Thèmes d'actualité
Le naufrage des élites académiques
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 24 octobre 2014
suivi de
A propos de mon
texte "Séance extraordinaire de
l'Académie des sciences morales et
politiques
Intervention remarquée d'un revenant
qui aurait changé de tête"
Le 17 octobre, mes
lecteurs ont entendu un orateur
imaginaire tenir un discours fictif
devant une Académie des sciences morales
et politiques surréelle: elle se serait
souvenue de ses origines
révolutionnaires et de son destin
ascensionnel dans la République.
Et pourtant, disait
l'ombre de Nicolas Sarkozy: "Nos
anthropologues d'avant-garde observeront
bientôt les neurones du simianthrope à
la lumière du génie de la Russie. Car il
se trouve que la domestication accélérée
de notre continent conduit notre
politique étrangère au grotesque, au
burlesque et au funambulesque.
Savez-vous que le nain suédois - censé
neutre, mais atlantiste des pieds à la
tête - délègue à Bruxelles une gentille
citoyenne du pays négocier en secret, et
au nom de l'Europe entière, un traité
intercontinental de libre échange entre
le loup et l'agneau? Savez-vous que,
dans toutes les capitales du Vieux
Continent, des peuples aux yeux encore
lourds de sommeil commencent de
descendre dans les rues afin de rejeter
ce bât?"
Et voici que M.
Kerbrat, Secrétaire général d'une
Académie spectrale, m'écrit en toutes
lettres que mes propos seraient
mensongers, puisque je n'ai pas été
appelé à m'expliquer en chair et en os
devant cette illustre assemblée.
Quand l'histoire
titube, les institutions les plus
prestigieuses ne savent plus où donner
de la tête: voici que le représentant
officiel d'un corps constitué me somme
de m'incarner dans un conte d'Andersen,
voici qu'une Académie, in corpore,
me demande de "retirer mon texte
de la toile" ou de préciser
qu'il s'agit d'une fiction littéraire.
Naturellement, j'ai
refusé de me soumettre à une censure
prononcée ex-cathedra. Tous les
grands portails qui, depuis des années
et chaque semaine me font l'honneur de
relayer in extenso mes modestes
commentaires de la géopolitique ont
diffusé ma réponse, accompagnée de la
lettre comminatoire que le Secrétaire
général réel de l'une des instances
morales et intellectuelles les plus
vaporeuses du pays m'a adressée et que
l'on trouvera en ligne ci-dessous.
Mais comment
diffuserais-je mon analyse prévue pour
le 24 octobre, alors que l'Académie se
place soudainement au cœur de l'histoire
véritable de la France et du monde? Car
voici qu'elle se montre tremblante de
tous ses membres - au sens figuré du
terme - entre l'atlantisme, auquel elle
se trouve plus asservie que Phèdre
n'était "à sa proie tout entière
attachée", et son piétinement effaré
sur une scène muette. Quel spectacle que
celui de sa vassalisation silencieuse
sur les planches d'une France absente!
Un siècle durant, elle aura donné au
monde entier une représentation
ininterrompue de l'asservissement de la
raison politique française!
Car enfin, Monsieur
le Secrétaire général d'un fantôme de
l'éthique de la nation sur la scène du
monde , vous savez qu'une Russie rieuse
et moqueuse demande pardon à Washington
d'exister physiquement au milieu de cinq
cents camps et forteresses américains
grouillants de bras et de jambes de
Hambourg à Naples et à Syracuse. Vous
savez également que M. Barack Obama a
identifié la patrie de Dostoïevski et de
Tolstoï au deuxième rang des
catastrophes naturelles, tout de suite
après le virus Ebola, vous savez que M
Hagel, ministre américain de la "défense",
c'est-à-dire de la guerre, a déclaré que
l'armée russe se trouvait "aux portes
de l'OTAN", c'est-à-dire d'une
institution placée sous le commandement
exclusif des Etats-Unis.
