Ecologie
Face à l'urgence climatique et
l'inertie des Etats,
place au sursaut
citoyen?
Maxime Combes
Lundi 20 novembre 2017
La COP23 vient de
s'achever. Aucun sursaut politique n'est
venu répondre à l'alerte des
scientifiques et à la multiplication des
catastrophes climatiques. A cette forme
de déni climatique qui conduit à
repousser à plus tard ce qui ne devrait
pas l'être, doit répondre une
mobilisation citoyenne d'une ampleur
sans précédent : à nous de faire
l'impossible pour que l'impensable ne se
produise pas. Un mois avant la
COP21, en octobre 2015, nous publions
sur ce même blog un texte appelant à
un « ouragan citoyen pour éviter le
chaos climatique que préparent, en toute
connaissance de cause, les Etats ». Deux
ans plus tard, les circonstances sont
bien-entendu différentes. Entre temps
l'Accord de Paris a été signé et ratifié
par suffisamment de pays pour qu'il
entre en vigueur. Néanmoins, à l'issue
de la COP23, l'enjeu reste le même :
résorber le fossé entre les engagements
de réduction d’émissions de gaz à effet
de serre (GES) annoncés en 2015, et le
niveau qu’ils devraient atteindre pour
contenir le réchauffement climatique
mondial en deçà des 2 °C.
Ce fossé entre le
réel, les 3°C ou plus, et le
souhaitable, les 2°C ou moins, n'est pas
nouveau. Nous en avions connaissance dès
avant la COP21 (voir
ici). Il n'est pas conjoncturel
puisqu'il est alimenté par une
globalisation économique et financière
gloutonne en ressources naturelles. Il
n'est pas involontaire puisque les Etats
et les décideurs disposent, depuis de
nombreuses années, de toutes les données
nécessaires. Ce fossé entre le réel et
le souhaitable est le fruit de choix
délibérés de décideurs politiques et
économiques qui, jusqu'ici, ont reporté
à plus tard la mise en œuvre de
politiques climatiques plus ambitieuses.
Déni climatique
Face à ce déni
climatique, les Etats ont daigné
accepter l'organisation d'« un dialogue
facilitateur » en 2018 pour remettre ce
sujet sur la table. Lors de la COP 23,
ils n’ont malheureusement donné aucune
garantie sérieuse pour que ce dialogue
de Talanoa, ainsi renommé par la
présidence fidjienne, s’acquitte de
cette tâche urgente. Le texte final de
la COP23 ne fait « qu'accueillir avec
reconnaissance » la tenue de ce dialogue
tout au long de l'année 2018, mais il ne
lui fixe aucun objectif précis et
contraignant si ce n'est d'être
« constructif et tourné vers les
solutions ».
Mesurons-en
précisément les conséquences. L'alerte
des scientifiques est claire : les
émissions mondiales de GES doivent
commencer à décroître d'ici à 2020. Or,
compte tenu de la faiblesse des
politiques climatiques actuelles, les
émissions de CO2 sont reparties à la
hausse en 2017 et rien ne permet
d'affirmer désormais que la COP24 et ce
fameux dialogue de Talanoa puissent
contribuer à inverser durablement, et
dans des proportions suffisantes, cette
tendance. Selon les propres calculs de
l'ONU basés sur les engagements pris par
les Etats en 2015, un record d'émissions
mondiales pourrait être battu chaque
année d'ici à 2030 pour atteindre 56,2
Gt éq. CO2 en 2030 (voir
ici). Deux ans après la COP21, les
Etats n'ont pris aucun engagement et
n'ont donné aucune garantie pour que ce
scénario catastrophe ne se produise pas.
Procrastination
climatique généralisée
Il est aisé de se
tourner vers Donald Trump et sa décision
de retirer son pays de l'Accord de Paris
ou vers le refus de la Chine de réduire
ses émissions bien avant 2030. Mais cela
ne saurait masquer la responsabilité de
l'UE qui, sous couvert de leadership
climatique, mène en fait une
contre-révolution énergétique en
Europe : objectifs climat pour 2030 peu
ambitieux, refus de remettre à plat le
marché carbone européen qui
dysfonctionne, financement et
constructions d'infrastructures gazières
inutiles, etc. Et la France ? Derrière
le slogan #MakeThePlanetGreatAgain
s'entasse déjà une longue liste de
décisions contradictoires avec
l'impératif climatique et, tout aussi
important, le refus, jusqu'ici, de mener
bataille à Bruxelles, laissant les
lobbys de l'énergie français peser de
tout leurs poids.
Emmanuel Macron et
Nicolas Hulot vont-ils enfin se décider
à mener bataille à Bruxelles pour que
l'UE se donne des objectifs bien plus
ambitieux que les 40% de réduction
d'émissions de GES et les 27%
d'efficacité énergétique et d'énergies
renouvelables pour 2030 ? Rien n'est
moins sûr quand on voit qu'Emmanuel
Macron s'est empressé de saluer le
mauvais compromis sur le marché carbone
européen lors de son discours lors de la
COP23 à Bonn, tout en restreignant les
défis de la transition énergétique en
Europe à la construction de nouvelles
infrastructures d'interconnexion et de
stockage de l'énergie. Sans minimiser
ces enjeux, on est bien loin d'une
ambition européenne digne de ce nom.
Dans le même temps, Nicolas Hulot ne
semble pas décider à faire de Bruxelles
un axe stratégique de sa politique
énergétique : l'axe 20 de son
plan climat ne porte aucun objectif
en la matière.
