Interview
Raoul Hedebouw :
« Nous sommes en train
de voir une guerre entre bloc
impérialiste et pays indépendants qui
peut malheureusement déboucher sur un
conflit mondial. »
Mohsen Abdelmoumen

Raoul
Hedebouw. DR.
Lundi 18 juin 2018 English version here
Mohsen
Abdelmoumen : Dans le livre que vous
avez coécrit avec Peter Mertens « Priorité
de gauche. Pistes rouges pour sortie de
crise », vous parlez de la dérive
néolibérale et vous proposez une
alternative. Pensez-vous que la crise
systémique du capitalisme offre des
perspectives vers la constitution d’une
vraie gauche combattante qui encadre la
lutte ouvrière ?
Raoul Hedebouw :
Oui, cela me paraît clair. On ferait
bien d’analyser la séquence dans
laquelle on se trouve, c’est-à-dire
début des années 1990 avec la chute du
mur de Berlin et des pays socialistes,
les néolibéraux ont créé une séquence
qui était celle ou il n’y avait plus
d’alternative, le fameux TINA (NDLR :
There is no alternative), et il
faut constater que la crise bancaire
2008 a rouvert beaucoup de perspectives
de discussion. Et depuis 2008 et la
crise bancaire, il y a beaucoup plus de
perspectives de débats et d’ouvertures
pour aller au-delà du capitalisme. Et
l’on voit clairement qu’il y a une
dynamique que ce soit au niveau de la
jeunesse, au niveau syndical, où il y a
beaucoup plus d’entrain pour débattre de
ce sujet. Ce n’est pas pour rien que le
livre « Le Capital » de Marx est
redevenu un best seller aux États-Unis,
au Japon et en France. Il y a énormément
de demandes pour pouvoir réfléchir à un
autre système et je crois que cela place
des bases pour recréer un nouveau socle
pour une vraie gauche mais cela pose
aussi la question du bilan autocritique
d’une gauche gestionnaire qui a appliqué
docilement tout ce libéralisme dans les
années 1970-80-90. Et donc ce débat-là
est un débat qui a lieu dans l’ensemble
des pays européens comme on le voit et
j’espère qu’en Belgique, ça pourra
aboutir à un renforcement de la gauche.
Votre livre « Première
à gauche » explique le programme du
PTB (Parti du Travail de Belgique) ainsi
que d’autres points. Pensez-vous que le
PTB est en train de s’imposer comme une
force de changement incontournable dans
la scène politique belge ?
Je le pense, oui.
Effectivement, pour la première fois
depuis 25-30 ans, il y a à nouveau une
alternative à la gauche des partis
traditionnels, comme le PTB, qui s’ancre
durablement dans la population. Ce n’est
pas qu’une question de sondages, c’est
aussi une réalité sur le terrain.
Évidemment, il faut constater qu’il y a
encore beaucoup de travail. Le PTB vient
de passer le cap des 14 000 membres,
nous venons d’un parti qui avait 2 ou 3
000 membres il y a une petite dizaine
d’années, donc il y a énormément de
travail à structurer les sections, à
former les membres, à être présents dans
beaucoup plus d’entreprises – je
rappelle que le PTB est un parti qui a
des sections d’entreprises – et donc
nous avons l’humilité de reconnaître
qu’il y a encore énormément de travail à
faire. Mais en tous cas, je pense que
nous avons passé un cap qualitatif pour
le rôle que le parti peut et devra jouer
dans les luttes de classes à venir.
En Italie,
l’extrême-droite a remporté les
élections. Cet exemple de l’Italie ne
nous montre-t-il pas que les fascistes
d’extrême-droite sont les alliés
stratégiques du grand capital ? Ne
pensez-vous pas qu’il y a une leçon
majeure à retenir de ce qu’il se passe
en Italie ?
