Analyse
Il était une fois le 8 mai 1945
en Algérie
Mohsen Abdelmoumen

Les
massacres du 8 mai 1945 en Algérie. DR.
Jeudi 7 mai 2015
Le matin du 8 mai 1945, à l’appel des
AML (Amis du Manifeste et de la Liberté,
de Ferhat Abbas) et du PPA (Parti du
Peuple Algérien), plusieurs villes du
Nord Constantinois s’apprêtent à
célébrer la victoire des alliés et à
montrer pour la première fois le drapeau
algérien. A Sétif, ce 8 mai est un jour
de marché hebdomadaire, et une dizaine
de milliers d’Algériens se sont
rassemblés dans les rues afin de déposer
une gerbe au pied du monument aux morts
de la ville. Les Algériens qui ont payé
un lourd tribut dans la guerre contre
les nazis, veulent honorer leurs morts
et revendiquer leur droit à
l’indépendance. Les cannes, bâtons,
couteaux, et toute forme d’arme sont
bannis du cortège mené par les scouts
musulmans algériens et des écoliers pour
bien marquer l’aspect pacifique de cette
marche. Les scouts précèdent les
porteurs des drapeaux alliés. Parmi
ceux-ci, le scout Aïssa Cheraga porte
fièrement le drapeau algérien. Des
banderoles clament « Algérie libre« ,
« A bas le colonialisme« , « Nous
sommes vos égaux« . Les Algériens
marchent en chantant Min Djibalina (De
nos montagnes), réclamant
eux aussi la libération de leur pays. Le
préfet du département de Constantine,
Lestrade-Carbonnel, avait donné la
veille aux autorités locales l’ordre de
tirer sur ceux qui arboreraient le
drapeau algérien.
Arrivée à hauteur du café de France,
la manifestation est arrêtée par le
commissaire Olivieri arrivé sur les
lieux avec plusieurs policiers armés
bientôt rejoints par des Européens,
furieux de voir des slogans
nationalistes, et le porteur du drapeau
algérien est malmené, un policier
tentant de lui arracher le drapeau. Un
autre scout s’empare de l’emblème et
s’élance. Un policier le vise et l’abat.
Saâl Bouzid, 21 ans, est le premier
martyr du massacre qui a ravagé toute la
région pendant deux mois et qui a coûté
la vie à des dizaines de milliers
d’Algériens. La manifestation tourne à
l’émeute et puis au carnage, les colons
tirent des balcons, des fenêtres, de la
terrasse du café, un car de la
gendarmerie fonce dans la foule,
fauchant les gens sur son passage. A
mains nues, les Algériens s’en prennent
à leur tour aux Européens armés. Des
dizains de manifestants sont tués ou
blessés. L’état de siège et le
couvre-feu sont instaurés. La loi
martiale est proclamée et des armes sont
distribuées aux Européens. L’armée, la
police, la gendarmerie et la milice
patrouillent les quartiers musulmans et
massacrent sans pitié. 10 000 Algériens
sont arrêtés et parqués dans la caserne
de Sétif dans les pires conditions,
subissant la torture et la privation de
nourriture. Selon des témoignages, les
supplices pratiqués par le commissaire
Olivieri et ses sbires n’avaient rien à
envier aux pires sévices pratiqués par
la Gestapo : électricité dans les
organes génitaux, la « baignoire », qui
consistait à plonger la tête du
prisonnier dans une eau sale, le corps
plié par un bâton autour duquel étaient
liés les pieds et les poignets, obliger
le supplicié à s’asseoir sur une
bouteille, etc.
Le même jour à Guelma, une autre
manifestation pacifique avec drapeaux
alliés et algérien est interrompue par
le sous-préfet André Achiary. Prévenu
des événements à Sétif, il fait ouvrir
le feu sur le cortège : 4 Algériens sont
tués, aucun Européen n’est touché. Là
aussi, le couvre-feu est décrété et,
comme à Sétif, les colons sont armés et
constitués en milice. Ces derniers se
livrent à des pogroms contre les
Algériens avec une férocité inouïe. Les
gens sont ramassés dans les rues,
chargés dans des camions et exécutés
sommairement. Pourfendeur de communistes
et de gaullistes pendant la Seconde
Guerre mondiale, reconverti en gaulliste
comme la plupart des Français après la
guerre, Achiary, futur chef de l’OAS
(Organisation de l’Armée Secrète),
pratique la torture et le meurtre en
Algérie avec zèle.
La répression des manifestations du 8
mai à Sétif et Guelma est si féroce
qu’elle entraîne une soif de vengeance
chez les Algériens, car la nouvelle des
tueries à Sétif et à Guelma se répand
comme une traînée de poudre. L’appel à
la révolte se transmet dans tout l’est
algérien et l’insurrection se propage.
