Algérie
Les préalables à des propositions de
sortie de crise
Lahouari Addi
Vendredi 30 août 2019
Les textes, déclarations et propositions
de sortie de crise se multiplient, et
c’est bon signe. Cependant, une
proposition de sortie de crise, pour
être pertinente et aider à clarifier la
situation, doit reposer sur l’analyse
des causes de la crise et doit tenir
compte des revendications du mouvement
populaire. Il faut aussi que les acteurs
de la crise assument publiquement leurs
positions et non pas se cacher derrière
des slogans creux.
Les causes de la crise actuelle ne sont
ni individuelles ni conjoncturelles et
encore moins le résultat d’un complot
ourdi par un clan du pouvoir contre la
nation. Le discours de dénonciation de
la ‘issaba, outre qu’il est ridicule, a
pour but d’innocenter tout le système
hérité de l’indépendance avec ses acquis
positifs et ses échecs. Si des
responsables sont à blâmer, c’est pour
dire qu’ils n’ont eu ni le sens des
perspectives historiques, ni l’envergure
pour inverser la logique d’un système
devenu handicapant pour le développement
de la société. Ce système avait atteint
ses limites politiques avec les émeutes
d’octobre 1988. Et au lieu d’adhérer
sincèrement à la transition démocratique
inaugurée par la réforme
constitutionnelle de Février 1989 pour
une nouvelle phase historique du
développement de l’Etat, la hiérarchie
militaire de l’époque a préféré faire
avorter le pluralisme avec le trucage
systématique des élections et la
désignation quasi-administrative des
représentants de la population dans les
fonctions électives de la mairie à
l’Assemblée Nationale. Ces pratiques
assurées par un service dépendant du
ministère de la défense avaient pour
objectif stratégique de s’opposer à
l’alternance électorale afin que le
pouvoir souverain n’échappe pas à la
hiérarchie militaire. La vocation de
l’armée n’étant pas de fournir la
légitimité politique aux civils, le
résultat a été la gabegie dans la
gestion de l’Etat et dans les ressources
du pays, avec un niveau de corruption
qui a placé l’Algérie parmi les pays les
plus corrompus du monde.
La contestation
populaire, qui a commencé en Février
2019, exprime un mécontentement qui
vient des profondeurs de la société, et
cherche à restaurer l’Etat comme
ensemble d’institutions au service du
pays. La contestation est porteuse d'une
demande de changement de régime pour
sauver l’Etat et indique que la solution
ne réside pas dans un changement de
personnel. C’est le sens du slogan
YETNAHW GA3 qui traduit un désir de
rupture avec le régime né de
l’indépendance et qui est historiquement
et idéologiquement épuisé. Toute
proposition qui ne tient pas compte de
cette demande populaire sera vouée à
l’échec et n’aura aucun écho parmi la
population.
Les propositions de
sortie de crise doivent satisfaire cette
demande en tenant compte que le
changement doit se mener sans règlement
de compte ni chasse aux sorcières. Il
doit se faire avec le souci de protéger
l’économie nationale, les institutions
de l’Etat, en premier lieu l’armée qui
n’est pas comptable des erreurs
politiques des hiérarchies militaires
précédentes.
Dans cette
perspective, il faut tirer les leçons de
l’échec de la réforme constitutionnelle
de Février 1989 qui avait formellement
mis fin au système du parti unique. A
cet effet, il faut s’entendre sur un
élément essentiel de la culture
politique moderne : la vocation des
services de sécurité et celle de
l’administration judiciaire est de
protéger les libertés individuelles et
publiques et non de défendre le régime.
La jeunesse de l’Etat né de
l’indépendance a fait que ses
institutions ont été détournées de leur
vocation. C’est ainsi que la
gendarmerie, la police nationale et
l’administration judiciaire étaient sous
le contrôle d’un service dépendant du
ministère de la défense, ce qui les a
détournés de leur mission originelle.
Par conséquent, aucune rupture ne peut
se faire en Algérie si ces trois
institutions (gendarmerie, police
nationale et administration judiciaire),
n’échappent pas au contrôle du ministère
de la défense. C’est une condition pour
les restaurer dans leurs fonctions de
protection des libertés publiques et du
déroulement honnête des opérations
électorales. Sans la complaisance, voire
la protection, des juges et des
responsables locaux de la gendarmerie et
de la police, les walis et les chefs de
dairas ne pourraient pas procéder aux
bourrages des urnes sur instruction des
autorités centrales.
La gendarmerie
devrait être mise sous l’autorité du
ministre de l’intérieur comme c’est le
cas dans les Etats modernes. Cela
permettra aux responsables civils de
rééquilibrer les rapports d’autorité en
leur faveur dans la gestion
institutionnelle de l’Etat. Quant à la
DGSN, formellement sous l’autorité
civile, elle devrait reconnaître aux
policiers le droit de s’organiser en
syndicats libres pour protéger ce corps
de sécurité publique des velléités
autoritaires du régime.
Toute proposition
de sortie de crise qui se limite à
énoncer des vœux pieux, déjà contenus
dans les différents textes idéologiques
depuis l’indépendance (Programme de
Tripoli, Charte d’Alger, Charte
Nationale…), sera inefficace et ne
résoudra pas la crise actuelle. Des
élections, présidentielle ou
législative, avec la même structure des
rapports d’autorité qui ont prévalu
depuis l’indépendance, ne feront que
reproduire le même système où la
hiérarchie militaire est la source de la
légitimité politique. Avec des réformes
préalables à toute élection, il faut
aussi un changement de culture politique
de la part des officiers supérieurs :
ils n’ont pas le monopole du
nationalisme et de l’amour de la patrie.
Les officiers supérieurs sont des hauts
fonctionnaires de l’Etat et, à ce titre,
ils n’ont aucune vocation à être la
source du pouvoir et de la légitimité
politique. Ceci n’est pas une
déclaration d’hostilité à l’armée ; ceci
est la condition pour la protéger des
divisions politiques de la société, et
pour quelle ait des rapports apaisés et
sereins avec la nation dont elle est le
bouclier en cas d’agression étrangère.
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