Vu du Droit
Mise en examen de Richard Ferrand :
une
simple diversion ?
Régis de Castelnau
Jeudi 12 septembre 2019 Or donc, Richard
Ferrand a été mis en examen pour « prise
illégale d’intérêts ». Immédiatement,
dans la sphère politique et médiatique
chacun y est allé de son petit
commentaire. Les uns, oubliant les
leçons qu’ils nous avaient données
concernant la nécessaire restauration de
la morale publique, assurent le
président de l’Assemblée nationale de
leur confiance et de celle d’Emmanuel
Macron. Pendant que dans l’autre camp on
en profite avec gourmandise, incapable
de mesurer que les ennuis judiciaires,
c’est chacun son tour. De toute façon,
le déferlement de commentaires, nourris
en général d’ignorance et de mauvaise
foi, n’aura aucune autre conséquence que
de contribuer à la disqualification de
la Justice française.
On s’autorisera
cependant ce quelques observations
relatives à ce nouvel épisode qui
ressemble quand même à une petite
opération de diversion concomitante aux
débats qui entourent la très prochaine
convocation de Jean-Luc Mélenchon devant
le tribunal correctionnel pour les faits
survenus lors du raid judiciaire dont La
France Insoumise avait été victime le 16
octobre dernier.
Richard Ferrand
expert immobilier
Tout d’abord,
Richard Ferrand a été mis en examen pour
prise illégale d’intérêts, infraction
prévue et réprimée par
l’article 432–12 du code pénal. Ce
texte concerne le mélange des genres, et
par conséquent sanctionne moins des
intentions que des situations. Le
décideur public doit prendre ses
décisions pour des motifs relevant
exclusivement de l’intérêt général qu’il
a la mission de défendre. Si ces
décisions sont susceptibles d’avoir été
polluées par d’autres motifs et en
particulier la défense d’intérêts
privés, l’infraction est constituée. Le
juge ne va pas rechercher si la preuve
de la volonté de favoriser l’intérêt
privé est rapportée, mais simplement
constater l’existence d’une situation
permettant de générer le soupçon. Trois
conditions doivent donc être réunies
cumulativement, le statut d’agent public
du décideur, la surveillance et
l’administration de l’affaire es-qualité
de décideur public, et l’existence
concomitamment dans l’intérêt privé.
Dans ce que l’on sait de l’affaire
Ferrand les conditions relatives au
mélange entre surveillance et
administration de l’affaire et intérêt
privé sont réunies. Rappelons que le
président de l’Assemblée nationale
dirigeant des Mutuelles de Bretagne a
fait acquérir par son épouse des locaux
ensuite loués à
des conditions ébouriffantes à ces mêmes
Mutuelles. Le crédit bancaire
accordé à Madame Ferrand pour
l’acquisition du bien fut facilement
obtenu dès lors que le juteux projet de
bail figurait dans la demande de prêt.
La morale et la décence commune en
prennent un sacré coup, mais pour
poursuivre les protagonistes, l’article
432–12 du code pénal, exige que les
dirigeants des mutuelles de santé soient
considérés comme chargés d’une mission
de service public avec toutes les
conséquences juridiques attachées à ce
statut. Personne ne le pensait jusqu’à
ce que grande nouvelle survienne une
réponse du ministère de la santé datant
de novembre 2018 soit bien après le
déclenchement du scandale Ferrand.
Cette réponse précise : « les
mutuelles du livre III du code de la
mutualité sont regardées, sous réserve
d’une confirmation par les juridictions
compétentes, comme poursuivant une
mission de service public ».
Considérer qu’il y avait là une perche
tendue qui a permis d’éviter les
incriminations d’escroquerie ou d’abus
de confiance autrement plus déplaisantes
relève évidemment du complotisme et de
la mauvaise foi…
Le problème est
également qu’ensuite, le déroulement de
la procédure pourrait nourrir le vilain
soupçon de complaisance judiciaire
vis-à-vis de Richard Ferrand. À la suite
de l’article du Canard enchaîné
décrivant ses acrobaties familiales,
l’association Anticor avait déposé
plainte semble-t-il entre les mains du
Parquet National Financier et sans
surprise celui-ci avait renvoyé la
patate chaude au parquet de Brest. Qui
fort prestement
classa le dossier sans suite.
Anticor put alors déposer une «
plainte avec constitution de partie
civile » et obtenir la désignation
d’un juge d’instruction, Renaud Van
Ruymbeke au pôle financier de Paris. Le
monde judiciaire parisien que l’on
appelle « le Palais », bruisse de
plein de rumeurs, de propos de couloirs,
et de vérités inavouables, et j’invite
par conséquent à ne prêter aucune foi à
ce que je vais dire là. Van Ruymbeke
aurait envisagé de convoquer les époux
Ferrand pour leur signifier une mise en
examen. Fort opportunément informée, la
défense a sollicité en urgence et au
mois d’août un « dépaysement de
l’affaire »,
immédiatement accordé au profit d’un
juge d’instruction à Lille. Une
rumeur à laquelle personne non plus ne
peut raisonnablement prêter foi raconte
que ce magistrat partageait l’opinion de
celui du pôle financier et envisageait
la même mesure de mise en examen. La
rumeur, toujours elle, toujours
invraisemblable n’est-ce pas, raconte
que pour y parer, on eut l’idée de le
flanquer de deux autres juges pour «
permettre une « instruction
collégiale ».
