Ecologie
Climat : que faire après l'élection de
Trump ?
Maxime Combes
© Maxime
Combes
Lundi 14 novembre 2016
Au lendemain de l'élection de Donald
Trump, certains minimisent son impact.
D'autres proposent de se réfugier
derrière la main invisible des marchés
pour mener la transition énergétique.
Refusant ces deux options aussi
rocambolesques l'une que l'autre, ce
texte livre une analyse sans concession
de l'élection de Donald Trump et propose
quelques pistes pour avancer.
Le texte peut-être lu également ici, en.
pdf.
Première version au 14
novembre 2016
Présenté comme « un accord
historique », l'Accord de Paris sur le
climat, négocié lors de la COP21, a été
signé par plus de 170 Etats réunis à
New-York fin avril. Il est
d'ores-et-déjà ratifié par une centaine
d'entre eux qui représentent près de 70%
des émissions mondiales de gaz à effet
de serre (GES). Bien que portant sur la
période postérieure à 2020, il est donc
entré en vigueur ce vendredi 4 novembre,
à la veille de la COP22 qui se tient à
Marrakech du 7 au 18 novembre, et juste
avant l'élection présidentielle
américaine. Que ce soit à l'initiative
de l'ONU, de la France ou du Maroc, de
les moments d'auto-congratulation se
sont succédés et la COP22 dans son
intégralité devait être placée sous le
signe de la célébration1.
L'élection de Donald Trump à la
Maison-Blanche vient de porter un coup
très dur à cette belle histoire. Le
magnat de la finance avait annoncé la
couleur, lui qui affirme que le
dérèglement climatique est « un concept
créé par et pour les Chinois pour tuer
la compétitivité de l’industrie
américaine » et que l’accord de Paris
n'est rien d'autre qu'une façon
« d’autoriser des bureaucrates étrangers
à contrôler la quantité d’énergie que
nous utilisons »2.
Un accord qu'il avait annoncer vouloir
« annuler » lors de sa campagne,
affirmant que les règles visant à
limiter le réchauffement climatique ne
sont que le moyen de « tuer l’emploi et
le commerce ».
Il
est possible de quitter l'Accord de
Paris en un an !
Dès le lendemain de son
élection, journalistes et commentateurs
se sont interrogés sur la capacité du
nouveau Président des Etats-Unis à
« annuler » l'Accord de Paris.
Etrangement, comme si des éléments de
langage avaient été largement
distribués, aussi bien Ségolène Royal3,
Laurent Fabius4,
Pascal Canfin5,
l'IDDRI6
qu'un certain nombre d'ONG7
ont minimisé l'impact de l'élection de
Trump sur l'avenir de l'accord et sur
les politiques climatiques
internationales. En utilisant le même
argument : à compter de l'entrée en
vigueur de l'accord, trois ans seraient
nécessaires pour que le président des
Etats-Unis puisse le dénoncer, puis
encore un préavis d'un an avant que la
dénonciation ne prenne effet.
Comme nous l'avons signalé dès
le 10 novembre, ce n'est pas exact8.
Si l'article 28 de l'Accord de Paris
prévoit bien de tels délais pour un
retrait « classique », ce même article
autorise une procédure plus rapide, en
un an. Son alinéa 3 stipule en effet que
tout pays qui viendrait à se retirer de
la Convention-Cadre des Nations-Unies
sur le changement climatique (CCNUCC),
qui date de 1992, serait « considéré
comme s'étant également retiré » de
l'accord de Paris. Selon Michael Wara,
expert en droit de l'environnement à
Stanford, le Président des Etats-Unis
pourrait prendre cette décision tout
seul, sans avoir à consulter le Congrès,
comme l'avaient fait Jimmy Carter et
George W. Bush en leurs temps au sujet
de traités militaires9.
Ce retrait sera effectif un an plus
tard.
Si l'on en croit Reuters, cette
option, qui est la plus agressive et la
plus conforme aux violentes saillies de
Donald Trump, semble être celle
privilégiée par Trump et son équipe10.