Les paysans se vengent en incendiant des
établissements publics : bureaux de
poste, Justice de Paix, tribunaux, etc.
Il n’y a pas de manifestation prévue
à Kherrata, paisible bourgade de
montagne proche de la mer, mais la
nouvelle de la tuerie de Sétif est
parvenue le jour même. Les Européens se
retranchent avec des armes dans une
forteresse. Le crieur public est chargé
par l’administration coloniale
d’annoncer le couvre-feu, mais il
appelle au contraire toute la population
des villages avoisinants à se rassembler
à Kherrata. 10 000 personnes affluent à
l’aube dans le centre de la bourgade et
se concertent pour adopter une ligne de
défense face aux Européens. Ils coupent
les lignes téléphoniques et cherchent
des armes au tribunal et dans les
maisons des colons, dont trois sont
incendiées. L’administrateur colonial et
le juge de paix sont tués. Les 500
Européens retranchés dans la forteresse
ouvrent le feu sur la foule qui brandit
des drapeaux algériens. Les Algériens
refluent vers la montagne et tentent de
bloquer l’avancée de l’armée française
avec quelques fusils, mais la révolte
est vite étouffée. Les automitrailleuses
de l’armée française mitraillent les
populations de Kherrata et des villages
avoisinants, l’aviation et la marine
bombardent.
Le général Duval en charge de
réprimer l’insurrection rassemble toutes
les troupes disponibles, soit deux mille
hommes : la Légion étrangère, les tabors
marocains, les tirailleurs sénégalais,
et même des prisonniers allemands et
italiens. L’aviation française mobilise
28 avions pour bombarder les Babor, à
raison de 20 raids aériens par jour. Les
croiseurs Triomphant et Duguay-Trouin
tirent plus de 800 obus sur toute la
région depuis le Golfe de Bejaïa. Les
légionnaires et les colons constitués en
escadrons de la mort saccagent des
maisons, violent des femmes, égorgent
des vieillards, éclatent la tête des
nourrissons contre les murs. Des
familles entières sont brûlées vives
dans leur maison. L’aviation, les
blindés, l’artillerie, la marine,
pilonnent, bombardent et brûlent des
villages. Les milices urbaines de Guelma
sont évaluées à 3000 hommes. En un mois,
le sous-préfet Achiary et sa racaille de
colons tuent entre 2000 et 3000
Algériens rien que dans la région de
Guelma. Des milliers d’Algériens sont
entassés dans des camions et déchargés
depuis les bennes au fond des gorges de
Kherrata. Les villages
d’Amoucha, Aïn Abassa, Beni Fouda, Aïn
Roua, Beni Aziz, Aïn El Kébira et
Bouandas sont martyrisés. 6000 paysans
sont regroupés à Beni Aziz dont plus de
700 sont exécutés par les miliciens. 100
autres personnes sont portées disparues
et n’ont jamais été retrouvées. A Aïn El
Kébira, plus de 600 Algériens sont
massacrés par les légionnaires et les
Sénégalais. À Kef El-Boumba, un
témoignage rapporte avoir vu des
Français faire descendre cinq personnes
d’un camion pour les arroser d’essence
et les brûler vives sur la route. Des
hameaux, tels Bourgazene, Beni Bezez et
bien d’autres douars, sont rayés de la
carte. Les cheptels sont volés et les
provisions des paysans qui souffrent
déjà de malnutrition sont brûlées ou
confisquées. Même là où il n’y a eu
aucune action subversive, comme à Bordj
Bou Arréredj, la milice assassine sans
pitié. Pendant dix jours, les cadavres
précipitamment fusillés sont brûlés sans
discontinuer dans les fours à chaux
Lavie d’Héliopolis pour dissimuler
toutes traces. L’Est de l’Algérie
connaît un déchaînement de folie
meurtrière qui dure plusieurs semaines.
La France libérée sème la mort par
terre, air, mer, parmi les populations
démunies des douars et les milliers de
personnes qui errent dans les montagnes
pour fuir l’armée et la milice
coloniales.
