Ecologie
Urgence climatique : faut-il enterrer
l'objectif des 2°C ?
Maxime Combes
Samedi 4 novembre 2017
A l'enthousiasme exagéré autour de
l'Accord de Paris va-t-il se substituer
un pessimisme généralisé sur
l'impossibilité de maintenir le
réchauffement climatique en deçà des 2°C
? Faut-il enterrer l'objectif des 2°C ou
bien les nombreuses décisions politiques
et économiques des Etats et des
entreprises qui ne sont pas à la hauteur
du défi climatique ?
« La bataille
des 2°C est presque perdue » titre
Le Monde. « Limiter à 2°C le
réchauffement climatique est extrêmement
improbable » surenchérit
France Info. Tandis qu'Europe
1 ou
Libération reprennent l'adjectif de
« catastrophique » utilisé par
l'ONU pour caractériser l'écart entre
les engagements que les Etats ont mis
sur la table et ce qu'il faudrait faire
pour rester en deçà des 2°C.
Reconnaissons que le huitième
Emission Gap Report du Programme des
Nations-Unies pour l'environnement,
présenté ce 31 octobre à Genève, n'est
pas passé inaperçu, notamment en raison
des termes alarmistes utilisés par son
directeur Erik Solheim.
A juste titre...
Il suffit d'un
graphique pour prendre conscience du
problème : l'écart (gap) entre les
engagements de réduction d'émissions de
gaz à effet de serre (GES) annoncés en
2015, en amont de la COP21, et le niveau
qu'ils devraient atteindre pour
maintenir le réchauffement climatique
mondial en deçà des 2°C fixés par
l'article 2 de l'Accord de Paris, est
gigantesque. A supposer que les Etats
fassent tout parfaitement, à compter de
2030, en matière de réduction
d'émission, les calculs des
scientifiques montrent en effet que les
engagements des Etats pour la période
2020-2030 ne représentent qu'un tiers de
ce qu'il faudrait faire.
C'est peu.
Graphiquement,
c'est frappant.
Mathématiquement,
c'est indiscutable : au rythme actuel,
ce sont entre 11 et 13 gigatonnes de CO2
équivalent (GtCO2e) qui seront relâchés
en trop dans l'atmosphère en 2030 pour
rester en deçà des 2°C (sur un total
d'environ 55 gigatonnes). Et bien plus
pour rester en deçà des 1,5°C.
Rien de neuf
pourtant : on connaît les données du
problème depuis longtemps, dès avant la
COP21.
Cet écart entre
« le réel » et « le souhaitable » n'est
pas nouveau. Pas plus que les études de
l'ONU et du PNUE qui en font la
démonstration. A J-30 de la COP21, l'ONU
publiait déjà
une étude – que
nous commentions ici – montrant la
gravité de cet écart.
Extrait de
l'étude ONU du 30 octobre 2017
Dès la PreCOP de
novembre 2015, réunion de « haut
niveau » en présence de Laurent Fabius
et de ministres du monde entier, j'avais
affirmé (texte
disponible ici), au nom de la
coalition d'ONG Climate Justice Now, que
cet écart entre les 3°C ou plus, le
réel, et les 2°C au moins, le
souhaitable, n'était pas « un bon
point de départ pour aller plus loin »,
comme l'affirmaient alors les
architectes de l'accord de Paris, mais
que c'était « le point de départ pour
de nouveaux et plus nombreux crimes
climatiques dans le futur, aux quatre
coins de la planète ». Une gravité
inlassablement martelée depuis, appelant
les Etats à revoir leurs engagements à
la hausse pour résorber cet écart
injustifiable.
Que s'est-il
passé lors de la COP21 ? Depuis ?
Logiquement, il
était attendu de la COP21 qu'elle serve
à résorber cet écart entre le réel et le
souhaitable, c'est-à-dire que les Etats
se partagent l'effort supplémentaire
nécessaire pour satisfaire les objectifs
globaux qu'ils allaient assigner à la
communauté internationale. Il n'en a
rien été. Cette tâche, importante s'il
en est, a été reportée à plus tard. Un
peu comme si vous décidiez de commencer
par nettoyer les rebords de votre
marmite quand celle-ci commence à
déborder plutôt que réduire fortement la
puissance du feu de la cuisinière, pour
éviter la catastrophe.
Logiquement bis, ce
qui n'avait pas été fait lors de la
COP21 aurait du être fait depuis ou, a
minima, être en cours de négociation. Il
n'en a rien été non plus. Pas plus lors
du processus de ratification de l'Accord
de Paris, entré en vigueur il y a tout
juste un an, que lors de la COP22 à
Marrakech en 2016 ou lors des réunions
préparatoires à la COP23 – qui se tient
à Bonn du 6 au 17 novembre – il n'a été
question de combler ce fossé. Plus
catastrophiste qu'à l'accoutumée, la
communication du PNUE va-t-elle
contribuer à faire bouger les lignes
lors de la COP23 ? Rien n'est moins sûr
tant son ordre du jour est
principalement technique, portant sur la
mise en œuvre des différents dispositifs
prévus dans le cadre de l'Accord de
Paris.
