Opinion
Les zadistes de Sivens, idiots utiles ou
combattants anti-système ?
Nicolas Bourgoin
Photo:
D.R.
Lundi 3 novembre 2014
La presse dominante s’est faite
abondamment le relais des
exactions commises par les casseurs
présents dans les manifestations contre
le barrage de Sivens ou dans les
rassemblements en hommage à Rémi Fraisse,
tué par un jet de grenade offensive. Si
la plupart des commentaires prennent
soin de
séparer militants écologistes et
casseurs, ces derniers sont utilisés
par les défenseurs du barrage pour
décrédibiliser le mouvement. La
technique n’est pas neuve et l’on trouve
inévitablement ce genre de provocateurs
dans la plupart des manifestations,
souvent des marginaux et parfois des
policiers en civils, qui agissent
(consciemment ou non) contre les
intérêts du mouvement.
La présence d’antifas chez les ZADistes
a également été relevée par la presse
dissidente. Cependant, un mouvement ne
peut se réduire à ses éléments
incontrôlables qui d’ailleurs le
desservent, volontairement ou non.
Au-delà des violences qui ont émaillé
les rassemblements, et qui sont aussi
le fait des policiers eux-mêmes, il
faut souligner les nuisances
considérables du projet de barrage. Et
en plus d’être catastrophique pour
l’environnement, il est foncièrement
coûteux. Brève analyse d’un saccage
programmé.
Le projet d’aménagement d’un
barrage-réservoir de 1,5 million de
mètres-cube situé sur la commune de
Lisle-sur-Tarn comprend l’édification
d’une digue haute de 12,8 mètres et
large de 315 mètres dont la construction
reviendra à la Compagnie d’Aménagement
des Coteaux de Gascogne (CASG), une
société d’économie mixte probablement
au coeur d’un conflit d’intérêt. Son
maître d’œuvre est le sénateur
socialiste Thierry Carcenac. Le coût
prévisionnel du projet dépasse les 8
millions d’euros (hors taxes) et doit
être financé à 50% par l’agence de l’eau
Adour Garonne, à 30% par l’Union
européenne et la région Midi-Pyrénées,
et à 20% par les départements du Tarn et
du Tarn-et-Garonne.
Démeusuré et prohibitif, ce projet
rencontre l’opposition résolue des
experts écologiques (Conseil
scientifique régional du patrimoine
naturel en décembre 2013 et Conseil
scientifique régional du patrimoine
naturel en septembre 2013) qui ont tous
rendu des avis défavorables. Il
conduirait à sacrifier la plus
importante « zone humide » du
département (13 hectares), un bassin de
biodiversité qui abrite notamment plus
d’une centaine d’espèces animales
protégées. Dès octobre 2013, le site est
occupé par les opposants du groupe « Tant
qu’il y aura des bouilles« . Le
début des travaux en septembre a
déclenché des actions de résistance :
grèves de la faim, manifestations,
opérations escargots, occupation du
conseil général… pour tenter d’empêcher
la destruction irréversible de la zone
humide. Les militants, qui dénoncent un
climat de violence créé par les forces
de l’ordre, sont allés jusqu’à
s’enterrer pour faire barrage aux
pelleteuses… en vain puisque le décapage
de la zone a déjà commencé, entraînant
des dégâts considérables. La mort de
Rémi Fraisse a stoppé provisoirement les
travaux :
réunis à Albi, les élus du Tarn ont
pris « acte de l’impossibilité de
poursuivre toute activité liée au
déroulement du chantier sur le site de
Sivens », en renvoyant la balle au
gouvernement qui cherche désespérément
une sortie de crise. Une réunion
d’urgence est prévue demain mardi au
ministère de l’Écologie. Elle se tiendra
avec des élus, des responsables de
l’Agence de l’eau Adour-Garonne et des
agents de l’État, mais sans les
associations.
L’opposition au projet bénéficie de
l’appui du « Collectif pour la
sauvegarde de la zone humide du Testet »
créé en 2011, et du soutien d’élus
écologistes, dont la Confédération
paysanne, qui dénoncent un « projet
inutile, coûteux et anti-écologique »
conçu dans le seul intérêt des
promoteurs d’une « agriculture
intensive » céréalière. Sans surprise,
le projet est ardemment soutenu par le
lobby productiviste agricole représenté
par la FNSEA dont le président n’a pas
hésité
à taxer les opposants de « djihadistes
verts ».
Les experts mandatés par le ministère
de l’Écologie considèrent, dans
leur rapport, le projet nettement
surdimensionné, jugent le coût
d’investissement « élevé » par rapport
au volume d’eau stocké, soulignent la
qualité « très moyenne » de l’étude
d’impact et déplorent que le choix d’un
barrage en travers de la vallée ait été
privilégié « sans réelle analyse des
solutions alternatives possibles ». Le
projet apparaît encore plus pharaonique
quand on sait que seuls une quarantaine
d’agriculteurs céréaliers en
bénéficieront (le Conseil général en
annonçait le double). Le combat des
ZADistes qui sont déjà parvenus à mettre
en échec les projets gouvernementaux (et
calamiteux) de construction de
l’aéroport Notre-Dame-des-Landes,
apparaît donc totalement légitime au vu
de ces études indépendantes. Il exprime
le rejet d’un système productiviste
passéiste et anachronique, fonctionnant
sur la consommation d’énergies fossiles
et la destruction des écosystèmes et de
la biodiversité. Rappelons que
le transport aérien est responsable
de 6 % de gaz à effet de serre tandis
que l’agriculture intensive
a déjà provoqué la disparition de
centaines d’espèces. Loin d’être
les agitateurs décrits par la presse
dominante – Rémi Fraisse était
botaniste et proche du réseau France
Nature Environnement – ils mènent une
résistance légitime contre un modèle
d’agriculture et de développement qui
entraîne le saccage de l’environnement
et des ressources naturelles – dont la
réalisation la plus accomplie est sans
doute
la ferme-usine des Mille vaches. Ce
combat est celui de tous ceux qui
refusent la surexploitation de
l’environnement tout autant que celle de
l’homme.
Publié le 4 novembre 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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