On dit souvent que
l’Italie est le laboratoire politique de
l’Europe. On peut espérer que ce ne soit
pas le cas cette fois-ci parce
qu’effectivement, la situation est assez
dramatique. La montée du populisme de
droite, voire de l’extrême-droite, est
le fruit de la politique européenne
appliquée. Le néolibéralisme a détruit
une forme de structure sociale, a fait
régresser les situations sociales et
démocratiques des peuples, a soumis
l’Italie toute seule à la gestion de la
crise migratoire, ce qui est un manque
de solidarité absolu et en mettant
énormément de tension au sein de la
population italienne. L’Union européenne
et la Commission européenne ont une
responsabilité dans la montée de ces
populismes, c’est le premier élément de
ma réponse. Et le deuxième élément de ma
réponse, ce que nous montre l’Italie,
c’est qu’il y a urgence à recréer un
véritable pôle de gauche marxiste. Le
drame de l’Italie, c’est ça aussi :
c’est l’émiettement de ces milliers de
camarades, avec la disparition du Parti
communiste d’Italie qui était, je le
rappelle, le plus grand parti communiste
de l’Europe occidentale. Le vide n’a pas
été comblé et c’est bien malheureux.
S’il y a bien une leçon de l’histoire à
retenir, c’est qu’il y a besoin d’un
état-major de la classe ouvrière et plus
particulièrement d’un parti communiste
fort, d’un parti marxiste fort, et je
crois qu’il y a beaucoup de travail à
faire en Italie, et je souhaite beaucoup
de courage à nos camarades italiens pour
reconstruire une telle force politique.
Ne pensez-vous
pas qu’il faut faire le procès de
l’eurocommunisme ?
C’est un débat
complexe parce que nous pensons au PTB
que l’eurocommunisme est aussi une des
causes du déclin du Parti communiste
italien.
Ce qui se passe
est l’une des conséquences de
l’eurocommunisme ?
Bien sûr. Parce que
l’eurocommunisme est une tendance du
communisme qui s’est adaptée au
capitalisme en disant qu’il y avait une
voie spécifique européenne, ce que je
peux encore comprendre, mais que cette
voie spécifique était la voie du
réformisme et la participation
gouvernementale sans trop de principes,
et je crois que cela a été une erreur
stratégique de l’eurocommunisme et qu’il
est temps de la revoir et de
reconstruire un pôle révolutionnaire en
Italie.
Que pensez-vous
de la montée des groupes
d’extrême-droite et néo-nazis en Europe
occidentale ? La responsabilité n’en
incombe-t-elle pas aux partis
traditionnels qui ont échoué ?
C’est certain. La
dynamique socio-économique de régression
sociale que les partis traditionnels ont
mise en place et dont j’ai parlé tout à
l’heure est un grand problème mais le
nationalisme en est un aussi. L’Union
européenne encourage le nationalisme en
mettant les peuples les uns contre les
autres dans la concurrence néolibérale,
on le voit tous les jours au Parlement :
quand les pensions sont comparées entre
travailleurs de différents pays pour les
diminuer, comment les cadences de
travail sont comparées, comment les
conditions de flexibilité sont
comparées, donc l’Union européenne
organise cette concurrence et elle
nourrit elle-même ce nationalisme qui
aujourd’hui progresse. Ce n’est pas une
erreur, ce n’est pas malgré l’Europe,
non, c’est à cause de l’Europe. Et nous
devons, nous, à gauche, opposer à cela
un discours décomplexé pour reforger une
unité de la classe ouvrière et, plus
particulièrement, européenne. Et là,
nous avons cru trop longtemps, nous la
gauche radicale, que les solutions
étaient possibles uniquement dans le
cadre de nos États-nations. Je pense que
c’est une erreur stratégique. On a
besoin de se parler les uns les autres
des gauches radicales européennes, on a
besoin de reconstruire une résistance
européenne, et pas se replier sur nos
propres pays.
Êtes-vous prêt à
gouverner un jour avec les socialistes ?