C'est aussi celle qui aurait le plus de
répercussion sur la « gouvernance »
internationale du climat. En se retirant
unilatéralement de négociations ouvertes
il y a 25 ans dans le cadre de l'ONU,
les Etats-Unis, l'un des deux plus
grands pollueurs de la planète,
éroderait fortement la légitimité et
l'aptitude de la communauté
internationale à les poursuivre. Sans
plan B, l'ONU serait fortement affaiblie
et les négociations internationales sur
le climat pourraient être emportées par
des forces centrifuges difficilement
maîtrisables, ou, a minima s'embourber
pour de nombreuses années.
Donald Trump pourrait néanmoins
se contenter d'une option moins
radicale, qu'il planifie ou pas un
scénario de sortie de l'Accord de Paris
en 2020. Puisque les contributions
nationales rendues publiques en amont de
la COP21 ne sont pas contraignantes et
qu'il n'existe pas de dispositif pour
imposer à un Etat de tenir ses
engagements, il lui suffirait de ne tout
simplement pas appliquer les (bien
maigres) engagements pris par Barack
Obama (26 à 28 % de réduction des
émissions d'ici 2025 par rapport à
2005), tout en détricotant les
régulations et outils existant au niveau
national, comme l'Agence de protection
de l’environnement (EPA) qu'il souhaite
désarmer.
Pas de dispositif
contraignant envers les Etats
récalcitrants
Les contours de l'accord de
Paris ayant été fixés par les Etats-Unis
et la Chine, aucun mécanisme de sanction
ne pourra en effet être actionné pour
réprouver les Etats-Unis lorsqu'ils ne
respecteront pas leurs engagements
climatiques et financiers, décideront de
relancer l'industrie du charbon ou
d'étendre l'exploitation du pétrole ou
du gaz. L'accord de Paris ne dispose en
effet d'aucune institution en charge de
jauger et juger de la conformité
« climatique » des décisions des acteurs
privés et publics. Pas plus qu'il n'est
doté d'un dispositif contraignant
permettant de soumettre les Etats ou les
industriels récalcitrants à l'impératif
climatique.
Le caractère universel et
dynamique de l'accord de Paris devait en
effet, dans l'esprit de ses architectes,
embarquer les Etats de la planète sur le
chemin d'une amélioration, progressive
mais inéluctable, de leurs instruments
et objectifs de réduction d'émissions de
GES. Partant du principe selon lequel on
ne fait bien que ce à quoi l’on consent,
ils affirmaient que ce mode de
gouvernance serait plus efficace car
plus souple : alors qu'un accord
contraignant conduit les Etats à
chercher à le contourner, il a été jugé
préférable de fonder le nouvel accord
sur la bonne volonté de ses parties et
sur un contrôle des engagements de tous
sur tous.
Les Etats violent
l'Accord de Paris
Une promesse optimiste au
regard des engagements que les Etats ont
rendu publics en amont de la COP21 qui
conduisent la planète sur un scénario de
réchauffement (largement) supérieur à
3°C. Ce qui revient tout simplement à
violet l'objectif consigné dans
l'article 2 de l'Accord de Paris qui
prévoit de tout mettre en œuvre pour
contenir le réchauffement climatique
en-deçà de 2°C, et idéalement en deçà de
1,5°C. L'ONU elle-même reconnaît qu'un
record d'émissions de GES pourrait être
battu chaque année d'ici à 2030 pour
atteindre 56,2 gigatonnes d'équivalent
C02 en 203011.
Dit autrement, les Etats violent
l'accord de Paris qu'ils ont ratifié en
prévoyant de consommer 53 % du budget
carbone dont nous disposons d'ici à 2025
et 74% d'ici à 2030.
Les architectes de l'accord se
voulaient déjà rassurants. Le mécanisme
de révision prévu dans l'accord devait
permettre de rehausser progressivement
et suffisamment l'ambition de chacun des
Etats. Certains espéraient que le
« dialogue facilitatif », prévu en 2018,
soit transformé en première réévalution
à la hausse des engagements alors que
rien n'oblige les Etats à soumettre des
contributions nationales plus
ambitieuses avant 2025. Soit dans dix
ans ! Les Etats se sont donc laissés dix
ans pour rehausser leurs ambitions. Or,
en matière de réchauffement climatique,
ce qui compte n'est pas le niveau
d'émissions relâchées dans l'atmosphère
en fin de période mais le cumul des
émissions sur la totalité de la période.