Les massacres commis en mai et juin
1945 à Sétif, Kherrata, Guelma, Jijel,
Annaba, Fedj M’zala, etc. contre des
civils, des hommes, des femmes et des
enfants, sous les ordres des généraux de
l’armée d’occupation Henry Martin, chef
de l’armée en Afrique du Nord, et
Raymond Duval, héritiers directs des
maréchaux de l’empire qui exterminaient
et pratiquaient les enfumades (méthode
consistant à asphyxier des centaines de
personnes réfugiées dans des cavernes)
au XIXème siècle et ramenaient à leur
empereur des milliers d’oreilles
d’Algériens, ne sont toujours pas
reconnus pour ce qu’ils sont : un
véritable génocide. Les centaines de
fosses communes qui parsèment l’Algérie
témoignent d’une pratique génocidaire
indiscutable de la part de la France
coloniale, de ses politiciens libéraux,
socialistes et communistes, de ses
militaires et de ses milices de
civils. Pendant deux mois, l’appareil
militaire français s’est déchaîné contre
les familles qui avaient envoyé leurs
fils à Monte Cassino en Italie et qui
s’y sont distingués par leur bravoure en
offrant la victoire aux forces alliées.
Lorsqu’ils reviennent de la guerre au
cours de laquelle ils s’étaient
illustrés par leur courage et les
victoires qu’ils avaient obtenues, les
soldats algériens engagés contre
l’Allemagne nazie ignorent tout des
massacres commis par la France envers
leur peuple. Ils avaient été tenus dans
l’ignorance totale des évènements. Il
faut rappeler que près de 150 000
Algériens ont combattu l’Allemagne nazie
pendant que l’administration française
et les colons d’Algérie soutenaient le
régime de Vichy. En France, de nombreux
Algériens se sont engagés dans la
Résistance, et bien des ouvriers
pratiquant des actes de sabotage dans
les usines pour bloquer l’avancée
allemande ont été abattus, mais aucun
hommage ne leur a été rendu. Pour
récapitulatif, le 15 mai 1940, au cours
du violent combat de La Horgne dans les
Ardennes, les spahis algériens ont
retardé la marche nazie vers la France
pendant 10 heures avec un seul canon
antichar pour affronter la féroce
1Panzer Division allemande, tuant
plusieurs centaines d’Allemands et
détruisant une vingtaine de véhicules.
Encerclés et à court de munitions, ils
ont enfourché leurs chevaux et chargé à
la baïonnette contre les blindés dans un
ultime sacrifice, forçant les Allemands
à leur rendre les honneurs à l’issue de
la bataille. Toujours en premières
lignes et munis d’un armement désuet,
sans aucun entraînement, les tirailleurs
algériens ont affronté l’Afrika Korps de
Rommel et ses alliés italiens dans le
désert et libéré la Tunisie en 1943. En
Italie, ils ont vaincu les troupes
d’élite de Kesselring à Monte Cassino,
permettant aux Alliés de franchir la
Ligne Gustave sur laquelle ils se
cassaient les dents depuis des mois, et
ouvrant la route vers Rome. Débarqués à
St Tropez le 16 août 1944, ils ont
libéré Toulon et Marseille, remontant
vers le nord de la France pour
pourchasser les Allemands dans le Jura
et les Vosges, les poursuivant jusqu’en
Alsace lors de l’offensive du 14
novembre. Sans permission depuis août,
les pertes étaient lourdes, beaucoup
avaient été blessés ou malades, mais ils
ont réussi à libérer Strasbourg. Le 9
février 1945, ils ont chassé les
Allemands d’Alsace, les traquant à
travers la Forêt Noire pour arriver à
Stuttgart le 25 avril 1945. La
récompense des survivants : une pension
réduite au tiers de ce que perçoivent
les anciens combattants français, la non
reconnaissance, l’oubli et le mépris.
Dans les cimetières français où ces
braves tombés au champ d’honneur
reposent, leurs tombes sont profanées
aujourd’hui par des cancrelats qui osent
les taguer de croix gammées et autres
ordures, alors que ces hommes se sont
sacrifiés pour la France pendant que la
plupart des Français collaboraient
joyeusement avec l’occupant allemand.
Après deux mois de « chasse au
musulman » qui a fait des dizaines de
milliers de morts et de disparus dont le
nombre est évalué à 45 000 – chiffre
confirmé par le consul général américain
à Alger -, l’armée coloniale organise
des cérémonies de soumission collective
dans de vastes rassemblements où la
population terrorisée par un étalage de
forces et la menace d’extermination doit
se prosterner devant le drapeau
français et répéter en chœur : « Nous
sommes des chiens et Ferhat Abbas est un
chien ». C’est à ce prix que cesse le
bain de sang qui a inondé tout l’est
algérien. C’est alors que le général
Duval déclare au général Martin,
reconnaissant par ces mots combien avait
été sauvage et implacable la répression
menée contre le peuple algérien : « Je
vous ai donné la paix pour dix ans. Si
la France ne fait rien, tout
recommencera en pire ».
