Actualité
France : vers une guerre civile et
raciale ?
Olivier Mukuna
Vendredi 30 octobre 2020
Comment ne pas
sentir la puanteur des rafales
d'extrême-droite et d'islamophobie
françaises depuis l'assassinat de Samuel
Paty ?
Mais commençons par le commencement.
Mon hommage personnel à cet enseignant
français tué dans l'exercice de ses
fonctions. A la tristesse que provoque
sa disparition abjecte, c'est aussi le
symbole de l'école et de la liberté
d'enseigner qui ont été mortellement
agressés. Par un détraqué intégriste
islamiste, âgé de 18 ans, d'origine
tchétchène, abattu par la police et dont
l'enquête judiciaire devra établir les
éventuelles complicités...
Condoléances à la famille de Samuel
Paty, à ses proches, à ses élèves comme
aux enseignants qui ne pouvaient
imaginer qu'un jour "les risques du
métier" puissent mener à
l'indicible. J'écris ces mots avec
d'autant plus d'émotion que j'ai été, il
y a longtemps, à 12 ans, sauvé du
décrochage scolaire par un inoubliable
professeur de français, auquel Samuel
Paty ressemblait.
L'amalgame-roi
Revenons maintenant à cette société
française qui - qu'on le reconnaisse ou
le nie - influence durablement la nôtre.
Depuis l'horrible assassinat, la
sidération a très vite fait place à la
médiatisation d'une colère haineuse. A
flux tendu. Celle-ci continue
d'hystériser médias, réseaux sociaux et
responsables politiques. C'est une
véritable tempête politico-médiatique
ininterrompue autour de l'amalgame-roi :
"musulmans = terroristes = attentats". Puis,
à écouter chaque postillonneur et
postillonneuse de haine : si "ils" -
comprenez les musulmans - ne sont
pas encore terroristes, "ils" sont
proches de le devenir puisqu'"ils"
pratiquent l'islam. La boucle infernale
et mensongère est bouclée. Le "eux"
contre "nous", toujours plus
enraciné...
Sur les plateaux des chaînes d'infos :
zéro débat ! En lieu et place, un magma
de propos guerriers d'une violence
raciste totalement débridée ; une
alternance ahurissante entre la logique
du bouc émissaire et les chants
victorieux d'éditorialistes de droite
extrême ou d'extrême-droite. Point
d'orgue : les appels au meurtre signés
par deux intégristes sionistes sur CNews
et Arte. D'abord, celui de
l'avocat-chroniqueur Gilles-William
Goldnadel qui médiatise que "le
plus bel hommage à rendre à Samuel,
c'est de le venger !"... Puis, celui
de l'écrivain Pascal Bruckner qui, en
face de l'activiste afroféministe et
musulmane Rokhaya Diallo,
l'accuse "d'avoir armé les
terroristes" ; soit les frères
Kouachi qui ont assassiné à la
kalachnikov 12 membres de la rédaction
de Charlie Hebdo (2015)...
Jour après jour,
depuis le 17 octobre, cet orchestre de
haine islamophobe - de racisme ciblé
prétextant "la liberté d'expression"
- ne cesse de renouveler ses partitions
médiatiques. Seuls certains journaux de
presse écrite et médias alternatifs
français, comme Mediapart, s'accrochent
à la raison antiraciste : s'en tenir à
l'enquête judiciaire, informer,
analyser, expliquer... SANS accompagner
ce tourbillon de haine qui amalgame
coupables et innocents sous le seul
vocable de "musulmans".
Deux
septuagénaires, de la presse et du
judiciaire, ont aussi tenté de calmer la
rage mortifère d'une partie croissante
de leurs compatriotes. A l'image de Serge
July, fondateur du quotidien
Libération, qui a déclaré ceci sur LCI :
"Il y a eu une sidération dans tout
le pays, une émotion générale, mais
c'est à ce moment-là qu'on fait des
conneries... On va faire des lois
d'opportunité, de circonstances : ce
sont les pires !"
Sur la même chaîne
d'info, l'ex-président du Tribunal pour
enfants de Bobigny, Jean-Pierre
Rosenczveig, appelle aussi à la
prudence : "Les deux mineurs qui ont
contribué à identifié l'enseignant aux
yeux du tueur : étaient-ils
conscients ou complices de se qui allait
se passer ? Il faut rester prudent - on
ne dispose que d'informations partielles
pour le moment. Méfions-nous de la
démarche qui consiste à tout raisonner à
partir de la fin du film. Est-ce que
c'était prévisible ? Sachant que tout
n'est pas prévisible, tout ne peut pas
être empêché... Donc, gardons-nous de
porter des jugements sur ce qui a pu se
dérouler et sur ce qu'on aurait pu faire
pour l'éviter."