En repoussant à plus tard ce qu'ils ne
veulent pas faire aujourd'hui, les Etats
ont pris une décision dramatique pour le
futur : ils institutionnalisent la
procrastination et entérinent un
réchauffement climatique très largement
supérieur à 2°C.
Le PNUE vient d'ailleurs, et à
nouveau, de tirer la sonnette d'alarme :
les émissions ne doivent pas être
stabilisées mais bien réduites d’au
moins un quart d’ici la fin de la
prochaine décennie, par rapport aux
tendances actuelles, soit revenir en
deçà des 42 gigatonnes12.
Sans feuille de route clairement établie
– aucun calendrier de mise en œuvre
n'existe – et sans mécanisme de
contrainte, les objectifs fixés par
l'article 2 pourraient donc rester
lettre morte, qui plus est si les
Etats-Unis n'accomplissent pas les
leurs. Les champions de la pollution ne
vont pas décider d'opérer une transition
post-fossile simplement parce qu'ils
croient que le voisin va en faire
autant. Surtout lorsque l'un de ses
voisins, deuxième émetteur mondial de
GES, prévoit de ne rien faire.
La prophétie de
Paris est pulvérisée
Quelle que soit l'option
privilégiée in fine par Trump et
son administration, il faut faire preuve
de lucidité. Son élection fait voler en
éclat la prophétie, voulue
auto-réalisatrice, que les architectes
de l'Accord de Paris pensaient avoir mis
sur pied13 :
« l'esprit de Paris », répété en boucle,
ne suffira pas pour déplacer des
montagnes et convaincre jusqu'aux plus
récalcitrants de placer la lutte contre
les dérèglements climatiques sur de bons
rails. Célébrer l'Accord de Paris à
satiété, ou encore illuminer en vert la
Tour Eiffel et l'Arc de Triomphe, ne
permettra pas d'entretenir le « momentum »
de Paris selon lequel la prophétie
annoncée allait se réaliser.
Ce grand exercice collectif de
wishfull thinking (prendre ses
désirs pour des réalités) supportait
déjà mal d'être confronté aux signaux
contraires observés (lois de transition
énergétique sans souffle, constructions
d'infrastructures et accords commerciaux
climato-incompatibles, réouverture de
mines de charbon, etc.). La prophétie de
Paris ne s'accommodera pas de l'élection
de Donald Trump. Personne ne peut plus
accepter sans la questionner l'idée
selon laquelle l'Accord de Paris va
nécessairement et tranquillement
conduire les Etats à mettre en œuvre des
politiques climatiques à la hauteur des
enjeux, s'entrainant les uns les autres.
Ce château de cartes, aux fondations peu
solides, vient de s'effondrer.
Alors que l'urgence climatique
est présentée comme le plus grand défi
planétaire de ce début de siècle, ce
sont bien les lignes rouges fixées par
le Sénat américain – rien de
contraignant – et par la présidence
chinoise – rien qui ne remette en cause
le développement économique du pays
d'ici à 2030 – qui déterminent les
limites de l'outil dont nous héritons de
la COP21. Ce « meilleur accord
possible » selon ses promoteurs – une
terrible accusation en fait – risque en
effet de ne pas être à la hauteur pour
faire face au choc que représente
l'élection de Donald Trump. Pire, en
plus de ne pas se réaliser, la prophétie
de Paris pourrait se retourner. En
effet, quand l’annonce d’un évènement
vient contrecarrer sa réalisation, la
prophétie devient auto-destructrice
selon le sociologue Robert K. Merton. En
l'occurrence, il ne s'agit plus
seulement de quelques voix critiques,
qualifiées « d’idéalistes climatiques »,
mais d'un rouage essentiel du story
telling (mise en récit) mobilisé
depuis la COP21 qui vient de se dérober.
Alors, que faire ?