Alors faut-il
enterrer l'objectif des 2°C ?
Frappés par l'étude
et le graphique publiés par le PNUE,
certains commentateurs attentifs aux
enjeux climatiques n'y vont pas par
quatre chemins : « On ne va pas se
mentir, c'est mort »
affirme ainsi un chercheur réputé et
attentif à ces questions. Ce n'est
pourtant pas ce qu'affirme le PNUE qui
trace une ligne de crête, exigeante mais
praticable, pour combler l'écart d'ici à
2030 et faire en sorte que « les
objectifs de l’Accord de Paris puissent
encore être atteints ». Avec plus
de 70% des émissions de GES liées à la
combustion des énergies fossiles et à
l'industrie du ciment, les premières
cibles sont claires : sortir du charbon
aussi vite que possible en arrêtant
d'investir dans les énergies fossiles.
Sans rentrer dans
le détail des politiques publiques
internationales et nationales qui
devraient être menées – nous les avons
longuement développées dans le livre
Sortons de l'âge des Fossiles et
nous y reviendrons dans les jours
prochains – il nous semble qu'il ne faut
pas se tromper d'interprétation : le
PNUE ne dit pas qu'il faut enterrer
l'objectif des 2°C.
Que dit le PNUE
alors ? Qu'il est « inacceptable »,
terme du
communiqué du PNUE, de ne pas
s'atteler dès aujourd'hui à tout faire
pour « respecter la promesse que nous
avons faite à nos enfants de protéger
leur avenir ».
C'est le manque
d'ambition climatique des Etats qu'il
faut enterrer.
Disons-le
autrement : ce n'est pas l'objectif des
2°C qu'il faut enterrer mais les
décisions politiques et économiques qui
ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Voici quelques
exemples d'une liste non exhaustive de
décisions récentes qui n'auraient jamais
du être prises :
-
quand une commission d'experts
conclut que
le CETA n'est pas climato-compatible,
il est « inacceptable » qu'Emmanuel
Macron et le gouvernement entérinent
sa mise en application provisoire ;
-
quand on annonce vouloir mettre fin
à l'exploration et l'exploitation
des énergies fossiles sur le
territoire national comme le prétend
Nicolas Hulot avec sa loi sur les
hydrocarbures, il est
« inacceptable » de
multiplier les exemptions pour
préserver les intérêts des
industriels et de refuser de
limiter les importations d'énergies
fossiles ;
-
quand on affirme que les
dérèglements climatiques sont une
priorité gouvernementale, il est
« inacceptable » de
supprimer le Fonds Vert français
qui doit soutenir les efforts de la
Polynésie et de la Nouvelle
Calédonie, à peine un mois après
Irma et seulement quelques jours
avant la COP23 ;
-
quand on prétend assumer un rôle
moteur dans la lutte contre le
réchauffement climatique, il est
inacceptable de revoir ses ambitions
à la baisse comme vient de le
faire l'Union européenne, avec
la bénédiction du gouvernement
français ;
-
etc.
Alors, oui, il est
temps d'enterrer des politiques et des
réflexes du siècle passé qui conduisent
à un réchauffement climatique
insupportable.
Mais n'enterrons
pas le seul article de l'Accord de Paris
qui lui donnait un peu d'ambition : la
barre des 2°C doit rester l'horizon
indépassable des objectifs de politique
climatique nationale et internationale.
Demain, et c'est
une bataille que nous devons mener
aujourd'hui, les Etats, les
multinationales et autres acteurs
économiques qui contreviennent à cet
objectif doivent même pouvoir être
sanctionnés pour cela. L'Accord de Paris
ne le permet pas. Trouvons d'autres
moyens pour qu'il en soit ainsi. Ce
devrait être un des enjeux de la COP23 :
si les politiques menées par les Etats
sont actuellement « inacceptables »
comme l'affirme le PNUE, alors elles
doivent pouvoir être sanctionnées.
Maxime Combes
Economiste, membre
d'Attac France
Auteur de Sortons
de l'âge des fossiles, Manifeste pour la
transition
maxime.combes@gmail.com
+33 6 24 51 29 44
Maxime COMBES
maxime.combes@gmail.com
+33 6 24 51 29 44
Twitter : MaximCombes
Mon blog :
"Paris2015 : Changer le système, pas le
climat ! (en accès libre)
Dernier livre
paru : Sortons de l'âge des fossiles !
Manifeste pour la transition (Seuil,
coll. anthropocène, octobre 2015)
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