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« Nous avons le droit d’être libres ! ».
Entretien avec Nakouty Luyet (Partie 2)
Mikhail Gamandiy-Egorov
© Sputnik
Lundi 19 janvier 2016
Source:
Sputnik
Nakouty Luyet est
citoyenne de Côte d’Ivoire. Elle est
membre du parti politique ivoirien COJEP
(Congrès Panafricain pour la Justice et
l’Egalité des Peuples), mouvement
politique créé par Charles Blé Goudé,
ministre de la Jeunesse sous le
président Laurent Gbagbo. Elle vit
aujourd’hui en Suisse.
Suite de la
première partie de l'entretien:
Sputnik: Que
pensez-vous de la justice prétendument
internationale? Doit-elle prévaloir sur
les justices nationales? Et plus
généralement, quelle position les pays
africains devraient-ils adopter pour
combattre efficacement la politisation
des structures telles que la CPI,
surtout si cette politisation ne cesse
pas dans un avenir proche?
Nakouty Luyet:
Ce qui pose problème dans le
fonctionnement de la CPI c'est la
manière dont elle s'octroie les cas.
Disons que A convoite la tête du pouvoir
étatique occupé par B. A l'issue de la
belligérance A prend la place de B et le
transfère à la CPI, et c'est avec A que
la CPI collabore pour fournir les
preuves de la culpabilité de B. C'est un
peu comme si on demandait à votre ennemi
de prouver que vous avez tort. Qu'est-ce
qu'il fera à votre avis?
Une autre
problématique est le conditionnement des
témoins. Ces derniers vivent en Afrique
souvent dans la précarité ou vivent
assez modestement. On leur propose un
revenu aligné sur le SMIC européen, un
logement en Europe vu que la cour est à
La Haye, contre leurs témoignages.
Sachant que le revenu minimum ivoirien
est autour de 100 euros, serait-il
difficile pour un compatriote vivant
dans un quartier dortoir de résister à
l'appât du gain si la CPI lui propose
une protection? Qu'en sera-t-il de
l'authenticité de ses dires?
L'aspect pécunier
non négligeable peut considérablement
porter atteinte aux motivations d'une
personne sans ressources financières
dans la quête du procureur à trouver des
témoins.
Concernant le droit
international, je sais que le droit
européen prévaut sur le droit français,
italien etc. L'Union européenne demande
aux pays de s'aligner sur sa
législation. Avec l'arrivée d'une
justice internationale, la logique
voudrait qu'elle supplante les autres
justices. Ce qui normalement devrait
donner l'opportunité à chaque citoyen du
monde de porter plainte contre une autre
personne physique ou morale et réclamer
justice.
La question c'est
qui sera jugé pour les massacres en
Irak, en Palestine, en RDC, au Mali, au
Cameroun, en Centrafrique, en Côte
d'Ivoire, etc…?
La CPI aura elle le
pouvoir de juger des Européens/des
Occidentaux?
Pour l'instant,
elle se contente des Africains. C'est un
constat et dans le cas figure qui nous
concerne il y a deux innocents qui n'ont
rien à y faire: le président Laurent
Gbagbo et son ministre Charles Blé Goudé.
Il existe des
structures juridiques en Afrique et il
est du devoir des Africains et c'est
même une obligation pour nous Africains
de juger nos propres concitoyens.
D'ailleurs le
président Laurent Gbagbo avait émis sa
volonté d'être jugé en Côte d'Ivoire, ou
du moins au Tribunal international
d'Arusha (Tanzanie), ce que maitre
Mignard et Jean-Paul Benoît, citoyens
français et avocats de monsieur Alassane
Ouattara, devenus représentants de la
Côte d'Ivoire, ont balayé d'un revers de
la main dans un document que la CPI a
rendu public le 14 octobre 2015.
Sputnik:
Vous êtes Ivoirienne. Nous avons maintes
fois abordé le sujet de la Côte
d'Ivoire, ses perspectives et défis.
Vous le voyez comment l'avenir de la
Côte d'Ivoire? La réconciliation
aura-t-elle lieu?
Nakouty Luyet
: Dans l'état actuel des choses non.
Tout dépend de la volonté du pouvoir en
place. Ont-ils intérêt à réconcilier les
Ivoiriens?
Je pense aussi que
non, parce qu'il préférable pour eux que
les Ivoiriens s'enlisent dans des
querelles tribales sans fondement que de
réellement situer les responsabilités.
Il suffit de constater l'échec des
tentatives établies. Chacun de nous a
plus ou moins perdu un proche. J'ai
perdu 15 membres de ma famille
maternelle qu'on a découvert dans le
charnier de Monokozohi dans le
département de Vavoua, zone sous
contrôle de la milice de Guillame Soro,
actuel président du parlement ivoirien,
donc deuxième homme fort du pays
rattrapé par un mandat d'amener émis en
France fin 2015 dans l'affaire Michel
Gbagbo et un autre mandat d'arrêt
international il y a quelques jours émis
par le Burkina Faso. Pays qui vient
d'essuyer une attaque terroriste de la
part d'AQMI (Al-Qaida au Maghreb
islamique, ndlr). C'est peut-être un pur
hasard mais cette attaque terroriste
survient au moment où le procès Sankara
et celui du coup d'Etat raté de 2015 se
peaufine sachant qu'il a été démontré
que l'ancien président déchu burkinabè
Blaise Compaoré devenu Ivoirien il y a
quelques jours par décret pour échapper
à la justice de son pays, tisse des
liens avec cette banche de terroristes.
J'aimerais dire
aussi qu'à la fin de l'année 2015
on comptait presque 400 détenus
politiques dont le crime reproché est
d'appartenir au FPI, le parti politique
du président Gbagbo, au COJEP le parti
du ministre Charles Blé Goudé, et/ou de
s'en réclamer sympathisant. Je voudrais
souligner qu'ils sont torturés et cela
été dénoncé par plusieurs organisations
internationales sans que rien ne change.
Ce qui par conséquent définit le régime
totalitaire actuellement en place. La
réconciliation des Ivoiriens passe par
la libération du président Gbagbo, de
son ministre Charles Blé Goudé, de la
première dame Simone Gbagbo condamné à
20 ans d'emprisonnement pendant que le
procureur en réclamait 10 et tous les
autres prisonniers politiques détenus
dans l'arbitraire total.
Sputnik :
Vous avez prévu avec le COJEP dont vous
faites partie, ainsi que d'autres
membres de la communauté ivoirienne et
plus généralement africaine, d'aller à
La Haye pour être aux côtés de ceux que
vous soutenez. Quel sera le programme et
quel message souhaitez-vous transmettre
aux représentants de la CPI?
Nakouty Luyet:
En effet nous allons nous rendre le 28
janvier 2016 à La Haye et ensemble
montrerons aux yeux du monde que le
président Laurent Gbagbo est un autre
Nelson Mandela, que le ministre Charles
Blé Goudé est un autre Patrice Lumumba,
que nous sommes tous des Thomas Sankara
et que nous entendons plus perdre nos
leaders combattants de nos libertés.
Nous lancerons un
message fort à l'opinion internationale:
l'Afrique ne souhaite plus faire parti
d'un quelconque processus d'aliénation
et d'assujettissement. Nous avons le
droit d'être libres!
Sputnik : La
victoire panafricaine aura-t-elle lieu?
Nakouty Luyet:
Non seulement elle aura lieu mais elle
sera gravée dans l'histoire. Nous sommes
déterminés et nous avons les moyens de
rendre la dignité à chaque Africain. Je
vous remercie.
© 2016 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 20 janvier 2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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