De Ségolène Royal à Ban Ki-Moon,
en passant par de nombreux commentateurs
présents dans les allées de la COP22 à
Marrakech, ils sont nombreux à minimiser
l'impact de l'élection de Trump en
affirmant, au-delà de quelques arguties
juridiques fragiles, qu'il faudrait
désormais faire confiance en la main
invisible du marché, devenue verte, pour
poursuivre la mue de l'économie mondiale
vers « un futur bas carbone ». La
panique est telle qu'il faudrait
remplacer la prophétie de l'Accord de
Paris, basé sur l'effet d'entrainement
des Etats, par une autre, basée sur les
marchés et le secteur privé. Selon cette
approche, les entreprises et les
investisseurs vont prendre le relais en
poursuivant naturellement leurs
investissements dans des technologies et
infrastructures bas carbone,
contraignant même la future
administration Trump à ne pas abandonner
toute réglementation climatique.
Pour Pascal Canfin, par
exemple, « l’explosion du marché des
renouvelables dans le monde, l’émergence
de la mobilité électrique, le début de
déploiement du stockage de
l’électricité, etc., sont des réalités
économiques mondiales » que les « géants
américains » ne pourraient laisser
passer. Pour « maintenir l’économie
américaine compétitive dans un marché
mondialisé » il faudrait donc faire
confiance aux entreprises et aux marchés
qui seraient désormais la force
entrainante de la transition énergétique14.
Qu'importe que cette promesse soit
pleinement contradictoire avec le rebond
des valorisations boursières de Big Coal
et Big Oil au lendemain de l'élection de
Trump15.
La main invisible du
marché n'est pas plus verte qu'elle
n'est sociale
Comme l'écrit François Gemenne,
l'idée selon laquelle « le mouvement
enclenché à la COP21 » serait désormais
« inarrêtable, affranchi des contraintes
politiques », apparaît d’une grande
naïveté16.
Que ce soit pour faire bonne figure ou
parce qu'ils y croient vraiment, cette
approche selon laquelle on pourrait
désormais « compter sur les industries
et les marchés pour guider malgré tout
la transition énergétique » est la
preuve qu'un monde s'effondre : « dans
un passé pas si lointain, on comptait
encore sur le politique pour guider les
industries et les marchés vers la
transition énergétique, pas l’inverse »,
poursuit Gemenne.
Une telle approche fait comme
si les « solutions » au changement
climatique étaient consensuelles et
apolitiques. Elles ne le sont pas :
réinsérer le commerce mondial, pour ne
prendre qu'un exemple, dans le cadre de
régulations internationales visant à
faire que l'impératif climatique prime
sur la poursuite du business as usual,
une condition sine qua non d'une réponse
adaptée à l'urgence climatique, ne
viendra pas de la main invisible des
marchés. Soyons sérieux : la main
invisible des marchés n'est pas plus
verte qu'elle n'est naturellement
sociale, égalitaire ou juste.
Appeler à la rescousse le dieu
marché et la déesse technique pour
sauver la prophétie de l'Accord de Paris
nous apparaît même dangereux au regard
du renversement d'alliances que permet
l'élection de Donald Trump. Là où les
architectes de l'Accord de Paris avaient
obligé une partie de la vieille économie
carbonée à se montrer ouverte à des
politiques climatiques, l'arrivée de
Trump offre aux forces capitalistes
accros aux énergies fossiles une
position de repli facile qui leur
permettrait de prolonger leurs rentes
quelques années supplémentaires, plutôt
que s'engager dans une transition
énergétique hasardeuse pour leurs
profits futurs.
Vers une
recomposition des alliances qui nient le
réchauffement climatique
La nomination de Myron Ebell à
la tête de l'équipe de transition de
l'Agence américaine pour la Protection
de l’Environnement (EPA), et la possible
arrivée de lobbyistes pétroliers aux
secrétariats de l'énergie et de
l’intérieur, transcrit à la fois cette
volonté de désarmer l'EPA et ce possible
retournement d'alliance : une alliance
dure de l'ensemble des forces politiques
et économiques qui ne veulent surtout
rien changer a désormais l'opportunité
de se cristalliser autour de Donald
Trump. De plus, les négationnistes du
réchauffement climatique verront en
Ebell, issu des rangs du think tank
climatosceptique Competitive
Enterprise Institute, un appui aussi
puissant qu'inespéré, pouvant réveiller
des forces que nous avions récemment
marginalisées et jugulées.