M. le Secrétaire
général, M. le Président, M. le
vice-Président, M. le Secrétaire
perpétuel, je frémis de ce que
l'Académie ne se préoccupe pas davantage
de sa renommée d'autrefois et de celle
qui l'attendait depuis 1795, tellement
elle se trouve à la croisée des chemins.
A la place qu'occupe chacun de vous, ce
n'est pas seulement de l'histoire de la
France de la raison, de la pensée et de
l'éthique que votre rang fait de vous
des témoins pathétiques de l'Académie
des sciences morales et politiques, mais
également, de l'histoire actuelle d'une
planète dont votre mission collective
vous rend partiellement, mais hautement
responsables.
Que devient la
dignité de la France entre les mains de
l'Académie quand elle se tait devant le
spectacle de l'asservissement d'un
continent dont elle est née en 1795!
Ouvrez les yeux sur la Russie que vous
contraignez à basculer du côté de la
Chine, de l'Inde et de l'Amérique du Sud
et vous verrez que l'enjeu n'est autre
que le suicide politique de la France et
de l'Europe. Car un empire étranger
contraindra les capitales vassalisées du
Vieux Monde à se ruer dans la fiction
selon laquelle, cent soixante huit ans
après la prise de Sébastopol par
Napoléon III et les Anglais, l'Ukraine
serait redevenue le centre de gravité de
la géopolitique, mais au profit d'un
autre continent.
L'ex-empire des
tsars a trouvé un allié de taille à
Pékin. Mais vous contraignez Moscou à
faire basculer le commerce mondial au
bénéfice du développement de l'industrie
russe, du commerce russe et de
l'agriculture russe; et vous vous
raidissez sottement dans la fiction
selon laquelle il existerait une
instance académique à la mesure d'une
morale et d'une politique dont vous avez
lâché les rênes.
M. le Président, M.
le vice-Président, M. le Secrétaire
perpétuel, M. le Secrétaire général de
votre propre solitude, de quelle
Académie des droits de l'esprit
êtes-vous devenu les porte-voix ?
Etes-vous les effigies représentatives
du corps constitué craintif et flottant
dont deux cent vingt ans de réflexion de
la France sur l'éthique des
civilisations et des nations auraient
accouché? Etes-vous les témoins et les
scribes de l'intelligence d'une
République raidie sous le sceptre d'un
empire étranger? Etes-vous les fidèles
messagers d'une assemblée soucieuse
seulement de protéger ses rituels? Sous
quelle lentille placer une raison
académique dont la vocation originelle
était de mettre l'histoire et la
politique de l'humanité sous la voilure
d'une éthique universelle?
La fin des
civilisations paraît vouée au
ratatinement du regard des élites. Mais
ce rabougrissement du champ de vision
des classes dirigeantes n'est plus celui
que dénonçait la Trahison des
clercs de Julien Benda, qui
observait l'irruption de l'irrationnel
dans une civilisation des rigueurs, mais
également des raidissements de la pensée
logique.
Le naufrage partagé
de la raison et de l'éthique
internationale dont témoigne l'Académie
est d'une tout autre nature : d'un côté,
la République se momifie et se totémise,
de l'autre, elle se disloque et nous
renvoie au balancement des Pendus
de Villon.
Mais je titube au
milieu des ossements: si la pluie vous
avait débués et lavés, si le soleil vous
avait desséchés et noircis, si pies et
corbeaux vous avaient les yeux cavés et
arraché la barbe et les sourcils, jamais
nos cœurs ne se seraient contre vous
endurcis.
La trahison des
élites modernes est tellement singulière
qu'elle ne se dissout pas sous la pitié
de Villon: vous vous balancez de ci, de
là, mais c'est l'étranger qui règle le
balancement de vos squelettes au bout de
la corde. Vous vous donnez les oracles
de votre servitude, mais c'est la voix
de votre maître qui entrechoque les
pendus.
|
1 -
Rappel
2
- J'ai reçu la lettre ci-dessous
du Secrétaire général de
l'Académie des sciences morales
et politiques, M. Pierre Kerbrat.