Et ceux qui voient
un lien entre toutes ces acrobaties et
le petit jeu de chaises musicales lié au
départ du gouvernement de Nicolas Hulot,
ont le conspirationnisme chevillé au
corps. Rappelons que ce dernier depuis
un moment sur un siège à bascule à
quitté son poste pour être remplacé par
François de Rugy alors président de
l’Assemblée nationale, le perchoir
revenant alors à Richard Ferrand. Il est
clair qu’une mise en examen pour
escroquerie et abus de confiance avant
son élection lui en aurait probablement
barré la route. Immédiatement élu, il
avoua alors tranquillement qu’il ne
démissionnerait en aucun cas si une
telle décision intervenait. En tout cas,
force est de constater que Richard
Ferrand, n’est pas François Fillon et
qu’il n’a pas à se plaindre de l’agenda
judiciaire. Celui qui n’a pas à se
plaindre non plus, c’est Emmanuel
Macron. En effet, cette péripétie permet
une fort opportune diversion à quelques
jours du passage de Jean-Luc Mélenchon
en correctionnelle.
Rodéo judiciaire
contre Mélenchon
En effet, et enfin
revenons un peu en arrière lorsque le 16
octobre dernier
nous assistions quasiment en direct à un
raid judiciaire, il n’y a pas
d’autre mot, dirigé contre La France
Insoumise et ses dirigeants avec les 17
perquisitions opérées par les parquets
dans plusieurs endroits de notre pays.
Initiative qui semble bien avoir tout
simplement violé l’article 26 de la
constitution concernant l’immunité
parlementaire, sans compter d’autres
irrégularités qu’une procédure loyale
permettrait probablement de relever. Le
pouvoir nous a vendu une fable selon
laquelle l’exécutif n’aurait pas été
informé d’une opération interrégionale
nécessitant des décisions coordonnées
entre les procureurs appartenant à des
ressorts judiciaires distincts. Cette
coordination n’a pu se faire évidemment
que place Vendôme, le Garde des Sceaux
en étant informé, de même que le cabinet
du premier ministre et fort probablement
d’autres administrations, puisque ces
perquisitions ayant été diligentées par
l’Office Central de Lutte contre la
Corruption et les Infractions
Financières et Fiscales (OCLCIFF),
comprenant des fonctionnaires dépendant
d’autres ministères. Rappelons encore
qu’il s’agit d’une opération judiciaire
menée à l’encontre d’un des deux plus
importants partis politiques
d’opposition à l’époque. Prétendre comme
l’a fait le pouvoir servilement relayé
par la plupart des médias qu’il n’était
pas au courant est dénué de tout
sérieux. La seule hypothèse raisonnable
est que c’est bien lui qui a pris cette
décision ou qu’en tout cas il l’a
approuvé. Rappelons également que le
parquet n’est pas statutairement
indépendant de l’exécutif, au contraire.
À l’occasion de ces
perquisitions, l’administration a pu
ainsi disposer de toutes les
informations relatives à un parti
politique, fichiers d’adhérents,
comptes-rendus divers, éléments de
stratégie, comptabilité etc. etc. Qui
peut considérer ceci comme normal et
acceptable dans une république
démocratique, où la liberté politique
des partis est un principe posé par
l’article 4 de la Constitution.
Depuis les perquisitions une information
judiciaire a été ouverte qui suit un
cours désormais paisible, puisqu’aucune
mise en examen ni convocation de témoin
assisté n’a eu lieu, ce qui fait qu’en
dehors du parquet et du juge
d’instruction personne ne sait ce qu’il
y a dans le dossier. Il est vrai que si
l’on s’encombre avec les droits de la
défense on ne va pas s’en sortir.
Jean-Luc Mélenchon
douloureusement surpris qu’on lui
applique un traitement normalement
réservé à Sarkozy, Fillon et autres
Marine Le Pen, a fort vivement réagi. On
peut le comprendre, mais des vidéos
habilement montées, ont tenu à le faire
passer pour un excité violent, alors que
parlementaire de la république, il
manifestait sa colère face à des mesures
attentatoires aux libertés publiques.
Il est aujourd’hui
poursuivi devant le tribunal
correctionnel de Paris pour les
incidents du 16 octobre et il mesure à
nouveau à ses dépens l’absence de
retenue du pouvoir dans
l’instrumentalisation politique de la
justice. Il a fait publier dans le
journal du dimanche une pétition
internationale dénonçant ces méthodes
que l’on rencontre désormais un peu
partout, et a également obtenu que la
vidéo intégrale réalisée le 16 octobre
soit diffusée. Elle démontre la
réalité des faits tels qu’ils se sont
déroulés et à quel point la défense des
principes et des libertés publiques
étaient de son côté. Il est sûr que
Jean-Luc Mélenchon ne va pas attendre
sans se battre qu’on lui passe la corde
au cou.
Par conséquent, la
mise en examen du président de
l’Assemblée nationale à ce moment est
bien évidemment une aubaine, les médias
mainstream ont parfaitement compris ce
que l’on attendait d’eux : « la
décision concernant Richard Ferrand est
la preuve de l’indépendance et surtout
de l’impartialité de la justice.
L’accusation d’instrumentalisation
politique ne tient pas debout ».
Nous reviendrons à nouveau sur ce sujet
essentiel, mais en attendant faut-il
se poser la question de savoir, si le
moment choisi pour cette convocation
était dénué d’arrière-pensées ? En
relevant que le dossier (simple) est
entre les mains des juges de Lille
depuis un an ?
C’est loin d’être
une question oiseuse.
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