Les récentes déclarations de
Nicolas Sarkozy à ce sujet17,
prononcées devant un parterre
d'entreprises, doivent également être
prises au sérieux, comme d'éventuelles
(funestes) prémices d'une recomposition
des alliances des forces
climato-sceptiques : à côté de ceux qui
nient le réchauffement climatique ou son
origine anthropique, viendrait d'ajouter
ceux qui y opposent des sujets présentés
comme « plus importants » tels que « le
choc démographique », comme le fait
Nicolas Sarkozy. L'objectif est le
même : insinuer le doute. S'y ajoute la
volonté de nier les inégalités
climatiques entre les populations
pauvres et les populations les plus
riches, tout en faisant porter aux
premières la responsabilité du péril
démographique et en dédouanant les
secondes pourtant responsables du
réchauffement climatique.
Que ce soit à travers des
alliances de circonstance ou des
alliances plus structurées, une telle
approche pourrait trouver un large écho,
auprès de secteurs politiques et
économiques qui refusent de prendre à
bras-le-corps les conséquences
politiques, économiques et matérielles
de l’entrée dans l’anthropocène, cette
nouvelle ère géologique où l’histoire
courte des sociétés humaines se trouve
inextricablement liée à l’histoire
longue de la planète Terre. Une approche
bien commode pour qui ne veut pas
modifier en profondeur ses comportements
et les soubassements matériels de notre
(mal)développement qui conduisent à ce
qu’à peine 20 % de la population
mondiale consomme 80 % des ressources,
générant l’essentiel du réchauffement
climatique mondial.
Une de nos premières tâches
doit nécessairement consister à endiguer
cette résurgence du déni climatique et
en assécher le terreau. L'alliance entre
la société civile, les scientifiques du
climat et la petite partie des forces
économiques, hérauts du capitalisme vert
mais réellement sincères en matière de
lutte contre les dérèglements
climatiques, est décisive, à la
condition de bien écarter ceux qui ne
sont là que pour réaliser du
greenwashing. Si la prophétie de
Paris est mal en point, tout n'a pas
disparu avec l'élection de Trump : outre
un éventuel appui d'un certain nombre de
collectivités territoriales on pourra
peut-être, dans certains pays, s'appuyer
sur l'article 2 de l'Accord de Paris
pour obtenir, y compris devant des cours
de justice, des politiques climatiques
nationales plus ambitieuses. Ce n'est
pas anecdotique.
Une hégémonie
culturelle introuvable ?
Tenir bon dans le débat public
sera difficile mais pas suffisant. Il
faut également s'attaquer à ce qui
permet à un tel discours déniant
l'urgence climatique de prospérer, ou du
moins de ne pas disqualifier
irrémédiablement ceux qui le portent.
Qu'un candidat notoirement
climato-sceptique devienne président des
Etats-Unis à peine onze mois après
« l'historique » Accord de Paris doit
nous interroger : comment se fait-il que
nous soyons si éloignés de cette
hégémonie culturelle, si chère à Antonio
Gramsci, nécessaire pour imposer une
action résolue, déterminée et
irrémédiable en faveur du climat ?
Pour le comprendre, il n'est
sans doute pas besoin d'aller dans le
Wisconsin ou au Michigan : combien de
regards polis mais indifférents, pour ne
pas dire condescendants, recevons-nous,
y compris dans des milieux très
respectés, en réponse à notre engagement
pour des politiques de sobriété et
d'efficacité énergétiques ? De la COP21
au CETA, combien d'envolées discursives
laissent place à des décisions
climato-incompatibles dans
l'indifférence quasi-générale et un
sourire moqueur de celles et ceux qui, y
compris dans les rédactions, considèrent
finalement que le réchauffement
climatique n'est pas une chose si
importante ?
L'accord de Paris n'est
d'ailleurs pas clair à ce sujet en
faisant comme s'il était possible de
lutter efficacement contre les
dérèglements climatiques sans toucher
aux mécanismes et règles qui organisent
cette formidable machine à réchauffer la
planète qu'est l'économie mondiale. Il
contribue ainsi à sanctifier le décalage
abyssal existant entre la bulle des
négociations et la globalisation
économique et financière qui se poursuit
de l'autre côté. L'actualité vient
encore de le montrer : les institutions
européennes, les Etats-membres et de
nombreux lobbies économiques se
félicitent de l'entrée en vigueur de
l'Accord de Paris tout en appuyant
l'accord de libéralisation du commerce
et de l'investissement entre l'UE et le
Canada (CETA) qui va accroître les
émissions de GES (données UE) et
faciliter l'importation en Europe de
pétrole issu des sables bitumineux18..
