Opinion
Politique étrangère de la France:
Le bal des faux-cul
Philippe de Saint Robert*
Dimanche 6 avril 2014
La diplomatie française s’enfonce
dans l’impasse où le précédent
quinquennat l’a engagée. Il y eut
l’affaire libyenne dont on retrouve,
comme par hasard, certains protagonistes
place de Maïdan. C’est peu de dire que
nous avions plus que dépassé le mandat
des Nations Unies, avec pour conséquence
la déstabilisation de l’Afrique
sub-saharienne et la rancune de Vladimir
Poutine.
Dès le début des émeutes syriennes,
nous nous sommes employés à jeter de
l’huile sur le feu, rompant les
relations diplomatiques avec Damas et
alimentant la rébellion en armes et en
« soutien psychologique ».
L’une des traditions les mieux établies
de notre diplomatie était pourtant que
la France, à la différence des
États-Unis, reconnaît des États et non
des régimes. Ce faisant, Paris
s’alignait sur le Département d’État
américain. L’Union atlantique allait
bientôt prendre le pas sur l’Union
européenne.
Il n’a pas fallu attendre les
événements de Kiev pour que nous
livrions une véritable guerre
psychologique à la Russie : on
prétendait déjà « punir »
Poutine en n’allant pas à Sotchi. À Kiev
même, les émissaires « occidentaux »
n’avaient cessé, Mme Ashton en
tête, depuis des semaines, de semer le
trouble et de vaines promesses, poussant
à la confrontation. Le « partenariat
oriental » ( ?) proposé par l’Union
européenne à l’Ukraine était un
attrape-nigaud assorti d’un prêt
ridicule, eu égard aux besoins d’un pays
déjà en faillite qui ne pouvait hésiter
entre cette aumône et l’offre russe.
Machiavélisme ou inconscience ? Poutine
aurait été bien bête de s’imposer une
retenue que nous ne nous imposions pas
nous-mêmes.
On nous dit que la consultation
référendaire en Crimée serait «
illégale » et contraire au droit
international, qu’il est inadmissible de
se prêter à la division d’un pays.
Pourtant, que de précédents, à commencer
par le démantèlement de la Yougoslavie,
organisé sans le moindre mandat des
Nations Unies par les mêmes puissances
de l’OTAN qui prétendent aujourd’hui
donner des leçons de « droit
international » et d’indivisible
souveraineté. Où étaient la «
légalité » et le « droit
international » lorsque nous avons
séparé, de notre propre chef, le Kosovo
de la Serbie ou lorsque nous avons
accepté l’éclatement du Soudan ? Il est
des exemples plus pacifiques, comme la
séparation de la Slovaquie d’avec la
République tchèque, … en attendant que
la vieille Écosse se prononce au grand
dam de Londres, que le Québec remette
cela au grand dam d’Ottawa et que la
Flandre belge s’y mette à son tour sans
que l’Union européenne semble s’en
préoccuper le moins du monde.
N’avons-nous pas nous-mêmes, par un
référendum de notre propre chef, détaché
Mayotte de l’archipel des Comores ? De
qui se moque-t-on ? Et quoi de plus
habituel à ce que des juristes de
rencontre appellent le « droit
international » ? Et que fait-on du
fameux droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, ce principe
d’auto-détermination qui semble ne
servir que quand on en a besoin ?
La Crimée est russe, dans cette
région où les frontières n’ont cessé
d’être déplacées au gré des grandes
puissances. La politique dite «
occidentale » pousse, depuis la
chute du mur de Berlin et la dislocation
de l’Union soviétique, à l’encerclement
de la Russie par une avancée
systématique de l’OTAN, notamment par
Pologne interposée. On mit à profit la
période du gouvernement de Boris Eltsine
pour humilier la Russie, et favoriser la
main-mise sur ses richesses de ceux
qu’il est convenu d’appeler les
oligarques. Les Etats-Unis et l’Union
européenne étaient à la manœuvre.
L’effondrement du communisme n’a pas
sonné le renoncement des Russes à leur
patrie ; il les a plutôt réveillés. Les
méthodes de Poutine nous choquent mais
il ne faut pas oublier le mal que nous
nous sommes donné à les susciter. Les
Américains font la morale au monde
entier mais comment oublier leur guerre
d’Irak et leurs méthodes à Guantanamo et
à Abou Ghraïb ? Aurions-nous aussi
oublié les propos scandaleux de
Madeleine Albright disant que
l’établissement de la « démocratie »
dans l’ancienne Yougoslavie valait bien
cinq cent mille morts ? Nous sommes,
avec notre morale à la manque, des
arroseurs arrosés.
Hollande et Fabius en chaperons de
l’unité ukrainienne et menaçant Moscou
de représailles, à notre propre
détriment, il n’y a plus qu’à tirer
l’échelle… Il est vrai que nous
prétendons même « sanctionner » la
paisible Suisse, ce célèbre Etat
totalitaire, au motif qu’elle vote mal.
Au demeurant, ce n’est pas d’hier que
les puissances « occidentales »
s’en prennent à une Russie qu’elles ont
aidée à se déconstruire au lendemain de
l’éclatement du bloc soviétique, et dont
elles ne tolèrent pas la restauration.
L’intérêt stratégique de la France est
dans la restauration de la Russie comme
grande puissance européenne.
Notre gouvernement poursuit la ligne
adoptée, à la suite de Sarkozy et de
Juppé, dès le début des troubles de
Syrie. Comme l’a remarqué Dominique de
Villepin, il est étrange que, tout en
nous prétendant être un État de droit,
nous nous portions systématiquement du
côté des rébellions en tous genres, vite
noyautées dans un cas par les
djihadistes, dans l’autre par des hordes
revenues de loin.
On se croirait de retour au temps de
Guy Mollet et du sabre de bois de
Christian Pineau. Jamais les socialistes
français ne se sont libérés du syndrome
de Suez. Mitterrand, dès son arrivée au
pouvoir, nous a, pour ce qui est du
Proche-Orient, décrochés du plan établi
non sans mal à Venise par la Communauté
européenne de l’époque. L’effondrement
du mur de Berlin a été vécu comme une
catastrophe par Mitterrand et Delors. On
ne sait comment, depuis, réchauffer les
braises de la guerre froide.
« D’où vient ce sentiment diffus
que les Français éprouvent de ne plus
avoir de politique étrangère claire ? »
s’interroge Renaud Girard dans son
dernier livre (1). C’est un
euphémisme. En réalité, nous avons
tourné le dos à près de quarante ans de
politique étrangère conforme aux
fondamentaux de notre histoire, tels que
rétablis par le général de Gaulle.
Obnubilés que nous sommes par le choix
d’une politique européenne hantée par un
projet intégrationniste qui n’ose dire
son nom, que de toute façon l’Union
atlantique rendrait dérisoire, nous
sommes réduits soit à l’impuissance
totale, soit à l’aliénation à la
politique des États-Unis, ce qui du
reste revient au même.
* Ecrivain, ancien Commissaire
général à la langue française
(1984-1987)
(1) Le Monde en marche, par
Renaud Girard (CNRS Editions, 2014)
© G. Munier/X.
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Publié le 6 avril 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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