Criminalisation
Une sagesse qui n'intéresse pas le
ministre français de l'Intérieur, Gérald
Darmanin. Le nez plongé dans
le guidon de son vélo électoraliste dont
les vitesses sont bloquées à
l'extrême-droite. Entre autres effets
d'annonce, Darmanin a promis la
dissolution de plusieurs associations
musulmanes, suspectées, à tort,
d'intégrisme islamique voire de
complicité avec de potentiels
terroristes. Nommément citées : le CCIF -
le Collectif Contre l'Islamophobie en
France -, Barakacity ou Ummah
Charity. Trois associations déjà
soumises, depuis des années, à un
harcèlement policier exercé par le
pouvoir politique français. Sans jamais
trouver traces, chez elles, du moindre
projet criminel. Trois associations dont
les responsables ne sont guère invités à
s'exprimer dans les médias mainstream.
Autant de raisons pour lesquelles, nous
allons citer, ici, deux extraits du
communiqué de presse du CCIF :
"Que s’est-il
passé en dix ans ? Comment la pensée
identitaire et raciste, héritière du
fascisme et du totalitarisme, s’est-elle
retrouvée au cœur même de l’État dans
son gouvernement et son sénat ? Comment
des idées, encore jugées
d’extrême-droite, se sont normalisées
dans le débat public ? C’est là tout le
processus d’islamophobie que nous
dénonçons en particulier depuis 2015,
depuis l’état d’urgence, et qui nous
vaut aujourd’hui cette attaque
politique...
Ne sachant comment réagir aux attaques
terroristes, le gouvernement a, à chaque
fois, voulu faire des démonstrations de
force, la plupart du temps illégales, en
s’en prenant de manière violente et
délibérée à des musulmans le plus
souvent anodins, présentés comme «
islamistes ». Cette stratégie a non
seulement été inefficace - le terrorisme
n’a pas disparu -, mais est également
nocive et dangereuse, car elle répond
précisément à l’agenda des terroristes.
Elle valide leur modèle et confirme leur
discours... Après avoir défendu des
milliers de personnes physiques ou
morales, ciblées par des mesures
discriminatoires et injustes, c’est à
notre tour d’en faire les frais : la
mise en cause du CCIF ne correspond ni à
une réalité factuelle, ni à une réalité
juridique, mais à une volonté politique
: criminaliser la lutte contre
l’islamophobie."
Démentant fermement
être lié, de près ou de loin, à
l'assassinat de Samuel Paty, le CCIF
poursuit :
"En nous accusant, sans preuves,
d’être responsables ou mêmes liés à cet
acte abominable, le ministère de
l’intérieur est en train de signer la
fin de l’état de droit. Dans ces moments
sombres, on a un choix à faire : soit on
fait le jeu de division des terroristes
en visant les musulmans, soit on fait
société, en luttant à la fois contre le
terrorisme et contre toutes les formes
de racisme."
En écho, le
communiqué de presse de l'UJFP -
l'Union Juive Française pour la Paix -
ne se montre pas moins inquiet et sonne
l'alerte avant "une nouvelle
catastrophe" :
"Il y a quelque chose de totalitaire
dans la nouvelle étape du discours
raciste et islamophobe d’État qui vient
d’être franchie, avec l’introduction
frauduleuse dans le débat national du
concept de « séparatisme » supposé
qu’entretiendraient nos concitoyens de
culture musulmane. De quelques
fanatiques, on passe à des groupes
entiers qualifiés d’islamistes, puis à
toute organisation indépendante
s’appuyant sur l’Islam telles que des
ONG comme Baraka City ou l'organisation
antiraciste CCIF.
Or, le véritable séparatisme, c’est la
désignation assumée à la vindicte
générale de pans entiers de notre
société au seul motif qu’ils sont
musulmanes et musulmans.
L’atmosphère empoisonnée d’aujourd’hui
peut permettre de comprendre ce qui a dû
se passer en France et en Allemagne
pendant les années 1930. Comment une
société entière a pu être, petit à
petit, contaminée par des discours
politiques et la presse antijuive, pour
se retrouver embrigadée dans une
croisade exterminatrice... Il nous
appartient d’alerter nos concitoyens sur
les dangers qui menacent nos sœurs et
nos frères musulmans et, plus largement,
notre société toute entière. Le temps
nous est compté, si nous ne voulons pas
que se produise à nouveau une
catastrophe..."
Répliques
Qui, dans les médias audiovisuels
français, se souvient des mots tenus en
2011 par le Premier ministre norvégien, Jens
Stoltenberg, juste après
l'effroyable attaque terroriste,
perpétrée par l'intégriste chrétien Anders
Brevik, qui s'était soldée par 77
morts et plus de 200 blessés ?
