Décodage
anthropologique de l'histoire
contemporaine
L'Europe allemande
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Vendredi 15 septembre 2017
L'Occident qualifié de rationnel n'a
aucune connaissance rationnelle de la
nature et du poids des langues et des
religions sur la mentalité des peuples
et des nations.
Tout laisse présager que l'Allemagne de
demain voudra se présenter en moteur
politique de l'Europe au détriment des
intérêts à long terme de la France.
Cependant, l'emprise, un demi-siècle
durant, de Bonn la catholique sur
l'histoire des Germains a occulté
l'évidence que l'Europe en marche sera
protestante. L'exemple le plus frappant
est celui des conséquences en France et
en Europe de la séparation entre
l'Eglise et l'Etat en 1905. Un siècle
plus tard, les deux tiers des Français
ont cessé de croire en l'existence de
l'un ou de l'autre des trois dieux
uniques et réputé exercer un droit de
vie et de mort sur leurs fidèles -
Jahvé, Allah et le dieu des chrétiens
censé se composer de trois "personnes".
Mais rien de tel ne
s'est produit dans le reste du
continent: tout au contraire, l'Europe
du Nord a basculé dans la forme
spécifique du christianisme propre au
protestantisme, qui scelle un pacte
national et inébranlable entre l'Etat et
le mythe chrétien d'un salut universel.
C'est que les religions se définissent à
l'école de leurs doctrines, mais se
manifestent à l'écoute des tempéraments
des peuples, donc au gré de l'étendue
territoriale des nations, de la masse de
leur population, de leur situation
géographique, de leurs mœurs et de leur
climat. Le protestantisme est la seule
forme du christianisme censée progresser
parallèlement aux victoires de la raison
scientifique et philosophique de
l'humanité.
En vérité, la
psychologie protestante de l'Allemagne
est partagée par ses satellites mentaux.
Cette mentalité nous rappelle que la
Hollande, la Norvège, la Suède, le
Danemark, la Finlande, participent de
l'esprit germanique et renforcent la
puissance politique de l'Allemagne.
C'est tout ce groupe d'Etats qui donne
sa puissance économique à l'Europe
allemande d'aujourd'hui. Leur esprit se
révèle également le fondement de
l'alliance du politique avec les
technologies d'avant-garde. Il ne
s'appuie plus sur l'affichage dune
empreinte doctrinale et catéchétique
mais sur un esprit public compénétré
d'une foi adossée au culte des identités
nationales.
Aussi la première
démarche exigée du comte de Montpezat à
la suite de son mariage avec la reine du
Danemark, fut-elle de se convertir au
luthéranisme. Cette forme de
christianisme est entière ment étrangère
au centralisme sacerdotal de l'Eglise
catholique romaine. Plus la catéchèse
proprement dite devient floue et
informulée, plus le sceau du
nationalisme scelle le pacte entre
l'identité nationale et le rite cultuel
encore dominant.
Il est donc
essentiel de tenter de comprendre la
nature profonde de l'enracinement
allemand et protestant que le
luthéranisme imposera à l'Europe de
demain.
En premier lieu, une
vision stratégique plus étendue des
vrais enjeux d'une politique européenne
Prenons l'exemple
de la construction de deux grands
travaux entrepris afin de relier la
Suisse à l'Italie: le creusement du
tunnel du Simplon dans le Valais et
celui du Saint-Gothard à partir de
Zurich. On y voit clairement la
différence entre l'esprit catholique et
l'esprit protestant: le canton
catholique du Valais avait choisi un
microscopique village, celui de Brigue,
pour percer un modeste tunnel de
dix-neuf kilomètres, qui aboutirait dans
la petite ville italienne de Domodosola.
Les travaux commencés en 1898 avec
dix-huit ans de retard, ne s'étaient
achevés qu'en 1921 avec la fin du
percement du deuxième tube. Les quatre
mille ouvriers du côté suisse et les dix
mille du côté italien, avaient travaillé
dans des conditions très dures, avec des
piques et des pioches.
Un demi-siècle plus
tard l'Allemagne protestante a
étroitement piloté le creusement, à
partir de Zurich, la capitale
industrielle, commerciale et bancaire de
l'Helvétie, du plus long tunnel du monde
- certes dix-sept ans de travaux, mais
cinquante sept kilomètres de long - afin
de relier toute l'Europe du Nord, de
l'Est et de l'Ouest avec le bassin
méditerranéen à la vitesse des TGV
actuels, qui franchissent cent
kilomètres tous les quarts d'heure,
c'est-à-dire cent soixante kilomètres de
plus que les derniers avions à hélice de
1950.
La vision mondiale
de l'avenir politique et économique du
Vieux Monde témoigne d'un recul
intellectuel et d'une distanciation
anthropologique typiquement germaniques
et protestantes. De plus, cette vision
contraste avec le provincialisme de
l'esprit romain dont l'universalisme se
veut essentiellement doctrinal et
sacerdotal. En revanche l'universalisme
issu de la Réforme est branché sur des
idéalités tantôt apaisantes, tantôt
féroces et voraces: la Liberté, la
Justice, le suffrage universel, le mythe
démocratique dans son ensemble. Ces
entités vocalisées sont destinées à
devenir le moteur des nations et celui
du combat contre les prêtrises à la fois
locales et hyper divinisées.
On l'a compris
encore tout récemment quand l'esprit
protestant de l'Europe allemande a
proclamé que le Président Trump avait
"perdu la raison" à brandir bêtement
l'apocalypse atomique face à une Corée
du Nord qui avait suffisamment la tête
sur les épaules pour simplement rappeler
que Saddam Hussein et le colonel Khadafi
seraient encore en vie s'ils s'étaient
souvenu que la bombe atomique est fondée
sur la dissuasion du faible au fort.
Cette logique est plus rationnelle que
celle de "l'équilibre de la terreur"
entre les grandes puissances.
De toute façon,
l'esprit de la Prusse d'aujourd'hui voit
déjà clair comme le jour que l'Europe
protestante est en marche depuis
longtemps et que l'universalité
politique de demain, qu'on le veuille ou
non, se trouve entre les mains des
Germains. L'adage "Lève-toi et marche "
a changé de camp.
Puisse le recul
anthropologique dont dispose le
protestantisme allemand face à la
politique et à l'histoire ne pas coûter
trop cher aux Lettres et aux arts avec
lesquels la religion catholique avait
fini par faire alliance: Michel-Ange
disputait la préséance au pape Jules II.
Le 15 septembre
2017
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