Ma réponse sera en
deux temps. Bien sûr, nous voulons
diriger avec des partis qui sont prêts à
faire une rupture avec le capitalisme.
Quelle voie cela prendra ? Nul ne peut
le prédire. L’histoire peut nous
apprendre des choses. On peut évidemment
travailler avec d’autres partis mais il
faut cette rupture. Je dois vous avouer
que dans le cas actuel, je ne ressens
pas, au niveau du Parti socialiste
belge, qu’il soit flamand ou
francophone, une volonté de rupture.
Bien au contraire. Ils ont appliqué le
libéralisme pendant trente ans. Le Parti
socialiste belge a voté la fin des
prépensions, il a voté la chasse aux
chômeurs, il a voté la privatisation des
services publics, ce sont des dossiers
inacceptables pour nous, mais qui sait,
si une vraie remise en cause se fait,
peut-être que les lignes bougeront. On
verra de quoi l’avenir sera fait mais en
tous cas, nous sommes un parti de
principes et nous voulons une rupture
avec le capitalisme.
Et vous pensez
que les socialistes sont capables
d’adopter la lutte de classes dans leur
programme ?
Ils reviennent de
loin et je sens une base dans ce parti
qui a envie de lutte de classes mais
c’est vrai que je ne la ressens pas du
tout au niveau du sommet du parti.
Et ce n’est pas étonnant, parce que le
Parti ouvrier belge qui, je le signale,
a été le seul parti socialiste en Europe
à ne pas avoir le mot socialiste dans
son nom, contrairement aux partis des
autres pays européens, était déjà un
parti ultra réformiste qui ne voyait
dans la lutte de classes qu’un
aboutissement pour le suffrage
universel, et pas une lutte de classes
en tant que telle pour s’approprier les
moyens de production. Mais quoi qu’il en
soit, toute remise en cause est toujours
salutaire et je pense que le mieux pour
le PTB c’est qu’un débat émane dans
l’ensemble des mouvements socialistes
européens pour remettre en cause le
capitalisme.
On vous reproche
souvent un désintérêt sur les questions
liées au terrorisme. Comment
expliquez-vous cela ?
Nous n’avons pas de
désintérêt, nous avons au contraire un
programme fort en matière de lutte
contre le terrorisme.
Je parle des
partis du gouvernement, entre autres.
La raison, c’est
que nous ne sommes pas d’accord avec les
politiques mises en place par le
gouvernement en matière de lutte
antiterroriste. Il faut arrêter de
tourner autour du pot. Aujourd’hui, la
philosophie globale de notre
gouvernement, et d’ailleurs des
gouvernements en Europe, c’est de dire
« on va protéger les gens du
terrorisme » en fichant l’ensemble de la
population, en faisant du brassage de
données de masse – comme par exemple
chez nous la méthode de récolte de
données des plaques minéralogiques sur
l’ensemble des autoroutes, etc.
Est-ce que c’est
efficace ?
Justement, c’est ça
le problème. Les juges d’instruction
français qui ont été particulièrement
confrontés au problème du terrorisme,
ont posé le problème selon lequel il y
avait trop de données à traiter. Ce
n’est pas qu’il y en avait trop peu,
mais bien qu’il y en avait trop. Et
donc, il faut un travail beaucoup plus
ciblé. C’est la raison pour laquelle
nous avons mis comme point essentiel un
renforcement des juges d’instruction qui
sont les gens dans l’appareil judiciaire
qui peuvent le mieux pister qui sont les
terroristes, quelle est leur histoire,
quelles mesures doivent être prises,
etc. au cas par cas. Or, c’est justement
ce secteur-là que notre gouvernement a
déforcé en diminuant les budgets pour
les juges d’instruction. C’est un
paradoxe et nous disons oui à la lutte
contre le terrorisme et je rappelle que
nous avons aussi plaidé pour une rupture
des flux commerciaux, financiers et
diplomatiques avec l’Arabie saoudite qui
nourrit le plus le terrorisme dans le
monde, or que voyons-nous ? Plutôt que
de faire cela, on va plutôt se retourner
contre des pays comme la Syrie, l’Iran,
qui sont des pays qui, je le rappelle,
ne sont responsables d’aucun attentat
terroriste sur le territoire européen.