Une feuille de route
connue : sortir de l'âge des fossiles !
Pourtant la feuille de route
est connue. Si l'on prend au sérieux
l'objectif des 2°C, alors il est
nécessaire de geler une très grande
majorité – de 66 % à 80% selon les
calculs – des réserves de pétrole, de
gaz et de charbon. Dit autrement, les
entrailles de la Terre contiennent
beaucoup trop d'énergies fossiles : à
moins d’̂tre climato-sceptique ou
complètement insensé - ce qui est
encore espérons-le une minorité de la
population – chacun doit convenir que
nous faisons face à un trop-plein
d'énergies fossiles, pas à une pénurie.
On ne manque pas d'études scientifiques
pour appuyer ce résultat. Pourtant, en
plus de vingt ans de négociations de
l’ONU sur le changement climatique,
aucun État, aucune multinationale et
aucune institution internationale n'a
jamais proposé de limiter à la source
la production de charbon, de gaz et de
pétrole dans le cadre des négociations19.
Le récent et documenté nouveau
rapport de Oil Change international20
précise la voie à suivre. Prendre au
sérieux l'objectif des 2°C, ou mieux
1,5°C, implique de fermer de manière
anticipée un certain nombre de puits
d'hydrocarbures et de mines de charbon
actuellement exploités, et ce bien avant
les dates envisagées par les entreprises
pétrolières, gazières et charbonnières.
Le rapport établit une liste de
recommandations, en commençant par les
pays riches, tout en indiquant qu'il est
nécessaire de débloquer un soutien
financier pour assurer un développement
décarboné dans les pays du Sud. Le
rapport se veut confiant : il n'est pas
question de fermer le robinet des
fossiles du jour au lendemain.
Gouvernements et entreprises sincères en
matière de lutte contre les dérèglements
climatiques ont la possibilité
d'organiser une sortie progressive des
énergies fossiles, tout en assurant un
redéploiement des salariés concernés.
Sauf à se précipiter dans le
chaos climatique – et ainsi violer
l'article 2 de l'Accord de Paris en
cours de ratification – il faut arrêter
d'investir dans les énergies fossiles,
tout en planifiant et organisant un
désinvestissement massif dans le secteur
afin de mettre en œuvre une transition
énergétique qui assure des emplois au
moins équivalents. Disons-le autrement :
chaque euro supplémentaire investi dans
le secteur des énergies fossiles est une
atteinte manifeste à l'article 2 de
l'Accord de Paris, qui nous rapproche du
chaos climatique alors qu'il pourrait
être investi dans la transition
énergétique en cas de dispositifs
réglementaires adéquats : unstaurer une
interdiction générale sur tout nouvel
investissement en matière d'énergies
fossiles et désinvestir du secteur n'est
pas une option parmi d'autres. C'est une
condition-clef d'une réponse adéquate à
la crise climatique.
Humilité et détermination :
le climat est un champ de bataille, pas
un consensus mou
L'élection de Trump doit donc
nous rendre plus humbles et plus
déterminés à la fois. Plus humble car la
lutte contre les dérèglements
climatiques ne peut pas se limiter à
raconter une histoire, aussi belle
soit-elle : non, la lutte contre les
dérèglements climatiques n'est pas sur
de bons rails et le principal outil de
gouvernance internationale, l'Accord de
Paris, est loin d'être la panacée. Plus
déterminé également car oui, il existe
une feuille de route pour encore
contenir le réchauffement climatique
dans des proportions raisonnables. Cette
feuille de route ne peut se satisfaire
d'accommodements raisonnables avec la
machine à réchauffer la planète qu'est
l'économie mondiale. Le climat est un
champ de bataille, où les intérêts
divergent et s'opposent violemment. Le
reconnaître est un premier pas
essentiel : on n'amadoue pas Donald
Trump, et toutes les forces politiques
et économiques qui se réfugient dans le
déni climatique. On les combat. Pied à
pied.
