Russie politics
Russie: Telegram décide
de ne plus
couvrir les terroristes
Karine Bechet-Golovko
Mardi 28 août 2018
Le blocage de
Telegram en Russie suite à la décision
de justice du 13 avril 2018 avait
provoqué une vague médiatique en
Occident: la méchante Russie porte
encore atteinte à la liberté et bloque
maintenant internet. Rien de moins.
Oubliant que dans tous les pays, les
opérateurs de messagerie codée coopèrent
avec les services spéciaux pour des
raisons de sécurité. Ce que la Russie
demandait à Telegram, en raison de la
législation en vigueur. Ni plus, ni
moins qu'ailleurs, cette messagerie
ayant de plus été utilisée dans certains
attentats en Russie. Il semblerait que,
finalement, un pas soit en train de se
faire et que Telegram soit d'accord pour
fournir les données des personnes
soupçonnées de terrorisme. Donc, il les
protégeait avant? Contrairement à ce
qui a été affirmé dans les médias
occidentaux, le FSB n'a pas tout à coup
fermé Telegram, l'affaire a été très
très longue. Et la question qui se pose,
si l'on sort du paradigme infantile de
la sacralité de la pseudo-liberté
absolue d'internet contre le méchant
Etat liberticide, c'est de trouver un
équilibre entre la liberté individuelle
et la nécessité (et l'obligation) de
l'Etat de protéger ses concitoyens
contre les dangers qu'ils encourent, le
terrorisme n'étant pas un mythe. Or, ces
messageries, comme Telegram, sont
largement utilisées par les terroristes.
Le 14 avril 2017,
le FSB (service fédéral de sécurité)
s'est adressé à Telegram pour lui
demander de se mettre en conformité avec
la législation russe (loi de 2006 sur
l'information, les technologies de
l'information et la sécurité de
l'information) et pour des raisons de
sécurité nationale de lui fournir les
clés de décryptage des messages, qui
seront utilisées dans les affaires de
terrorisme. Telegram avait jusqu'au 19
juillet 2017 pour se mettre en
conformité avec la législation, ce qui
n'a pas été fait. Le 16 octobre 2017, le
tribunal l'a condamné à une amende de
800 000 roubles (un peu plus de 10 000
euros).
Le 20 mars 2018,
l'Agence fédérale de communication a
informé Telegram de son obligation
d'exécuter ses obligations légales, au
risque de se retrouver bloqué en
attendant qu'il fournisse les clés de
décryptage au FSB, comme il lui a été
demandé. En réponse à ce courrier,
Telegram a répondu le 3 avril 2018
qu'il lui était techniquement impossible
de remplir ses obligations légales. Le 6
avril, l'Agence fédérale de
communication a, en conséquence, demandé
le blocage temporaire de Telegram.
L'Agence fédérale
de communication a alors saisi la
justice et une décision a été rendue le
13 avril 2018. Soulignons que la
position de la défense de Telegram était
totalement contreproductive: ils ont
décidé de ne pas participer au procès.
Officiellement pour "ne pas légitimer"
la justice russe. Mais il est vrai que,
surtout, il est difficile de démontrer
qu'il est techniquement impossible de
faire en Russie ce qu'il est possible
pour ces compagnies de faire aux
Etats-Unis. Le juge a donc reconnu que
cette impossibilité technique n'a pas
été démontrée et ne peut alors
constituer un fondement légitime à la
non-excution de ses obligations légales
par Telegram. Ainsi, la décision de
suspension de Telegram, tant qu'il
n'aura pas fourni les clés de décryptage
au FSB, a été adoptée.
Telegram a fait
plusieurs recours en justice et contre
la demande du FSB et contre la décision
de première instance, qui furent
rejetés. La loi doit être exécutée.
Entre-temps, l'argumentation a changé.
Il est vrai que l'impossibilité
technique n'est pas très sérieuse.
Alors, la dimension idéologique est
sortie: on ne collaborera jamais avec
les services spéciaux russes. Avec les
Américains ce n'est pas grave, mais avec
les Russes, quelle honte.
Début août, sans
aucune surprise, deux recours ont été
déposés devant la
CEDH. Le résultat ne fait aucun
doute, la Russie sera condamnée, c'est
la Russie. Comment la Cour européenne
va, en revanche, expliquer qu'en période
de danger terroriste maximal Telegram
ait le droit de ne pas donner les
informations sur les terroristes et
l'accès à leurs messages préparant des
attentats ou échappant à la police, ça
je suis curieuse de le lire ...
Sur le plan
intérieur, la dernière étape judiciaire
en date est tombée avec la
décision de la Cour suprême du 9
août 2018, qui, en appel, a confirmé les
obligations de Telegram envers le FSB.
Le conflit entre
le faux culte "libertaire" et la
sécurité publique
L'argumentation
développée par Telegram est très simple
et très à la mode: on ne veut pas, car
on ne collabore pas les services
spéciaux, eux sont les méchants, nous
nous sommes les gentils. Point. Cela
fait un peu penser aux crises
d'adolescence. C'est certainement pour
cela que ses représentants juridiques ne
sont pas allés en première instance
devant la justice russe, mais qu'ils ont
couru pleurnicher ensuite devant la
CEDH. Nous ne frisons pas la caricature,
nous sommes dans l'air du temps.
Mais l'air du temps
est quand même assez sanguinolent.
Telegram a été utilisé pour la
préparation de plusieurs attentats
en Russie et a permis à des terroristes
d'échapper à la police, pourtant sa
direction refuse de donner les
informations qui peuvent permettre
d'arrêter les coupables. Quel est le
rapport avec la "sacrosainte liberté"
d'internet, des messageries et la
protection de la vie privée ... des
terroristes?
Car finalement, il
s'agit bien de cela. Après tant de sang
versé, le fondateur de telegram,
Dourov, a dû mettre en place, hier,
une nouvelle politique de
confidentialité, selon laquelle sur
décision de justice, ils peuvent
transmettre le téléphone et les données
des personnes soupçonnées de terrorisme
au FSB. Pourquoi ne pas vouloir
transmettre le code d'accès aux messages
qui sont envoyés par des terroristes?
Surprenant de vouloir à ce point les
protéger. Pour compenser, Dourov se fend
aussi d'une
déclaration selon laquelle il
affirme comprendre les besoins de l'Etat
de lutter contre le terrorisme et
l'importance de trouver un équilibre
entre la protection de la vie privée et
la sécurité.
Bref, Telegram a
fait un pas en arrière. Il faut dire
qu'indépendamment des messages, il gère
aussi de la monnaie cryptée, et pour un
volume de 2 milliards de $. Rappelons
que c'est justement ce type de monnaie
qui est utilisé par les groupes
terroristes pour passer inaperçu des
circuits bancaires classiques.
Si tout n'est pas
encore réglé, la situation semble se
débloquer.
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