Syrie
Alep / D'Ibrahimi à De Mistura :
solution à la libanaise ou à l'irakienne
?
Nasser Kandil
Photo:
D.R.
Mercredi 11 février 2015
Décidemment, Alep est l’objet de toutes les
attentions et même source d’espoir pour
ses pires ennemis.
Le 4 février, le Club de Bruxelles 2 titrait : « Tout
faire pour obtenir un gel des
bombardements à Alep. De Mistura ou le
chaos total… » nous
invitant à apprécier le courage de
l’envoyé spécial de l’ONU « qui va à
l’encontre du langage habituel
concernant cette ville symbole » [1]
Alep, ville symbole ? Symbole de quoi ? Symbole
pour qui ? Une première réponse nous est
donnée par le Président François
Hollande [2] :
« Face à la terreur, nous sommes donc unis. C’est
le message qu’une jeune syrienne [nom et
prénom que nous préférons ne pas citer]
a posté sur les réseaux sociaux, avec
une photo qui a été largement diffusée.
Cette jeune syrienne, elle était dans
les décombres d’Alep, au milieu des
ruines. Elle brandissait ce panneau :
« Je suis Charlie », pour dire non à
toutes les barbaries. Quel plus beau
symbole dans ce lieu de désolation :
Alep, en Syrie, où la guerre frappe
depuis trop longtemps ! Quel plus beau
symbole que de marquer cette solidarité
dans le malheur et cette résistance
qu’elle exprimait, pour faire lever
l’espérance ! Voilà ce qui nous unit.
C’est aussi le message que tant d’amis
arabes nous ont adressé dans ces
derniers jours ».
Comme le constate M. Russel Banks, il faut croire
que « Plus que sur les champs de
bataille, la guerre se livre comme
jamais autour des symboles » [3]
et, le plus extraordinaire, est le fait
qu’une photo -une seule photo- diffusée
sur les réseaux sociaux ait retenu
l’attention du Président de la France, à
l’exclusion de milliers de messages
postés par des milliers de Syriens
s’adressant au Monde, depuis bientôt
quatre ans, pour dire une toute autre
vérité.
La vérité d’un terrorisme, plus que barbare, et
d’une liste interminable d’atrocités
vécues par les citoyens syriens du nord
au Sud et de l’Est à l’Ouest du pays,
pendant que MM. Hollande et Fabius nous
déclaraient fièrement :
« La France a été la première puissance occidentale
à apporter une aide militaire non-létale
à l’Armée syrienne libre (ASL), qui
combat le régime de Bachar al-Assad, et
le premier pays occidental à reconnaître
la Coalition nationale syrienne (CNS)
comme seul représentant du peuple
syrien » [4] ?
Une ASL évaporée, une CNS mal nommée qui a vu ses
représentants, les plus en vue, répéter
un même son de cloche. Après son
ex-président Moaz al-Khatib, écoutons la
logique révolutionnaire de Michel Kilo
au bout de quatre ans d’une
guerre dévastatrice pour son pays :
« En réalité… la Coalition Nationale Syrienne a
été montée pour servir une intervention
étrangère [en Syrie] ou pour fournir les
justifications nécessaires à une telle
intervention. Mais comme cette
intervention n’a pas eu lieu, la
Coalition est aujourd’hui face à la
situation suivante : soit elle se
transforme véritablement en une
Coalition nationale des forces de la
révolution et de l’opposition, soit
chacun rentre chez lui » [5].&
Mais qu’à cela ne tienne, on ne parle plus que
d’ « opposition modérée », témoin en est
le point de presse de M. Fabius du 3
février 2015 :
« La France estime que aech et Bachar sont les
deux faces d'une même médaille, que le
premier a été nourri par la politique du
président syrien et que la seule ligne
possible est donc de soutenir
l'opposition modérée, la seule à
incarner une alternative démocratique
possible » [6]].
Après tout, libre à M. Fabius d’interpréter la
démocratie comme il l’entend et à M.
Hollande d’interpréter à sa convenance
le symbole d’une jeune syrienne
brandissant le fameux panneau fédérateur
de la nation française. Mais, puisque
nous sommes autorisés à fonder notre
espérance sur une seule photo diffusée
sur les réseaux sociaux des gens d’Alep,
ci-dessus la photo qui les a envahis
depuis trois jours. Pour eux, elle est
le vrai symbole d’une jeunesse syrienne
sacrifiée qui s’acharne à faire de son
mieux pour sauver les générations
futures.
Elle s’appelle Nour. Elle faisait partie des
entraîneurs de la Fédération de
basket-ball. Comme beaucoup de jeunes
d’Alep, elle a bravé tous les dangers
d’une ville prise sous le feu de toutes
les haines pour tendre la main aux plus
jeunes et continuer à vivre son idéal et
ses ambitions. Son seul regret était que
le stade d’entraînement ne soit pas
couvert. Alors qu’elle se rendait au
dernier entraînement de son équipe avant
match, son cœur a lâché, transpercé par
la balle d’un sniper dont le sport
favori consiste à ôter la vie des
passants, place Saadallah al-Jabiri.en
plein centre ville. Le lendemain du jour
de ses funérailles s’est transformé,
spontanément, en une journée nationale
qui a réuni les Syriens dans le chagrin
et la tristesse [7].