Le régime français garde sous
séquestre les archives concernant
l’Algérie pour éviter de divulguer les
nombreux crimes et génocides que la
France a commis tout au long de son
histoire coloniale. Néanmoins, nous
avons les précieux témoignages des
survivants que nous devons transcrire et
conserver, car ils constituent la
mémoire vivante de l’Algérie. C’est
notre seul moyen de connaître notre
propre histoire et de la transmettre aux
générations futures. Au lieu de donner
des leçons de « droits de l’homme » et
de « démocratie » à toute la planète, le
régime français devrait libérer les
archives qu’il cache depuis des
décennies. La France ment sur son
histoire puante depuis des lustres, elle
préfère canoniser les maréchaux et
généraux criminels de guerre en les
« panthéonisant » aux Invalides et
rendre les honneurs aux chefs de l’OAS
et aux copains de Pétain plutôt que de
reconnaître le génocide qu’elle a commis
en Algérie. On n’écrit pas l’histoire
avec une gomme. Il est donc impossible
de construire une relation quelconque
avec la France tant que nous n’avons pas
réglé le contentieux historique.
Le général Duval s’est trompé d’une
année, car neuf ans plus tard, les
Enfants de Novembre sont venus déraciner
le régime colonialiste monstrueux et
porter l’Algérie vers la liberté et
l’indépendance que nous, patriotes
algériens, continuerons à défendre afin
que les fils et filles d’Algérie
puissent vivre libres, étudier,
travailler, et conserver une dignité que
notre peuple a payée au prix le plus
fort. Nous n’avons rien oublié et nous
sommes fiers de notre histoire et du
sacrifice que notre peuple a consenti
pour se libérer. Notre mission est de
brandir le fer contre tous ceux qui
menacent de détruire l’œuvre de nos
martyrs, car le sens de l’Histoire exige
de lutter contre toutes les injustices.
Les quelques privilégiés aveuglés par
l’argent et les biens mal acquis qui
baignent dans l’amnésie réhabilitent de
ce fait le colonialisme. Par ses actes,
chacun de nous fera face à l’histoire,
et si certains « bougnoules » se
prostituent avec la France, nous, les
patriotes, n’attendons rien des rejetons
de l’OAS auxquels nous conseillons de
cesser de croire que l’Algérie est à
leur botte parce que quelques
nostalgiques du statut de « raton » ont
signé un pacte avec le diable. Le passé
de la France est entaché de sang et elle
n’a aucun droit de parler d’honneur, pas
plus que ses esclaves qui s’imaginent
diriger l’Algérie. A ces derniers qui
squattent la République algérienne
Démocratique et Populaire, trêve de
diversions et d’intermittents du
spectacle qui viennent à la rescousse
d’un pouvoir moribond qui appartient
déjà au passé et ne représente en rien a
nation algérienne ! Nous soutenons que
l’Algérie ne prospérera qu’avec un
pouvoir politique intègre et respectueux
du sang versé pour la patrie, capable
d’offrir des horizons verdoyants à ses
enfants et non la mer Méditerranée
transformée en vaste cimetière marin.
Comme nos ancêtres ont combattu le
colonialisme, nous combattons le
néocolonialisme et l’impérialisme, et
nous honorerons nos martyrs en mettant
hors d’état de nuire tous ceux qui
souillent leur mémoire. Le patriotisme
n’a rien à voir avec un carnet de
chèques et un compte en banque et je
continuerai à traquer jusqu’à la fin de
mes jours la trahison et la félonie qui
ont dénaturé mon pays.
Le 8 mai 1945 constitue la date
fondatrice de la lutte pour
l’indépendance du peuple algérien. Les
massacres perpétrés dans les villes de
Sétif, Guelma, Kherrata dans ma région
natale annonçaient le déclenchement de
la Révolution nationale du 1er Novembre
1954 qui marqua le début de
l’anéantissement du colonialisme
français abject et criminel en Algérie.
La belle et rebelle Algérie ne retiendra
que les noms des valeureux martyrs qui
sont morts dans l’honneur pour la
patrie.
Dans la douceur du mois de mai 1945,
le rossignol s’est mis à chanter, ivre
de lumière et du parfum des fleurs. Les
arbres s’étaient parés de verdure et le
soleil resplendissait dans l’azur.
Soudain, les fleurs se sont tachées de
rouge et la terre de mes ancêtres s’est
gorgée du sang de mon peuple. L’oiseau
chanteur s’est tu pour écouter les cris
des suppliciés qui montaient vers le
ciel, plongeant mon pays dans un long
désespoir duquel, une sombre nuit
d’hiver, a jailli l’éclat joyeux de
l’Odyssée de Novembre. Il était une fois
la Révolution…
Mohsen Abdelmoumen
Published in Oximity, May 7,
2015:https://www.oximity.com/article/Il-%C3%A9tait-une-fois-le-8-mai-1945-e-1?faid=656834
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