L’Algérie.
L’Algérie,
exactement. Il s’agit d’un deux poids
deux mesures diplomatique qu’il convient
de dénoncer et nous l’avons fait avec le
PTB, bien évidemment.
Sur ce point,
justement, comment expliquez-vous le
soutien des gouvernements occidentaux et
leurs alliances avec l’Arabie saoudite
et le Qatar qui sont les bailleurs de
fonds du terrorisme international et, en
ce qui concerne l’Arabie saoudite qui
est la matrice du terrorisme ? Comment
expliquez-vous que les gouvernements
occidentaux soient des alliés
stratégiques de ces pays ?
C’est l’argent,
évidemment. La géopolitique est
dépendante de l’argent. Depuis qu’il y a
un accord stratégique entre l’Occident,
les États-Unis d’une part et l’Arabie
saoudite dans les années 1970, dans une
synergie de pétrodollars contre l’aide
militaire, il est clair que la politique
européenne et occidentale au
Moyen-Orient est dictée par cette
volonté de jouer la carte de l’Arabie
saoudite et d’Israël dans la division du
monde arabe et dans l’agression des
autres pays. On le voit au Yémen,
personne ne dénonce aujourd’hui ce qui
se passe au Yémen, c’est scandaleux.
Ce pays a été bombardé et renvoyé au
Moyen-âge en trois ans par les troupes
saoudiennes, et personne ne réagit en
Belgique au niveau diplomatique. C’est
encore un deux poids deux mesures.
Pensez-vous
qu’il soit logique de prétendre
combattre le terrorisme en étant les
alliés des Saoudiens et des Qataris ?
C’est tout à fait
illogique. Le plus fou, c’est qu’après
les attentats du 11/9, tout indiquait
que le problème était en Arabie
saoudite, et les Américains sont entrés
en Irak. Et donc, l’intervention
américaine en 2003 a été dévastatrice.
Naomi Klein décrit dans son livre « La
stratégie du choc » à quel point on a
renvoyé l’Irak au Moyen-âge alors qu’il
était un pays moderne, où les femmes
allaient à l’université, un des pays les
plus laïcs de la région, en cinq ans de
guerre. C’est extrêmement grave comme
situation et je pense que le principal
fauteur de guerre dans la région, ce
sont les États-Unis d’Amérique et
l’Europe devrait prendre ses distances
par rapport aux États-Unis et ce n’est
pas assez le cas pour l’instant.
Vous avez
réclamé un blocus contre l’Arabie
saoudite en matière de vente d’armes. Ne
pensez-vous pas que c’est immoral de la
part des gouvernements occidentaux qui
passent leur temps à donner des leçons
de « droits de l’homme » de vendre des
armes aux Saoudiens qui sont en train de
massacrer le peuple yéménite ? Comment
expliquez-vous le silence des
politiciens et des médias occidentaux
face aux crimes ignobles des Saoudiens
et de leurs alliés contre le peuple du
Yémen ?
Là, nous sommes au
cœur du débat géostratégique. Le but de
l’Arabie saoudite, c’est clairement
d’étendre son influence dans toute la
région et son principal concurrent est
l’Iran. Et donc, on a une guerre par
troupes interposées dans ces différents
territoires avec une volonté des
États-Unis de créer ce qu’ils appellent
le Grand Moyen-Orient et de revoir
toutes les frontières dans la région,
revoir toutes les soumissions pour
pouvoir créer une grande bande de terre
qui soit complètement assujettie aux
intérêts impérialistes américains. En
outre, depuis la découverte du gaz de
schiste, les États-Unis d’Amérique
sont en train de créer eux-mêmes leur
autonomie énergétique donc leur seul but
aujourd’hui, ce n’est plus de pouvoir
voler le pétrole pour leur propre
économie, c’est surtout de garantir que
leurs principaux concurrents qui sont la
Russie et surtout la Chine, n’aient plus
accès à ces matières premières. Donc,
les États-Unis peuvent se satisfaire
d’un chaos organisé dans la région,
chaos qui permettra de ne plus exploiter
le pétrole pour la Chine et la Russie et
de pouvoir neutraliser cette
économie-là. Donc, en fait, nous sommes
en train de voir une guerre entre bloc
impérialiste et pays indépendants qui
peut malheureusement déboucher sur un
conflit mondial.