Malgré les
limites de l'Accord de Paris...
Nous payons
aujourd’hui le prix des limites
intrinsèques de l’Accord de Paris qui
n’a pas été doté de dispositifs
suffisants pour imposer aux États de
revenir sur une trajectoire inférieure à
2 °C. Ce refus de toute contrainte
internationale conduit à des engagements
volontaires (bottom up) déconnectés des
objectifs globaux de réduction
d’émissions, qu’un traité basé sur un
droit non contraignant, qui incite
plutôt qu’il ne régule ou sanctionne
(soft law), ne permet pas de rendre plus
ambitieux. Malheureusement, l'Accord de
Paris ne permet pas d'imposer aux Etats
qu'ils lèvent les sérieuses menaces qui
pèsent sur l’avenir et le contenu des
politiques climatiques. L'Accord de
Paris ne suffit pas pour qu’enfin, après
25 ans de négociations, les émissions
mondiales de GES commencent à diminuer.
Ce n'est pas nouveau. Mais il faut en
être conscient.
Conserver une
chance raisonnable de contenir le
réchauffement climatique en dessous des
2°C implique d'arrêter de perdre du
temps. A commencer par laisser croire à
la population que l'Accord de Paris nous
met sur la bonne voie et qu'il suffit
d'attendre encore pour qu'enfin le
réchauffement climatique puisse être
maîtrisé. Les 3°C entérinés par les
engagements des Etats lors de la COP21
n'étaient pas « un bon point de départ
pour aller plus loin », comme
l'affirmaient alors les architectes de
l'accord de Paris, mais au contraire
étaient « le point de départ pour de
nouveaux et plus nombreux crimes
climatiques dans le futur ». Il est plus
que temps d'inverser cette tendance.
… ne cédons pas
au climato-fatalisme !
Il ne faut pas pour
autant céder au climato-fatalisme : ce
n’est pas l’objectif des 2°C (ou celui
des 1,5°C) qu’il faut enterrer, pas plus
que le processus onusien, mais bien les
décisions politiques et économiques qui
nous en éloignent de manière
irréversible. Puisons le souffle éthique
et politique nécessaire pour mettre fin
à l’inertie climatique des États là où
il se trouve : des mobilisations contre
le charbon en Allemagne (Ende Gelaende)
à celles des populations indigènes pour
la préservation de leurs terres, en
passant par toutes les expériences
citoyennes en matière de transition
énergétique, la société est bien souvent
en avance sur les États et les
gouvernements. Ces derniers n’ont donc
plus aucune excuse : Emmanuel Macron et
Nicolas Hulot n'ont plus aucune excuse
quand ils prennent des décisions
contraires à l'impératif climatique.
Entre MakethePlanetGreatAgain et
BusinessAsUsual, ils doivent arrêter de
tergiverser et mettre fin à toutes les
mesures qui ne sont pas
climato-compatibles.
Il s’agit donc de
trouver les voies juridiques,
politiques, sociales pour empêcher des
régressions aux effets irréversibles et
mener à bien une transition énergétique
qu’Emmanuel Macron ne cesse de repousser
à plus tard. Le sommet “One Planet
Summit” qu’il organise le 12 décembre à
Paris doit-être l’occasion de faire en
sorte qu’il n’y ait plus un seul euro
d’argent public qui transite par la CDC,
la BPI, la BEI ou la Banque mondiale
pour financer des infrastructures liées
aux énergies fossiles. Alors que les
Paradise papers ont montré que les
pratiques d’évasion fiscale sont au cœur
du système économique et des pratiques
des multinationales liées aux
hydrocarbures fossiles, il nous faut
exiger du gouvernement une réponse
appropriée et qu’il revienne notamment
sur sa décision de saborder la taxe
européenne sur les transactions
financières et de réduire à portion
congrue la taxe française.
A nous de faire
l'impossible pour que l'impensable ne se
produise pas.
Bien sûr que les
États, les villes, les communautés, les
mouvements sociaux qui avaient entamé la
transition, vont poursuivre leurs
alternatives et leurs résistances. Et
les amplifier si possible. Mais nous
savons aussi que des réglementations
politiques sont nécessaires et urgentes
pour assurer la pérennité de ces
transitions et transformer profondément
les soubassements énergétiques de cette
machine à réchauffer la planète qu’est
l’économie mondiale. La main invisible
des marchés n’est pas plus verte qu’elle
n’est naturellement sociale ou juste.
Les mobilisations
des semaines à venir, à commencer par la
journée du 2 décembre contre
l’évasion fiscale qui grève la capacité
des pouvoirs publics à financer des
politiques climatiques ambitieuses,
celle du
12 décembre contre le financement des
énergies fossiles et fissiles, et le
Tour
Alternatiba de 2018, devront être
entendues : « il n’est pas trop tard
pour enterrer les politiques
climaticides et accélérer la transition
énergétique en France et en Europe ».
L'Accord de Paris
ne suffit pas.
Le BusinessAsUsual
des Etats ne faiblit pas.
Le cynisme des
lobbys industriels est toujours là.
A nous de faire
l'impossible pour que l'impensable ne se
produise pas.
--
Maxime Combes,
économiste et membre d'Attac France.
Auteur de
Sortons de l'âge des fossiles !
Manifeste pour la transition, Seuil,
coll. Anthropocène. Octobre 2015
@MaximCombes sur
twitter
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