Oui, parmi vous qui n'êtes plus mes
confrères, qui se souvient encore de ces
mots lumineux : "Nous devons montrer
que notre société ouverte peut faire
face à cette épreuve. Que la meilleure
réponse à la violence terroriste est
encore plus de démocratie. Encore plus
d'humanité." ?
Et, toujours parmi
vous, qui aura le courage d'observer et
d'exprimer, au plus grand nombre, qu'à
l'inverse de la police française, la
police norvégienne a capturé le
terroriste Anders Brevik vivant. Afin de
le traduire et de le condamner en
justice. Comme il se doit, dans toute
société dite démocratique ?
Sans surprise, la situation n'est guère
plus "réjouissante" en Belgique. Où les
répliques de haine islamophobe "à la
française" n'ont pas tardé à exciter
nombre de petits cerveaux belgo-blancs.
Exemple : sur les ondes de la RTBF, le
20 octobre, l'éditorialiste néolibéral Alain
Gerlache dénonce l'assassinat
de Samuel Paty. Pour mieux l'amalgamer à
la lutte d'égalité menée par nos
concitoyennes belges qui portent le
foulard. Les yeux en boules de Lotto, à
deux doigts de retrouver l'uniforme de
son service militaire, le sergent
Gerlache crie : "Ce n'est pas le
moment de reculer sur la neutralité de
l'Etat !" Et de conclure son prêche
islamophobe par un martial : "L'heure
n'est pas à la soumission !" (1)
Autre cible, plus politique, mais
toujours d'origine maghrébine : Rajae
Maouane, la coprésidente d'Ecolo.
Après la diffusion, sur Instagram, d'une
story répondant à une nouvelle sortie
raciste de Gérald Darmanin (2), la
trentenaire s'est prise une volée de
tweets accusateurs du MR et de la NV-A.
En tête d'escadrille, le président sous
tutelle du parti de droite francophone, Georges-louis
Bouchez, toujours pas guéri de sa
"fière" manie de l'ouvrir quand il
devrait la fermer. Ce qu'il avait
pourtant réussi à faire lorsque tomba la
4 ème inculpation pour corruption de son
mentor Nicolas Sarkozy...
En ambuscade, Assita
Kanko, l'afro-islamophobe de service
des séparatistes de la NV-A. Entre deux
selfies et changement de tenue
vestimentaire, la nationaliste trouve le
temps de tweeter ceci : "Rajae
Maouane souhaite à tous une bonne
journée, à l’exception du gouvernement
français. Juste après que Macron a
annoncé que l’islam radical serait plus
difficile à combattre et renvoyé 231
immigrants illégaux radicalisés.
Coïncidence ? Ecolo choisit l’islam
radical. Ce ne sont pas nos valeurs. "
Immédiatement défendue par des cadres
d'Ecolo, Rajae Maouane finira par clouer
le bec à ses nullissimes et malhonnêtes
détracteurs. Courte pause avant
l'inévitable récup' du Vlaams Belang.
Comme une mouche se ruant sur un étron,
le parti d'extrême-droite flamand s'est
empressé de sponsoriser une pub Facebook
appelant à "interdire les
organisations islamistes". Normal,
souriront les cyniques. Sans doute.
Normal aussi les plus de 300 partages et
3700 "likes" en moins de 36h ?
Pour celles et ceux
qui y auraient échappé, voici la
déclaration officielle du Vlaams Belang
Brussels, en date du 23 octobre : "La
France s'est réveillée samedi dans
l'incompréhension et la douleur :
comment a-t-on pu en arriver là ? Elle
opte pour des mesures fortes, et le
Vlaams Belang veut la même chose en
Belgique : dissoudre et interdire
IMMEDIATEMENT les organisations
islamistes !"
Focalisé.e.s sur la galopante
propagation du Covid-19 ou attéré.e.s
par notre place de "lanterne rouge"
d'Europe en matière de gestion
néolibérale catastrophique de la
pandémie, d'aucuns, afro-descendant.e.s
et allié.e.s blancs, pourraient penser
que cet article n'évite pas l'écueil de
l'exagération ou de l'alarmisme.
A l'adresse de ceux-ci, sûrement trop
nombreux, je reprendrai une citation de Frantz
Fanon. En me permettant d'y modifier
un seul mot :
"Lorsqu'ils parlent des musulmans,
tendez l'oreille, c'est de vous qu'ils
parlent."
Olivier Mukuna
[Chronique LDC n°8, 22 octobre 2020]
[1] Le mot "islam", traduit en français,
signifie "soumission"...
[2] Le mardi 20 octobre, le ministre de
l'Intérieur français, Gérald Darmanin, a
tenu les propos suivants : "Moi, ça
m'a toujours choqué de rentrer dans un
supermarché et de voir, en arrivant, un
rayon de telle cuisine communautaire et
de telle autre à côté. C'est comme ça
que commence le communautarisme."
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