3
- Voici ma réponse
|
1 - Rappel
Que faut-il retenir
du troisième discours imaginaire
d'un revenant qui aurait changé de tête?
Voir :
Séance extraordinaire de l'Académie
des sciences morales et politiques -
Intervention remarquée d'un revenant qui
aurait changé de tête , 17
octobre 2014
2 - J'ai reçu la
lettre ci-dessous du Secrétaire général
de l'Académie des sciences morales et
politiques, M. Pierre Kerbrat.
Monsieur,
Le 17 octobre
dernier, vous avez publié sur votre site
internet
(http://www.dieguez-philosophe.com), un
article intitulé "Séance extraordinaire
de l'Académie des Sciences morales et
politiques - Intervention remarquée d'un
revenant qui aurait changé de tête".
Dans cet
article, vous vous mettez en scène comme
étant invité à vous exprimer devant
l'Académie (?), ce qui n'a jamais été, à
ma connaissance, le cas.
Vous êtes libre
- jusqu'à un certain point - d'utiliser
un tel procédé littéraire, à la
condition toutefois qu'il n'y ait aucune
ambiguïté concernant la réalité - ce qui
rendrait votre texte mensonger - et que
vous ne vous arrogiez pas le droit
d'engager l'Académie dans le soutien
apporté à telle ou telle prise de
position, quelle que celle-ci puisse
être.
Je vous demande
donc
- soit de
retirer ce billet de la Toile,
- soit de le
modifier et de ne pas y mentionner
l'Académie des Sciences morales et
politiques,
- soit
d'indiquer de la manière la plus claire
possible (en gras et en début d'article)
qu'il s'agit d'une fiction qui n'engage
en rien l'Académie des Sciences morales
et politiques.
Si vous
choisissez la 3e solution, je vous
demande de bien vouloir me soumettre au
préalable le texte de l'Avertissement
que vous placerez en tête de votre
article.
Chacun de ces
choix doit entraîner des modifications
non seulement sur votre site, mais
également sur les sites qui reprennent
vos billets (voir la liste en PJ des
sites ayant relayé à ce jour votre
texte)
En espérant une
réaction adéquate de votre part pour un
règlement amiable de ce problème.
Pierre Kerbrat
Secrétaire général Académie des Sciences
morales et politiques
3 - Voici ma
réponse
Monsieur le
Secrétaire général de l'Académie des
sciences morales et politiques,
Je croyais que
l'Académie des sciences morales et
politiques se trouvait tellement proche
de l'Académie française qu'elle aurait
connaissance du règne de la fiction
littéraire de Rabelais ou Villon à nos
jours.
Je me permets de
vous signaler que le lion devenu vieux
de La Fontaine ne se cache pas dans la
brousse, que les moutons de Panurge
pâturent dans toutes les têtes, que les
Yahous de Swift sont plus réels que
nature précisément de camper dans
l'imaginaire et que si les âmes mortes
de Gogol trottaient dans les rues de
Paris, elles y perdraient toute leur
réalité.
C'est pourquoi je
fais dire à un ancien Président de la
République transporté dans l'imaginaire
que les vrais personnages sont
mythologiques et que seul un Abraham
imaginaire a voulu retirer un Isaac en
chair et en os d'un ciel sacrificateur.
Je formule l'espoir
qu'une Académie des sciences morales et
politiques élevée par la plume dans le
monde ascensionnel qu'elle devrait
habiter et où je l'ai colloquée un
instant, s'initie au double langage des
signes et des symboles.
De toute façon le
double personnage que l'Académie des
sciences morales et politiques met en
scène se révèle un acteur divisé entre
son corps et son effigie, comme tout le
monde. Cet Hamlet à la fois naturel et
surnaturel est bien à l'image du réel,
celui d'une République qui se demande où
se cache son esprit.
En espérant que ma
réponse représente une réaction adéquate
à votre missive , je vous prie de bien
vouloir agréer, Monsieur le Secrétaire
général de l'Académie des sciences
morales et politiques, l'expression de
ma considération très distinguée.
Reçu de l'auteur pour publication
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