Nous sommes
dans le chaos créatif des
néoconservateurs Condoleezza Rice et
Cie ?
Tout à fait. Nous
sommes clairement dans ce schéma.
Vous avez
toujours eu des positions courageuses
sur la Palestine. Ne pensez-vous pas que
les gouvernements européens doivent
cesser de soutenir inconditionnellement
cette entité criminelle qu’est Israël ?
Oui. Et je trouve
que le gros problème, c’est que certains
pays occidentaux font des déclarations
pour dire que ça ne vas pas ce qui se
passe là-bas, mais ne prennent aucune
mesure. J’ai dénoncé cette hypocrisie au
Parlement il y a deux semaines – c’est
une
vidéo qui fait le tour du monde pour
l’instant et j’ai reçu des messages d’au
moins une vingtaine de pays et les gens
traduisent mes propos dans différentes
langues, c’est assez impressionnant. Si
un pays africain faisait le quart de la
moitié de ce que fait Israël, il y
aurait déjà un embargo et une
intervention militaire armée sur son
territoire. C’est ce que ressentent très
bien tous les pays du sud. Pourquoi
Israël peut-il impunément assassiner le
peuple palestinien ? Je pense que
l’heure n’est plus à des gesticulations
diplomatiques mais à prendre des mesures
économiques. On le sait, l’apartheid en
Afrique du Sud n’a disparu que suite
d’une part à la mobilisation du peuple
africain et de l’ANC en particulier
évidemment, mais surtout aussi quand il
y a eu une campagne internationale de
boycott et d’embargo économique envers
l’Afrique du Sud. Je crois que c’est ça
qui devrait être à l’ordre du jour
vis-à-vis d’Israël.
D’après vous, il
faut boycotter Israël ?
C’est évident, il
faut boycotter les produits israéliens.
On a vraiment beaucoup à apprendre de la
lutte contre l’apartheid dans les années
1980.
Justement, nos
amis des BDS font un excellent travail
en matière de boycott contre les
produits importés d’Israël. Que
pensez-vous de l’initiative des BDS ?
Je crois que c’est
une initiative très judicieuse parce
qu’elle permet de mener une campagne
concrète sur le terrain. Ce n’est pas
uniquement politique, concrètement on
veut un boycott.
On tape là où ça
fait mal.
Oui. On sait
qu’Israël ne réagit de toute façon pas
aux pressions diplomatiques. Israël ne
peut réagir qu’aux pressions
économiques. Et là, avec les BDS, on a
une initiative qui est citoyenne et je
pense que c’est très positif.
Que pensez-vous
du transfert de l’ambassade des
États-Unis à Jérusalem par
l’administration Trump ? Ne pensez-vous
pas que Donald Trump et sa politique
constituent un danger pour la stabilité
mondiale ?
Bien sûr. Je crois
qu’il y a un véritable choix stratégique
de Donald Trump et des États-Unis
d’Amérique de passer du multilatéralisme
à l’unilatéralisme et, dans ce cas-là,
ce transfert d’une ambassade est
évidemment un geste diplomatique de très
haute importance pour dire en fait « je
ne reconnais pas le droit au retour des
réfugiés, je ne reconnais pas
l’existence potentielle future d’un
État palestinien et je décrète
unilatéralement qu’Israël, c’est Israël,
et que sa capitale est à Jérusalem ».
