L'art de la guerre
Les incendiaires crient au feu
Manlio Dinucci
Mardi 17 février 2015
La guerre qui se propage en Libye fauche
de plus en plus de victimes non
seulement sur terre mais aussi en mer :
de nombreux désespérés, qui tentent la
traversée de
la Méditerranée, se
noient. « Du fond de la mer ils nous
demandent où est notre humanité », écrit
Pier Luigi Bersani. Il devrait avant
tout se demander où est la sienne,
d’humanité, et avec elle sa capacité
éthique et politique, quand, le 18 mars
2011, à la veille de la guerre USA/Otan
contre la Libye, en habit de secrétaire
du Pd (Partito democratico), il
s’exclamait « à la bonne heure », en
soulignant que « l’Article 11 de la Constitution répudie la guerre, non l’usage de la
force pour des raisons de justice ».
Enrico Letta, qui avec Bersani en
appelle aujourd’hui au sens humanitaire,
devrait se souvenir du 25 mars 2011
quand, en habit de vice-secrétaire du
Pd, il déclarait « Va-t-en-guerre est
celui qui est contre l’intervention
internationale en Libye et sûrement pas
nous qui sommes des bâtisseurs de paix
». Une « gauche » qui dissimulait les
véritables raisons -économiques,
politiques et stratégiques- de la
guerre, en soutenant par la bouche de
Massimo d’Alema (déjà expert en « guerre
humanitaire » en Yougoslavie) qu’ « en
Libye il y avait déjà la guerre, menée
par Kadhafi contre le peuple insurgé,
un massacre qui devait être stoppé » (22
mars 2011). Substantiellement sur la
même ligne aussi le secrétaire du Prc (Partito
della rifondazione comunista) Paolo
Ferrero qui, le 24 février 2011 alors
que la guerre avait commencé, accusait
Berlusconi d’avoir mis « des jours pour
condamner les violences de Kadhafi » en
affirmant qu’il fallait « démonter le
plus vite possible le régime libyen ».
Le même jour, des jeunes « communistes »
du Prc, avec des « démocrates » du Pd,
prenaient d’assaut à Rome l’ambassade de
Tripoli, brûlant le drapeau de la
république libyenne et hissant celui du
roi Idriss (celui qui flotte aujourd’hui
à Syrte occupée par les djihadistes,
comme l’a montré le TG 1 –téléjournal de
la première chaîne- il y a trois jours).
Une « gauche » qui doublait la droite,
en poussant à la guerre le gouvernement
Berlusconi, au départ réticent (pour des
raisons d’intérêt) mais immédiatement
après piétinant cyniquement le Traité de
non-agression et participant à l’attaque
avec des bases et forces aéronavales.
En sept mois, l’aviation USA/Otan
(détail participation française en
apostille, NdT) compris effectuait
10mille missions d’attaque, avec plus de
40mille bombes et missiles, pendant
qu’étaient infiltrées en Libye des
forces spéciales, dont des milliers de
commandos qataris, et simultanément
étaient financés et armés des groupes
islamistes définis jusque peu de temps
auparavant comme terroristes. Parmi
lesquels ceux qui, passés en Syrie pour
renverser le gouvernement de Damas, ont
fondé l’EI (Etat islamique) puis envahi
l’Irak. Ainsi s’est désagrégé l’Etat
libyen, en provoquant l’exode forcé -et
par conséquence l’hécatombe en
Méditerranée- des immigrés africains qui
avaient trouvé du travail dans ce
pays.
On a ainsi provoqué une guerre
intérieure entre secteurs tribaux et
religieux, qui se battent pour le
contrôle des champs pétrolifères et des
villes côtières, aujourd’hui
principalement aux mains de formations
adhérant à l’EI. Le ministre des
Affaires étrangères du gouvernement
Renzi, Paolo Gentiloni, après avoir
rappelé que « abattre Kadhafi était une
cause sacro-sainte », lance l’alarme
parce que « l’Italie est menacée par la
situation en Libye, à
200 miles marins
de distance ». Il annonce donc que jeudi
il s’adressera au parlement pour
l’éventuelle participation italienne à
une intervention militaire
internationale « dans un cadre Onu ». En
d’autres termes, à une seconde guerre en
Libye présentée comme « maintien de la
paix », comme l’avait déjà demandée
Obama à Letta en juin 2013, soutenue par
Pinotti (ministre de
la Défense) et
approuvée par Berlusconi.
Nous revoilà à la croisée des
chemins : quelle position vont prendre
ceux qui travaillent pour créer une
nouvelle gauche et, en son sein, l’unité
des communistes ?
Edition de mardi 17 février 2015 de
il manifesto
http://ilmanifesto.info/gli-incendiari-gridano-al-fuoco/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Apostille pour la version française (NdT) :
Rappel sur la participation française à
la guerre contre la Libye, «Opération
Harmattan » en 2011 :
"Le ministre français des affaires
étrangères
Alain Juppé a indiqué le 21
octobre au matin sur
Europe 1 qu'en Libye,
« l'opération militaire est terminée » à
la suite de la mort de Mouammar Kadhafi.
« L'ensemble du territoire libyen est
sous le contrôle du CNT et sous réserve
de quelques mesures transitoires,
l'opération de l'Otan est arrivée à son
terme. L'objectif qui était le nôtre,
c'est-à-dire accompagner les forces du
Conseil national de transition dans la
libération de leur territoire, est
maintenant atteint ». Le 4 octobre 2011
[…] le ministre français de la
Défense,
Gérard Longuet déclare à la
commission de la défense de l'Assemblée
nationale que les forces
françaises ont tiré un total de
4 621 munitions dont 15 missiles de
croisières Scalp, 225 bombes de
précision
AASM tirées par les Rafale,
950 bombes à guidage laser GBU de divers
types (GBU-12 de 250 kilos, GBU-22 de
500 kg, des bombes
GBU-24 de 1000 kilos, et des
GBU-49 de 250 kg guidées GPS) tirées
par l'aviation, 431 missiles air-sol Hot
tirés par les hélicoptères Gazelle de
l'aviation légère de l'armée de Terre,
1 500 roquettes
tirées par les hélicoptères Tigre et
3 000 obus de 76 et 100 mm tirés par la
marine. Une demi-douzaine de missiles
Mistral auraient été
également utilisés.
Il a également estimé que le coût de
l'opération au 30 septembre sera de 300
à 350 millions d'euros. »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Harmattan
Bilan Libération :
http://www.liberation.fr/monde/2011/11/05/operation-harmattan-terminee_772643
Ou Marianne :
« Certes, de nombreux pays […]
n'étaient pas enthousiastes à partir en
guerre contre Kadhafi, mais
la France a trouvé la
clé en faisant voter une résolution sur
la "protection des populations". Comme
le reconnaît un haut gradé français, "on
a tiré sur ce concept comme sur un
élastique", à l'extrême mais sans jamais
qu'il ne rompe. Au nom de la protection
des populations, c'est en effet le
régime du colonel Kadhafi qui a été
visé, jusqu'à la mort de celui-ci. »
http://srv.marianne2.fr/marianne2007/m/Juppe-L-operation-militaire-en-Libye-est-terminee-Retour-sur-7-mois-de-campagne_a211708.html
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