Une des options qui s'offre à
nous consiste à se réfugier derrière la
mobilisation de la société civile, et en
premier lieu derrière l'ensemble des
résistances qui se mènent, aux quatre
coins de la planète, pour rejeter des
projets d'un autre temps. Tout faire
pour qu'elles ne faiblissent pas, agir
pour qu'elles se renforcent et espérer
accumuler une série de victoires en
mesure de faire évoluer le rapport de
force global fait clairement partie de
notre agenda, y compris pour tenter de
gagner cette hégémonie culturelle.
Appuyer les ONG et activistes du climat
américains qui vont résister, comme ils
le pourront, aux projets climaticides de
l'administration Trump. Endiguer, autant
que faire se peut, cette lame de fond
qui va se propager au-delà des
Etats-Unis. Fortifier et encourager les
projets menés sur les territoires, par
les citoyens et quelques collectivités
territoriales, qui, à l'opposé
d'opérations de greenwashing
souvent mises en avant, inventent un
futur décarboné où l'on vivrait mieux.
Nous ne partons pas
de rien : Blockadia et Alternatiba
Deux dynamiques citoyennes
contribuent fortement à l'existence d’un
mouvement global pour la justice
climatique qui se confronte aux causes
structurelles du réchauffement
climatique. La première, lockadia,
s’appuie sur les « frontline
struggles », ces luttes qui visent à
stopper l’expansion de la frontière
extractiviste (des hydrocarbures de
schiste aux nouveaux projets miniers) et
la construction de nouvelles
infrastructures inutiles, imposées et
inadaptées (aéroports, autoroutes,
barrages, stades, etc.). Sur l’autre
versant se situe Alternatiba, qui sous
des formes différentes, aux quatre coins
de la planète, contribue à mettre en
lumière cette dynamique d’innovation, de
développement et de renforcement des
expériences alternatives concrètes,
qu’elles soient locales ou à prétention
régionale et globale, et qui visent à
transformer profondément nos modèles de
production et de consommation jusqu’ici
insoutenables.
Ces deux dynamiques incarnent
clairement un virage éco-territorial des
luttes sociales, pour reprendre le terme
que la sociologue argentine Maristella
Svampa utilise pour caractériser l’essor
des luttes en Amérique latine qui mêlent
langage écologiste et pratique de la
résistance et de l’alternative inscrite
dans des territoires21.
Le territoire n’est pas ici un confetti
qu’il faudrait sauver des dégâts du
productivisme, de l’industrialisation ou
de la mondialisation néolibérale. Un
confetti qu'il faudrait préserver des
conséquences du réchauffement
climatique. Il est au contraire l’espace
à partir duquel se se pense et
s’expérimente le dépassement des modèles
économiques, financiers et
technologiques insoutenables actuels.
Ici, aucun égoïsme du type « je ne
veux pas de ce projet chez moi,
ailleurs, je m’en fiche » : la
préservation, la promotion et la
résilience de tous les territoires
représentent l’horizon d’ensemble.
LL'ambition est colossale : il
s'agit de relocaliser et ancrer nos
imaginaires et nos mobilisations dans
des expériences et des réalités
concrètes, y compris de la vie
quotidienne, dans la perspective de
redécouvrir notre puissance d’agir
collective. Une puissance d’agir qui
sera d’autant plus forte, et plus large,
si nous sommes en mesure de nous dégager
d’une logique de sensibilisation et de
mobilisations citoyennes qui repose sans
doute trop sur une heuristique de la
science et de l’expertise : il ne suffit
pas de savoir que le réchauffement
climatique est là pour passer à
l’action. Si l’empilement des rapports
d’expertise n’implique pas mécaniquement
des mesures et des politiques à la
hauteur des enjeux, il ne déclenche pas
non plus la mobilisation citoyenne
générale. Au contraire, cette seule
approche génère sans doute plus de
sidération que d’engagement.
La transition, un
projet pour reconstruire la société et
le politique
Tout cela est essentiel.