C’est donc une véritable provocation
pour le peuple palestinien et l’ensemble
des peuples qui résistent dans le monde.
Et le plus dramatique, c’est qu’Israël
utilise cet aval de la plus grande
puissance militaire mondiale pour
pouvoir appliquer sa politique militaire
sur le terrain. Israël n’oserait pas
faire la moitié de ce qu’il fait
aujourd’hui si les États-Unis n’étaient
pas d’accord, donc on peut vraiment dire
que les tirs de snipers israéliens
contre les manifestants gazaouis sont le
résultat d’un feu vert donné par Donald
Trump.
Donc, les
meurtres commis à Gaza se sont produits
avec l’aval de l’administration
américaine ?
Tout à fait.
Il y a une
offensive visant différents pays pour
spolier leurs richesses. Je peux citer
le Venezuela, Cuba, l’Algérie, etc. Ne
pensez-vous pas qu’il faut un front
mondial pour contrer l’impérialisme ?
Oui. Je pense qu’on
a beaucoup perdu depuis les années 1980.
Je crois qu’un double mouvement est
nécessaire. Je pense qu’il faut un front
mondial contre l’impérialisme et donc,
il faut que les différentes forces de
gauche anti-impérialistes se parlent les
unes aux autres et se restructurent, et
deuxièmement, il faut un
approfondissement des différentes
révolutions nationales et démocratiques.
Elles se sont arrêtées quelque part en
chemin avec le débat complexe qui
tournait autour de savoir si le but est
d’avoir une élite, une bourgeoisie
nationale qui prend le contrôle sur le
pays ou bien est-ce qu’on approfondit la
révolution sociale ? Je pense que
beaucoup de révolutions démocratiques
nationales se sont arrêtées pour la
révolution sociale et c’est là qu’est le
problème, que ce soit en Algérie, en
Afrique du Sud, et dans la plupart de
pays. Et c’est le débat aujourd’hui au
Venezuela aussi. Va-t-on surpasser la
bolibourgeoisie, comme on l’appelle ?
Va-t-on donner un véritable pouvoir
populaire ou pas ? Tout cela doit se
faire dans un cadre très complexe et
tous ces pays indépendants doivent
affronter d’immenses pressions
internationales, diplomatiques,
économiques, voire militaires. On voit
aujourd’hui que Trump annonce vouloir
intervenir au Venezuela, c’est vraiment
très grave. Je crois qu’il y a un double
mouvement, un intra-socialisme qui doit
se renforcer et dans les pays libérés du
Tiers Monde, un approfondissement des
révolutions nationales démocratiques.
D’après vous,
notre combat contre les oligarques dans
nos pays doit être soutenu par les
forces progressistes de la gauche
combattante à travers le monde ? Ce
n’est pas seulement notre combat parce
que c’est aussi vital pour vous, puisque
si, vous, vous combattez le fascisme,
nous, nous combattons Daech.
C’est cela la
complexité de la situation. Il faut
avant tout trouver une force autonome
puissante de la classe ouvrière dans
tous ces processus révolutionnaires.
C’est vraiment un point cardinal.
Ensuite, il y a une complexité parce
qu’il y a lutte-unité. Il y a une unité
pour la défense de l’indépendance
nationale et en même temps, il faut
approfondir la révolution sociale. Et
c’est une équation très complexe que les
pays du Tiers Monde ont à résoudre mais
c’est une équation qui est cardinale si
on veut avoir le soutien du peuple, et
je crois que dans pas mal de régimes
postindépendance, que ce soit des pays
arabo-musulmans, que ce soit dans le
monde africain, que ce soit en Asie,
c’est un grand problème qu’une partie de
ces élites nées du mouvement
d’indépendance se sont enrichies
elles-mêmes et sont restées dans le
cadre d’une bourgeoisie au mieux
nationale, voire même comprador par la
suite. Je pense que là, il y a un vrai
débat à avoir.