Toi aussi, our, repose en paix
ddans nos cœurs et nos mémoires.
Puissent tes proches supporter ta
douloureuse absence. Puissent la peine
et la colère ne jamais nous égarer sur
les chemins de la haine [Mouna Alno-Nakhal].
Lors de ses réunions avec les ministres des
Affaires étrangères de l'Union
européenne, M. De Mistura a exposé ses
idées et propositions pour une solution
politique en Syrie axée sur le gel des
combats à Alep, comme point de départ,
considérant que les rencontres de Moscou
étaient un bon début, laissant entendre
ses réserves sur ce qu’il a qualifié
d’objections du gouvernement syrien
quant à la participation de certains
opposants et critiquant, implicitement,
son insistance à lier sa mission aux
résolutions adoptées par le Conseil de
sécurité en matière de lutte contre le
terrorisme, du fait de tout ce qu’elles
comportent comme contraintes imposées
aux pays voisins censés arrêter la
contrebande d’armes et de combattants.
Mais face aux interrogations des ministres
européens, il a été obligé de clarifier
les deux points suivants :
-
La participation
du Président Bachar al-Assad est une
nécessité qui ne peut-être ignorée,
ni au niveau des résultats des
négociations politiques entre les
différentes parties, ni au niveau du
processus électoral.
-
La solution, à son
avis, doit s’inspirer du modèle
libanais, bien qu’il admette que la
décision dépend du dialogue entre
Syriens.
Les propos de De Mistura dévoilent nécessairement
la direction suivie par Washington,
témoin en est la concordance de ses
points de vue avec ceux de John Kerry.
Ce, d’autant plus que sa nomination
d’Envoyé spécial de l’ONU, pour une
mission aussi sensible, n’a pu se faire
sans le consentement de Washington qui a
dirigé la guerre contre la Syrie depuis
bientôt quatre ans, misant sur son issue
pour atteindre nombre de ses objectifs
et renforcer la plupart de ses alliés
dans la région, allant jusqu’à mobiliser
les terroristes du monde entier pour
garantir sa victoire, aboutissant à ce
que le terrorisme devienne le principal
problème de la région et du monde
entier. D’où la nécessité d’ajustements
et d’un règlement accéléré avec en
priorité : la solution politique en
Syrie.
Par conséquent, un réalisme US qui fait que la
participation du Président syrien à
cette solution politique est devenue une
nécessité en dépit des déclarations
intempestives quant à son illégitimité,
destinées à apaiser les alliés se
nourrissant d’illusions dépassées. Il en
est de même des plans à long terme
visant à armer l’illusoire « opposition
modérée » qualifiée de « fantasy » par
Obama lui même.
Mais il est clair que ce réalisme US a un prix et
que, par le biais de De Mistura et de
ses négociations avec Moscou et Téhéran,
Washington demande que Damas cède sur
trois points :
-
Le premier
concerne la participation de
certaines personnalités de
l'opposition au dialogue et donc à
la solution politique ; exigence
attendue de la part de Washington,
étant donné qu’il s’agit de ses
propres agents qu’il souhaite
intégrer dans la structure du nouvel
État syrien, ou de représentants de
ses alliés qui veulent leur part du
gâteau.
-
Le deuxième
concerne la souplesse du
gouvernement syrien en matière de
sécurité, de telle sorte que
certains groupes armés puissent
garder le contrôle de certaines
zones ou quartiers, comme proposé
par De Mistura, en se contentant de
geler les combats à Alep avant de
passer à d’autres régions. Dès lors,
ces groupes armés feront partie
intégrante de la solution politique,
puisqu’il faudra régler la question
de leur fusion avec l’Armée et les
Forces de sécurité syriennes, comme
cela s’est passé au Liban. Sauf
qu’en se référant au « modèle
libanais », De Mistura a
volontairement omis de préciser que
c’est la porte ouverte à une
restructuration et, par conséquent,
à la mainmise de Washington à tous
les échelons de la défense syrienne
par l’intermédiaire de ses agents
bien placés.
-
Le troisième point
est à déduire des protestations
implicites de De Mistura, autrement
dit de Washington, concernant
l’insistance du gouvernement syrien
à lier sa mission aux résolutions
N°2170 et N°2178 relatives à la
fermeture des frontières aux armes
et aux combattants étrangers. En
l’occurrence, il s’agit des
frontières de la Turquie, de la
Jordanie et du Golan occupé. Ce qui
signifie qu’elles devraient rester
ouvertes pour l’approvisionnement
des groupes armés, en hommes et en
matériel, et pour leur couverture
par plusieurs forces régionales :
l'Arabie Saoudite via la Jordanie,
la Turquie et Israël. Chacune de ces
armées devra respecter le
cessez-le-feu en attendant d’occuper
la place qui lui sera désignée selon
les décisions dictées par la
solution politique prévue par
Washington et confiée à De Mistura.