Suffisant ? Pas certain. Aujourd'hui
plus encore qu'hier, la phrase de
l'écologiste américain Murray ookchin,
selon lequel nous sommes condamnés « à
faire l'impossible pour ne pas devoir
faire face à l'impensable » sonne
malheureusement juste. La tâche est
gigantesque puisqu'il s'agit finalement
de désarmer tous ceux qui nient
l'urgence de sortir de l'âge des
énergies fossiles et qui ont trouvé un
allié de poids, et de circonstance, avec
l'élection de Donald Trump à la
Maison-Blanche. Gigantesque parce qu'il
nous faut dans le même temps gagner le
cœur et la raison de tous ces indécis,
qu'ils soient juste indifférents, ou,
malheureusement, plein de dédain – et de
déni ? envers l'urgence climatique.
C'est la première des tâches
que nous avons à accomplir. La plus
urgente. La plus essentielle. C'est la
plus politique, au sens premier et noble
du terme : faire en sorte que la réponse
à la crise climatique apparaisse aux
yeux de tous comme notre horizon
collectif. Montrer, autant dans le
« faire » que dans le « dire », que la
transition énergétique est, en plus
d'être la réponse appropriée face au
réchauffement climatique, une
alternative de choix aux politiques
d'austérité désastreuses menées en
Europe et ailleurs sur la planète. La
transition ne doit pas être une
incantation, mais un projet de société
qui s'observe et se vive dans des
pratiques individuelles, des expériences
collectives, des politiques
territoriales alternatives. Et qui
puisse répondre au défi que pose
l'élection de Trump : abandonner ce
paradigme néolibéral qui détruit la
société et la planète, pour transiter
vers des politiques d'égalité, de
solidarité et de protection de la
nature.
BBeaucoup est déjà là. C'est
notre tâche d'en faire un projet de
société, une espérance, un horizon
auquel on adhère tant en raison qu'en
affection. Sobriété et efficacité
énergétique, décentralisation et
démocratisation des systèmes
énergétiques, souveraineté alimentaire
et agro-écologie paysanne,
relocalisation des productions et des
consommations, égalisation des modes de
vie dans le cadre d’une politique du
bien-vivre et de décroissance de
l’empreinte écologique, coopération et
solidarité économiques, etc. Les
perspectives sont connues. Elles se
heurtent violemment aux politiques de
compétitivité et de croissance à tout
prix qui génèrent une mise en
concurrence accrue des populations et
des territoires les uns avec les autres,
et qui font le lit des Trump et
consorts.
La transition n'est
pas une option : c'est la meilleure
réponse à apporter à l'élection de Trump
Pour « sauver le climat », il
ne peut y avoir d’accommodements
raisonnables avec les modes de
développement productivistes
insoutenables. Il est nécessaire de
s’adresser aux causes structurelles des
dérèglements climatiques. À ce
compte-là, il ne peut y avoir de jeu
gagnant-gagnant avec ceux qui défendent
un modèle économique basé sur les
énergies fossiles, à commencer par les
multinationales du pétrole. Il faut
l’assumer. Et les bloquer là où leur
agenda avance. Pour imposer ces
solutions, il faut faire refluer
l’agenda du i>business as usual.
Tout le monde n’a pas intérêt à changer
de système : les politiques de
compétitivité et de libéralisation font
primer les exigences de rentabilité
économique et financière sur tout le
reste, y compris les exigences
climatiques, alors que ce que nous
proposons s'appuie sur des principes de
respect des grands équilibres
écologiques et de coopération entre les
populations pour construire un avenir
commun.
Ne pas se raconter d'histoires,
jouer finement la partie, utiliser des
alliances à géométrie variable pour
isoler ici les climato-sceptiques et
gagner là des secteurs hésitants, toutes
ces tâches sont essentielles. Mais la
première de toute consiste donc à rendre
désirable le monde de demain, celui qui
doit et peut résoudre le double défi
climatique et social auquel nous faisons
face. Les prophéties ne s’auto-réalisent
jamais. Elles se construisent, pas à
pas, et l’issue dépendra de notre
capacité à accompagner et accélérer les
transformations s'opérant dans les
aspirations du corps social. La
transition écologique et sociale n'est
pas une option. C'est la condition d'un
futur viable, vivable et enviable. Et
sans doute la meilleure réponse à
apporter à l'élection de Donald Trump.
Maxime Combes, économiste et
membre d'Attac France
Auteur de Sortons de l'âge des
fossiles ! Manifeste pour la transition
(Seuil, Antropocène, 2015).
Reçu de Maxime Combes
pour publication
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