
Le parquet sensible
à la clameur et aux pressions
médiatiques a de nouveau renié sa
position de toute l’instruction et fait
appel de la décision d’acquittement.
Espérons que la
cour d’assises d’appel aura la même
fermeté et le même professionnalisme que
celle de première instance.
Gilets jaunes :
quand la Justice fait la police
Face à la crise des
gilets jaunes, dans le silence obstiné
des organisations syndicales de
magistrats déshonorées à cette occasion,
le pouvoir Macronien, un moment aux
abois a instrumentalisé une répression
judiciaire sans précédent pour tenter de
mater un mouvement social. Il y a eu
bien évidemment la stratégie du
ministère de l’intérieur qui a poussé à
la violence pour tenter de disqualifier
le mouvement. Mais malheureusement la
magistrature de façon très large a
accepté ces dérives et est mis en œuvre
une répression de masse qui a entretenu
des rapports très lointains avec l’État
de droit dont on nous rebat pourtant les
oreilles. Cravachés par Nicole Belloubet
et Édouard Philippe, les parquets
déchaînés ont basculé avec zèle dans la
répression brutale, faisant procéder à
des arrestations souvent préventives,
par milliers, déférant à tour de bras
devant les tribunaux, à l’aide de
procédures d’urgence dans lesquelles par
des réquisitoires violents, ils
demandaient des peines folles. Et de
façon stupéfiante la magistrature du
siège a accepté de rentrer dans cette
logique et a distribué en cadence des
peines parfois énormes. Depuis le mois
de novembre 2018, début du mouvement,
près de 10 000 arrestations, 1500
condamnations, 450 personnes incarcérées
sur la base d’incriminations parfois
farfelues. Désolé, mais ceci n’était pas
de la justice, mais de l’abattage.
Édouard Philippe s’est présenté à
l’Assemblée nationale se gargarisant de
ce triste bilan. Qui a scandalisé à
l’étranger.
On ne retiendra
qu’une qu’une décision pour sa valeur
symbolique. Au cours d’une manifestation
qui est l’exercice d’une liberté
constitutionnelle, trois manifestants
usant de la liberté d’expression
également constitutionnelle avaient
scandé : « Castaner assassin ». Le
ministre de l’intérieur sous la
responsabilité duquel ont été commis un
nombre incroyable de violences
policières, après avoir traité
publiquement les manifestants «
d’abrutis » en a fait poursuivre trois
pour « outrage au ministre de
l’intérieur ». Il s’est trouvé, un
procureur pour poursuivre et requérir et
trois magistrats du siège pour les
condamner, ce qui constitue une grande
première dans l’histoire du droit de
manifester dans ce pays. Montrant ainsi
que la grande majorité de l’appareil
judiciaire a accepté d’oublier sa
mission de Justice, pour considérer à la
demande du pouvoir exécutif qu’il devait
rétablir l’ordre, c’est-à-dire exercer
une mission de police. Tout ceci est
désolant.
La relaxe de
Bernard Tapie ou la défaite de la
Justice politique.
À la surprise
générale, la collégialité de magistrats
du Tribunal correctionnel de Paris a
refusé de poursuivre à l’encontre de
Bernard Tapie ce qui n’était rien
d’autre qu’une vendetta politique. Le
courageux et juridiquement très solide
jugement de relaxe rendu par la 13e chambre
au profit des personnes poursuivies pour
escroquerie en bande organisée, ne fait
pas plaisir qu’aux seuls prévenus, mais
également à tous ceux qui sont attachés
à une Justice impartiale et respectueuse
du droit. Est-ce le retour enfin à un
fonctionnement normal de l’institution,
ou bien un acte isolé qui sera sans
lendemain, voyant se poursuivre la
dérive avec à la manœuvre le couple
infernal Parquet National Financier et
Pôle d’instruction financière ?
Quiconque s’était
penché un peu en détail sur ce dossier
ne pouvait croire Bernard Tapie coupable
cette fois-ci « d’escroquerie en bande
organisée ». Il sautait aux yeux que le
dossier pénal avait été ficelé et ne
tenait pas debout. Mais on pouvait
craindre que la juridiction du fond
n’aurait pas l’audace de mettre un coup
d’arrêt à ce modèle
d’instrumentalisation de la justice à
des fins politiques. Comme l’ont été par
les mêmes institutions les affaires
concernant Nicolas Sarkozy, François
Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc
Mélenchon ou encore Gérard Collomb
récemment. Il faut quand même rappeler
que ce dispositif de lutte judiciaire
contre l’opposition a été mis en place à
la demande de François Hollande avec la
création du PNF après l’affaire Cahuzac.
Il a ensuite été récupéré par Emmanuel
Macron, pour être utilisé également pour
assurer à ses proches une certaine
immunité pénale.
Au moment de son
départ, avec une certaine ingénuité la
patronne du PNF fait ce singulier aveu
aux journalistes de Marianne : « Je n’ai
jamais subi aucune pression ». Pardi,
pourquoi en aurait-il fallu ? Par
ailleurs le juge d’instruction
spécialisé dans la chasse au Sarkozy a
lui aussi quitté son poste au pôle
financier. Alors changement ? Nous
verrons mais on peut craindre la volonté
déjà constatée du chef de l’État
d’utiliser les mêmes outils à son
profit.
L’examen rapide de
ces quatre décisions montre à quel point
la question, non pas de l’indépendance
de la Justice mais de son impartialité
politique reste à ce point sensible.
Certaines juridictions ont sauvé
l’honneur, et en particulier la cour
d’assises de Bobigny et le tribunal
correctionnel de Paris. Il y en a
quelques autres. Mais malheureusement le
bilan n’est pas franchement globalement
positif. Et en particulier,
l’acceptation par cette Justice d’être
l’outil de la répression brutale du
mouvement social des gilets jaunes a été
une très mauvaise surprise. Amis
magistrats, encore un (gros) effort pour
devenir vraiment impartiaux.
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