Ainsi, sera finalisée
l’incorporation d’opposants
représentant les intérêts US,
français, turcs, saoudiens et
israéliens, dans la structure
politique du nouvel État syrien,
parallèlement à la pénétration de
son armée et de ses services de
sécurité.
Cette vision US d’une solution politique « piégée »
doit néanmoins répondre à la question
suivante : Comment espèrent-ils garantir
la continuité d’une telle modification
des structures et des institutions
étatiques après la période transitoire
qui arrivera à échéance dans un an, au
moment des élections parlementaires?
Washington sachant parfaitement qu’il
n’a aucune chance de les influencer sur
la question de la souveraineté de
l’État, même s’il les soumettait aux
normes internationales les plus
strictes ; la réponse est : le modèle
libanais !
Le modèle libanais d’un partage confessionnel des
présidences, parce qu’aussi bien les
USA, que De Mistura et que Lakhdar
Ibrahimi, ont honte d’évoquer le modèle
irakien. De Mistura qui a parlé de la
« merveilleuse beauté de la mosaïque
libanaise » alors qu’il sait
parfaitement que le Liban est sur un
Volcan, a évité d’évoquer l’Irak de peur
que l’on se souvienne du sang versé
quotidiennement dans ses rues plongées
dans les conflits confessionnels, grâce
au modèle version US, mis en forme par
Lakhdar Brahimi, tel qu’il l’a appliqué
au Liban, tel qu’il l’a proposé
publiquement à la Syrie, et tel qu’il a
été annoncé avant lui par John Kerry aux
soi-disant « Amis de la Syrie » invités
à rétablir l’équilibre des forces
militaires préalablement à la reprise de
tout dialogue, le 30 juin 2013, au
Congrès de Doha et après la guerre d’Al-Qussaïr
Kerry avait alors déclaré que la solution idéale
était d'accepter que la minorité cède la
présidence à la confession majoritaire.
Puis, une fois cette première formule
morte, il est revenu à la charge avec De
Mistura pour en proposer une deuxième
consistant, comme au Liban, à laisser la
présidence à la minorité sans les pleins
pouvoirs, lesquels reviendraient au
Conseil des ministres et à leurs tuteurs
régionaux, le tout présidé par une
personnalité que le monde entier
travaillera à manipuler, de telle sorte
que Washington, Paris, Ankara, Riyad et
Tel Aviv pèseront du poids qui leur
revient.
Cette solution en quatre points, suggérée par De
Mistura [assouplissement sécuritaire
garantissant aux milices de garder leurs
armes ; frontières ouvertes ;
représentation politique piégée à la
table des négociations ; projet d’un
État confessionnel] équivaut pour les
Syriens à une déclaration de guerre. Ils
sont prêts à se défendre le temps qu’il
faudra…
La Syrie est un État souverain et laïc. Ce sont là
des constantes non négociables pour le
gouvernement syrien, et nul n’obtiendra
la majorité populaire nécessaire pour
les modifier.
Nasser Kandil
10/02/2015
Source : Al-Binaa
http://www.al-binaa.com/?article=28186
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1]
Tout
faire pour obtenir un « gel des
bombardements à Alep » (De Mistura) ou
le chaos total…
http://club.bruxelles2.eu/2015/02/il-faut-aboutir-a-un-gel-des-bombardements-a-alep-de-mistura/
[2] M. François Hollande : vidéo BFM TV
http://link.brightcove.com/services/player/bcpid694908207001?bckey=AQ~~%2cAAAAjgltpmk~%2c3G6d8W41NOS8dBzRXeWHGdzbg-FWShEX&bctid=3990565630001
[3] Russell Banks : après les attentats, « rester
vigilant »
http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/01/14/russell-banks-rester-vigilant_4556235_3260.html
[4] Laurent Fabius assez pessimiste sur la Syrie et
Genève II
http://www.reuters.fr/article/topNews/idFRPAE9BE00D20131215
[5]
Michel Kilo sur Sky News Arabiya
https://www.facebook.com/groups/collectifsyrien/permalink/
937234149635184/
[6] Laurent Fabius : Déclarations officielles de
politique étrangère du 03 février 2015
http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/France
Diplomatie/kiosque.php?fichier=bafr2015-02-03.html
[7]
Nour… Une athlète dont le cœur s’est éteint par
le feu d’un sniper
http://www.al-akhbar.com/node/225753
Monsieur Nasser Kandil est libanais, ancien
député, Directeur de TopNews-nasser-kandil,
et Rédacteur en chef du quotidien
libanais Al-Binaa.
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