Donc, pour vous,
le combat contre la bourgeoisie
comprador chez nous…
Est intrinsèquement
lié au débat pour l’indépendance du
pays.
Que pensez-vous
de la sortie de Trump de l’accord sur le
nucléaire iranien ?
C’est vraiment
dramatique parce que l’accord iranien
était déjà un accord grave, il faut
quand même le dire, donc on parle ici du
droit d’un pays de développer sa force
nucléaire civile. Aucun pays européen
n’a eu des embargos en la matière. La
plupart des pays européens, la France,
la Belgique, les Pays-Bas, tout le monde
a une économie nucléaire civile, donc on
est en train d’interdire au peuple
iranien, même dans le cadre de cet
accord, ce développement-là. Même cet
accord qui était déjà ambigu est rejeté
maintenant par les États-Unis
d’Amérique. C’est vraiment une menace
sur la paix du monde parce que je
comprends si le peuple iranien et son
gouvernement ne se laisseront pas faire.
Ils vont dire que si l’accord n’est pas
respecté par les Américains, pourquoi
devraient-ils le respecter ? J’appelle
vraiment les pays européens à mettre en
place des compensations importantes pour
que le peuple iranien puisse avoir droit
à son juste retour.
Vous pensez que
les Européens peuvent jouer un rôle ?
Ils peuvent jouer
un rôle s’ils le veulent mais le
problème c’est que l’Europe reste le
laquais des États-Unis, donc on verra
dans les semaines et les mois à venir.
Pour l’instant, on a entendu beaucoup de
paroles mais on a vu peu d’actes.
Pensez-vous que
l’administration américaine qui a
toujours joué sur un conflit
chiite-sunnite ne joue pas avec le feu
au Moyen-Orient ?
Bien sûr. Il faut
rappeler que ce sont les États-Unis qui
ont financé des campagnes pour diviser
le peuple iraquien dans une division qui
était beaucoup moins présente avant
l’intervention américaine. Oui, ils
jouent vraiment leur carte mais ils se
sont un peu trompés concernant l’Irak,
parce que le but pour les États-Unis,
c’est qu’il y ait un tel chaos qu’il ne
puisse pas y avoir de production de
pétrole. J’espère en tous cas que la
région connaîtra une paix et une
prospérité dans les semaines et les mois
à venir.
Vous avez été
placé sur écoute – et j’ai interviewé un
américain Norman Solomon qui a été lui
aussi placé sur écoute par le FBI alors
qu’il était au lycée. Au lieu de se
consacrer à la grande criminalité et au
terrorisme, on utilise les moyens de
l’État pour surveiller un politicien
comme vous. Ne pensez-vous pas qu’il
s’agit d’une dérive fasciste ?
Oui, tout à fait.
Vous savez, j’ai été mis sur écoute
pendant six semaines pour le seul fait
d’avoir organisé une manifestation. Je
ne parlerai pas encore de fascisme mais
de fascisation, c’est-à-dire qu’il y a
une diminution de nos droits
démocratiques plus la crise économique
et démocratique s’approfondit en Europe.
Donc, il y a là un combat à mener et
c’est bien la raison pour laquelle nous
dénonçons le fait qu’au nom de la lutte
contre le terrorisme, on limite nos
droits démocratiques. Il y a un lien
entre les deux et c’est un combat
pour le PTB.
Interview
réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Raoul
Hedebouw ?
Biologiste de
formation, Raoul Hedebouw est un homme
politique belge. Il est député fédéral
au Parlement belge et porte-parole du
PTB (Parti du Travail de Belgique).
Il est co-auteur
avec Peter Mertens du livre « Priorité
de gauche. Pistes rouges pour sortie de
crise » et auteur de « Première
à gauche »
Le sommaire de Mohsen Abdelmoumen
Le
dossier Monde
Les dernières mises à jour

|